Partenaire : Solo
Intrigue/Objectif : Lardon part en chasse d'une pièce-maîtresse de son Arène
Chronologie : Réponse à ce RP : ICI

~~~
Coude sur la table, lèvres pincées contre ses phalanges, l'Ange autoproclamée Réprouvée fixait le parchemin que des oisillons lui rapportèrent. Une missive de Toesia Eses Koërta à l'attention de Léto Sùlfr… Comment un tel écrit avait pu atterrir ici, et surtout, depuis combien de temps cette lettre voguait ? La blonde aurait dû la recevoir avant son trépas, elle doutait que sa fille s'amusait à envoyer des lettres à des morts. N'étaient-ils pas au courant à Ciel-Ouvert ? Ou n'était-elle plus qu'un fantôme, un mirage qui subsistait encore dans leur cœur ? Elle n'en savait trop rien et revenir en terres connus après tout ce temps risquait d'être… d'une complexité abyssale. Comment réagiraient-ils face à sa nouvelle forme ? Est-ce qu'on la pardonnerait ? Était-ce indigne de la Titanide de se noyer dans le sang ? Elle se redressa, comme si elle s'apprêtait à affronter un grand danger. L'ennemi se trouvait juste sous son nez et il était diablement vicieux. Elle voulait croire que les Zaahin l'obligeait à faire face à ses démons. Après tout, une Réprouvée de sa trempe devait y faire face un jour ou l'autre.

Ma Toto, je t'ai échouée. Si mes mains n'étaient plus sales, j'aurais pu te serrer à nouveau dans mes bras. Je ne pouvais plus vous retenir à moi, cela n'aurait pas été digne d'une mère. Mais je me suis souvent demandée si j'aurai pu l'être avant tout : une mère ? Bien avant moi, ton père semblait l'avoir déjà compris. Et j'aurais dû l'écouter au lieu de résister. Je suis désolée.

Au départ, l'idée devait être de terminer la rédaction ici. Après tout, la guerrière savait que chacun de ses mots seraient un coup de poignard dans le cœur de sa chair incarnée. Prolonger le supplice n'aurait été que cruauté et malveillance. Néanmoins, Lardon n'arrivait pas à se résoudre face à une telle conclusion ; une satanée alternative trônait maîtresse dans sa tête toute la journée dès lors. Ainsi, plusieurs heures plus tard, elle revint sur ses dires et rajouta en vitesse :

Peut-être nous reverrons-nous bientôt ? En tant que mère et fille.

Elle s'affala sur le divan. C'était une mauvaise idée mais elle s'en foutait royalement. Elle suivait ses impulsions, exactement comme Oncle Billy lui avait enseigné. Ce n'était qu'avec une telle méthode qu'on sortait victorieux et vivant de ses carnages. Enfin, si on exceptait le massacre à Amestris, elle supposait. Lardon s'avérait plutôt ravie que les Réprouvés demeuraient fidèles à sa cause et qu'ils évitèrent – pour la plupart d'entre eux – une fin déshonorante. Cela étant, sans doute étaient-ils tous aimantés par Unum Prior ? Plus son avancée se poursuivait, plus les adeptes prenaient racines sur Orahza. Elle voyait encore d'un très mauvais œil les quelques Chamans qui se terraient ici-et-là et au sein du Cœur de l'arène. Ils n'étaient pas censés poursuivre son œuvre maintenant qu'elle était morte et réprouvée ; pourtant, ils ne lâchaient pas prise. Était-ce ça le fanatisme ? Était-ce cette dissension de la réalité qui lui fit perdre sa famille et son foyer ? La tentation d'écrire à Miles la rongeait… Malheureusement, qui savait de quand datait son décès ? Kaine et Toesia avaient-ils grandi ? La cherchait-elle encore ? Ce devait être trop tard. Mais pas pour sa rédemption. Il était temps d'aller boire des coups avec les gars.

~~~
" Tu tires une sale tronche, Blondasse ! Il lui asséna un coup d'épaule pour la secouer. Allez, descend-moi tout ça plus vite, t'as trois chopes de retard ! "

C'était vrai, les Réprouvés s'amusaient beaucoup ce soir. Il y avait pas mal de monde réuni pour décompresser avec tous ces travaux, ces sales histoires de feux dans le ciel et de bateaux qui coulaient à cause de monstres marins jamais vus auparavant ; même pas des Sirènes en plus. Pour Lardon, c'était encore cette lettre de Toesia qui la hantait. Par sa faute, elle se souvenait de sa dernière conversation avec Miles ; ce qui fut en soi une rupture pure et simple de leur relation. Elle se souvenait du regret engendré et que ce jour-là, elle aurait voulu qu'Unum Prior se déchaîna sur elle toute la nuit. Ce qui ne fut d'ailleurs pas si lointain que cela… ? Elle ne parvenait pas à recoller comme il faut les morceaux. Sûrement à cause du boucan ambiant et de l'alcool dans ses veines.

" Oui, oui… " Siffla-t-elle, agacée, tout en trempant ses lèvres aux rebords du récipient gorgé de mousse.

Même si elle céda sous les acclamations enjouées de la table, il n'y eut que Billgrim pour se rendre compte qu'il y avait quelque chose de différent chez elle cette fois. Quand on se désintéressa enfin de sa moue, il lui offrit encore une fois son épaule. Elle ne le lui rendait pas bien, c'était étrange.

" Oh, t'as tes ragnagnas ? " Là il eut son attention : elle était écœurée mais au moins elle soutenait son regard.

" Naan wo… (N'importe quoi…) "

" Alors qu'est-ce t'as ? "

Puisqu'ils semblaient en être rendu là, elle siffla d'une traite sa boisson actuelle et passa ainsi à la suivante.

" Je repense à Miles… "

" Miles ? C'est qui ce con ? "

" C'est toi le con et c'est mon mari. Elle grommela, elle détestait avoir les réflexes verbaux de Latone ; disons que cela ne lui ressemblait pas. Hélas, difficile de rester de marbre face aux inepties de ses pairs. Mon ancien mari. " Précisa-t-elle entre deux grosses gorgées.

" Oh ouais ? Pourquoi vous n'êtes plus ensemble ? "

" Parce que je n'étais pas assez là… et il a vu ailleurs. "

" Classique. Tu t'en remettras après une autre tournée. Il se pencha en direction d'une autre carafe, sa masse impressionnante menaçant de tout renverser sur son passage. Donne-moi ça, toi ! "

L'ocre et l'écarlate fixèrent l'alcool s'écouler dans la chope, hypnotisée par l'entrain qu'il semait en elle. Autrefois, en tant que Chamane, elle se complaisait davantage dans les plantes hallucinogènes et les encens. Chez les Bipolaires, ce genre d'art n'était pas assez développé ; il devait se servir autant chez les Déchus, eux-mêmes alimentés par les Médiateurs des Morts. Quoi qu'il en fût, elle laissait son Esprit se tarir par ce biais afin de diluer toutes ces mauvaises ondes qui secouaient son crâne. Boire pour oublier, hein ?

" N'en fais pas tout un plat : n'importe quel couillon autour de toi ne ronchonnerait pas à te sauter. Ou… à se faire sauter par toi, tu fais ce que tu veux. "

" Ce n'est pas ça que je veux. Ronchonna-t-elle dans sa chope. Je veux lui et mes enfants. "

Elle but encore et encore, lascivement, jusqu'au moment où elle se rendit compte qu'aucune goutte ne résidait encore dans ce verre trop petit pour son gosier de géante. Elle le reposa sur la table, un brin trop violemment ; à la prochaine réitération, elle la brisera en deux et ça fera rire l'assemblée. Et puis la soirée continuera et ce sera divertissant, puis elle rentrera en claudiquant et elle prendra peut-être un bain de minuit – parce que c'était revigorant, les bains de minuit – et enfin elle essaiera d'atteindre son lit pour en terminer avec cette fichue soirée et ses vilains tracas. C'était ça le plan qui se dessinait en son for intérieur après chaque gorgée de ce poison de houblon.

Toutefois, ce ne fut pas de l'avis d'Oncle Billy et Lardon le remarqua bien vite à son faciès de bourru préoccupé. Il pensait à quelque chose qui lui échappait, puisqu'elle ne l'avait jamais vue dans cet état-là. Une idée effroyable lui vint alors : et s'il allait se mettre à chouiner ? S'il y avait bien un scénario qu'elle préférait éviter, c'était celui-ci. Elle se prépara alors, sur ses gardes, attentive au moindre de ses faits et gestes, la moindre syllabe qui lui échappera. Que se cachait-il enfin sous la solide coquille de Billgrim Skuli ?

" La méridienne que je te laisse, c'était celui de Hrefna. Il pencha la tête sur le côté, un bref contact visuel se créa entre eux, puisqu'il savait qu'elle comprendrait. Ma compagne. "

Que pouvait être le plus effrayant à ses yeux : le fait que quelqu'un ait osé partager la couche d'Oncle Billy de manière régulière ou ce qui s'ensuivrait de son récit, dont la tristesse fut à moitié masquée par le brouhaha environnant ?

" Dès qu'elle est arrivée chez moi, elle la réservait tout le temps, soi-disant que je prenais trop de place dans le lit. Cela lui donnait aussi l'occasion de rien foutre de la journée, elle était comme ça. Mais surtout, c'était là qu'elle aurait dû donner naissance à notre premier enfant. Il but. Ce jour-là, elle n'a pas réussi : elle y a péri avec notre fille. L'une à cause de tout ce sang et l'autre incapable de respirer. "

Il la regarda, tel un ours impassible mais une Ange savait discerner les véritables émotions d'un homme à travers ses yeux. En ce sens, il lui faisait comprendre qu'ils étaient pareils : ils avaient tous les deux perdus dans leur quête familiale. Elle secoua la tête, touchée par la confession de son camarade de fer. Elle chercha longuement comment réagir puisqu'il était, lui-même, trop accaparé à s'alcooliser.

" Comment comptiez-vous l'appeler ? "

" … Je ne le saurai jamais. "

Jusqu'à présent, Lardon n'aurait jamais crû être brisée par Billgrim. Il vivra avec ce vide toute sa vie et cela peina la guerrière ; puisque dans une vie antérieure, elle aurait pu accéder à ce savoir à travers le voile de la Mort et lui révéler le nom de son enfant.

" Depuis, je ne laisse personne s'approcher de ce canapé. "

" À part moi. " Nota-t-elle, c'était même dessus qu'il l'avait logée la toute première nuit.

" À part toi. "

Bizarrement, elle ne sut comment mais cette tragédie renforçait sa complicité à son égard. Elle se sentait mieux et cela transparaissait par le sourire qu'elle lui accordât : celui d'une mère blessée à l'égard d'un père abattu.

L'entrée de la taverne fut soudainement fracassée par quelques Réprouvés enjoués. Ils semblaient essoufflés et couverts de boue.

" Hé ! On a aperçu une grosse bestiole en forêt ! "

" Klov'Heim est sur sa piste. Ça vous dit de partir en chasse ? "

A travers le sang, ils vivaient.

1805 mots ~

Klov'Heim dépassa les rochers mousseux, la vase au niveau de ses chevilles jusqu'à qu'elle passât le cours de cette très maigre rivière. La proie s'y était abreuvée avant de continuer son chemin. Sur son passage, cette créature avait laissé un léger pan de sa fourrure. Lorsque la Réprouvée s'accroupit pour l'examiner de plus près, ce qu'elle pensait n'être qu'un amas de poils d'ébène ressemblait bien plus à une plume géante… Malgré tout, cette texture au toucher ne lui rappelait aucunement les sensations doucereuses d'une aigrette. Un frisson désagréable la traversa d'ailleurs à l'idée que cette chose pût décoller du sol. Si c'était le cas, elle risquait de menacer l'île tout entière. Sans parler d'un tel danger, Edmund'Faasnu serait furieuse d'apprendre que sa main d'œuvre sur les chantiers s'exposait aux griffes d'une monstruosité pareille. La gladiatrice au masque de fer s'était assurée de répandre la nouvelle en Nohr, dans l'espoir que cette affaire remontât aux oreilles des plus téméraires guerriers. Cet abattage était le sien mais elle ne refuserait de l'aide pour en finir. En dehors d'Unum Prior, l'honneur ne subsistait pas.

Refermant son poing sur l'indice, la gladiatrice dessina mentalement la piste qui se dessinait sous ses yeux. Le prédateur s'avérait suffisamment imposant pour laisser un boucan derrière lui. Il suffisait d'une part de repérer la fuite de la faune – de traquer le silence morbide – et d'autre part de noter les éventuelles traces semer par-ci par-là. Trouver sa proie serait aisée en fin de compte. La localiser à temps était une tout autre paire de manches. Et le plus difficile très certainement : l'abattre. Enhardie par la chasse, la Réprouvée n'attendit guère les probables renforts pour maximiser ses chances. Sous son masque, la guerrière voyait rouge et ne craignait aucunement se retrouver face à face avec le monstre. Dans le pire des cas, elle mourra de ses griffes mais sans s'être battue jusqu'au bout. Elle poursuivit ainsi sa traque sans relâche, guidée par la hargne des Zaahin envers cette anomalie. Elle était une louve derrière l'écorce, aveuglée par le plaisir de ce devoir. Son aura meurtrière s'étendit si loin que la nature elle-même la fuyait autant que sa proie. Fort heureusement, Klov'Heim n'eut point un tel pouvoir intimidant sur les renforts venus la rejoindre.

" La voilà ! " Héla l'une d'entre elles, de sorte qu'elle sortît de sa transe pour leur faire face.

Empesté l'alcool n'était pas un défaut chez les Bipolaires, tant qu'ils tenaient encore sur leurs jambes et l'épée par le manche. Ils étaient plus nombreux qu'elle l'escomptait : le plus grand nombre serait un avantage lors de la confrontation, hélas il en était tout autre lors de l'étape primordiale de la poursuite. Elle s'imaginait déjà désigner des éclaireurs lorsque son attention se posa sur les frères Skuli et…

" Edmund'Faasnu… À travers les orifices du masque, Lar devinait une lueur d'admiration. Ta force ne sera pas de trop. "

Cette Réprouvée faisait partie des plus impressionnantes qu'elle ait rencontré ; même si elle demeurait un vermisseau face à elle. Bien évidemment, la blonde se questionnait sur l'utilité – esthétique ou pratique – du masque, avant de noter les cornes de Bicorne que s'amusaient les Bipolaires de Nohr à revêtir pour se distinguer des soldats de Gona'Halv. Il semblerait alors qu'elle avait affaire à une alliée de poids.

" Léto, je te présente Klov'Heim. Elle est un prodige parmi les potentiels instructeurs de l'Hyperianne. Si elle remporte tes Jeux, elle fera une Championne exemplaire. "

" La construction de l'école est en voie d'être finalisée mais les enseignants volontaires se font rares. Je suis ravie de rencontrer l'une d'entre eux. "

" C'est que les gladiateurs se pissent dessus en avance face à tes épreuves. On ne sait sans doute pas à quoi s'attendre mais je n'ai pas peur de descendre dans l'Arène. "

" Dans ce cas, je t'offrirai une ouverture des Jeux des plus spectaculaires. " On ne peut plus touchée par la promesse, la masquée esquissa un signe de tête équivoque.

" J'ai hâte d'y assister et de prouver ma valeur par la suite. "

" Assez parler. Oncle Billy tapa des mains. Où est ta bestiole ? "

" Je suis sur ses traces. Sans justement tarder, elle les invita à suivre en petit comité, le restant de l'assemblée les rejoindra à leur signal. Ce monstre s'en prend au gibier. L'autre nuit, elle a massacré tout mon bétail. Il n'en restait rien. Une véritable boucherie. Je ne sommeillerai pas tant que sa tête n'ornera pas mon épouvantail. Étant donné les murmures du groupe, il semblerait qu'une poignée dont Lar ait raté l'information. Vous avez des lapins, n'est-ce pas ? Demanda-t-elle à la Titanide sans attendre de réponse. Si vous tenez à ces petites canailles, débarrassons-nous de ce prédateur. Qui sait, il est peut-être suffisamment vorace pour s'en prendre à un homme. "

" Mais pas à un titan. " Ironisa Thorvard en souriant à la concernée.

" Est-ce que cette forêt appartient à l'un des Araës ? "

" Pas que je sache. C'est pourquoi nous devons en profiter tant que nous sommes en territoire neutre. "

" Même si on est chez quelqu'un, on va la charcuter, cette saloperie. " La meneuse acquiesça vivement, lame au clair.

" Il vaut mieux faire vite. Ces recoins sont exigus, c'est comme s'il cherchait à se cacher. Mais ainsi, nous aurons l'avantage avant qu'il ne rejoigne les prairies. "

Il y avait tout juste quelques minutes, la Sùlfr pensait à son mari perdu. Cette chasse aurait pu être la leur…

" C'est lui. " Tonna la gladiatrice, une bonne poignée de minutes de traque plus tard.

À l'orée d'une maigre clairière, une masse informe et noire se dressa au-dessus des fourrées. Il ne fallut qu'un coup d'œil vers la "plume" afin de confirmer l'identité de leur monstruosité. Celle-ci se présentait bel et bien gigantesque, sans doute pas autant qu'un dragon mais elle ferait une monture menaçante en des circonstances plus propices. La créature possédait quatre pattes et d'un épais pelage aussi noir que le charbon, on y devait au bout de ses appendices des griffes acérées. Depuis leur position, il leur était difficile de deviner son visage mais une protubérance ivoirine transcendait avec son apparence macabre. Si cette bête ne sortait point des méandres infernaux, elle n'en restait pas moins rattachée à de vicieux cauchemars.

" Qu'est-ce que c'est que ce truc ? Je n'en ai jamais entendu parler. "

" Qu'importe, butons-le tant qu'il est à portée. Toi – il désigna l'un des Réprouvés – va chercher les autres. "

Tant que leurs forces ne seront pas gonflées, la proie glanait quelques minutes de répit. Un temps non négligeable pour Lardon qui, de plus en plus, s'émerveillait face à ce fabuleux animal. Elle ressentait quelque chose de familier au plus profond de ses tripes, bien plus impactant que le tambour de son palpitant. Tous les chasseurs s'activaient à tendre l'embuscade alors qu'elle restât figée, en communion avec cette apparition qui transcendant sa vision. Dès lors qu'elle comprît être la seule sensible à son égard, ses réflexions se firent plus précises. On dirait… Ses paupières se plissèrent, cherchant à capter ne serait-ce qu'un minime regard avec cet animal façonné par l'imaginaire folklorique. Je n'ai plus ce Lien avec eux, mais cette chose… Si elle s'approcha, ce fut en même temps que l'initiative des Réprouvés. Elle n'est pas d'ici. C'était une évidence, mais son idée filait au-delà de cette constatation : Elle n'est pas de notre monde, je le sens ! Si le Lien Divin perdurait, elle aurait pu chercher des signes afin d'établir une connexion entre cette créature et l'une des nombreuses divinités du Panthéon. Zaahin ou Æther, l'importance était minime à ce stade précis : ce monstre n'avait pas atterri ici par hasard. La Sùlfr lorgna du côté de sa chaîne cernant son poignet, celle-ci vibrant à l'apothéose qui se présentait à elle.

" À L'ATTAQUE ! "

Tout s'était dressé trop vite, embuée dans son analyse, Lardon ne suivit pas la charge des Anges Démoniaques. Annoncer leur arrivée de but en blanc détruisait l'effet de surprise mais au moins, à leurs yeux, la bataille revêtait des artifices épiques. Klov'Heim fut bien évidemment la première à atteindre la cible et abattit sa lame dans l'unique intention de tuer. La course ferreuse effleura le manteau d'ébène, la créature réussissant à s'extirper sur le côté. La Réprouvée la poursuivit sans attendre et deux autres guerriers l'attaquèrent ensemble. L'animal était vif malgré sa taille, ce qui désarçonnait les plus grosses brutes du groupe. Klov'Heim opta alors bien vite pour des assauts rapides au détriment de sa précision et de sa défense. Étonnamment, la proie décolla du sol et se suspendit entre deux arbres ; un hurlement bestial dévoila ses énormes crocs alors qu'elle dévoila une gigantesque lame sous son pelage. Un instant plus tard, elle décapitait déjà l'un des Réprouvés, tout en conservant une hauteur suffisante. Lorsque la victime chuta à ses bottes, Klov'Heim comprit que cette danse aérienne impliquait un fait effroyable : ce monstre se trouvait dans son élément, cette forêt les enfermait dans un macabre désavantage. Elle s'était trompée depuis le début : ce n'était point une fuite, c'était un piège.

" Nutaar'Kra, cette chose se débat bien ! "

" Enfin un beau combat ! "

Au même instant, une longue chaîne familière virevolta en direction de la créature. Cette dernière esquiva la lame en son bout et fixa l'assaillante en la personne de Lardon. Billgrim s'extasia d'autant plus, pensant que sa nouvelle sœur d'arme cherchait à l'immobiliser pour mieux l'exécuter. La blonde réitéra le processus jusqu'à que leur proie fut obligée de poser patte à terre. Elle croisa le fer avec les Réprouvés, les repoussant et les éliminant si l'occasion se présentait. Sa force et sa vitesse s'avéraient remarquables, néanmoins elle faiblissait bien vite sur plusieurs fronts simultanément : l'Ange avec sa chaîne attirait bien trop son attention pour se concentrer sur les adversaires à portée. Dans un ultime recours, la bête hurla à nouveau pour instaurer l'effroi, un instant suffisant pour reprendre l'avantage. Cependant, il en fallut bien plus pour désarçonner la Souriante qui ramenait déjà les maillons à elle pour la faire chanceler. Une fois à terre, Lar se précipita sur la créature, lui asséna au passage un coup de pied au visage et consolida son emprise ferrique jusqu'à immobiliser ses membres. Victoire acquise, mais pas pour Klov'Heim qui amorça son ultime coup vengeur, paré juste à temps par l'Ange Réprouvée.

" Qu'est-ce que tu fais ?! " Enragea la femme masquée lorsque la blonde la repoussa sans effort.

" Cet animal est unique, j'aimerais le ramener vivant avec nous. "

" T'as perdu la tête, Léto ? " Si Thorvard semblait tout aussi confus, Billgrim se garda tout commentaire ; puisqu'il connaissait cette étincelle luisante dans le regard de Blondasse : elle traficotait encore une bizarrerie pour son ambition démesurée. Dès lors, il était impossible de l'arrêter.

" Il est hors de question de le laisser vivre ! Cette chose a dévoré mon troupeau ! "

" Le tuer ne ramènera pas tes pertes. "

" Mais je me sentirai beaucoup mieux après lui avoir tranché la tête ! "

La réclamation de Klov'Heim était juste, Lar pouvait difficilement s'y opposer. D'autant plus qu'elle ressentait la désapprobation de ses pairs sur ses épaules… Cela étant, il lui était impossible de laisser une telle occasion lui échapper, ni de perdre une gladiatrice de sa trempe. Elle n'avait plus qu'à jouer le tout pour le tout afin de contenter tous les partis.

" Je te propose un marché. Je te dédommage dès maintenant et tu me laisses ce monstre. Dès que je n'aurai plus besoin de lui, je te laisserai l'abattre dans l'Arène pour ton titre de Championne. "

Étrangement, la proposition semblait faire mouche, puisque la principale intéressée s'accorda un moment de réflexion.

" Ce sera quand ? "

" Quand les travaux seront finis. Il me le faut pour mes Jeux, Klov'Heim. "

Un silence morne et décisif qui sembla une éternité pour tous. Puis la Réprouvée rengaina son épée.

" Marché conclu. J'espère pour toi que ça en vaudra la peine, Edmund'Faasnu. "

Sur ces mots gorgés de déception, la gladiatrice en peine s'en retourna vers la parcelle. Pour beaucoup, c'était un dénouement inattendu, d'autant plus que la chose avait emporté trois des leurs sur son sillage. Hélas, elle appartenait à Lardon maintenant. D'autant plus qu'elle semblait s'être apaisée sous le poids des maillons.

" Bon, comment doit-on nommer ton abomination ? "

En se remémorant son comportement, Lardon discerna plusieurs techniques propres aux guerriers aguerris. Elle était sûre de l'avoir vu se mouvoir comme un compétiteur de tournoi, une véritable ode à Isemli incarnée en une monstruosité difforme. Cette fameuse abomination… honorerait tant Unum Prior.

" Feyn (Fléau). D'un regard, les deux entités se comprenaient. Le Lien se brisait mais les Divinités veillaient. Ce sera sa destinée. "

2260 mots ~