Les éclairs avaient percé le ciel alors que les paroles de la voyante avaient raisonné dans le creux du tronc d'un arbre majestueux. « Le fils que vous recherchez se trouvera dans la plus haute des pyramides du désert dans quelques jours, lorsque ce pendentif brillera d'une lueur rougeoyante. Il ne tient qu'à vous de le rejoindre mais sachez que si vous cherchez à lui révéler votre lien, la révélation sera telle une pièce. Pile, vous pourrez envisager de le garder près de vous, face, vous le perdrez à jamais. ». La voyante avait une allure effrayante, semblant presque ne faire qu'un avec l'arbre et, finalement, peut-être était-ce le cas. Mitsuko sourit, satisfaite de la réponse. Puis, elle sortit la récompense de son sac, laissant tomber sur la table en bois, éclairée d'une fine bougie à moitié consumée, une sorte de rat géant mort. La voyante ne tarda pas à se jeter sur ce dernier, ses dents pointues arrachant la chair crue sans le moindre ménagement. La sirène se leva, tournant les talons avant de s'arrêter à quelques centimètres du tronc qui s'étira pour la laisser sortir. « Bonsoir. ». La femme aux oreilles pointues releva alors le nez de son repas, fixant un instant la blonde. « Je suis contente de vous avoir revu. Mais faites attention aux alliés que vous choisirez. Il se pourrait que vous trouviez plus fort que vous dans un avenir plus ou moins proche. ». Les lèvres de la déesse s'étirèrent. « Ah oui ? ». Elle marqua une pause avant de sourire de plus belle. « Tant mieux. ».

Les jours passèrent, la jeune femme préparant des affaires pour se rendre dans le désert tout en se rapprochant le plus possible de ses frontières, attendant que le médaillon lui indique que le bon moment. Elle ne devait pas oublier qu'elle n'était plus déesse dans tous les lieux. Elle devait dormir, manger, boire, elle devait respirer. Il avait été dur pour elle de marcher de nouveau. Ce n'était pas sa condition de sirène qui avait engendré sa perte d'équilibre mais plutôt le poids de la gravité qu'elle ne subissait plus depuis un certain temps. A présent, celle-ci l'écrasait inlassablement. Néanmoins, elle aimait se sentir vivante, savoir qu'elle pourrait mourir ou, du moins, connaître un semblant de mort. Certes, elle n'était plus immortelle, elle saignait si on lui enfonçait un sabre dans le cœur, mais si jamais elle venait à mourir, alors elle se retrouverait dans son temple ou son monde, en tant qu'Immortelle. Cela dit, jamais la mort n'était venue la chercher de son « vivant » et elle savait parfaitement que l'Aether qui la représentait avait encore besoin d'elle. Son heure ne viendrait que lorsqu'elle l'aurait décidé. Et, en attendant celle-ci, elle avait l'intention de plonger le monde dans un beau chaos, dans l'ombre, comme toujours. Néanmoins, l'heure n'était pas aux complots. Elle avait décidé de retrouver l'un de ses fils et c'était d'ailleurs pour ce dernier qu'elle avait entamé ce long voyage. Le chemin jusqu'à la pyramide ne prendrait guère de temps grâce à Solarion, son animal ailé, mais le plus ennuyeux était d'attendre que le pendentif devienne rouge. Lorsque ce fut enfin le cas, elle partit.

Vêtue d'un pantalon blanc bouffant et d'un haut de la même couleur aux manches amples, elle se trouvait à présent devant la pyramide, supportant la chaleur du soleil à grande peine. Ne disait-on pas d'elle qu'elle était semblable à une reine de givre, ne ressentant rien, n'exprimant rien ? Sans doute était-ce vrai, du moins, en ce qui concernait sa préférence des endroits froids. Elle entra dans l'immense édifice, appréciant la fraîcheur qui s'imposa à elle. Elle prit l'une des torches animées de feu éternel de l'entrée afin de pouvoir y voir clair puis s'engagea dans la marche. Aussi, elle ne tarda pas à tomber sur la personne qu'elle souhaitait rencontrer. Elle ne savait pas réellement comment l'aborder mais elle fit simple, se disant que sa réaction lui indiquerait la marche à suivre : « Vous êtes Setho n'est-ce pas ? ».

Les yeux de Mitsuko se plissèrent légèrement alors qu'un petit rire sortit de ses lèvres. Sans répondre à sa question, puisqu'il s'agissait d'une habitude chez elle finalement, elle s'avança doucement, regardant son fils un instant. Il avait les mêmes yeux qu'elle, émeraude. Elle finit par le lâcher du regard, ses pas la conduisant contre le mur où se trouvaient des signes qu'elle ne pouvait guère plus déchiffrer. C'était dans ces instants où elle se rendait compte de la perte de connaissance qu'avait engendré son choix de redevenir mortelle. Mais elle préférait cela, largement, au savoir absolu, apporté sur un plateau d'argent. Si elle avait été divine à ce moment précis, la signification des écrits aurait été aussi limpide que de l'eau de roche, aussi claire que les ailes des anges. Elle aurait pu lui en donner les détails, lui fournir le sens exact de chacun de ces signes. Peut-être cela l'aurait-il étonné et qu'une sorte de complicité serait née. Néanmoins, elle ne le pouvait guère et outre le fait que le déroulement des événements qu'elle venaient d'imaginer ne pourrait avoir lieu, elle n'en ressentait aucune frustration. « Ce qui est plaisant lorsque l'on souhaite obtenir quelque chose, c'est de travailler sans relâche jusqu'à obtenir cette chose. Je crois que l'effort fournit est ce qui engendre la joie, vous ne pensez pas ? ». Elle sourit. « Comme vous, lorsque vous aurez réussi à déchiffrer ces signes. Je suppose qu'apprendre cette langue a dû vous demander bien des heures de travail acharné et qu'à présent que vous vous trouvez ici, vous en ressentez une certaine fierté mêlée à l'envie de vous servir de vos recherches pour arriver au sens. Et quand le sens se fera, en découlera votre satisfaction. ». Mitsuko posa l'une de ses mains sur les signes, fermant les yeux pour en ressentir les courbes. Les murs de la pyramide étaient vieux mais avaient tout de même été conservés par le temps. L'ancienne déesse avait toujours pensé qu'il s'agissait du temple d'un ancien dieu et à présent qu'elle était ondine, elle ne se rappelait plus de la réponse. Perdre la connaissance absolue était à la fois plaisant et navrant mais il lui suffisait de retourner en Okaeli ou dans n'importe quel lieu de culte actif pour retrouver cette divinité et les réponses associées aux questions qu'elle pouvait se poser. « Finalement, peut-être sommes-nous tous voués à chercher le sens, la vérité. Mais seuls une poignée peut y avoir accès. Voyez-vous, je suis de ceux qui pensent que la connaissance n'a de prix que lorsqu'elle demande des efforts. D'autres pensent autrement et, à vrai dire, j'aimerai bien connaître votre position sur la question. ».

Pour une fois que l'un de ses fils semblait mû par la même curiosité qu'elle, par la même soif d'aventures et de découvertes, elle ne pouvait pas laisser passer une telle occasion. « Quel est votre objectif, Setho ? ». Après tout, elle était en droit de se poser cette question. En ce qui la concernait, elle n'avait jamais souhaité savoir juste pour savoir. C'était une quête intéressante mais, pour elle, la recherche du savoir devait servir un objectif plus grand. Ainsi, elle avait appris les diverses variétés de poisons dans le but d'assassiner ses opposants, elle avait parcouru les terres du Yin et du Yang dans le but d'ouvrir son esprit aux différences raciales existantes. Il y avait toujours une finalité à atteindre, quelque chose qui lui permettait de mener ses recherches avec une logique à toute épreuve.

La jeune femme finit par se tourner de nouveau vers lui. Il la dépassait de vingt bons centimètres mais sans doute avait-elle l'habitude. Chacun de ses fils étaient plus grands qu'elle, voire plus grands que la majorité des individus peuplant ces terres. Elle ne l'avait pas fait exprès à la conception mais ainsi s'était déroulée leur évolution. Enzel était sans doute l'exception à la règle mais puisqu'il était un Illuminae, cela se comprenait. Elle resta là un instant, passant doucement sa main dans ses cheveux pour remettre une mèche rebelle derrière son oreille. La divinité lui avait fait perdre la notion du temps et lorsqu'elle était redevenue sirène, la longueur de ses cheveux l'avait étonné. Ils arrivaient à présent juste au dessus de ses fesses, et peut-être devrait-elle chercher à les couper quelque peu. Elle finit par répondre à sa question : « Malheureusement, bien souvent, il arrive que l'on soit connu de personnes dont on ignore absolument tout. Néanmoins, je ne connais de vous que votre prénom et quelques éléments biographiques. Ne vous inquiétez donc pas, je ne suis guère une folle qui vous adule en secret. ». Elle sourit avant de se présenter. « Je m'appelle Mitsuko Taiji Stark, enchantée. ».

Mitsuko sourit. Il était comme elle. Oh, sans doute pas sur tous les points, mais sur certains. La connaissance. Les énigmes qui, une fois résolues, apportaient bien d'autres énigmes. Elle avait passé sa vie à courir après le savoir et c'était une chose qu'elle n'avait pas voulu représenter en tant que déesse pour une raison qui lui était encore inconnue, peut-être pour être certaine de ne jamais connaître le Tout. Seulement, plus le temps passerait, plus elle saurait. En plus de cela, ce qui s'était offert à elle en tant que divinité ne lui avait guère plu. La connaissance sans apprentissage et sans effort n'avait qu'un goût étrangement fade, le goût de l'ennui. « Croyez-moi, il est bien plus amusant de courir après la connaissance que de l'acquérir pour toujours, l'avoir à disposition quand bon nous semble. Après tout, ce serait comme arriver dans un lieu connu de nul être sans avoir effectué le voyage. Pourtant, quelque part, c'est le voyage qui est le plus intéressant, même si, parfois, l'on aimerait qu'il se termine. ». Combien de fois avait-elle réfléchis sur un problème des nuits entières sans en trouver la solution ? Peut-être avait-elle maudit tous les Dieux à cette époque ci, mais la révélation, ce petit moment où l'on comprend que l'on sait, que l'on a réussi, pour rien au monde elle ne voudrait l'oublier et s'en passer. Cet instant où le regard s'illumine, où l'on peut relever la tête, fier de savoir, enfin. La jeune femme avait beaucoup de fils. Ils étaient tous différents et à l'époque où certains d'entre eux vivaient dans le Manoir Taiji, des tensions étaient fréquentes entre ces hommes/enfants. Pourtant, même si elle ne s'en était guère beaucoup occupée, Mitsuko était fière de ces derniers, fière du concept même d'une fratrie réunissant tous les peuples de ce monde. Sa famille était des plus diversifiées et à présent qu'elle avait un peu de temps pour elle, elle était bien décidée à tous les retrouver, à tous les connaître. « Paradoxal ? Non. Je pense comme vous, et je déteste particulièrement m'ennuyer. ». Elle sourit. Elle n'avait jamais cessé de chercher, quels que soient les sacrifices à faire pour trouver les réponses. Elle était devenue Ombre pour acquérir la connaissance sur le processus de vie et de mort, bien que cet acte soit également l'apogée de son étude sur la création des êtres. Une âme, un corps, le développement de l'esprit. C'était ainsi qu'elle avait créé ses enfants. Elle ne le regrettait pas. L'on pouvait croire qu'elle était une mauvaise mère, et sans doute ceci était-il vrai, mais quelque part, ses enfants étaient les seuls individus qu'elle aimait, à sa manière. « Peut-être n'en tirez-vous pas encore quelque chose, mais peut-être que cela viendra ? On ne peut savoir ce que l'avenir nous réserve. ». Enfin, c'était sans doute faux. Le futur n'était pas stable, mais des chemins de vie existaient, uniques pour certains individus comme Jun dont le Destin était tout tracé depuis des siècles et des siècles, multiples pour d'autres qui le façonnaient petit à petit, au fil de leurs rencontres et de leurs actions. Néanmoins, Mitsuko sourit. Elle non plus ne voulait guère croire au Destin quand elle était encore Mortelle. Certes, elle l'était de nouveau ou, du moins, à moitié, mais elle devait avouer que des choses étaient prévues à l'avance, et que même si cela était rageant de l'admettre, il s'agissait bien d'une vérité indérogeable.

« Ne vous inquiétez pas, je ne vous veux aucun mal. ». Il semblait prudent, qualité qui n'était pas un luxe dans ce monde. Elle-même, quand elle n'était qu'une sorcière, prenait des identités différentes à chaque fois qu'elle changeait d'interlocuteur. C'était une époque lointaine, une époque où elle était faible, mais qu'elle appréciait de se remémorer parfois. Prenant un air mystérieux, elle finit par avouer : « Oh, je connais votre nom de famille, Setho, peut-être bien mieux que vous ne le connaissez vous même. ». C'était une certitude en réalité. Devait-elle lui avouer la vérité maintenant ? Elle l'ignorait, mais elle ne pourrait tourner autour du pot indéfiniment. Fixant un instant les écritures sur le mur, son ouïe fut attiré par un bruit, faible mais tout de même présent. Levant les yeux au ciel, elle finit pas déclarer. « Je serai vous, je sortirai immédiatement. C'est mal élevé d'épier les conversations. ». Un vieil homme ne tarda pas à se montrer, ôtant son chapeau pour s'adresser à eux. « Pardon mais il me semble que vous parliez d'aventure. J'ai quelque chose à vous proposer... ». Mitsuko était curieuse de savoir quoi.

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