Sang dessus dessous

Musique

Aäron nettoyait de la même manière qu’il faisait toutes ses autres activités : sans énergie véritable. Il ne s’appliquait pas. Il n’y mettait aucune motivation. Son esprit, lui, était coincé quelque part dans un autre univers. Il se sentait seul et incomplet. Au moins, à Seaghdha, il n’aurait aucune nouvelle de son père. Il n’en voulait pas. Il ne voulait rien. Il avait d’ailleurs hoché la tête lorsque Lana lui avait demandé de s’occuper des toilettes. Il s’en foutait. Tout ce qu’il voulait, c’était terminer le ménage et rentrer à Basphel pour s’enfermer dans sa chambre et écouter sa musique. Il pourrait rester dans le noir à fixer le plafond, tout en se laissant bercer par les groupes qu’il appréciait. Le cœur lourd et mélancolique, il serait dans son élément. Il se sentirait compris. Les autres ne pouvaient pas. Seule la musique avait ce pouvoir. Les paroles avaient l’air de raconter sa propre existence et c’était pour ça qu’il les aimait.

Il s’interrompit et leva les yeux de sa tâche lorsqu’il entendit les cris de Lana. Quelqu’un d’autre que lui se serait sans doute précipité mais il n’avait pas cette énergie. Plus la journée passait et plus il avait envie de se rouler en boule dans son lit. Il se fichait qu’il lui arrivât quoi que ce fût. La vie était nulle. Il ne l’aimait pas et, parfois, il pensait très sérieusement à mourir. Ça lui venait comme ça de temps en temps. Il n’avait jamais tenté de mettre fin à ses jours mais le refrain ne cessait de le hanter. Il se releva et se dirigea vers la salle de bain. Il trouva l’Ondine dans tous ses états. Il se demanda s’il devait agir d’une façon ou d’une autre. Il la trouvait magnétique mais sa dépression était si grande que, ça aussi, ça lui était égal. Elle était belle maintenant. Puis, ensuite, elle vieillirait, tomberait malade, se plaindrait, regarderait en arrière en pleurant sa jeunesse et enfin, comme tout le monde, elle mourrait. Son corps n’était fait que de chair, d’organes et de sang. Comme le sien. Il trouvait les relations sociales stupides. Il trouvait l’amour stupide. Il trouvait le désir stupide. Les autres lui semblaient tous ridicules. Ils jouaient tous le grand jeu de la vie. Tout n’était qu’une comédie tragique. Il baissa les yeux sur les mains de Lana posée sur son torse puis observa la pièce. « C’est vrai. Il y a du sang. » constata-t-il. Elle ne connaissait pas son père et ça se voyait. Il ne reculait devant rien pour rendre ses jeux réalistes. Il soupira. « Qu’est-ce que tu veux que j’y fasse ? » lui demanda-t-il, en reposant ses yeux vides sur elle. Il tilta. « Tu es amie avec Kiara non ? Tu pourrais lui dire de venir me voir si tu la croises ? » Il avait envie qu’elle le frappât. Quant au sang, il s’en foutait. Peut-être qu’il appartenait à quelqu’un qui avait fait le choix d’en finir. Et il aurait eu bien raison.

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Sang dessus dessous

Musique

« Ah. » Ce n’était jamais le moment de toute façon. Il soupira. Il trouvait les gens émotifs bizarres. Lui ressentait mais sa palette n’allait pas bien loin. La tristesse embuait son existence. Cette tristesse provoquait chez lui une flemme immense. Il était tout le temps fatigué et subissait la vie comme une fatalité. Il pensa qu’il serait sans doute mieux une fois mort. Il imaginait que tout y serait plus calme, même s’il n’était pas certain de savoir en quels mythes croire. « L’amour ? » Il ne fut pas sûr de comprendre ce qu’elle voulait dire par là. Son père avait aussi cette fâcheuse manie : celle d’utiliser des expressions toutes faites – même s’il en créait la moitié – pour faire passer des messages. Aäron n’était pas une Orine et ne résolvait pas d’énigmes. Il haussa les épaules. Il la sentait trembler contre lui et pensa à un chat. Si elle n’avait pas eu l’air si émue, il aurait pu croire qu’elle ronronnait, collée à lui. Lana le chat. Il fit la moue, peu convaincu par cette image. Dans tous les cas, il ne comprenait ni pourquoi l’amour serait aveugle ni pourquoi elle lui disait ça à lui. Il était convaincu qu’il n’aimerait jamais personne, les yeux ouverts ou fermés. « Euh… » Il n’avait pas très envie de nettoyer encore. Surtout, elle avait dit qu’elle ferait la salle de bain. Néanmoins, il finit par hausser de nouveau les épaules, sensible malgré lui à l'aura qui se dégageait d’elle. « Oui si tu veux. » Il tourna la tête pour regarder le sang. « Merci… Elle saura pourquoi je veux la voir. » précisa-t-il. La possibilité que la Sirène le frappât encore eut le don de le motiver un peu. Quand sa main s’abattait sur lui, la brûlure produisait chez lui des remous. Les émotions qui s’éveillaient alors étaient bien plus intenses que celles qu’il pouvait ressentir en temps normal. Il aurait aimé l’avoir toujours à ses côtés. Elle agissait comme un médicament mais les effets ne duraient qu’un temps.

Il laissa partir Lana et s’accroupit par terre pour tenter de nettoyer le sol. Il aurait pu demander à l'Ondine de le frapper aussi… après tout, elle était l’amie de Kiara. Les amies se disaient tout alors peut-être qu’elles en avaient déjà parlé. Lui n'avait pas d'amis. Il soupira et trempa ses doigts dans le liquide carmin. Il les amena à son nez et les sentit. Il avait envie de s’allonger dans une énorme flaque de sang et de faire semblant d’être mort.

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