Helsinki serra les poings, puis rouvrit ses mains en tendant ses doigts. Elle inspira une grande goulée d’air, expira.
-Ça va ? Demanda Méryl.
L’Ange acquiesça. Son cœur battait à tout rompre. Ses muscles étaient si exaltés par l’adrénaline qu’ils en étaient devenus endoloris et incapables. Elle n’avait pas cru cela possible, mais elle avait rarement été aussi nerveuse de toute sa vie. Elle aurait pu en mourir. Cette peur la paralysait presque : si elle était parvenue à marcher jusque-là, elle n’était pas sûre d’encore savoir comment parler. Le nœud dans sa gorge prenait toute la place. Respirer était devenu un effort physique à part entière. Heureusement, Méryl faisait la conversation pour deux.
Elles avaient fait le voyage jusqu’à Haute-Terre. Depuis qu’elles avaient quitté la maison, Helsinki n’avait pas lâché la Magicienne d’une semelle. L’angoisse l’avait empêchée de prêter attention au paysage. Les commentaires de Méryl avaient été les seules descriptions qu’elle avait retenu du lieu : “C’est vraiment mignon ici, je ne m’en lasse pas. Avec tous ces champs, et toutes ces rizières, ça change des Jardins !” ; “Cela faisait longtemps que je n’étais pas venue ici. J’ai une cousine dans le coin, ce serait peut-être l’occasion d’aller aux nouvelles.” ; “Oh ! J’aime beaucoup ces fleurs ! ” ; “Que cette maison est mignonne ! ” Helsinki avait écouté sans répondre et n’avait levé les yeux qu’une fois que la Magicienne avait déclaré qu’elles étaient arrivées au lieu du rendez-vous. Monsieur Feylis leur avait proposé une rencontre à l’extérieur, sur une place de Haute-Terre. On le leur avait donné l’adresse longtemps à l’avance, dans une lettre où Helsinki n’avait jamais pu se projeter davantage que dans son imaginaire. Ce rendez-vous l’avait pourtant menée ici, pour de vrai. C’était à peine croyable et particulièrement terrifiant. La dernière fois que son rêve le plus fou s’était réalisé, ç’avait été à sa libération de la Terre Blanche. En se rendant ici, l’Ange était – peut-être – sur le point de changer, une nouvelle fois, radicalement sa vie. Cela relevait encore du fantasme. Elle n’y croyait pas trop, tout en s’y efforçant. Mais au fil du temps, la première idée avait eu tendance à écraser la seconde. Peut-être qu’apprendre l’art du combat ne lui plairait pas, qu’elle serait trop faible pour la discipline et qu’elle devrait se rendre à l’évidence qu’elle n’était pas faite pour ce monde.
-Tu sais à quoi il ressemble ?
Helsinki fit non de la tête. Méryl eut un rictus qu’elle essaya de faire discret et se ravisa d’un commentaire. Elle souhaitait certainement appuyer le fait qu’elle avait bien fait de l’accompagner. La recommandation avait beau venir de Neah Katzuta en personne, Méryl peinait à déroger à la règle qu’on donnait à toute jeune fille, et d’autant plus à sa protégée. Aller à la rencontre d’un inconnu seule était rarement conseillé. Mais il n’avait jamais été question d’y aller seule. Helsinki aurait été trop pétrifiée pour mettre un pied hors de la maison.
Méryl fit un tour sur elle-même, espérant trouver un individu qui se détacherait du lot. La place n’était pas grande, pas plus qu’elle n’était peuplée. Deux personnes âgées se promenaient, un jeune homme balayait devant la porte d’une boutique et une femme, un panier chargé dans les mains, passait d’un pas décidé. C’était tout.
-Il faut dire que nous sommes en avance. Admit-elle à elle-même.
Helsinki se demanda à quel point Méryl était, elle aussi, nerveuse. Était-ce pour cela qu’elle parlait autant ? Le débit de la Magicienne ayant toujours été plus élevé que le sien, elle n’en avait aucune idée, mais la situation la rendait plus impatiente qu’à l’accoutumée. Si sa vie aux Jardins l’avaient bien dotée d’un défaut, c’était celui-ci. L’Ange commença aussi à regarder par-dessus son épaule, à la recherche d’un signe distinctif. Méryl posa sa main sur son bras.
-Je crois que c’est lui.
Helsinki pivota aussitôt sur ses talons. Comme si c’était possible, ses muscles s’endolorirent encore plus. Son regard vif chercha sa cible, ou plutôt celui qu’elle redoutait le plus. Elle le reconnut aussi. Sa main rejoignit celle de sa tutrice et elle la serra trop fort.
-Bonjour. Dit Méryl avec un grand sourire, une fois que l’homme fut à leur hauteur.
Pâle comme un linge, Helsinki entrouvrit la bouche, puis la referma. Si une salutation était déjà trop difficile pour elle, la suite des événements promettait d’être des plus pitoyables. Elle sentit ses joues se colorer de rouge. Elle lâcha Méryl, baissa la tête et s’inclina.
-Bonjour. Murmura-t-elle enfin, le souffle court.
Quand elle se redressa, elle était encore plus rouge.
-Merci de bien vouloir me recevoir.
Sa voix n’était qu’un timide filet d’air. Elle s’en voulut, de s’être mise dans un état pareil dans pareille situation. Ce genre de comportement n’était certainement pas ce que l’on attendrait d’elle durant son entraînement. Elle était faible et se comportait comme telle. Comment Neah avait-elle pu voir en elle ce qu’il y voyait – et quoi exactement ? Helsinki se sentait comme une brindille frêle et cassante qu’on aurait pris pour un arbre aux fruits prometteurs.
Lorsque son ancien Capitaine lui avait proposé de donner des cours à une Ange inexpérimenté, mais désireuse de connaître un moyen de se protéger, Élosis était resté coi. Cette demande avait de quoi le surprendre, dans la mesure où il avait démissionné de la Nith-Haiah. Il avait abandonné son poste, ses frères d'armes et son Devoir de défendre la Nation. Oh, non. Personne ne le pensait ainsi et ... Neah le réprimanderait certainement s'il entendait ses pensées, c'était pourtant ce qu'il ressentait ; il avait fui. Il avait tout laissé derrière lui, tant la perte de Frida lui avait paru insurmontable. En vérité, ça l'était toujours, mais son poste d'enseignant auprès des enfants calmait sa douleur plus que la sévérité des entraînements, puisque c'était sa manière à lui de gérer un deuil dont son esprit ne parvenait pas à se remettre. C'était la raison pour laquelle le Capitaine Katzuta prenait des nouvelles de son ancien subordonné, au-delà de son travail, c'était son empathie et sa compréhension de la Brisure qui avait fait évoluer leur relation. Élosis eu un léger soupir. Lui qui le respectait tant autrefois n'aurait jamais cru pouvoir le voir comme un ami ; sous cette armure implacable se trouvait un homme chaleureux et à l'écoute. Un homme qui ne l'avait pas abandonné à son chagrin et avait veillé sur lui après qu'il eut rendu sa veste. Neah savait ce qu'était la souffrance de voir son Lien dans un état de délabrement, mais malgré ses espoirs à ce que jamais il ne goûte à une Brisure, Élosis savait. Comme il avait perdu Frida, Mancinia finirait par s'éteindre. À ce moment-là ... il devait être présent pour Neah comme il l'avait été pour lui. Si, toutefois, la Brisure ne le tuait pas de chagrin. Ça arrivait et, vu la relation des Écuyers de l'Aurore, si l'Anjonù y survivait, ce serait, sans doute, quelque chose d'appréciable.
Après s'être regardé une dernière fois dans le miroir, l'Ange sortit de sa demeure pour inspirer un bol d'air pur avant de se rendre à son rendez-vous. De ce qu'ils avaient échangés à son propos ; Helsinki Sulys était une survivante de la Terre Blanche, elle vivait présentement dans le giron Magicien et avait subi de multiples sévices entre les Vils. Il n'avait pas eu accès à ces informations, mais l'ancien Soldat n'avait pas besoin d'être un génie pour deviner lesquels, y compris en étant dans l'exagération. Son travail était l'enseignement, mais aussi le soutien psychologique ; manipuler une arme avec un psyché instable n'était pas vraiment recommandé, ce qui lui donnait aussi le rôle de surveillant. Il était certain que Neah aurait préféré avoir ce statut auprès de la jeune femme, mais qu'il voulait éviter les confusions sur un éventuel favoritisme s'il advenait qu'elle rejoigne l'Armée à l'avenir. Il était loin de faire de la propagande comme les autres Extrémistes de son acabit et des discours violents que l'on pouvait parfois entendre, mais cette idée devait certainement lui être passée par la tête. Le fait qu'il ne se serve pas des craintes et de l'envie de vengeance des survivants montraient son respect quant à leur volonté de vivre en paix. Si la demoiselle en éprouvait l'un ou l'autre, voire les deux ensemble, elle serait capable de prendre ses propres décisions. Qui plus est ... il avait surpris tout le monde en usant de son statut de Prophète à l'encontre des races qu'ils méprisaient. Est-ce que la Marquise Leenhardt changeait ce coeur immuable en quelque chose de plus tendre ? Certainement. Marquant un arrêt, Élosis clignaient des yeux. Elles étaient présentes. Lui-même était à l'avance. Se croyait-elle à un entretien d'embauche ? Cela devait toutefois être assez déroutant lorsqu'on n'y était pas habitué. Son interlocutrice avait l'air toute fluette et ... terriblement mal à l'aise. Était-il aussi impressionnant, même au regard d'une petite fille ?
— Tout le plaisir est pour moi, Mademoiselle Sulys. Permettez-moi de me présenter ... Je suis Élosis Feylis. Je tiens un poste d'enseignant à Haute-Terre depuis mon départ de la Nith-Haiah. Vous pouvez m'appeler Élosis, si vous le souhaitez.
Ce serait mieux pour échanger, surtout qu'elle pouvait choisir d'arrêter à tout moment.
— Le Capitaine Katzuta m'a demandé de vous enseigner les bases de la défense.
Il voulait éviter d'utiliser un langage trop direct en parlant de combat ou de maniement des armes, de crainte que la Magicienne ne décide de la prendre par le bras pour s'enfuir avec elle. Pour certain, le retour à la réalité pouvait être trop rapide ... C'était dommage d'ailleurs que ce ne soit pas une nouveauté dans leur régime. Pour lui, il était évident que l'obligation militaire des Humains relevait de l'évidence. Les Anges auraient certainement dû changer leur politique sur ce point. Peut-être que si les civils avaient été en mesure de prendre les armes, il y aurait eu moins de disparus au cours du Génocide.
— Je vous remercie d'être venues jusqu'ici. J'avais prévu de me déplacer jusqu'à Vervallé pour nous rencontrer, mais ... mes charges me retenaient ici.
Les enfants, plus précisément. Il n'aurait jamais cru autant s'attacher à ce rôle et à cet endroit dont il s'était servi comme pansement à ses propres blessures.
— Et les Humains des environs ont des aires d'entraînement accessibles à tous, il sera ainsi bien plus simple d'avoir accès à des instruments en bois.
Il l'avait précisé le matériau pour éviter des mouvements de panique internes entre les deux femmes.
— Mais nous n'en sommes pas là ! sourit-il chaleureusement. Nous allons simplement y faire un tour pour que vous voyiez à quoi cela ressemble et nous discuterons de votre entraînement, ainsi que des objectifs que vous voulez atteindre. Cela vous convient-il ?
Son esprit était de retour à l’état d’être docile et timide sur lequel elle travaillait depuis des mois pour le faire disparaître. Sa force de caractère s’était effrité comme du sable sec. Elle était de retour au stade d’enfant. Comment tous ses efforts avaient-ils pu être balayés d’un seul revers de manche comme si elle n’avait jamais fait tous ces exercices mentaux ? Helsinki scrutait l’homme avec une expression proche de l’effarement. Elle avait honte d’avoir un tel comportement devant un collègue de monsieur Katzuta.
-Enchantée. Répondit d’abord la Magicienne. Helsinki tressaillit et l’imita dans un souffle. Je suis Méryl Sulys, la tutrice d’Helsinki.
Elle serra le bras de sa fille adoptive. Cette dernière y prêta à peine attention. Elle n’était concentrée que sur le nouvel individu qui était en train d’entrer dans sa vie et qui allait mettre à mal tout ce qui constituait actuellement sa zone de confort. Elle acquiesça. Les bases de la défense. C’était une étrange façon de le dire. Elle n’avait jamais songé à le formuler ainsi. Pourtant, c’était précisément pour cette raison qu’elle était ici : apprendre à se défendre, corps et âme.
-Oh, ça ne fait rien. Poursuivit la Magicienne en réponse aux excuses d’Élosis. Venir ici nous permet de voir du pays, c’est bien. Nous n’avons pas l’occasion de quitter les Jardins très souvent.
Elle offrit un grand sourire au blond. Elle était certainement ravie d’enfin pouvoir mettre un visage sur un nom. Par ailleurs, l’Ange savait comment formuler ses phrases de façon à la rassurer. C’était moins effrayant que lorsqu’Helsinki avait voulu la raisonner.
-C’est très bien, allons-y !
Le stress avait rendu la principale concernée aussi docile qu’une poupée de chiffon. Elle laissait les adultes parler. Le petit groupe se mit en route.
-Vivez-vous ici ? C’est un charmant endroit, vous en avez de la chance.
Depuis leur arrivée, la Magicienne complimentait cet endroit avec une envie débordante. Helsinki se demandait ce qui l’avait retenue de vivre ici plutôt qu’aux Jardins de Jhen. Méryl avait dit plus tôt avoir de la famille ici. Si tous les Sulys étaient aussi gentils que ceux que l’Ange connaissait, elle aurait pu s’en sortir aisément.
-Vous nous avez dit que vous étiez enseignant. Est-ce que vous travaillez dans une école, ou bien enseignez-vous à votre propre compte ? Demanda Méryl.
Helsinki s’attardait sur les maisons, les arbres, les champs à l’horizon, puis revenait à l’observation de son futur mentor. Parfois, elle dérivait sur le sol ou sur leurs pieds. Elle était tétanisée. Elle se sentait ridicule, mais ne parvenait pas à sortir de son état. Comme si on l’avait subitement privée de la parole et de son courage. Comme avant. Il ne lui restait qu’un peu de forces, ses lèvres scellées et sa gorge nouée. C’était horrible.
-Oh, au fait ! S’exclama soudain la Mage Bleue. J’allais oublier, mais nous vous avions préparé quelques petites choses en remerciement.
Elle s’arrêta quelques secondes pour ouvrir le sac qu’elle avait emporté avant de partir. Elle brandit plusieurs pots en verre. Helsinki cligna des yeux. Elle n’avait jamais été au courant de ce cadeau.
-Ce sont des confitures avec les framboises du jardin. Je suis navrée, ce n’est pas grand-chose. J’ai également de quoi vous rémunérer de manière plus conventionnelle, mais…
La main serrée sur son poignet la força à s’arrêter. Méryl leva les yeux vers Helsinki. Celle-ci paraissait presqu’aussi étonnée qu’elle. Soudain, l’air horrifié, la lâcha.
-Pardon.
Elle sentit son rythme cardiaque monter à un rythme phénoménal et le rouge lui monter aux joues. Le geste lui était venu tout seul en formulant une pensée. Elle se mordit l’intérieur des joues, inspira, et préféra oublier ce moment d’égarement. Elle s’adressa à Élosis :
-Je paierai.
Elle avait emporté un sac elle aussi. Il contenait entre autres, quelques vêtements, au cas où elles décideraient de s’absenter plus longtemps que prévu de la maison.
-Helsinki, ce n’est…
-Je paierai. La coupa-t-elle. J’ai travaillé pour ça.
Elle n’avait presque rien dépensé de l’argent qu’elle avait gagné en étant fleuriste, puis bibliothécaire. Cela ne lui avait servi qu’à aider Méryl à payer les courses et une seule fois à s’acheter une jolie robe, qu’elle avait revendu depuis.
-C’est… Le nœud dans sa gorge était revenu. C’est l’occasion pour moi d’être indépendante, et… que j’arrive à me gérer toute seule et que tu n’aies plus à t’inquiéter pour moi.
-Oh, Helsinki…
Méryl avait déjà trop fait pour elle et il était temps de lui laisser du répit. Il était temps de la remercier comme il se devait et de prendre doucement son envol. Il était temps de s’éloigner un peu pour ne pas préoccuper plus que nécessaire. Il était temps de prendre des décisions seules sans attendre son aval.
-Si c’est ce que tu veux, soit. Mais permets-moi au moins pour cette première rencontre…
Elle tendit les bras et insista pour qu’il prit les pots de confiture.
-Ca me ferait vraiment plaisir. Maintenant, montrez-nous donc ces aires d'entraînement et tout ce que vous utilisez.
En scrutant Helsinki du regard, Élosis comprenait aisément ce qu'avait voulu dire son ancien Capitaine. On ressentait son asthénie, celle que l'on voyait sur des individus ayant souffert d'années de captivité, de ceux qui avaient dû s'effacer eux-mêmes pour ne pas subir les brimades démoniaques. Et les Aetheri savaient ô combien ils étaient imaginatifs dans la souffrance d'autrui. Ce constat l'enrageait intérieurement. Il s'était engagé pour cela et, si la Nith-Haiah n'avait su protéger ce qu'il avait de précieux, le Devoir demeurait dans son Coeur.
— Je comprends, soutenait Élosis. Il y a eu énormément de bouleversements ces derniers temps. Ce n'est pas aisé de s'adapter et de tout retenir.
Comme si le monde redevenait ce qu'il était avant la Guerre des Dieux. Qui sait si rien ne se préparait dans les Ténèbres ? Qui pouvait être certain que rien ne troublerait le repos de la Paix ? Absolument personne.
— Je résidais aux Jardins de Jhēn. J'ai commencé à travailler à Haute-Terre et un déménagement m'a paru plus approprié, c'est plus proche de mon travail et cela permet aux habitants de s'habituer à ma présence.
Il n'avait pas fait ce choix à une époque stable entre les Humains et les Anges. On pouvait même dire que c'était risqué. Haute-Terre et les Jardins étaient sous tension et les Enfants de Sympan se détournaient de plus en plus de leur allié le plus ancien. Seuls les Gardiens parvenaient à maintenir un semblant de cohésion. Il avait fallu que les Écuyers de l'Aurore se manifestent pour que tous soient témoins de leur Amour et de leur sincérité de vie commune. La Marquise avait une aura si électrisante que cela avait ébranlé le vice qu'était la Colère et qui gangrénait les esprits de ceux trop longtemps opprimés pour ce qu'ils étaient. A partir de là, tout avait commencé à changer, petit à petit. L'on parlait à nouveau de concevoir des Liens, devenus rares depuis la Guerre et ébranlé par l'Injustice constante des uns et des autres. Ils devaient se réapprivoiser, ensemble, comme tous les Anges brisés devaient se réapproprier leur esprit et leur corps. Réapprivoiser la Liberté.
— J'enseigne à mon propre compte dans une école.
Pour Frida, il avait voulu maintenir son chemin. Enseigner aux Humains l'ouverture d'esprit et leur transmettre ce que les Anges savaient faire de mieux. Le Naciaze, les techniques de combat, les moeurs, éloignés les Vices du cœur de ses jeunes étudiants pour qu'ils grandissent au mieux ... En retour, Élosis avait appris dans le sens inverse. Ça aussi, il devrait l'apprendre aux siens, un jour. Les deux dames semblaient très ouvertes sur la question. Il comprenait la raison. Haute-Terre avait toujours été un endroit plaisant, mais la Souveraine Varey l'avait transfiguré pour en faire une véritable zone d'agriculture où le commerce devenait la force du territoire.
— Il ne fallait pas, Madame ...
Mais il acceptait tout de même. Il avait beau défendre certaines valeurs, on ne résistait pas à l'appel d'une bonne alimentation.
— Je goûterai ces confitures avec plaisir, reprit-il sur un ton plus léger.
Avec du pain d'épice en accompagnement, ce devait être une tuerie. La réaction d'Helsinki le surprit, elle qui n'avait rien dit depuis leur départ. L'ancien Soldat eu envie de répondre qu'il n'y avait nul besoin de le rémunérer. Il rendait service au Capitaine Katzuta, lui devant énormément de son investissement après la perte de sa Protégée. Lui enseigner les bases était peu de choses à côté, mais il n'avait pas le courage de le lui dire en rendant son intervention inutile. C'était délicat de sortir de sa coquille pour qu'on vous y renferme l'instant d'après.
— Très bien. Nous verrons cela plus tard, lorsque vous serez décidée si je vous conviens ou non. Je vais déjà vous présenter les choses.
Si son enseignement lui plaisait, Helsinki risquait d'avoir des dépenses annexes pour l'achat de matériel. Ils pourraient rediscuter des dépenses plus posément, sans la mettre dans l'embarras jusqu'au cou. C'était un moyen de la mettre en confiance et de lui faire comprendre qu'il croyait en elle. Puis, il les guidait un peu vers l'endroit le plus important qu'elles étaient venues voir. Il y avait quelques personnes qui s'entraînaient au tir à l'arc et deux ou trois autres qui se battaient avec des épées émoussées.
— Cette aire d'entraînement a subi des travaux récents et a été améliorée avec le retour de nombreux de nos compatriotes de la Terre Blanche. Certains anciens soldats qui étaient retenus prisonniers y viennent récupérer des forces avant de retenter d'intégrer la Nith-Haiah. Vous allez avoir de nombreux conseils.
Il valait mieux se montrer optimiste et prouver que d'autres solutions existaient.
— Les Anges ont aussi leurs aires, mais les Instructeurs refusent de les laisser pratiquer puisqu'ils sont toujours considérés comme étant en soins. Les Humains sont moins regardant dans la mesure où ils pensent que cela fait partie du processus, lorsque tout est bien encadré par les médecins.
Ainsi, c’était cela un échauffement… Ainsi, cela n’était que l’échauffement. Helsinki expira une large tempête de sa cage thoracique, mais s’imposa un effort maximal pour ne pas faire autant de bruit qu’elle l’aurait fait si elle avait été seule. Elle ré-inspira presque dans la panique en réalisant trop tard qu’elle manquait d’air. Son cœur battait trop fort. Quand elle s’était arrêtée, elle avait cru qu’il allait exploser et maintenant, elle l’alimentait tant bien que mal pour lui faire retrouver son calme. D’un regard en coin, elle épia les combattants qui s’entrainaient plus loin, sur l’aire en terre battue prévue à cet effet. Ces derniers étaient occupés à placer leurs coups, tenir les bonnes postures et effectuer les bons gestes, à surveiller la garde de leurs adversaires. Qu’aucun d’entre eux n’eut posé son attention sur elle était très bien comme ça, parce qu’elle-même était embarrassée par son état. De toute son existence, l’Ange ne se souvenait pas avoir déjà fourni un effort aussi intense. Ce n’était pourtant pas beaucoup, elle en avait conscience. Ces quelques tours de terrain au pas de course n’étaient qu’un grain de sable dans le désert de l’effort physique. Toutefois, pas une seule fois auparavant il ne lui était venu à l’esprit de sortir de chez elle pour pratiquer du sport. Elle n’en avait pas vraiment vu l’intérêt jusqu’ici. Méryl ne l’avait pas non plus poussée dans ce sens. Leur quotidien à toutes les deux était davantage rythmé par les tâches du quotidien, le travail et quelques loisirs principalement intellectuels. Au mieux, l’Ange se promenait parfois, et encore : l’extérieur n’était pas son fort. En bref, courir quelques foulées était déjà en soi un exercice significatif. La chaleur avait irradié son corps dès les premières minutes, si bien que ses joues en étaient devenues rouges et brûlantes. Avec sa peau pâle, l’effet était encore pire. Ensuite était venue la transpiration, cette moiteur qu’elle ne connaissait qu’en saison chaude et qu’elle détestait franchement. Sa salive s’était faite plus épaisse au fur et à mesure de sa course, l’empêchant de respirer convenablement et elle avait la secrète envie de cracher par terre. Elle se retenait, tout comme elle retenait ce râle au fond de sa cage thoracique et qu’elle se taisait sur sa douleur qui enflammait ses trachées comme si sa bouche allait bientôt être inondée de sang.
Après des années de maltraitance, Helsinki était habituée à la douleur. La Terre Blanche lui en avait fait baver de toutes les façons possibles. Du moins, c’était ce qu’elle avait cru jusqu’ici. Le sport était un nouveau mal qu’elle n’avait pas eu l’occasion d’expérimenter. Il lui était inconnu au point d’ignorer si elle le haïssait ou si elle pouvait le tolérer. Tout se passait à l’intérieur. D’habitude, ça n’était pas le cas.
Helsinki jeta un coup d'œil à Élosis. Une part d’elle avait envie d’arrêter l'entraînement là pour aujourd’hui. L’autre lui intimait de ne pas être aussi ridicule. Elle devait le faire, oublier ses jambes endolories et continuer, comme n’importe quel autre élève, car elle n’était pas différente. Elle ne voulait pas un traitement de faveur – le fait que Neah l’eût orientée vers ce professeur particulier était déjà un honneur de trop. Cela ne ferait que l’embarrasser davantage sur le fait qu’elle était faible. Elle avait déjà suffisamment peu d’estime en ses capacités comme ça, et la peur d’en baver plus qu’elle ne le pouvait la prenait déjà à la gorge. Il devait désespérer à l’idée de devoir s’occuper d’une brindille comme elle.
-Désolée. Je pars complètement de zéro, alors… Elle essuya son front d’un revers de main. C’est difficile.
A cet instant précis, elle détestait son propre corps. Elle ne l’avait jamais vraiment considéré autrement que comme un outil, mais aujourd’hui, elle déplorait sa fragilité. Cette même gêne la poussait à tourner le dos à Méryl. Cette dernière s’était installée en retrait et observait, comme une mère accompagnant son enfant à sa première séance. C’était précisément la nature de la situation, il fallait dire. Helsinki n’était pas très à l’aise avec cela, comme toutes ces fois où la Magicienne la regardait évoluer en-dehors des routines qu’elles avaient instaurées ensemble. Elle ne comprenait pas très bien ce comportement elle-même. Souvent, elle s’en voulait de se montrer aussi secrète, mais lui révéler tout ce qu’elle faisait, tout ce qu’elle pensait, lui était une idée trop effrayante et qui changerait assurément la vision que la mère de famille avait d’elle. Lui avoir déjà parlé de sa volonté de s’entraîner était déjà un exploit en soi.
Quand l’Ange eut repris son souffle, elle se redressa tout à fait. Tournée vers son mentor, elle l’interrogea du regard sur le prochain exercice.
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Lorsque son ancien Capitaine lui avait proposé de donner des cours à une Ange inexpérimenté, mais désireuse de connaître un moyen de se protéger, Élosis était resté coi. Cette demande avait de quoi le surprendre, dans la mesure où il avait démissionné de la Nith-Haiah. Il avait abandonné son poste, ses frères d'armes et son Devoir de défendre la Nation. Oh, non. Personne ne le pensait ainsi et ... Neah le réprimanderait certainement s'il entendait ses pensées, c'était pourtant ce qu'il ressentait ; il avait fui. Il avait tout laissé derrière lui, tant la perte de Frida lui avait paru insurmontable. En vérité, ça l'était toujours, mais son poste d'enseignant auprès des enfants calmait sa douleur plus que la sévérité des entraînements, puisque c'était sa manière à lui de gérer un deuil dont son esprit ne parvenait pas à se remettre. C'était la raison pour laquelle le Capitaine Katzuta prenait des nouvelles de son ancien subordonné, au-delà de son travail, c'était son empathie et sa compréhension de la Brisure qui avait fait évoluer leur relation. Élosis eu un léger soupir. Lui qui le respectait tant autrefois n'aurait jamais cru pouvoir le voir comme un ami ; sous cette armure implacable se trouvait un homme chaleureux et à l'écoute. Un homme qui ne l'avait pas abandonné à son chagrin et avait veillé sur lui après qu'il eut rendu sa veste. Neah savait ce qu'était la souffrance de voir son Lien dans un état de délabrement, mais malgré ses espoirs à ce que jamais il ne goûte à une Brisure, Élosis savait. Comme il avait perdu Frida, Mancinia finirait par s'éteindre. À ce moment-là ... il devait être présent pour Neah comme il l'avait été pour lui. Si, toutefois, la Brisure ne le tuait pas de chagrin. Ça arrivait et, vu la relation des Écuyers de l'Aurore, si l'Anjonù y survivait, ce serait, sans doute, quelque chose d'appréciable.![[Quête] L'entrainement Chriss10](https://i.servimg.com/u/f83/11/47/94/71/chriss10.jpg)
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