Ca va un peu vite quand même
Jezeṃiās & Marie-Jane

Can't catch me now - Olivia Rodrigo

Marie-Jane s'approcha jusqu'au parterre de fleurs, devant lequel elle s'accroupit. Elle constata avec satisfaction que les plantes avaient bien poussé depuis la dernière fois qu'elle était venue s'en occuper. Les membres du club de jardinage se répartissaient les zones dont s'occuper, souvent par duos ou trios. Jusqu'à présent, la rose était parvenue à éviter de se retrouver avec Sympan et Eutropius. Ce n'est pas qu'elle ne les aimait pas - ça aurait été un peu fort de formuler les choses ainsi. Mais elle se sentait mal à l'aise en leur présence. Le premier, à cause de leur tête-à-tête désastreux lors du Speed-dating organisé par l'AAAP. Quand au second, la Lyrienne ne pouvait s'expliquer la raison de son pressentiment, mais il restait tenace. Peut-être parce qu'il était un sorcier, tout simplement. Ce jour là, la rose s'était retrouvée avec une jeune fille de l'Ivoire, fort sympathique, qui lui avait proposé de diviser les tâches pour aller plus vite.

Seule à sa tâche, la chanteuse en herbe se mit à chantonner un air qu'elle apprenait à la chorale, sans vraiment s'en apercevoir. Ca lui arrivait souvent, lorsqu'elle se retrouvait sans personne aux alentours pour l'entendre. De la sorte, elle n'appréhendait pas autant de faire de fausses notes. L'adolescente plongea une main dans la poche de son tablier de jardinage et en retira une sphère à l'aspect terreux, qu'elle effrita aux pieds de la plante. Il s'agissait d'une croquette contenant tous les nutriments adaptés à l'arbrisseau dont elle s'occupait, et que le sol de Basphel ne contenait pas naturellement. La professeur Jil leur avait appris à les confectionner lors d'un atelier du club.

La voix qui l'interpella fit sursauter la timide, qui se redressa d'un bond. Elle écarquilla des yeux ronds dans la direction du garçon. « Oh, euh, mmh non ? » balbutia-t-elle en sentant le rouge lui monter aux joues. C'était plutôt elle qui l'avait dérangé. Elle espérait ne pas avoir chanté trop fort - on lui avait souvent répété qu'elle avait une voix fluette, peut-être ne l'avait-il pas entendu ? « Du moment que tu n'écrases pas les plantes, tu as le droit de rester ici si tu en as envie. » ajouta-t-elle avant d'esquisser un signe de tête et de faire mine de se saisir de l'arrosoir. « Une... Cigarette ? » répéta la rose d'un air incrédule. C'était interdit par le règlement. Et puis, ce n'était pas très bon pour les poumons. Après avoir papillonné des yeux, l'élève de la Craie secoua légèrement la tête. « Oh non, merci. L'odeur me fait tousser. » Et surtout, la jardinière craignait que ses plantes n'apprécient guère la cendre en guise de terreau. Avec inquiétude, la Lyrienne baissa le regard sur ce que tenait le brun entre ses doigts, craignant d'y trouver une cigarette déjà allumée. Ce qu'elle cru percevoir fut toutefois plus dérangeant encore. Non, ça ne pouvait pas être un vrai doigt. « Tu fais partie du club de théâtre ? » interrogea-t-elle. « C'est un accessoire pour votre prochaine pièce ? »

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Ca va un peu vite quand même
Jezeṃiās & Marie-Jane

Can't catch me now - Olivia Rodrigo

Marie-Jane avait parfois du mal à comprendre l'humour. Ce n'était pas qu'elle n'aimait pas rire : bien au contraire, elle adorait la sensation d'euphorie, de joie candide provoquée par une bonne blague. Le souci, c'est qu'elle ne parvenait pas à comprendre ce qu'il y avait de drôle à voir quelqu'un dans la détresse, voire pire, de piéger quelqu'un dans une situation inconfortable. Ces actes produisaient même tout l'effet inverse, chez elle : les moqueries ne faisaient qu'entortiller ses entrailles en une boule de culpabilité et de malaise angoissé. Au lieu de rire, la rose avait plutôt envie d'aller rassurer la cible des plaisanteries mesquines. Le problème, c'est qu'en cet instant, c'était elle qui était la victime d'une mauvaise blague. Soit ça, soit ce garçon avait de véritables soucis. Bien évidement, l'élève de la Craie ne le dirait pas à voix haute, pour ne pas heurter la sensibilité de son interlocuteur. Il n'en restait pas moins que la situation décrite par l'adolescent était quelque peu problématique. Ventes d'organe, cannibalisme : deux pratiques qui pétrifiaient la timide, malgré le portrait qui se voulait attachant, et qui attirait effectivement sur le garçon la pitié de l'âme généreuse. « Non. » La négation était sortie abruptement, de façon peut-être un peu sèche. Le feu lui montant aux joues, la rose se râcla la gorge, regardant autour d'elle, comme pour voir si quelqu'un pouvait venir la tirer de la discussion étrange avec cet individu louche. Il n'y avait personne aux alentours. « Non merci, je te le laisse. » reprit-elle plus calmement. Fébrile, la jeune fille s'empara de son arrosoir et entreprit d'hydrater les plantes. Elle ne savait pas exactement comment réagir. Devait-elle prendre les jambes à son cou, ou essayer de faire avouer une mauvaise plaisanterie ? Elle n'était pas certaine d'être prête à découvrir qu'il s'agissait de la vérité. Dans le doute, elle préféra garder le silence et retourner à son activité pour pouvoir filer le plus vite possible.

La Walok'Krin fronça les sourcils. La fumée de cigarette lui irrita les narines, de son odeur désagréable et piquante. Si elle avait été plus caractérielle, elle aurait reproché à l'adolescent de se comporter volontairement comme un provocateur. Ne lui avait-elle pas dis, plus tôt, ne pas apprécier cette odeur ? Mais la timide ne s'imposait jamais. A la place, elle retint son soupir et esquissa un pas de côté pour s'éloigner de la source de son mécontentement.

« Oh, je, euh - attends... » Avant que la gentille ne pusse refuser sa requête, Jezz s'était déjà éloigné. Le cœur battant, Marie-Jane laissa tomber son regard sur le doigt qui avait été abandonné sur place. Bien décidée à ne pas entrer en contact avec un morceau de cadavre - bien qu'elle avait décidé de croire à une plaisanterie, les phalanges avaient l'air très très réalistes, pour un élément de costume - la jardinière tourna les talons et fit quelques pas. Pourtant, à chaque centimètres de distance qu'elle creusait entre elle et ce léger souci, la culpabilité l'étreignait. Tout d'abord pour les plantes à proximité de ce souvenir peu commode. Et puis aussi un peu pour cet adolescent un tantinet bizarre. Et s'il avait dit la vérité ? Et s'il voulait simplement offrir une sépulture à un être qui lui avait été cher ? D'accord, ce n'était pas le moyen le plus commun, mais s'il n'avait vraiment pas eu les finances nécessaires, il s'agissait peut-être de la seule solution à sa disposition ? Marie-Jane laissa un profond soupir affaisser ses épaules. Elle avait du mal à croire elle-même qu'elle s'apprêtait à faire ça... Pourtant, la rose fit demi-tour pour aller récupérer l'index - ou bien était-ce l'annulaire ? - dans un mouchoir en tissu. Lorsqu'elle s'en empara, elle grimaça et dû retenir un haut le cœur à cause de l'odeur.

« Les serres. » souffla la rose. Il y avait là-bas des plantes carnivores qui sauraient honorer ce qu'il restait de ce grand-frère. L'impression d'être complice d'un dangereux criminel, l'adolescente se dépêcha d'aller enterrer la preuve.

720 mots - FIN