Point de vue : Ljund

- Quoi, tu comptes me suivre là aussi ? maugréai-je en avisant la forme de ma sœur flottant à quelques pas.

- Qu’est-ce que tu veux que j’aille foutre d’autre ? rétorqua ma sœur en croisant les bras. Je soufflai mais ne répondit rien.

Dès que le capitaine m’avait autorisé, pour la demi-journée seulement, j’avais sauté à pieds joints sur le quai et avais détalé hors de vue du tortionnaire avant qu’il ne change d’avis et décide que le bastingage gagnerait à être ciré.

J’adorais la vie sur le Darr Stjarna, mais à l’approche d’Avalon, je m’étais senti envahi d’une énergie dévorante, palpitante, qui descendait jusque dans mes talons et me donnait envie de tout découvrir. De la ville, je ne savais pas grand-chose, sinon qu’elle était une importante place tournante pour le commerce et qu’elle appartenait aux Déchus. Effectivement, je les voyais sillonner le ciel au-dessus de ma tête, leurs larges ailes d’ébène brassant l’air. Pratique, mais je préférais le balancier des vagues, songeai-je avec un soupçon de mauvaise foi, et par pur chauvinisme. J’entendis Nini émettre un “Tsss” dédaigneux derrière moi.

- J’vais au marché. l’informai-je avec un air de défi.

J’avais espéré aller voir les putes aussi, car un esprit m’avait soufflé qu’elles étaient particulièrement dégourdies dans cette ville, mais je gardai cette pensée pour moi. Hors de question d’y aller avec ma sœur dans les pattes. En outre, je regrettais d’être petit pour mon âge et je voyais bien combien mon apparence différait. Je trouvais étrange et fades leurs visages sans fioritures. Je me grattai le crâne, hésitant presque à en retirer les plumes calées entre quelques tresses. Je n’avais pas envie d’essuyer une humiliation en me faisant refouler à l’entrée. Dans mon hamac, j’avais ourdi un plan parfait. Dans les bordels, je me forgerais ma petite expérience exotique ici, puis je pourrais ensuite m’en vanter, lorsque nous retournerions à Awaku No Hi. Peut-être que comme ça, j’aurais davantage de succès car pour le moment, mes relations n’avaient jamais été plus qu’amicales avec les filles. Je n’avais rien tenté avec les garçons, même s’il m’arrivait de regarder les autres mousses lorsqu’ils se changeaient, principalement pour vérifier que mes attributs ne différaient pas de façon étrange en comparaison.

Ni’Obë grogna.

- Ils ont de drôles de baraques par ici.

Ce n’était pas un compliment. Des architectures à de pareilles hauteurs n’avaient rien de normal et le sol pavé de toutes parts ne laissait place à rien d’autre qu’à un univers minéral et disproportionné. Ma sœur plissait les yeux avec suspicion. En explorant cette ville inconnue, elle perdait en vitesse.

- Ljund.

Sa voix était lointaine. Je l’ignorai, agacé.

- Ljund !

Un peu plus proche.

- LJUND !

- QUOI ?!

Elle avait hurlé dans mes oreilles et j’avais hurlé en retour, m’attirant des regards surpris. Une énergie similaire à son cri l’incita à pointer du doigt une direction.

- Y’a des hommes-créatures là-bas. Viens voir, c’est une putain de sorcellerie.

La vue des monstres eut l’avantage de me faire fermer mon clapet. En silence, j’avisai les choses, les yeux exorbités. Sans trop réfléchir à ce que je faisais, je m’approchais pour mieux les voir.

- C’est… trop cool !

578 mots

Escale avec les chèvres
Ljund & Noa

Moi j'ai un rêve - Raiponce

Noa trottinait avec enthousiasme. Elle ne cherchait pas à retenir ses exclamations enjouées et ses sourires ravis dès qu'elle apercevait quelque chose de fantastique - un vase, une maison grimpant jusqu'au ciel, des pierres qui brillent au cou d'une dame élégamment drapée. « Pourquoi tous ces gens nous regardent comme ça ? » demanda Buck d'un air grognon, se collant un peu plus à Llyr. La mutante avait grandi dans une société semblable à celle-ci, avant que sa vie ne bascule en croisant le chemin d'un Eversha. Elle parlait même le langage commun : du trio, elle était de toute évidence la plus à l'aise pour naviguer au travers des villes. « Je suis sûre que c'est à cause de ces trucs. » répliqua Noa en tirant sur le pagne qu'on lui avait accroché à la poitrine. Habituée à gambader nue, elle jouait des sabots à chaque fois qu'on la forçait à devoir s'habiller. Elle ne supportait pas le contact prolongé du tissu épais contre sa peau - ça grattait, ça irritait, ça la serrait : ça n'avait rien de confortable. Elle ne comprenait pas comment tous ces gens pouvaient s'enfermer volontairement dans ces tuyaux de tissu. La rousse avait cependant accepté de se prêter au protocole de la Hessha, celle-ci la menaçant de ne pas l'emmener avec elle si elle s'obstinait à arracher le bandeau autour de son torse. Son pelage, quant à lui, faisait office de pantalon. Avalon étant une cité cosmopolite et tolérante, la plus civilisée avait accepté ce compromis, sachant que son amie faisait déjà des efforts. « Tu vois quelqu'un d'autre se promener nu comme un vers ? » répliqua, lasse, l'ancienne Alfar. « Alors pourquoi ? » insista le lycanthrope. « C'est évident. C'est une chèvre, t'es un clébard, et je suis un monstre. On est des bêtes de foire. Avalon a beau être un lieu d'acceptance, il y a des limites à - Noa, repose ça ! » La ruminante s'était approchée d'un étale qui sentait particulièrement bon. Le pain, encore chaud, ainsi que toutes les pâtisseries, avait de quoi faire saliver la gourmande. Elle n'avait pas l'habitude de voir des plats aussi alléchants. Les Yidrih se nourrissaient de ce qu'ils pouvaient cueillir et chasser - parfois, Adeon rapportait de ses voyages solitaires quelques ingrédients plus excentriques, mais rien de comparable à ces délices qui se présentaient à la rouquine. Si sa camarade n'avait pas arrêté son geste et ne l'avait pas forcé à lâcher la nourriture, elle aurait croqué dedans avec appétit. « Je t'ai dit de ne pas te faire remarquer ! » s'offusqua l'ancienne elfe. « Bah quoi ? » protesta Noa, qui ne comprenait pas ce qu'elle avait fait de mal. Elle n'avait pas la notion de l'argent et des transactions économiques. « Désolées... » s'excusa, excédée, la monstre auprès du boulanger. « Déjolè ! » répéta l'adolescente avec entrain, son oreille inexpérimentée amochant la prononciation. Pour elle, cela devait vouloir dire quelque chose comme bonjour, il fait beau aujourd'hui ou bien Mmh, ça a l'air drôlement appétissant, est ce qu'on peut en avoir quelques uns ? « Arrête ça ! » pesta la brune en tirant sur le bras de sa camarade pour l'éloigner de l'étal et du danger. « Si on nous expulse et que ça remonte aux oreilles d'Adeon, et qu'en plus je ne peux pas voir ce que je veux, je vous jure que je ne vous adresse plus jamais la parole. » Le centaure était un père, pour tous, et le décevoir était toujours lourd de conséquences.

L'exclamation d'un garçon, sur leur gauche, attira l'attention de l'adolescente. Remarquant son excitation similaire à la sienne, la rousse interpréta ce signe comme une invitation à venir s'extasier à ses côtés. Sans plus tarder, elle sautilla jusqu'à lui. « DEJOLÈ ! » brailla-t-elle en guise d'introduction, ravie d'avoir retenu un mot. « Oh ! » Ses yeux s'étaient posés sur l'une des plumes dans la chevelure de l'inconnu. Elle la trouva très jolie et eu envie d'en avoir une elle aussi. Elle attrapa donc l'une des tresses à laquelle était accrochée le bijoux, puis brandit son poignet où trônait un bracelet de crins tressés. Elle agita son avant bras ainsi que les cheveux du garçon pour lui faire comprendre son intention. « C'est trop joli, on échange ? » proposa-t-elle en Grimwyn.

Point de vue : Ni’Obë

Je pivotai des yeux ébahis en direction de mon petit frère qui affichait un air d’ahuri. Trop cool ? C’était vite dit. Je n’avais pas d’avis particulier sur la question, mais mon chauvinisme me forçait à éprouver de la méfiance derrière ma curiosité évidente. Je peinais à déterminer si ce que nous avions devant nous relevait du sacré ou de la malédiction, mais j’avais cette tendance naturelle à pencher sur la seconde option pour une raison toute simple : j’étais de mauvaise humeur. En voulant m’abandonner dans cette cité étrangère et se prendre pour plus grand qu’il ne l’était, Ljund m’avait vexée.

Quoi qu’il en fût, nous n’eûmes pas besoin de nous approcher plus que nécessaire du groupe d’énergumènes ; ceux-ci le firent pour nous et Ljund sembla se rappeler que nous étions en territoire étranger. Il amorça un mouvement de recul, les sourcils froncés avec méfiance. Mon nez se retroussa face à l’agressivité de la plus petite et je serrai ma mâchoire. Sans le savoir, nos expressions se rejoignaient en miroir, rendant plus flagrant encore nos traits trahissant nos liens de sang, bien que personne ne puisse le constater parmi nos interlocuteurs.

- Qu’est-ce qu’elle… Ne la laisse pas te touch-... Hé ! Bas les pattes, sale bête !

J’agitais mes mains vers la gamine, en vain. Toucher à l’accoutrement et aux tatouages d’un Chaman était blasphématoire. Personne n’avait le droit de retirer les plumes de Ljund.

- Et toi, ne la laisse pas faire ! Fais quelque chose ! braillai-je à mon frère.

J’étais plus paniquée que lui. Le fait est qu’il était mon seul lien physique avec le monde des vivants. Ça le rendait précieux. Celui-ci m’adressa un regard furibond comme si j’étais la responsable de l’outrage. Agacé, il balaya ensuite d’un geste sec le bras de la femme-chèvre. Ses dents se découvrirent, menaçantes, et il serra les poings. Il se retenait de peu de ne pas se jeter sur elle pour lui coller son poing dans la figure. Ces gens étaient vraiment des sauvages sans aucune once de bon sens. Ils étaient si aveugles qu’ils ne savaient pas reconnaître quelque chose de sacré quand c’était sous leur nez.

- Moi mordre si toi faire encore ! éructa-t-il dans un langage commun plus qu’approximatif. Sa menace perdait de son poids dans la traduction et il bomba son torse maigrelet et bronzé pour compenser. En guise de haut, il ne portait qu’un gilet sans manches, ouvert sur le devant. Sur son buste orphelin de muscles, effilé de côtes et tailladé de quelques bleus et éraflures récoltés sur le navire, des motifs bariolés marbraient sa peau asséchée par le vent et le sel, supposés lui donner la force et la chance nécessaires pour effectuer ce voyage sans embrouilles. Jusqu’à présent, il ne s’était pas trop mal débrouillé, principalement grâce à mes conseils, même si l’ingrat était avare en gratitude.

Je me glissai à l’intérieur du trio inconnu pour les détailler de plus près. Je n’avais pas la moindre gêne. Je passais même sous les vêtements s’il m’en prenait l’envie, ce qui me permettait de mieux comprendre l’anatomie de ces choses. Déconcentré, Ljund regardait mon manège.

- Erk. Les gens s’accouplent avec des animaux ici ?

Le nez de mon frère se fronça de dégoût à ces mots. Des images imprégnaient désormais sa cervelle d’oiseau et il considéra leurs étranges interlocuteurs avec un mépris croissant. Les coutumes de ces étrangers me sidéraient. Est-ce un homme qui avait enculé une chèvre, ou une femme qui s’était empalée sur un bouc ? J’examinai avec encore plus d’horreur le monstre qui se tenait aux côtés de l’enfant. Les créatures que l’on trouvait dernièrement en mer étaient du même acabit. Du moins, c’était ce qu’on disait. Quant à la troisième personne, elle était tout à fait normale. J’appréciai ses cicatrices et me demandai s’il était le père de cette petite aberration de la nature.

- Demande-lui. On comprend rien à ce que les autres disent.

En tant que seul être à peu près normal, j’imaginais qu’il était aussi le seul à pouvoir faire bon usage du langage. En guise d’approbation, Ljund opina légèrement et planta son regard dans celui de l’homme aux cicatrices. Du coin de l'œil, il surveillait le comportement de la rousse, prêt à lui décocher un revers du coude si elle osait encore le tripoter.

- Vous ! l’apostropha-t-il avec un aplomb complètement factice. Il ne se sentait pas complètement à l’aise avec lui mais il restait un hérétique qui traînait avec ces êtres monstrueux. Il s’humecta les lèvres, se préparant à adoucir les accents gutturaux de sa voix pour tâcher d’être plus compréhensible. Faire enfant avec animals ? Enfant à toi ?

L’adolescent fronçait les sourcils, à la recherche du terme adéquat.

- Tu sexe avec animals ?

Afin de clarifier son propos, il désigna une vache qui mâchonnait paisiblement son foin à quelques mètres d’eux, puis il plaça ses mains parallèlement devant lui et enchaîna quelques mouvements du bassin de l’arrière vers l’avant.

837 mots

Escale avec les chèvres
Ljund & Noa

Le duel - Roméo et Juliette

« Noa ! » s'offusqua Llyr en approchant de l'adolescente. Sa patience s'étiolait progressivement. Elle avait pensé être en mesure de canaliser l'énergique, mais elle regrettait déjà d'avoir cédé au caprice de sa camarade. Elle n'avait pas trop eu le choix. Elle savait que dans le cas contraire, elle aurait boudé, et son humeur maussade aurait soulevé des questions. Même en essayant de mentir, la Monstre savait qu'il n'aurait pas fallut longtemps à un adulte pour tirer les vers du nez à la biquette. Alors elle avait préféré l'emmener avec elle pour s'octroyer un peu plus de temps pour mener ses projets à bien. Mais si elle continuait à lui faire perdre du temps pour rien, peut-être aurait-elle finalement mieux fait de la laisser avec le reste de la meute.

La rouquine était trop absorbée par la plume pour se soucier des remontrances de son aînée. Son sourire était toujours éclatant, tandis qu'elle commençait à tirer doucement sur le bijoux. Elle s'imaginait déjà rentrer au campement, parée de son nouvel accessoire, parader fièrement devant ses frères et sœurs qui seraient intrigués par ce témoignage de coquetterie. Ils lui poseraient des questions, et elle pourrait leur raconter en messes basses son périple et ses aventures. Elle imaginait déjà les réactions envieuses des plus jeunes et s'en enorgueillissait avec enthousiasme. Aussi fut-elle prise de court par la soudaine réaction du garçon. Elle relâcha la mèche de cheveux, récupérant son bras qu'elle vint placer contre sa poitrine, les yeux ébahis et les sourcils haussés. Lorsque l'inconnu retroussa ses babines pour lui montrer des dents, la chèvrette interpréta ce message pour ce qu'il était et se recula nerveusement de quelques pas de sabots, s'éloignant de la menace. Elle pencha la tête légèrement en avant, prête à distribuer un coup de cornes à son agresseur s'il fallait se défendre. Elle ne comprenait pas très bien sa réaction. Elle l'avait cru aussi enthousiaste qu'elle et voilà qu'il lui montrait les crocs. Aedon lui disait souvent qu'elle ne devait pas foncer tête baisser, et que les bêtes sauvages pouvaient se montrer imprévisibles. Elle n'en faisait néanmoins qu'à sa tête et se retrouvait souvent, à sa propre consternation, dans ce genre de situation. La dernière fois, ça avait été avec la femme serpent, et maintenant, avec ce garçon.

Noa sentit la main de la Hessha Perry la tirer en arrière. Elle ne protesta pas et recula jusqu'à quitter l'espace personnel de l'inconnu. « Recule, il a l'air enragé. » conseilla Buck. Llyr ne démentit pas, étonnée par son fort accent et son dialecte approximatif du langage commun. « C'est elle qui lui a sauté dessus. » raisonna cependant la plus avisée, tout en observant l'adolescent bomber le torse. Noa faisait de même. Son visage s'était teinté de déception plus que d'appréhension - il était seul et eux étaient en trio : ses amis lui donnaient un sentiment de confiance, comme si le nombre leur donnait une protection indestructible. La biquette sentit son ventre se tordre alors que le faciès du mâle se déformait sous l'impulsion du dégoût. Elle déglutit avec difficulté. On lui avait souvent répété que les gens du monde n'appréciaient pas grandement les gens comme eux. Elle avait entendu des histoires, mais on l'avait toujours préservé des pires. Surtout, elle n'avait jamais été directement heurtée par cet assentiment. L'expérimenter de plein fouet la remuait. Elle se sentait toute mal de l'intérieur. Cherchant du réconfort, elle se cramponna au bras de son aînée.

« Qu'est ce qu'il me veut ? » s'inquiéta l'homme-loup tandis que le garçon à la plume s'adressait à lui dans ce dialecte que seule l'ancienne Alfar maîtrisait. La brune n'eut cependant pas à jouer les traductrices, les mouvements de leur interlocuteur venant bientôt illustrer ses propos. La mine de la femme s'était fait sombre dès les premières paroles de l'inconnu. Buck fronça à son tour les sourcils et adopta une allure menaçante à son tour. Il esquissa un sourire dénué de joie, carnassier, et fit un pas en avant, prêt à sauter sur celui qui les insultait. « Qu'est ce qu'il cherche celui-là ? Je vais le dévorer, s'il continue à nous faire chier ! » gronda le lycan. « Arrêtes. » Llyr posa une main sur l'épaule de son acolyte. Son regard était lourd d'animosité à l'encontre de l'intrus. « Il n'en vaut pas la peine. Allons voir les navires. » proposa-t-elle à la place. « Venez. » Elle poussa son ami pour le détourner de celui qui avait cherché à les insulter.

Noa fixait toujours ses grands yeux verts sur l'adolescent. Elle avait fait une bêtise, même si elle ne comprenait toujours pas laquelle. Elle s'en voulait. Elle se mordilla la lèvre, hésitante. Finalement, elle détacha l'un des bracelets qui trônait à son poignet. Elle le tendit en direction de l'inconnu. Elle voulait réparer son impair et, ne sachant comment s'y prendre, avait opté pour une offrande en guise de déclaration de paix. Elle n'avait rien d'autre à offrir. Alors, timidement, elle esquissa un pas en avant, lentement, pour montrer au garçon qu'elle ne voulait pas d'ennuis. « Noa ! » La rousse sursauta à l'appel de son prénom. Elle glissa un regard en direction de ses deux camarades, qui la toisaient d'un air désapprobateur. Pressant ses lèvres l'une contre l'autre, elle s'empara de la main du garçon, y glissa son offrande, puis tourna les sabots et trottina jusqu'à rejoindre les siens.

Point de vue : Ljund

Je mis un terme à mes mouvements explicites en surprenant l’expression menaçante de l’homme. J’échangeai un regard interrogateur avec Nini. C’était quoi son problème ? Il ne croyait quand même pas que je lui faisais une proposition ? Je devins blanc comme un linge et levai les mains en l’air, horrifié par l’ampleur du potentiel malentendu. Rien qu’imaginer me donnait envie de vomir. Avec un hérétique en plus ? Un monstre bestial ?

- Non ! Pas ça !

Dans mon dos, Ni’Obë ricana. Je fus interrompu par l’intervention de la femme monstrueuse. Pourquoi continuaient-ils à parler dans leur langue alors que je faisais des efforts ? Est-ce qu’ils se moquaient de moi ? Eux ? De pâle, je devins rouge tomate de colère. Comment osaient-ils me traiter de la sorte ? Ces païens ne méritaient même pas de vivre. Les Ætheri devaient s’être détournés d’eux en voyant ces être contre-nature. Pourquoi personne ne s’occupait de corriger ces défauts en les abattant ? Je bouillais dans ma violence quand la plus jeune coupa court à mes ruminations en me tendant une babiole. Je la pris sèchement et l’examinai sans chercher à cacher ma méfiance. Après l’avoir reniflée, je fis la moue, pas convaincu. C’était joli, mais pourquoi me le donnait-elle ? Quelles étaient ses intentions ?

- C’est un piège, tu crois ? interrogeai-je Ni’Obë à voix haute en langue natale.

- J’en sais rien.

Les sourcils joints entre eux, je regardai la rousse nous tourner le dos pour rejoindre ses affreux congénères. Ma soeur arborait la même attitude, les bras croisés, flottant quelques centimètres au-dessus de moi.

- C’est quoi ce bordel ? Ils se sont moqués de nous ?

J’étais tenté d’aller parler d’eux aux mousses pour ensuite les retrouver et leur casser la figure. Je jouai pensivement avec les perles du bracelet en les faisant tourner, incertain de savoir quoi en faire.

- Dans le doute, on devrait le détruire ou leur rendre. C’est un truc païen de toute façon, au mieux ça n’a aucun intérêt.

La meilleure option était la destruction par le feu. Il fallait seulement s’assurer de ne pas respirer les vapeurs de cet objet lorsqu’il se consumait. Le jeter à l’eau aurait rendu celle-ci impropre et aurait peut-être réveillé les monstres des abysses.

- Ces étrangers sont écœurants. cracha Ni’Obë. Sa curiosité n’était pas assouvie, mais l’interaction l’avait irritée. Ils savent parfaitement qu’ils sont anormaux. A quoi s’attendaient-ils, qu’on les vénère ?

Elle eut un rictus mauvais avant de reprendre son sérieux.

- Il faut qu’on s’occupe de ce bracelet. Vite.

Mes épaules se haussèrent. J’avais une solution toute trouvée pour ce problème. En quelques pas, j’arrivai à proximité d’égouts, un système étrange propre aux villes où se rassemblaient tous les immondices déchargés par les êtres vivants. Le nez froncé par l’odeur, je lançai le bracelet dans les eaux épaisses et noires. Un léger pincement de culpabilité me piqua le cœur, mais fut vite étouffé. Je ne voulais pas risquer de me faire contaminer par une malédiction exotique en conservant cette chose. Je ne savais rien de cette fille, mais je savais qu’il ne fallait jamais faire confiance aux étrangers.

555 mots