Vanille tenait fébrilement entre ses longs doigts blancs une veille lampe à l'huile dont la gracile lueur dessinait avec douceur les contours des tombes et des arbres tordus du cimetière qu'elle traversait en silence. Ombre parmi les étranges et inquiétantes silhouettes floues qui semblaient danser au loin, la jeune femme se dissimulait derrière une épaisse cape pourpre qui ne laissait entrevoir que l'une de ses mains si pâle, celle illuminée par la flamme de la lampe qu'elle gardait, tandis que quelques boucles cuivrées s'échappaient de sa capuche. Aussi agile et discrète qu'un chat, la sirène marchait avec grâce, sans que ses pas ne brisent la paix assez lourdes des environs. Ainsi parée de sombre, avec sa peau si blême qui prenait quelques reflets argentés sous la halo de la l'astre de la nuit et sa si longue et épaisse chevelure de braise, Vanille ressemblait plus à une sorcière s'apprêtant à commettre quelques méfaits qu'à une des créatures enchanteresses qui peuplaient les eaux profondes de l'Océan, bien que dans tous les cas, elle conserve le côté envoutant qui lui était propre. Mais pour le moment, elle s'évertuait à rester cacher derrière son étoffe, n'offrant même pas à la vue des autres le moindre trait de son visage. Peu à peu, elle ralentit son allure au fur et à mesure qu'elle entendait les voix qui s'élevaient de plus en plus fort. Pour ne pas qu'on la repère aisément, Vanille rentra la lape dans sa cape pour qu'aucune lumière ne trahisse sa position. Le dos contre l'écorce rappeuse d'un arbre à moitié mort, elle tendit l'oreille, attentive aux quelques mots qui arrivaient jusqu'à elle.

Un sourire s'esquissa sur les lèvres pulpeuses de la demoiselle lorsqu'elle comprit que c'était le vieux gardien qui parlait à n'en pas douter à celui qu'elle allait devoir assister dans cette ennuyeuse mission qu'elle avait accepter de mener à bien. Évidemment, ce n'était guère pas l'altruisme que la jeune ondine concéda à débarrasser le cimetière de ce profanateur, pas même par ennui, mais bien par intérêt, car derrière ses frasques, Vanille avait bel et bien une petite idée derrière la tête. Avant que le gardien eut terminé de bégayer ses quelques paroles, la jeune femme avait laissé tombé sa lampe qui s'effondra au sol dans un fracas de verre, et aussi rapide que le vent, elle grimpa sur l'arbre avant de sauter de branche en branche dans un silence quasi religieux. Elle s'assit en toute discrétion sur l'une, observant, souriante, l'homme qu'elle allait aider dont elle ne voyait que le dos. Toujours entièrement dissimulée tel un fantôme noir, Vanille laissa un petit et bref rire amusé s'échapper de ses lèvres avant d'ajouter de sa voix chantantes aux accents sensuels:

« Vous respirez l'ennui. Permettez moi d'égayer un peu cette maussade soirée. »

Un temps de silence s'installa. Vanille en profita pour laisser glisser son regard sur son mystérieux interlocuteur. Lentement, elle croisa ses longues jambes qui sortirent de sa cape, laissant le tissu couler sur sa peau blanche. La jeune femme aimait être en hauteur, elle avait ainsi tout le loisir de contempler les autres, sans être repéré si elle le désirait. La sirène ne dit plus rien, préférant attendre la réaction de l'homme juste devant elle. Les mains posées à plat contre la grosse branche sur laquelle elle restait en équilibre, elle laissa ses doigts la tapoter alternativement au rythme de la chanson qu'elle murmurait dans un coin de son esprit.

Au gré d'une légère brise fraiche, les quelques longues mèches couleur feu qui n'étaient pas dans sa cape voletaient dans tout les sens, rebondissant avec douceur tout autour d'elle. Tout aussi délicatement, elle balançait ses grandes jambes, comme pour narguer l'homme en face d'elle, bien que ses intentions demeurent des plus mystérieuses.

Quelques longues secondes s'écoulèrent dans le silence le plus total, et rien ne se passait. Vanille gardait toujours son regard d'émeraude planté sur le jeune homme, légèrement agacée par ces temps morts. Elle décroisa avec élégance ses longues jambes blanches pour les recroiser dans l'autre sens, tapotant toujours ses ongles sur l'épaisse écorce de la branche sur laquelle elle se tenait. Quand enfin son interlocuteur se décida à prononcer quelques mots, la jeune sirène fut stupéfaite par tant de stupidité et un manque cruel de réflexion. Un petit soupire las et irrité s'échappa brièvement de ses lèvres roses. Peu à peu, il s'y esquissa l'ombre d'une moue déçue et contrariée. Elle ne s'attendait pas vraiment à devoir venir en aide à un homme frôlant l'intelligence d'un têtard à demi mort, et presque inconsciemment, elle songea à rebrousser chemin pour trouver une occupation plus intéressante. La jeune femme toisait l'homme devant elle avec un certain mépris, ses prunelles, tels deux poignards. Dommage qu'il ne puisse pas voir son expression, mais le doux visage blanc de l'ondine était voilé d'ombre, et en vue des capacités intellectuels de celui qui devait être son compagnon d'aventure, elle ne risquait pas d'enlever sa cape de si-tôt. Elle ricana avec douceur lorsqu'elle le vit jeter son mégot dans sa direction. Affligeant. Elle ne bougea pas d'un millimètre.

Le coin de ses lèvres frémirent lorsqu'elle vit dans les yeux dorées du jeune homme l'éclat de la compréhension. Enfin. Sans crier gare, Vanille sauta de son perchoir pour atterrir, bien droite, à quelques pas de l'inconnu. Le léger rire cristallin si caractéristique de l'ondine résonna une ou deux secondes tandis qu'elle entortillait autour de ses doigts la boucle de braise qui s'était échapper du pourpre de ses vêtements. Elle répondit simplement:

«Vous êtes loin de rayonner par vos capacités d'analyse.»

Certes, ce n'était peut-être pas la meilleure façon de débuter une conversation avec celui qu'elle allait devoir supporter pendant un certain temps, mais Vanille n'était guère le genre de femme qui faisait attention à ses paroles, à ne pas blesser ou vexer. Si elle désirait dire quelque chose, elle le faisait et c'est tout. Elle était loin de respecter les us et coutumes, les règles de vie et de bienséance, et si elle gênait les autres, ils n'avaient qu'à partir.

« Alors, es tu prêt ou tu préfère continuer ton petit numéro de suspicieux paranoïaque?»

Après tout, Vanille ne comptait pas s'éterniser dans les parages. Elle n'avait que quelques heures à accorder à cette histoire et n'y ajouterait pas une seconde de plus. Quitte à abandonner l'étranger dans une situation délicate, ce n'était guère son problème. Et bien idiot serait celui qui compterait sur Vanille pour réellement l'aider ou le sauver.