Fatigué, Alec en avait assez. Il ne savait plus quoi faire ni choisir. Fuir ? Se montrer au risque de se faire massacrer ? Affronter ses démons - et les vampires voulant lui trancher la tête pour récupérer le trône - ou rester un anonyme de plus sur les terres du Yin et du Yang ? Malgré toutes les promesses qu’il s’était faites et qu’il tentait de tenir, il se sentait toujours aussi bloqué, mais par quoi ?

- Ca va ?
- Ouais … J’arrive pas à dormir, c’est tout !

Comme pour rassurer son maître, Seijin repassa sous forme féline et se roula en boule contre sa nuque, puis il se mit à ronronner en s’endormant. Le caressant tranquillement, Alec se mit à penser à d’autres choses, plus positives, puis il parvint enfin à fermer les yeux, bercé par un grand nombre de souvenirs heureux, enfin au début.

- Non mais je rêve ?

Bon, techniquement, il rêvait bel et bien, mais il n’en était pas tout à fait conscient. Pour lui, cela ressemblait plus à une scène déjà passée en revue, encore et encore, à un tel point qu’il avait tenté de la rayer de ses souvenirs. Oui, il détestait l’université de magie, il détestait les retours vers le passé et il détestait que Mitsuko lui dise ses quatre vérités. Pourtant, il était revenu à cet instant et il ne comprenait pas pourquoi, ou peut être qu’il ne voulait pas comprendre, en réalité. Techniquement, n’importe qui aurait considéré ce rêve comme l’occasion d’accepter une fois pour toutes ce qu’on avait à lui dire, assumer ses actes - ou sa non action - et avancer. Mais il s’agissait d’Alec, un être à la fois borné et craignant de tout perdre, encore une fois.

- Qu’est-ce qu’elle fait encore ici ? On peut jamais être tranquille ?

Alec souffla cette réflexion, presque désespéré de la situation. Soit le maître du temps s’était de nouveau mis à jouer avec le passé et les avait replongé dans cette scène, soit Mitsuko avait du temps à perdre et avait fait cela elle-même, mais pourquoi ?

- Alors ça ne vous a pas suffit de me pourrir la vie ? Faut que vous me fassiez revivre les pires moments pendant que vous y êtes ?

Ne pouvait-il pas simplement trouver la sortie, encore une fois ? Il ne voulait plus la revoir, il ne voulait plus lui parler, il ne voulait plus lui faire face, quoi qu’elle ait à lui dire. Ses souvenirs lui faisaient déjà assez mal et se retrouver dans l’un d’entre eux était une des pires tortures qu’on pouvait lui faire. A moins que … Et s’il pouvait essayer de la tuer de nouveau ? Peut être que c’était l’occasion ou jamais de se venger des actes qu’elle ne lui avait jamais fait, du malheur dont elle n’était pas responsable, d’en finir avec le mauvais coupable … Enfin ce détail il s’en foutait, tout simplement parce que pour lui c’était elle la responsable et que s’il arrivait à s’en convaincre assez fort, il parviendrait à la vaincre, une fois pour toutes.

Musique

Une aiguille, plantée dans la poitrine, s’enfonçant un peu plus à chaque seconde. Ni trop vite, pour qu’il ait le temps de souffrir, ni trop lentement, pour qu’il n’ait pas le temps de comprendre ou réagir. Dans son cheminement, celle-ci emportait tous ses doutes, ses craintes, sa peine et sa colère pour la transformer en une simple vague de douleur qui le traversa de part en part. Les mots de Mitsuko, pourtant si anodins, semblaient l’atteindre comme si elle lui avait elle-même planté une lame chauffée à blanc en plein dans le cœur.

- Je …

Je suis toujours digne ? Je suis encore capable d’assumer ? Aucune pensée ne pouvait garantir ce qu’il voulait dire, car peut être avait-il arrêté de penser après avoir prononcé ce simple mot, ou peut être pas. Tergiversant comme jamais, doutant encore plus qu’auparavant, ses yeux s’écarquillèrent quand la scène changea soudainement. Il ne comprenait pas, il ne savait comment fonctionnait ce lieu, il ignorait totalement tout ce qui pouvait se cacher en ces lieux. De l’ignorance nait la peur, eh bien dans ce cas, le vampire avait la trouille, car il était perdu et craignait de faire - une nouvelle fois - face à l’inconnu.

- Je …

Je ne suis pas un irresponsable ! Je ne suis pas un lâche ! Ou je … Tout simplement ? Aucun autre mot ne vibra entre ses cordes vocale, guidé par un souffle coupé par ce qu’il venait d’entendre. Il n’avait rien remarqué, que ce soit les incohérences dus au changement de tenue de Mitsuko ou au changement d’environnement, trop accaparé par sa peur qui avait pris le dessus sur le reste. Que lui restait-il ? Fuir ? Encore ? En fait oui, c’était une très bonne idée ! Mais fuir où ? Il ne reconnaissait pas ce lieu - où il avait pourtant passé du temps - et cela le dérangeait énormément. Elle lui avait parlé de la porte des songes, mais quel était le rapport avec le crépuscule ? Son esprit ne supportait plus ces questions et il voulait seulement partir, se réveiller ou quoi d’autre que ce soit, mais juste en finir, une fois pour toutes.

- A … Assez … Je …

Reculant d’un pas, puis deux, il n’en fit pas de troisième car son pied heurta l’inconnu de plein fouet et son corps bascula en arrière. Cependant, il fut en mesure d’apprécier chaque détail de la scène, peut être parce qu’il avait souhaité de ne pas mourir trop vite, ou parce qu’il refusait intérieurement de quitter la source des réponses à ses questions. La chute interminable trouva tant bien que mal une fin, car au moment où il cligna des yeux, il sentit son dos craquer et son crâne exploser sous le choc, juste avant de revenir là d’où il venait, de la réalité. Dans un souffle, plus court qu’il ne l’aurait imaginé, il se réveilla, palpitant, angoissé et troublé.

- *Seijin !*

Sentir les poils de du chat chatouiller la peau de son cou fût sûrement l’expérience la plus rassurante qu’il n’avait jamais faite, car en un instant, il fut certain d’être revenu à la réalité. Se levant doucement, il sortit de sa chambre en laissant son compagnon dormir sur le lit, puis descendit jusqu’au perron du manoir. En ouvrant la porte, il fut surpris de voir le ciel étoilé - ce qui était plutôt rare dans le coin, mais qui arrivait de plus en plus souvent en fait - et envia presque les astres lumineux, perdus dans l’immensité du vide, inatteignables, libres. Marchant d’un pas à peu près détendu dans le sous-bois, il quitta la propriété sans vraiment s’en rendre compte et arriva au bout de plusieurs minutes jusqu’à un ravin qui donnait sur une superbe vue des environs, si on ne comptait pas sur les rochers aux formes de lames acérées qui se trouvaient en contrebas ! S’asseyant au bord, comme un gamin jouant avec la mort, il se mit à réfléchir à ce qu’il lui était arrivé. Toujours troublé, il s’était enfin décidé à rentrer quand une voix, douce et agréable, lui chuchota quelque chose qui lui glaça le sang.

- Lâche … Tu m'as abandonné …

Cette voix, il la reconnaissait, enfin il les reconnaissait, puisqu’il identifia assez facilement celle d’Alicia - sa mère - et Misaka - envers qui il avait toujours eu des remords - qui lui chuchotèrent ces simples mots. Se relevant, face au vide, quelques larmes lui coulèrent des yeux, jusqu’à ce qu’il esquisse un petit sourire et qu’il ferme les yeux en murmurant :

- Attendez moi … J’arrive …

Puis il fit un pas en avant.