« Caleb ? Où vas-tu?» - « Écoute Alice, j'ai simplement quelques affaires à régler et je dois aller voir un vieil ami. Seul, s'entend. Alors s'il te plait, reste avec Ren, ne bouger pas trop, et je reviens vite. D'accord?» - « Est-ce un moyen peu délicat d'annoncer que tu vas aller la rejoindre?» Je soupirais en passant une main sur mon visage, soudainement très las. Les secondes s'écoulèrent lentement avant que je daigne répondre dans un murmure : « Je vais à la prison voir quelqu'un. Cette explication te convient?» Je commençais à en avoir plus qu'assez de la futile jalousie qui animait ma tendre sirène. Je l'aimais, c'était un fait, et je lui portais énormément d'affection, elle était ma petite sœur. Simplement, ce n'était guère ce genre d'amour qu'elle voulait recevoir de ma part et répugnait que je puisse songer à l'offrir à une autre. Je relevais doucement mes prunelles d'ocres pour poser mon regard fatigué sur le visage d'Alice qui semblait gênée. Elle hocha la tête brièvement avant de s'intéresser soudainement aux paysages alentours. Un pauvre sourire désolé s'esquissa quelques instants sur mes lèvres avant que je tournes les talons, songeur. Et tandis que je me dirigeais lentement vers la prison, je laissais mon esprit vagabonder dans ses méandres les plus profondes. Durant de longues décennies, Alice et moi avions vécu heureux, loin de tout, comme deux gamins qui exploraient le monde, curieux et infatigable. Si je ne la désirais pas comme compagne, elle ne m'en tenait pas rigueur puisqu'elle était malgré tout la seule femme de ma vie, bien qu'elle y soit entrée un peu contre mon gré, sa présence m'avait longtemps apaisé. Mais aujourd'hui, la donne avait changé, puisque malgré les interdictions que je me posais, mes pensées se tournaient bien souvent vers le beau visage de lys d'une si belle demoiselle aux lèvres rouges et à la longue chevelure noire. Et c'était bel et bien cela que ma sirène adoré ne pouvait supporter. Je tâchais cependant de chasser ces dames de ma tête pour me concentrer sur mon vieil ami que je n'avais pas visiter depuis un bon bout de temps. J'espérais sincèrement qu'il ne m'en tienne pas rigueur.

Sans le moindre mal, je passais la grande porte entourée de gardiens qui me jetèrent un petit regard hautain rehaussé d'un sourire cynique et moqueur, ce à quoi je ne fis guère attention. Marchant à travers les tunnels sombres et nauséabonds sans réfléchir, je me dirigeais d'un pas lent quoique sûr près de la cellule où était enfermé un homme que je connaissais depuis l'aube des temps. J'avais beau ne pas être venu depuis des années, j'aurai pu aller jusqu'à lui les yeux fermés. Je finis par arriver devant son cachot et m'approchais lentement des barreaux que j'effleurais du bout des doigts. Sourcils froncés, j'avais les yeux rivés sur la misérable petite silhouette recroquevillée dans un coin de son tombeau qui demeurait immobile. Gorge serré, je chuchotais dans un souffle : « Mon pauvre ami. Qu'on-t-il fait de toi.» - « Caleb?» La voix était si faible et fragile, tremblante et essoufflé, c'était celle d'un vieil homme usé par le temps. Il se retourna vers moi et je pus contempler son visage. Si le mien demeura impassible bien que mes lèvres affichent un petit sourire forcé, j'étais en réalité stupéfait et horrifié de l'état dans lequel se trouvait mon cher ami. « Tu es revenu.» murmura-t-il, comme ébahi, les yeux ronds. Sa peau était sale et usé, ses lèvres sèches et ses yeux globuleux. Maigres et très certainement affamé, il n'était pas au mieux de sa forme. « Ne te laisse pas dépérir.» - « Que veux tu que je fasse d'autres. L'on m'a jeter avec la vermine de ce bas monde pour de biens drôles de raison, et jamais je ne semble pouvoir revoir un jour la lumière du soleil.» - « Ne dis pas de bêtise mon ami. Je ne t'oublie pas, quoiqu'il arrive. Je compte bien te faire libérer, un jour ou l'autre. Quand j'en aurais le pouvoir. Tiens bon. C'est tout ce que je te demande.» Et je fis glisser à travers ces barreaux quelques sacs remplies de vivre. « Tu vas salir ta belle chemise, Caleb.» - « C'est le cadet de mes soucis.» - « Ne traîne pas trop dans les parages. Je te suis reconnaissant de penser à moi, mais ces lieux ne sont guère accueillants. File donc. Et embrasse Alice pour moi. Elle ne t'accompagne plus?» - « Si. Mais je préfère te voir seul à seul» Je bavardais encore durant de longs instants, car malgré tout, je peinais à l'abandonner ainsi. Mais je dû bien me résoudre à rebrousser chemin.

Dans un soupire, je passais mes mais pâles sur mes avant-bras, débarrassant vaguement ma chemise des quelques saletés avant de glisser mes longs doigts dans les cheveux pour écarter les mèches qui tombaient devant mes yeux. Et mon regard croisa ensuite la petite silhouette d'une demoiselle à la crinière blonde. Quelque peu étonné, je murmurais simplement : « Mademoiselle? Excusez-moi de … vous interrompre, mais tout va bien?» Il était plutôt surprenant de rencontrer de jeunes femmes dans les parages.

Je devais être doué pour tomber dans d'étranges situations, ou bien peut-être avais-je un drôle de don qui me permettait de croiser les personnes les plus improbables et décalées de ses terres, à moins que je sois juste d'une malchance à toute épreuve et que quelqu'un là-haut s'entête à me compliquer ma morne existence. Quoiqu'il en soit, j'étais face à une jeune demoiselle aux cheveux blonds qui dégageait une aura de pureté et de candeur qui n'avait d'égal que dans l'incompréhension de ses bafouilles diffus. Elle avait l'air bien embarrassée que je la surprenne ainsi, tâchant tant bien que mal de se justifier, alors que je ne l'avais en rien accusé, mais je ne pus dire un traite mot dans ses bégaiements et je choisis tout simplement de la laisser se calmer seule. Et de toute manière, j'étais quelque peu désemparé face à cette réaction à laquelle je ne m'attendais guère, et je ne savais pas vraiment quoi faire. Je choisis donc une solution de facilité par dépit, mais peut-être valait-il mieux.Mais qu'avait-elle donc à la fin ? Peut-être lui faisais-je peur ? Après tout, je frôlais le mètre quatre-vingt-dix, j'étais plutôt musclé, et avec l'air dépressif que je me connaissais, je ne devais guère avoir l'air avenant. Pourtant, elle n'avait pas l'air effrayée, et elle me semblait si nerveuse que j'étais prêt à parier qu'elle serait partie aussi vite que le vent si elle l'avait voulu. Je tâchais de laisser un mince sourire apparaître sur mes lèvres.

« Enchanté Flonne.» lui répondis-je simplement, de ma voix grave et suave, aux intonations tranquilles et légèrement amusées. « Vous êtes une Ange comme j'en ai peu vu.» Et ce n'était rien de le dire. J'espère qu'elle n'allait pas prendre la mouche que je dise haut et fort à quelle race elle appartenait, comme souvent les gens le faisaient, énervé qu'on les perce à jour en quelques instants. Mais en tant que Rehla, cela faisait partie de ma nature, et concernant cette demoiselle, j'étais persuadé que je n'avais guère eu besoin de magie pour devenir à quelle race elle appartenait. Cela se voyait et se ressentait. « A vrai dire, non, vous ne pouvez absolument rien pour moi. Je vous ai simplement aperçu de loin, et je me demandais si tout allait bien, vous m'aviez l'air troublée et perdue, et je venais vous proposer mon aide.» Je fis une courte pause, laissant mes yeux ocres glisser sur cette jeune femme peu banale. « Et après ce bref entretien, je réitère que je vous trouve nerveuse.» Qu'est-ce que quelqu'un comme elle pouvait bien faire dans les parages ?

«Oh.» repris-je « J'en aurais presque oublié les politesses. Je me présente à mon tour, je me nomme Caleb Suellan.» Jamais je n'aurais cru bavarder tranquillement au beau milieu d'un couloir d'une prison. Je souriais, je tâchais d'avoir l'air sympathique, mais je sentais que mes yeux gardaient un éclat mort. J'avais la gorge serrée, encore sous le joug de mes émotions après avoir rendu visite à mon vieil ami, et il était bien dur de donner le change. Mais je faisais de mon mieux. « Sans vouloir me montrer indiscret, que faites-vous ici ? Vous n'avez pas l'air de rendre une petite visite à quelqu'un, vous n'êtes certainement pas du personnel.» Je souris. « Alors, j'en viens à penser que vous chercher quelque chose ?» Cela expliquerait son comportement exagéré.

Je me mis à attendre patiemment une réponse, espérant entendre une phrase censée et correcte. J'étais fatigué et pas vraiment d'humeur, malgré que je fasse mon possible pour paraître léger. Et j'avais toujours pris à cœur de venir en aide au demoiselle en détresse. D'un geste, je dégageais quelques longues mèches qui tombaient devant mes yeux.