Muse esseulée
Nightsong - Borislav Slavov & Maria Angelova

C’était étrange. Plus nous nous rapprochions du centre névralgique de Nisāria, et plus les bruits de la cité devenaient sourds, envahissants. Nous continuâmes quelques secondes encore notre marche, mais la curiosité fût plus forte, au point où nous choisîmes de ralentir notre pas, puis de l’arrêter complètement.

« Qu’est-ce qui se passe? Attentives, nos oreilles furent tendues afin de capter les voix de la ville et ses chants. Peut-être un spectacle ou un festival? »

En regardant de plus près, il nous semblait qu’il y avait aussi beaucoup plus de gens dans les rues que d’ordinaire – et pourquoi avait-on posé toutes ces sculptures à travers les allées?

« Oh, c’est vrai! Je me rappelais soudain, la réalisation attirant l’attention de Muramasa. Geyrson nous a parlé de cet événement, la dernière fois : une entente entre la ville et les Orines pour réaliser une sorte d’exposition d’art extérieure. Il devrait patrouiller dans le secteur, d’ailleurs. On pourrait le saluer.

- Vraiment? Il nous a parlé de tout ça?

- Tu ne t’en souviens plus? »

Ren dû réfléchir pendant un certain temps avant de s’avouer vaincue. D’abord il eut la tenue de la Nuit des Étoiles à Onikareni, dont la nouvelle lui avait complètement échappée – jusqu’à ce qu’il soit trop tard – et maintenant ça. Un long soupir témoigna de son embarras et l’une de ses paumes trouva rapidement son chemin jusqu’à son front. Derrière le rideau de cheveux qui dissimulait une grande partie de ses afflictions, elle fit glisser le bout de ses doigts sur la surface de sa peau, sentant inévitablement les cicatrices qu’avaient laissé les séquelles de son accident dans l’Océan.

« Je… Nouveau soupir. Je n’ai pas vraiment fait attention. Mon esprit est ailleurs ces derniers temps.

- Je sais. »

Les traits de mon visage s’adoucirent, tandis que ma main glissa tendrement sur le soyeux de sa chevelure. Ces gestes, ces affections, c’était devenu un réflexe dès que je la voyais dans cet état.

« Nous pourrions y faire un tour, lui suggérais-je après un moment. J’aimerais trouver un cadeau pour Wakiya – tu sais, pour lui remonter le moral. »

D’abord silencieuse, la Sœrei finit par m’adresser un sourire d’une douceur teintée de mélancolie.

« Pourquoi pas? Je crois que ça pourrait me faire du bien, cette petite évasion. Nous pourrions aussi inviter Wakiya, demain, après tes cours. »

J’acquiesçais à cette proposition. L’exposition devrait se dérouler sur quelques jours et pour Wakiya aussi, cet événement pourrait l’aider à se changer les idées.

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« Hum… »

J’étudiais la confection sous tous les angles. Elle était jolie, soigneusement définie, mais je n’avais aucune idée si elle saurait plaire aux goûts de la Sunano. Perplexe, je me penchais légèrement sur le côté afin de présenter ma trouvaille à sa fameuse oneesan.

« Qu’est-ce que tu penses de cela? Tu crois que cette statue lui fera plai– »

… Ren? Disparue. Où est-ce qu’elle était partie? Je balayais tranquillement du regard mes environs, puis abandonnais brièvement le stand devant lequel nous nous étions stoppés. Où est-ce que tu as filé? Quelques secondes suffirent avant que je puisse entendre sa voix au creux de mon esprit. Elle paraissait légèrement prise au dépourvu. J’ai entendu quelqu’un parler d’un prix et j’ai voulu savoir de quoi il s’agissait, mais maintenant je… me retrouve à faire un jeu? Je compris rapidement la situation et lui demandais dans quel secteur elle se trouvait. Tout près de la fontaine. Je n’étais pas parti dans la bonne direction. D’accord, je te rejoins tout de suite alors. Brusquement, je changeais la trajectoire de ma route pour revenir sur mes pas – et pour mieux foncer, tête première, sur le piéton qui suivait. Surpris, j’étirais aussitôt mon bras pour l’attraper et lui éviter une vilaine chute.

« Excusez-moi, je ne voulais pas vous bouscul– »

Le reste de ma phrase se perdit au cœur d’un doute vibrant. Est-ce qu’il s’agissait…?

« Andrea? Oui, je n’avais pas fait erreur sur la personne. Je suis vraiment désolé. Est-ce que ça va? »


◆ 672 mots | Post I

Muse esseulée
Isley & Andrea

☙ Dove Cameron - Fragile Things

« C'est bien plus agité que lors de ma première visite. » commentai-je à voix haute. Je me décalai sur le côté pour libérer le passage à un jeune homme pressé et décidai plus sûr de raser les murs pour le moment. Cette fois, Eizen ne m'accompagnait pas, mais je n'étais pas seul pour autant. Il était rare de voir une telle concentration d'Orines dans une ville autre qu'Onikareni ou Maëlith mais Iyora nous avait rassemblées en nombre. C'est pourtant seul que je préférais progresser, adoptant mon propre rythme pour explorer cette nouvelle facette de la cité. Revenir ici me plongeait dans une humeur nostalgique et pensive qui n'était pas déplaisante. Il me semblait que c'était hier et à la fois une éternité que j'avais emprunté ces ruelles la dernière fois.

Effarouché par tant de monde et de bruit, Miri s'était rapidement caché dans la manche de mon kimono. Je le sentis serpenter le long de mon bras et sortir la tête de mon col alors que je m'attardais près de la devanture d'une boutique exposant des bougies parfumées aux herbes et fleurs séchées. Guidé par l'odorat du petit dragon et ses préférences, je fis l'acquisition de trois bougies que je comptais offrir à Natsumura lorsque je la reverrai. Ma tranquille exploration prit un tournant inattendu sous la forme d'une force qui me projeta vers l'avant. Un petit couinement de surprise m'échappa et fut réduit au silence par le bras salvateur qui me ceintura avant que le sol ne puisse s'approprier le poids de mon corps. Je fis volte-face et ouvris de grands yeux en reconnaissant l'identité de mon sauveur. Dans un réflexe huilé par l'habitude, je m'inclinais respectueusement pour le saluer. « Tout va bien. Vous avez de bons réflexes. » ajoutai-je ensuite en le gratifiant d'un sourire rassurant. « Comment allez-vous ? » m'encquéris-je, ma question englobant à la fois mon interlocuteur et nos connaissances communes. Instinctivement, je jetais un coup d'oeil autour dans l'espoir d'apercevoir dans son ombre l'une d'entre elles.

Je ravalai ma déception de ne pas voir Wakiya pour ne pas vexer l'Ange. À la place, j'aperçus l'étrange manège de deux femmes se poussant mutuellement du coude en chuchotant bruyamment. « Toi demande-lui ! » « Non, toi ! » « Tu es plus douée pour ça, moi je vais bégayer et j'aurais l'air idiote ! » « Bon d'accord. » La plus petite s'avança vers nous et me regarda comme si elle venait de se rendre compte de mon existence. Je lui adressai un sourire engageant qui sembla la ragaillardir jusqu'à ce que ses prunelles remontent sur la haute stature du soldat. Elle déglutit. « Bonjour ! Excusez-nous de vous déranger ! Est-ce que vous auriez quelques minutes à nous accorder ? Nous sommes apprenties en sculpture et notre groupe cherche des modèles. » parvint-elle à articuler. Sur la fin, sa voix avait perdu ses accents trop aigus. « Nous prenons habituellement des modèles nus mais pour respecter la pudeur de tout le monde, nous avons préparé des toges, c'est un assez bon compromis pour tout le monde. Est-ce que vous voulez tenter l'expérience ? Nous sommes installés juste là, sur la petite place ! » Pleine d'espoir, elle nous regardait. « Pourquoi pas. » approuvai-je, heureux de pouvoir aider. Je coulai un regard interrogateur sur Isley.

Message I | 574 mots

Muse esseulée
Treasury from the Northland - HOYO-MiX

Si l’étonnement fût la première note que je perçus dans le timbre de sa voix, je n’entendis pourtant aucun écho qui pourrait me révéler une quelconque indisposition dans son état – indisposition qu’il réfuta, par ailleurs, dans un sourire charmant quelques secondes après seulement. Malgré cela, je me permis tout de même d’examiner de loin les achats qu’il tenait au creux de ses bras. À première vue, ces derniers semblaient n’avoir subis aucun dommage, à l’instar de leur acquéreur. Tant mieux.

« Heureusement, oui. J’aurais quand même dû faire plus attention, admis-je dans un soupir de soulagement. Il y a beaucoup de monde en ville, aujourd’hui, avec cette exposition. »

Par chance, il s’agissait de l’un de ces incidents où il eut plus de peur que de mal. Toutefois, quand ce fût à son tour de s’enquérir de ma condition, je laissais planer un suspens équivoque, sans trop le vouloir. Était-ce en raison de la voix de Ren, que je pouvais entendre entre mes deux oreilles, ou de ce qu’il venait de demander? Un peu des deux.

« Nous avons habité sous le même toit pendant près d’une semaine, finis-je par dire tout en échappant un léger ricanement sur le bord de mes lèvres. Tu peux t’adresser à moi sans me vouvoyer. »

De leur duo, j’avais bien compris que le jeune homme était le plus timide et réservé, et à cause de mon travail auprès de l’Armée, je n’avais eu que peu d’interactions avec le Lim et la Saito lors de leur dernier séjour sur le territoire. Puis, il n’était pas comme Eizen, avait peut-être besoin de plus de temps pour considérer autrui comme un ami et être réellement à l’aise… Pardon? Comment allions-nous, moi et les autres? De nouveau, un petit silence, qui se brisa au claquement embarrassé de ma main contre mon front. J’avais mal jugé la situation. Cela étant dit, je ne savais pas si cette situation-ci était bien meilleure.

« Tu ne… »

Je laissais mourir mon souffle, incertain. Est-ce que Wakiya lui avait raconté ce qui était arrivé? Son expression, noyée par l’espérance et les étincelles, ne me donnait pas cette impression. Cependant, avant que j’eusse la chance de formuler quoi que ce soit, notre attention se détourna pour se porter sur les épaules d’une nouvelle venue. Elle était nerveuse : nous pouvions facilement le deviner aux tremblements qui prenaient sa voix d’assaut et pour la mettre en confiance, nous lui sourîmes avec élégance, à l’écoute. Mais pourquoi nous dit-elle tout ça? Me questionnais-je quand elle fit mention de leurs travaux habituels. Enfin, je trouvais surtout son entrée en matière un peu étrange. Peut-être que le stress déliait maladroitement sa langue, alors que dans mon cas, il s’agissait plutôt de la confusion. Parce qu’au moment où les paires d’yeux se posèrent sur mon visage, je fus saisi par un instant d’inertie, avant de répliquer :

« Vous… me voulez également comme sujet? Elle acquiesça avec entrain. C’est que je n’ai jamais fait ça auparavant. »

Depuis mon plus jeune âge, j’avais été façonné par le fil des lames et n’étais guère habitué à être exposé de la sorte, à la vue de tous.

« Aucune inquiétude, vous verrez. Certains sont soucieux, au début, mais nous demanderons qu’une seule chose de vous : restez vous-mêmes et plongez-vous dans l’instant présent. Elle fit mine de réfléchir. Si vous le voulez, vous pouvez également observer et décider, ensuite, si ça vous intéresse. »

Du coin de l’œil, je jetais un regard sur Andrea. Un dilemme me tracassait.

« C’est d’accord. Visiblement contente, elle nous guida jusqu’à l’aire ouverte où nous attendait le reste de sa cohorte. Tu as accepté avec tant de confiance. As-tu déjà été recruté de cette façon? » Demandais-je au blond en me penchant légèrement dans sa direction.


◆ 635 mots | Post II

Muse esseulée
Isley & Andrea

☙ Asaf Avidan - Montmartre

« Pas vraiment dans ces conditions, mais à Maëlith, nous nous entraidons et servons souvent de modèle pour celles qui en ont besoin pour s'entraîner sur leur Art. Moi-même, cela a pu m'arriver de demander à mes sœurs de poser pour moi. Je dessine rarement des corps car les tatouages qu'on me demande sont d'un autre ordre, mais cela peut m'arriver, par pure curiosité. On vous en - » Je me repris avec un air contrit. « On ne te l'a jamais proposé ? »

On nous indiqua un paravent derrière lequel convertir nos vêtement à l'abri des regards. Ne sachant pas à quel point le soldat tenait à sa pudeur, je me tournai pour lui présenter mon dos. Tout en dénouant les noeuds de mon kimono, je repris. « Ce n'est pas très difficile de poser. Enfin, ce n'est pas tout à fait exact. Selon le temps que nous devrons rester dans la même position, cela peut devenir contraignant. Je vous, pardon, je te conseille d'adopter une position confortable et naturelle dans la mesure du possible. » Mon vêtement glissa de mes épaules et je le pliai avec soin pour le déposer sur un tabouret. J'enfilai ensuite la toge dont le drapé ample retomba avec légèreté sur ma silhouette.

Une fois prêts, nous nous rendîmes dans l'espace prévu pour nous. Assis en coupole face à l'estrade, les apprentis sculpteurs avaient déjà commencé à tailler dans le bloc de matière de leur choix. Je reconnus le marbre, pour la plupart, mais certains avaient de l'argile, d'autres de l'acier, en fonction de leur affinité et de leur magie. La fille qui nous avait interpellés vint vers nous. « Excusez-moi, vous permettez que j'arrange vos toges et que je vous positionne avant que nous débutions ? » Notre consentement obtenu, elle s'affaira sur les attaches aux épaules et à la ceinture sur la taille et guida nos corps avec délicatesse. « Combien de temps allons-nous rester ainsi ? » m'enquis-je, un peu inquiet de ne pas être capable de rester trop longtemps debout sans bouger. « Pas très longtemps, nous allons faire des croquis afin que vous puissiez ensuite partir dès que vous le désirez ! Nous ne voulons pas vous priver des festivités qui ont lieu. Si vous avez soif, dites-le nous, Kora a préparé une citronnade délicieuse ! » « Merci, c'est très gentil de votre part. » « Oh non, c'est nous qui vous remercions ! »

Alors que la jeune fille s'empressait de revenir derrière son chevalet dressé à côté de son bloc de granit, je tâchai de bloquer mes membres dans la position requise. « Est-ce que Wakiya continue de progresser en arts martiaux avec Ren ? Elles m'ont impressionné par leur prestation lors de ma dernière visite. » Je me retins de tourner la tête pour regarder Isley. Positionné de trois quarts, on m'avait recommandé de regarder les toits, et l'horizon qui les bordait. « J'ai hâte de la revoir. Je suis en partie revenu ici pour la voir, lui faire la surprise, mais tout compte fait, je crains de la déranger sans avoir prévenu avant... » Embêté, je me mâchonnai l'intérieur de la joue.

Message II | 534 mots

Muse esseulée
A Beautiful Beast - Amie Doherty

Je voyais bien les efforts qu’il déployait pour corriger le vouvoiement dans ses discours en paroles plus informelles. L’attention était appréciée, même si je me sentais un brin coupable de la situation : j’avais l’impression de l’avoir contraint à sortir de sa zone de confort. Malgré cela, je fis comme si de rien n’était, un sourire léger sur le bord des lèvres. J’estimais simplement à sa juste valeur l’égard dont il me témoignait.

« Jamais, lui confiais-je de but en blanc, tout en posant quelques regards vers les gens qui attendaient notre arrivée autour de la plateforme. Je n’évolue pas dans un cercle où ce genre d’activités est monnaie courante. Entre Soldats, nous nous soutenons davantage pour nos entraînements martiaux et nos échanges de coups de poings que pour servir de modèle : c’est un fait. »

Rien que par ces mots, il était évident que nos réalités différaient sur bien des aspects. Nous nous arrêtâmes enfin devant les artistes avant que nos regards soient dirigés vers un paravent aux tissus richement et joliment décorés. Laissant Andrea s’insérer seul derrière les panneaux, je m’installais tout près de ces derniers pour observer, en silence, le mouvement et les couleurs des dessins qui les habillaient. La dernière fois que j’avais pu admirer un tel travail artisanal, c’était lorsque nous avions accompagné Muramasa à ce festival qui s’était déroulé au cœur du village d'Aïkisu.

« Adopter une position confortable et naturelle… La voix du Lim me tirait doucement de ma contemplation, alors que je prenais conscience de ce qu’impliquait ses mots : Nous pouvons choisir nos poses en tant que modèle? C’est plus libre que je le pensais. J’ai toujours eu cette assomption qu’il s’agissait plutôt de l’artiste qui décidait de la position de son sujet et que celui-ci devait endurer l’inconfort jusqu’à la fin de la session. »

Après un certain temps, le tatoueur quitta l’ombre du paravent et fût aussitôt pris en charge par la jeune femme. Je les écoutais discuter, tout en examinant les matériaux mis à disposition des différents artisans. Mais enfin, Andrea rejoignit la plateforme et, guidé par les suggestions des apprentis, il posa. Les crayons se mirent à danser sur les fibres du papier et les regards se plaisaient à deviner chaque petit détail de sa forme : de son trait le plus fin à la douceur naturelle de son faciès. Ainsi figé et distrait par la condition de sa muse qu’il verbalisait, son personnage semblait être à la recherche d’une étoile; l’astre le plus brillant, mais qui n’était nullement visible dans l’immensité du firmament.

« … »

Or, je connaissais cette étoile. J’avais été témoin du déclin de son éclat, de sa dévastation au cours de ces derniers mois. Je connaissais également la tendre affection que cet astre entretenait pour cet amoureux de la voie lactée. Malgré cela, je ne me voyais pas lui révéler pourquoi son étoile avait cessé de briller. Ce n’était pas une conversation qui pouvait être entendue de tous – et sûrement pas d’étrangers, aussi gentils semblaient-ils.

« Je suis certain qu’elle sera aux anges de te revoir après tout ce temps… » Lui déclarais-je après quelques secondes de réflexion.

Je ne voulais pas l’inquiéter en pleine séance et lui adressais donc un sourire d’un calme qui parut serein, avant de rapidement détourner mon regard du sien.

« Est-ce qu’il sera possible de ramener un croquis? M’enquérais-je auprès des apprentis tout en parcourant des yeux le tracé de leurs coups de plomb. Qu’allez-vous faire des statues par la suite? Est-ce qu’elles seront entreposées? Exposées? Ou serviront-elles de modèles pour d’autres? »


◆ 600 mots | Post III

Muse esseulée
Isley & Andrea

☙ Maxence Cyrin - Where Is My Mind

En même temps que j'écoutais sa réponse, je me sentis rougir de confusion. J'avais parlé sans réfléchir. Pourquoi un soldat aurait-il l'habitude de poser pour des artistes ? Sa notoriété pouvait l'y avoir mené, mais ce n'était pourtant pas systématique. « En effet. À côtoyer des artistes, tout cela me paraît si naturel que j'ai présumé trop rapidement que tu puisses avoir déjà vécu cette situation. J'espère ne pas t'avoir mis mal à l'aise en acceptant. » En tout cas, moi, je l'étais. Et s'il se sentait obligé de rester car nous nous connaissions et qu'il considérait impoli de quitter trop abruptement ma compagnie ? Il avait sans doute mieux à faire. Le remord m'envahit et je le refoulai comme je pus. Le mentionner maintenant n'aurait fait qu'accentuer ma gêne, et peut-être la sienne. J'essayai de ne pas transposer mes angoisses personnelles sur les autres. Natsumura me reprochait souvent de trop m'en faire, de trop réfléchir, qu'il était préférable de ne m'occuper que de moi, et d'agir sans chercher à interpréter le comportement d'autrui. Dans une certaine mesure, il y avait de la sagesse dans ses conseils, mais il m'était difficile de sortir de ma nature. « J'imagine que cela dépend de l'artiste. Certains sont plus exigeants que d'autres car ils ont une idée déjà précise en tête. D'autres s'inspirent de leur modèle en le laissant libre d'adopter la position qu'il préfère. »

Tâchant de libérer les méplats de mon visage de toute trace des tourments intérieurs qui m'avaient assailli si rapidement en troquant mon kimono pour la toge, je le figeai en un masque qui ne quitta son immobilité qu'au niveau des lèvres pour converser avec l'Ange une fois sur l'estrade. « Pas autant que moi. » Elle m'avait beaucoup manqué. Je n'avais pourtant pas souffert de la solitude depuis notre dernière rencontre. Au Fessetival, je m'étais pris d'amitié pour un jeune Vampire aussi turbulent qu'un jeune enfant débordant d'énergie, et d'un homme impressionnant au caractère aiguisé et imprévisible. À Basphel, il y avait eu Marie-Jane, j'avais pu m'exercer à mon Art sur certains élèves, et j'y avais découvert, ravi, d'autres Orines. Mais Wakiya occupait une place spéciale, une qui, lorsque vide et sans nouvelles, me plongeait dans une mélancolie teintée d'inquiétude. Je me souciais de son épanouissement, j'aurais voulu savoir ce qui constituait chacune de ses journées, ce qui la rendait heureuse, ou au contraire ce qui pouvait la préoccuper. Les lettres ne suffisaient pas, et il y avait longtemps que nous n'avions pas correspondu.

Dès que cela me fut permis, je me rendis au niveau d'Isley qui s'était engagé dans une discussion avec quelques apprentis. « Je ne voudrais pas te prendre plus de ton temps que nécessaire. Si ça ne te dérange pas, est-ce que tu peux transmettre à Wakiya de me retrouver à cet endroit demain à la même heure ? J'y serais aussi après-demain, après quoi, il faudra que je reparte. C'était un plaisir de te revoir. Transmets également mes amitiés à Ren, et que si elle désire un autre tatouage, ce serait un honneur d'en être l'auteur de nouveau. » Je m'inclinai pour le saluer et pivotai pour poursuivre mon exploration de la ville en proie aux festivités mais je ne cessais de me surprendre à rêvasser. Le lendemain tardait trop à arriver.

Message III et Fiiiin | 598 mots

Ce serait dommage qu'Isley oublie de transmettre l'information à Wakiya