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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]« Frappez ! » Le heurt des bâtons fut étouffé par l’enveloppe bourrée de vieux tissus des mannequins. Une trentaine de recrues était réunie sur le terrain d’entraînement principal de Gona’Halv, au cœur du camp. La pluie tombait drue ; partout où elle s’abattait, partout où des pieds le labouraient, le sol boueux se fragmentait en myriades de gouttelettes brunes. L’humidité avait pénétré depuis longtemps les vêtements du Belegad. Elle se mêlait à la sueur et couvrait sa peau d’une fine pellicule, où les gouttes s’égrenaient et traçaient des chemins hasardeux entre ses poils, selon les courbes de ses muscles et les mouvements de son corps. Ses cheveux trempés imbibaient sa nuque et son dos de coulées chaudes. À Gona’Halv, on ne dérogeait pas aux rites de l’entraînement par peur de se mouiller ; de la même façon qu’à Lumnaar’Yuvon, les récoltes n’attendaient pas que les nuages cessassent de battre tambours pour s’organiser. « Reculez. » Le rang d’aspirants guerriers obéit. Il les imita. Les paroles d’Hazaan ne le quittaient pas, et il n’oubliait pas ce qui toujours l’avait animé : sa volonté de devenir Seigneur des Deux Rives. Il poursuivait ce rêve autant que celui-ci le talonnait dans tout ce qu’il entreprenait. Il devait d’abord se fondre dans la masse, se faire oublier, s’intégrer au tout. Oublier ; oublier Érasme, oublier Lucius, oublier Seaghdha, tout ce qui avait précédé et tout ce qui aurait pu suivre. Il ne devait y avoir de place, dans son cœur, que pour les Réprouvés et leurs intérêts. Les autres peuples ne devaient pas avoir voix au chapitre ; quant aux ennemis de la nation, aucune amitié ne pouvait être forgée avec eux. Érasme ne devait plus exister. « Avancez. » La marée humaine bondit vers l’avant. « Frappez ! » Ils se mouvaient comme un seul homme, amas compact et organisé de soldats connaissant leur place.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]« Mettez-vous par pair. On va commencer les duels. » Dastan regarda autour de lui. On l’évitait. Il inspira. Ses phalanges se resserrèrent ostensiblement sur son bâton. « Est-ce que t’oserais m’affronter une deuxième fois, Belegad ? » Il tourna la tête pour découvrir Calliope, dont l’un des bras entourait sa taille. « Je t’aurais bien attrapé par les épaules mais t’es un peu trop haut pour moi. » - « Tu sais pas voler, l’angelotte ? » tacla-t-il. Elle sourit, haussa les épaules et s’écarta. « Je voulais pas que tu te sentes trop petit à côté de moi. » Dès qu’elle fut à environ cinq pas de lui, elle lui fit face et se positionna. Il fronça le nez et jeta un regard autour d’eux. Personne d’autre ne semblait se porter volontaire. Il fit la moue, puis refocalisa son attention sur elle. « T’as pas peur de finir comme Paar ? » Un sourire moqueur étira les lèvres du roux. « T’as pas peur de finir aux fers ? » rétorqua-t-elle. « Si c’est pour ne plus jamais voir ta gueule… » - « Engagez ! » Il n’eut pas le temps de se mettre en garde ; déjà, elle fondait sur lui. Il para son premier coup, reçut le deuxième, répliqua aussitôt. Les gestes de l’Ange de Keizaal charriaient un héritage technique qu’il ne possédait pas. Cependant, il était aussi rapide et souple qu’elle, et ses frappes recelaient une puissance plus grande. Lorsqu’elle le mit à terre, il n’eut aucun mal à inverser leurs positions et à la coincer sous lui. « Alors, comment on fait, quand on peut pas utiliser sa magie ? » la taquina-t-il en empruntant un ton pleurnichard. « Je t’ai juste laissé gagner parce que je savais que tu supporterais pas une défaite de plus. » - « T’es sûre que t’es pas un Démon de la mauvaise foi ? Sans déconner… »

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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]« Au fait, y’a ça qui est arrivé pour toi. » l’informa Draegr. La tête encore couverte d’une serviette avec laquelle il frictionnait ses cheveux, Dastan se redressa et s’avança, jetant le linge de toilette sur le dossier d’une chaise au passage. « C’est quoi ? » - « Je sais pas. Des lettres. » Il attrapa les deux enveloppes qu’elle lui tendait. « Merci. » - « Je savais pas que tu savais lire. » Il haussa les épaules. Il n’allait pas lui dire qu’il était incapable de déchiffrer ou d’épeler son propre prénom. « C’est qui ? » Il tourna et retourna les missives. Les caractères tracés dessus lui demeuraient incompréhensibles. « Ma sœur. » mentit-il. « Et l’autre ? » - « J’en sais rien, c’est pas noté dessus. » C’était peut-être écrit mais il aurait été bien incapable de l’affirmer. « Je t’en pose, des questions ? » Il l’embrassa sur le font, puis s’éloigna de quelques pas. Il se jeta en arrière sur le lit, allongé, les pieds dans le vide. Une fois ses muscles encore tendus par l’entraînement de la matinée étirés, il décacheta chacune des lettres, faussement calme. Que ce fût Freyja n’était pas impossible. Ou Sympan. Il pensa brièvement à Érasme et à Lucius. Non. Pourtant, quand ses yeux tombèrent sur la signature de la première feuille, il reconnut presque immédiatement le symbole que le Magicien avait tracé sur le contrat, à Seaghdha. Un poids écrasa sa poitrine et il se mordit l’intérieur des joues. Il se dépêcha de regarder l’autre : pas de cachet, pas de nom qu’il pût identifier, rien. Juste une suite de chiffres et de lettres, agencées de manière inhabituelle. Il fronça les sourcils. « Alors, elle raconte quoi ? » Draegr s’étendit à côté de lui. Il lui jeta un coup d’œil, hésitant à l’envoyer paître. Néanmoins, il se fit juste à temps la réflexion qu’elle risquerait de l’interroger avec plus d’insistance. Il inventa rapidement quelque chose. « Elle est rentrée chez les Anges et voudrait savoir comment ça se passe ici. Et l’autre, j’en sais rien. Je comprends rien. » Pourquoi Lucius lui écrivait-il ? Avait-il besoin d’aide ? Ses bonnes résolutions s’effritèrent ; il se voyait déjà plier bagage et courir au secours du Mage Blanc. Il l’avait déjà fait, de nombreuses fois. Il le referait encore, envers et contre tout. Ils étaient liés par des choses qui les dépassaient ; Lucius, Érasme et lui. C’était inscrit en eux et il eut l’absolue certitude, à cet instant, que les entailles que les Zaahin avaient tracé dans leurs cœurs pour qu’ils se reconnussent et frappassent à l’unisson jamais ne disparaîtraient. Elles demeureraient, et feraient d’eux ceux qui restent.