Je me glissai dans l’embrasure d’une porte, ma silhouette entourée d’un manteau sombre à capuche. Dans la nuit noire, j’étais presque invisible. Les étoiles et la gemme qui s’était installée à Basphel brillaient bien plus que moi. Lorsque la lumière de la pièce m’éclaira, les regards s’aimantèrent cependant à mon corps. Je baissai la tête davantage, laissant le soin à mon contact de me guider loin de ces êtres communs qui n’avaient pas assez d’argent pour réserver un lieu privatif. Lorsqu’il referma la porte derrière moi, je me débarrassai du velours. La couleur ne changea pas. Ma robe était noire. Elle tombait jusqu’à mes bottes. Le col couvrait une grande partie de mon cou. Mes cheveux étaient attachés en un chignon strict. Je m’étais simplement autorisée des boucles d’oreille dont la chaîne composée de diamants tombait vers ma gorge. J’avisai la pièce et choisis de m’asseoir sur une chaise plutôt que sur le canapé. La table créerait une distance obligatoire entre nous, sauf s’il choisissait l’une des assises voisines. J’en doutais. Ce n’était pas pratique pour discuter. Doucement, je joignis mes mains entre elles devant moi. Je me méfiais de lui. J’étais officiellement venue seule. Officieusement, je n’avais aucune idée de qui était susceptible de me suivre. Elias devait me faire espionner et ne pas être le seul. Val’Aimé avait également la charge de la protection de la famille royale et Ârès était impossible à cerner. Quant à ce Dorian, même si les événements de Seaghdha me paraissaient flous, je n’avais pas oublié certains éléments. Il n’était pas dénué de qualités, ce qui signifiait qu’il était dangereux. J’étais avantagée par mon rang mais ne pouvais me permettre de m’en vanter. Je voulais comprendre, savoir avec qui est-ce qu’il m’avait confondue et s’il se rappelait ma méprise également. Surtout, je désirais décortiquer les sensations qu’il avait éveillées en moi en mordant ma peau. Je ris, consciente que ces retrouvailles n’avaient aucune raison d’être. Politiquement, elles ne m’apporteraient rien. Cette rencontre était un caprice de ma part, une perte de temps dans ma course pour le trône. Peut-être même ressortirais-je de cette pièce dépitée. La tête me tournait à Seaghdha. Mon jugement était probablement faussé.

Lorsqu’il entra dans la pièce, je pris soin de le détailler. Il ne ressemblait pas tant à Lucius mais semblait faire la même taille. Comme lui, ses cheveux étaient foncés. Cependant, Lucius avait la peau d’une couleur plus sombre et les yeux du Vampire étaient deux rubis qui n’avaient rien à voir avec les émeraudes du Magicien. M’être trompée à ce point me déplaisait fortement. « Bonsoir. » le saluai-je. « Avez-vous trouvé facilement ? »

439 mots

Deux silhouettes dans la nuit
Eméliana & Dorian

☙ Mother Mother - God's Plan

Mon pas ralentit en passant près d'un groupuscule d'adolescents descendant bruyamment la rue que je remontais. Leurs effluves n'étaient pas déplaisantes, loin de là. À vivre parmi les miens, j'en oubliais parfois ce que c'était de me déplacer dans une ville peuplée de gorges chaudes qui ne demandaient qu'à être déchiquetées. Je me mis une bourrade mentale. Ce n'était pas le moment de jouer à l'idiot en m'arrêtant pour un en-cas. Je n'avais même pas faim. Me nourrir avant de sortir était devenu un réflexe, de survie principalement. Je ne pouvais pas me permettre d'être soumis à ma soif, c'était le meilleur moyen d'être en position de faiblesse et s'il y avait bien un moment où je devais éviter cet écueil, c'était bien maintenant, avant d'aller retrouver une gamine appartenant à une famille royale. D'avoir pu garder ma tête attachée sur mes épaules après l'avoir goûtée une fois était un miracle, ces choses là ne se reproduisaient généralement pas une seconde fois.

Arrivé à l'adresse communiquée, j'hésitai, puis passai la porte. Les regards de clients s'arrêtèrent sur moi puis glissèrent de nouveau sur le contenu de leur verre. Je ne reconnus pas la Salvatore parmi eux. Je repensais à ces sottises avec ce Conte et cet Ezidor. L'élite qui composait supposément l'école devait se tenir éloignée de ces futilités, du moins je l'espérais. Je n'étais pas d'humeur à subir le moindre commentaire à ce sujet. Il était pour moi, clos et celui qui le rouvrirait aurait à subir ma mauvaise humeur. Après avoir échangé quelques mots avec le personnel, on m'indiqua quel chemin prendre pour me rendre dans la salle privatisée.

En entrant, je marquai une pause, le temps de la regarder, mais surtout de constater l'ampleur de ma méprise à Seaghdha. Je me renfrognai légèrement. Rien n'allait, pas même la couleur de ses cheveux. « Princesse Eméliana Salvatore. » la saluai-je en retour. Il s'agirait là de la seule politesse à laquelle je me plierai. Je n'étais que peu familier des usages de la noblesse, plus encore celle se rattachant aux Mages, quelle que soit la couleur de leur Magie. Je pris possession du canapé et m'y assis, conscient d'être moi-même soumis à un examen visuel. Ce qu'elle en conclurait m'importait peu. Ce n'était pas pour lui plaire que je m'étais déplacé et je m'installai confortablement, un bras sur le dossier, l'autre reposant sur ma cuisse dans une apparente décontraction. Je n'avais pas oublié qui nous avaient interrompus à notre première rencontre, ni les relents de menaces de mort qui étaient associés à ces charmants gardes du corps. « Si on veut. C'était un peu pénible de trouver un justificatif administratif pour venir sans encombres. » Une fois aliéné, le fonctionnaire m'avait laissé passer et me croyait ancien élève de l'école. J'avais donné le nom de Taiji, assez répandu pour que cela ne soulève pas de questions gênantes une fois les effets de mon Aliénation dissous.

« Je me suis presque laissé tenter à arriver en retard. Il y a de quoi me faire tourner la tête ici, avec tous ces jeunes encore si innocents du monde. Il y a des Vampires dans cette école ? Ce doit être à la fois formidable et une torture pour eux. » Un petit sourire en coin s'incrusta à la commissure de mes lèvres. « Pas d'inquiétude, je ne parle pas de vous. » Je la détaillai de haut en bas et laissai parler mon expression pour moi. Non, innocent n'était pas le terme adéquat pour cette... fille ? Jeune femme ? Ces vêtements austères la faisaient paraître plus âgée qu'elle ne devait l'être. « Mais trêve de bavardages, je ne suis pas venu parler de la qualité de votre sang, sauf si c'était l'objet de votre invitation ? » Mon sourire s'élargit franchement. « Je veux bien répondre à toutes les questions que vous aurez, si vous répondez aux miennes. Qui étaient ces hommes, à Seaghdha ? Ils ont tenu des propos des plus étranges me concernant. »

Message I | 705 mots

Mes prunelles fixèrent ses lèvres lorsqu’elles remuèrent, à la recherche de ses crocs. Elles ne virent que les mouvements de sa bouche. Je songeai à la proximité qui avait été la nôtre. Le fait qu’il vécût encore était un fait étonnant. « Si vous étiez arrivé en retard, nous nous serions manqués. » lui fis-je savoir. Il devait avoir l’habitude qu’on l’attendît là où je n’avais pas l’habitude d’attendre autrui. À mon image, il se dégageait de lui un magnétisme certain. Ceux capables d’oser lui dire non devaient être de plus en plus rares. « Il y en a, en effet. Des poches de sang leur sont distribuées le temps qu’ils parviennent à se contrôler. » Je ne relevai pas le reste, occupée à me questionner sur ce qu’il avait ressenti en buvant mon sang. Je souris lorsqu’il en parla de lui-même. Notre coordination à évoquer le sujet refléta pourtant notre désaccord sur ce dernier. Je l’interrogerais plus tard. « Ces hommes ? » demandai-je. Je ne me souvenais que de l’un d’entre eux : Ârès. L’autre pouvait être n’importe quel espion ou garde du corps. Néanmoins, Val’Aimé devait normalement protéger la famille royale lui-même. Ses interventions concernant Érasme avaient été nombreuses. En lisant des rapports confidentiels, j’avais appris qu’il était allé le récupérer à Lumnaar’Yuvon. Si je n’étais pas tenue de répondre au Vampire, je n’avais rien à perdre à le faire. Il n’était pas l’heure de demander une contrepartie. Je ne le connaissais pas encore assez. « Le premier s’appelle Ârès Taiji. Le second, je n’en suis pas certaine. Je ne m’en souviens pas. » lui avouai-je calmement, en déliant mes mains et en les posant à plat sur la table. « En tant que Princesse Noire, je suis surveillée. Le plus logique serait qu’il s’agisse du Chef des Armées et bras droit de l’Empereur Noir : Val’Aimé Taiji. Il est reconnaissable. Il ne sourit jamais et porte sur son visage un rictus méprisant. Sa magie trace sur sa peau des stries noirâtres. Ses cheveux sont longs, bruns. Ses yeux sont clairs. S’il ne s’agit pas de lui, j’ignore l’identité de ce deuxième homme. Il vous faudra donc me le décrire. » Je croisai de nouveaux mes doigts. « Et vous ? Avec qui m’avez-vous confondue ? Vous sembliez éperdu. » Je n’avais pas oublié ses yeux sur moi, son empressement, le mur dans mon dos, ses crocs enfoncés dans mon corps. Il ressemblait à Lucius, à la différence que leurs désirs étaient différents. L’un voulait du sang, l’autre de la chair. Dorian semblait néanmoins apte à se maîtriser actuellement. « Et qu’ont-ils dit, ces hommes, à votre sujet ? » ajoutai-je. Pour que ça le marquât, les propos devaient l’avoir choqué. Je le regardai, incertaine quant à ce que j’allais faire de lui. Je n’avais aucune idée concernant ses projets. Pourrait-il devenir un levier pour moi ou préférait-il vivre une existence simple, dénuée de tout pouvoir ? Les Vampires et les Sorciers valsaient avec les ténèbres après tout, même si le comportement animal des premiers pouvaient faire penser à des bêtes sans aucun contrôle. Il n’y avait qu’à le regarder pour comprendre qu’il était au-dessus de la masse des sauvages qui constituaient sa race. Néanmoins, l’insolence teintait également sa voix, ce qui pourrait devenir un problème. Mes idées fusèrent loin de lui et mes yeux fixèrent ses hanches sans réellement les voir. Je tombai sur une évidence. Si je voulais vraiment devenir Reine, sans Elias à mes côtés, je devrais être un Roi. Autrement dit, puisque la société sorcière ne soutiendrait jamais une femme désirant monter sur le trône, dans l’hypothèse où je ne pourrais pas m’allier à une ou plusieurs races capables de faire pression et d’agir en ma faveur, il me faudrait devenir un homme, d’une manière ou d’une autre.

615 mots

Deux silhouettes dans la nuit
Eméliana & Dorian

☙ Hozier - Eat Your Young

Je compris ce qui lui donnait cette maturité dès qu'elle ouvrit la bouche. Ce sérieux si solennel avait un côté presque comique, et qui l'aurait réellement été si son comportement avait manqué de crédibilité. J'avais le désagréable sentiment d'être en rendez-vous professionnel et juste par esprit de contradiction, je me composai sur les lèvres un sourire légèrement insolent. Si j'avais été plus influençable, je me serais redressé sur mon assise pour adopter une attitude plus digne. Je n'en ferai rien. Ce canapé était, après tout, très confortable et le lieu des plus intimes invitait à la décontraction plus qu'à la sévérité. Cet échange était informel, j'allais donc comme tel.

« Oui. Mais je me souviens maintenant que vous nous avez abandonné à mi-parcours. Un deuxième homme est apparu peu de temps après le premier. » Peut-être était-ce sa fragilité qui avait invoqué le souvenir d'Isahya au premier plan de mes rétines. C'était un bien faible point commun sur lequel me baser pour justifier ce malentendu. J'acquiesçai à la description. J'avais bien choisi mon moment lors du bal pour rencontrer tout ce beau monde, drogué jusqu'aux yeux à nager dans l'illusion la plus complète, à baver après le fantôme de cette Sorcière qui m'avait marqué plus que je n'aimais l'admettre.

« Une vieille connaissance. » lâchai-je, du bout des lèvres, soudain réticent à trop en dire. Parler d'elle ne la ferait pourtant pas réapparaître, et je ne savais pas si cela me rendait heureux ou malheureux. « Une Sorcière du nom d'Isahya Leone. À mon avis, c'est la similitude de l'odeur de votre sang m'a fait commettre une erreur. Moi qui m'étais juré de ne plus jamais m'en prendre à des Sorciers ; votre sang charrie véritablement les pires maladies, ce n'est vraiment pas vendeur. » Je forçai un sourire sur mes lèvres. « Mais je ne l'ai pas revue depuis bien longtemps, c'est du passé, je préfère le laisser où il est. » conclus-je afin de revenir sur d'autres sujets non moins troublants. « Ils ont laissé entendre un lien de parenté dont je n'avais pas connaissance. Selon cet Ârès, nous serions frères. Il y a peut-être eu erreur sur la personne, c'était après tout le thème de la soirée si je ne m'abuse, ou n'étions-nous que les seuls à vouloir voir qui nous voulions bien voir ? » Car c'était le prénom d'un autre qui avait franchi les lèvres de la Princesse une fois dans mes bras. « Quoi qu'il en soit, si j'ai des frères dans la nature, j'aimerais en savoir plus sur eux. On ne sait jamais, si je suis invité à un soudain dîner de famille, il est préférable que j'évite une bévue qui me rayerait du testament. » plaisantai-je même si je n'avais pas envie d'en rire. Les Sorciers n'étaient jamais un bon public pour l'humour.

Message II | 508 mots

« Certes. » murmurai-je. Connaissance n’était pas un mot suffisant pour décrire la personne avec laquelle il m’avait confondue. Son empressement n’était pas le reflet du traitement réservé à une quelconque figure du passé. Cette femme était forcément importante pour lui. Une ancienne amante d’avant sa transformation ? Un amour déçu ? Les Vampires ne pouvaient pas avoir de rapports charnels mais rien ne les empêchait de tomber amoureux. J’étais d’avis que l’amour sans sexe était un amour heureux. Cependant, je n’avais pas l’intention de laisser mon cœur agir à la place de mon cerveau. Seul le trône m’intéressait. « Le passé peut s’avérer dangereux, en effet. Pour aller dans votre sens, on ne sait jamais quelles maladies les Sorciers enterrent avec eux. Trop creuser peut réveiller d’anciens germes. » répondis-je à son dernier commentaire sur cette Isahya Leone. Je ne manquerais pas d’effectuer des recherches sur cette dernière puisque, visiblement, cette Mage avait emprisonné une partie de l’esprit du Vampire. Une partie de moi enviait un tel pouvoir même si, encore une fois, il me semblait plus opportun de devenir un homme plutôt que d’en séduire un en espérant obtenir de lui quoi que ce fût. Combien tentaient et s’en mordaient les doigts ?

Je haussai un sourcil. « Un lien de parenté ? » J’aurais été seule, j’aurai laissé un rire m’échapper. Ceux que j’avais découvert plus tôt n’étaient déjà pas anodins. Lucius, Érasme, Kaahl. Ils seraient liés à l’homme assis dans ce canapé de surcroit ? Si Ârès et Dorian étaient frères, cela signifiait que Kaahl et Dorian l’étaient également. Val’Aimé était le fils de Jun Taiji. Je croisai mes bras sur la table quelques secondes avant de remonter l’une de mes mains vers ma bouche. Mon index caressa mes lèvres. Le puzzle était jouissif à reconstituer. « Vous ne connaissez pas vos parents ? » demandai-je, avant de me lever. « Qu’étiez-vous avant de devenir un Vampire ? » Doucement, je me dirigeai vers lui. Assis sur le canapé, il était plus petit que moi. Je n’avais plus treize ans mais j’étais restée petite. Petite et gracile, même si la vision de mon propre corps était toujours tronquée par la maladie. Je me trouvais affreusement grosse. Alors que j’allais lui poser une autre question, ma vision se détacha de la pièce. Je vis Seaghdha comme si je me trouvais au-dessus de la cité. De toute part, l’eau s’infiltrait, emportant avec elle les objets mobiles. Je m’immobilisai ainsi presqu’une minute avant de retrouver mes esprits. Le changement de décor me fit perdre l’équilibre.

427 mots
S'il ne la rattrape pas, pars du principe qu'elle tombe par terre  

Deux silhouettes dans la nuit
Eméliana & Dorian

☙ Hozier - Eat Your Young

« Je connais ma mère. » Ou je la connaissais. Était-elle encore en vie ? Je préférais ne pas revenir sur les lieux qui avaient été le décor de ma précédente vie pour ne pas raviver des souffrances inutiles. « Elle n'était pas loquace sur mon père, il était un homme de passage, voilà tout. J'ai cessé de me montrer curieux à ce sujet quand elle a brûlé mes sourcils alors que j'avais moins de dix ans. Un accident selon elle, fréquent avec les Lyrienns du feu. » Voilà qui répondait à son autre question dans le même temps. Mon regard suivit la ligne de son corps qui brisait son immobilité. Je ne bougeai pas, me contentant de lever un sourcil interrogateur. Mon interrogation silencieuse devint confusion en voyant son expression se vider sans préavis. Je me tendis sur le canapé. S'agissait-il d'une possession ? D'un sortilège qu'elle ne maîtrisait pas ? Ou apprendre que j'étais lié par le sang à certains membres proche d'elle lui avait-il déplu au point de vouloir s'en prendre à moi ? Paré à toute éventualité, je palpai ma propre magie, déterminé à ne pas quitter ce monde sans me défendre. L'époque où l'étreinte de la mort m'apparaissait plus douce que les affres de la vie était révolue. J'avais trouvé trop de plaisirs nouveaux pour trouver quelques séductions auprès d'Ezechyel. Rien ne se produisit. Il n'y avait que cet effroyable néant dans son regard, comme s'il était fixé sur un autre monde où son âme se transférait. Je fronçai les sourcils. « Hé. Est-ce que ça va ? » appelai-je, sans vraiment croire qu'elle allait me répondre. Je n'étais même pas sûr qu'elle puisse m'entendre.

La silhouette de la princesse vacilla sur ses appuis et je me levai en pressentant l'abandon de son équilibre. Je la cueilli sur mon bras au moment où elle chutait et lâchai un grognement malgré sa légèreté. « Hé. » répétai-je, un peu plus fort. Je sondai son visage pour y retrouver une forme de conscience et louchai sans le vouloir sur sa gorge, ou ce qu'il en restait, non dissimulé par le col de son vêtement. Sans réfléchir, j'y amenai un doigt pour tracer le léger renflement bleuté d'une veine qui remontait jusqu'au creux sous son menton. « Merde. » Le son de ma voix m'aida à retrouver la raison qui s'était temporairement fait la malle et je donnai à la Sorcière une petite gifle pour lui redonner à elle aussi ses esprits. « Ne vous avisez pas de mourir quand je suis là ou je ne sais quoi d'autre, ça va m'attirer des problèmes. Je n'ai pas l'intention de mourir pour rien, ou pour vous, sauf votre respect. » J'avais ajouté les trois derniers mots avec un léger temps de retard, puis décidai que l'étiquette importait peu dans ce cas de figure. Fermement, je la guidai jusqu'au canapé et la laissai s'y avachir. « Si vous vouliez le siège le plus confortable, il suffisait de le dire. » dis-je, faussement râleur, pour alléger l'atmosphère. Je pris place où elle était assise précédemment et me penchai pour m'accouder sur mes genoux, les mains jointes. « C'était quoi ça, exactement ? »

Message III | 556 mots

Je sentis un impact sur ma joue sans parvenir à y apposer des mots. Les siens s’imprimèrent dans mon esprit en lieu et place des paysages de Seaghdha. Une nouvelle fois, j’eus l’impression diffuse qu’il était Lucius. Lorsque je me relâchais, des ersatz d’émotions enflaient dans ma poitrine. Je les pensais fausses, le simple fruit d’une solitude que je m’imposais. Officiellement, je devais me garder pour Elias. Officieusement, je ne voulais d’aucun homme dans ma vie. Ils prenaient trop : trop de place, trop de voix, trop de pouvoir. Froidement, j’analysais les réactions de mon corps et tentais de les admettre comme des nécessités biologiques pour mieux les voir disparaître. J’étais une femelle. Les mâles m’attiraient. C’était naturel mais je pouvais prendre le pas sur cette nature. J’en étais convaincue.

Je me laissai tomber sur le canapé. Ma peau devait être diaphane. Elle l’était déjà en temps normal. Je l’écoutai et souris malgré moi. Ce Vampire possédait un humour aussi marqué que son insolence. L’un dans l’autre, le mélange était des plus dangereux. Heureusement, je n’avais jamais songé à le tuer lors de notre entrevue. « Je préférais vous voir jouer les preux chevaliers. » lui répondis-je, en dehors du cadre que je m’imposais. Après tout, il était un Suceur de Sang. Cela gommait son statut d’homme. Il ne pouvait pas se reproduire et les seules choses qu’il pourrait enfoncer dans ma chair étaient ses canines. Tant qu’il ne me souillait pas sexuellement, ma valeur resterait intacte. Néanmoins, le fait qu’il eût été un Lyrienn était légèrement répugnant. Ces choses étaient des aberrations, des créations de la magie des Magiciens et des Sorciers, même si, par un curieux hasard, le phénomène avait eu tendance à s’inverser ces dernières décennies. À Amestris, le sujet n’existait pas. Mon séjour à Basphel m’avait appris cette réalité dont je ne savais que faire.

Sa question me centra sur ce que j’avais vu. C'était comme si, pendant un très court instant, les eaux aux portes de Seaghdha n’avaient plus existé. Je me redressai doucement et le regardai. « Je l’ignore. » avouai-je sans détour. « C’est la première fois que ça m’arrive. » Y était-il pour quelque chose ? Non. Il en aurait profité sinon. « J’ai eu une sorte de… vision ? » Avais-je lancé une malédiction ? Je n’étais pas censée pouvoir le faire. Mes dons pour la nécromancie s’étaient manifestés récemment. En les découvrant, des portes s’étaient fermées. Je le regardai et portai mes doigts à ma gorge. Il m’avait touchée. J’en étais presque convaincue. « J’ai vu les eaux entourer Seaghdha progressivement. » lui révélai-je, avec un calme étrange. « Ça avait l’air si réel… » lâchai-je dans un murmure. Un trouble me froissa puis une idée dans ma tête bouscula le reste. « Si vous voulez enquêter sur votre famille… que diriez-vous de prendre mon corps ? Je prendrai le vôtre en échange. J’ai besoin d’être un homme. » Je détachai mes cheveux afin de les réajuster. Je n’avais pas besoin de m’observer dans un miroir pour comprendre que l’épisode précédent n’avait pas arranger mon allure. Je me sentais étrange, entre calme et tempête, entre retenu et exubérance.

520 mots

Deux silhouettes dans la nuit
Eméliana & Dorian

☙ Hozier - Eat Your Young
(Désolée, je n'arrive pas à écouter autre chose)

Je l'observai retrouver sa contenance. En cet instant, ma peau ne jalousait nullement la sienne. Elle aurait aisément pu passer pour une Vampire, sauf auprès des miens. Peut-être était-ce parce que j'étais déjà passé par là, mais je n'avais besoin de fournir aucun effort pour sentir l'odeur de son sang. Je cillai. Mieux valait ne pas y penser. Un discret sourire en coin apparut au qualificatif. Était-ce ce que la princesse recherchait, un homme prêt à la secourir ? Bae n'était pas le seul qui avait besoin de lever le nez des contes.

Mon attention s'accrut. Auparavant, je n'aurais nourri aucune foi pour les visions. J'avais changé d'avis le jour où j'avais appris la disparition inquiétante de toute la Lignée peu de temps après avoir en avoir rêvé. Même si les suggestions mentales étaient à analyser avec des pincettes et une solide dose de bon sens, j'y accordai désormais plus d'importance. Ce que la Salvatore décrivait pouvait ne rien signifier, ou au contraire être un présage à prendre au sérieux. « Seaghdha n'est pas une cité portuaire. » fis-je remarquer. « J'imagine que le fleuve peut déborder parfois, mais... peut-être que me voir a simplement réveillé un traumatisme associé à Seaghdha. » hasardai-je, l'amusement pétillant au sein de mes iris, car il m'arrivait rarement de cesser d'être insolent.

La suite eut le pouvoir de me couper le sifflet. Toute trace d'humour qui résidait sur mes traits se dissipa comme brume au soleil. « Pardon ? » J'avais très bien entendu, je n'étais juste pas sûr de comprendre d'où ça sortait. Sa proposition me ramena à la raison de ma présence. « C'est pour cela que vous souhaitiez me rencontrer ? Pour être ... » Un rire interloqué m'échappa. « Comment ça, vous avez besoin d'être un homme ? » Je me calai contre le dossier de ma chaise. Elle m'intriguait, et je ne voyais pas où elle voulait en venir. Elle ne me disait pas tout, et je ne lui en voulais pas, cependant j'avais besoin d'informations plus substantielles pour sérieusement envisager d'accepter. « Ce que vous suggérez est dangereux. » Pour moi, essentiellement, bien que j'ignorais ce qu'elle comptait faire au juste avec mon apparence. « Je dois avouer que ça me plaît. » ajoutai-je, en toute transparence. « Je ne devrais sans doute pas accepter cet échange. Ni vous, d'ailleurs. Vous n'avez aucune certitude sur ce que je pourrais faire une fois dans votre corps. Mais ce qui est vrai pour vous l'est pour moi. Ceci dit, j'ai comme l'impression que vous avez plus à perdre que moi. » J'étudiais son marché. Je n'aurais sans doute pas d'autre chance d'en apprendre plus sur ma famille. « Il va aussi falloir tout me dire sur vous. Vos relations, votre comportement en général, si vous avez des animaux domestiques, un amoureux à défaut d'un amant, toutes ces choses qui nous évitera à tous les deux d'être dans l'embarras. » Embarras était un bien joli mot pour parler de décès, car je doutais que mon sort soit plus enviable que ça si ça se savait.

Message IV | 540 mots

Est-ce que je dois profiter des gains de quête du RD pour prendre un pouvoir d'échange des corps ? 8D