Pourquoi les cieux furent-ils voués à nous tomber sur la tête ?

En fixant les Étoiles, Páredros se questionnait sur le sens de cette valse astrale. Ces entités cosmiques chantaient, dansaient et narguaient sans cesse, eux, les êtres voués à demeurer pieds sur terre. En bas. Né à Lua Eyael, Il entretenait à l'instar de n'importe quel Rehla une fascination sans précédent pour elles, un sens d'ambition et de justice tracé par leurs poussières chatoyantes, un chœur encore trop nébuleux pour être compris mais suivi à la lettre. Le jeune homme rentrait simplement dans le moule, fervent et prometteur, puisqu'il n'avait pas le choix ; cette notion n'existait pas et il l'avait aussi bien assimilé que ses frères et sœurs. Il s'y complaisait et désirait rendre fiers ces êtres de lumière absolue pour perpétuer le règne de la Lune.

Alors pourquoi, debout sur ces braises et ces cendres, il entrevoyait un chemin qui n'était pas le sien ? Pourquoi la notion de "choix" lui apparaissait soudainement ? C'était insensé, contraire aux principes et raisons mêmes de leur existence et du bien-fondé de leur dévotion. Pourtant, quel qu'en fut le but, le jeune Ludari ne pouvait pardonner un Météore de lui avoir arracher ce qui le retenait ici-bas : sa famille, ses amitiés, son mentorat, son premier éros aussi, annihilés d'un souffle par une puissance inimaginable pour eux. Toutes ces douces chaînes se brisèrent et ne lui laissèrent qu'une unique opportunité : en enrouler une nouvelle autour de sa cheville pour continuer de vivre, sans pour autant restreindre cette rage flamboyante qui animait son regard fol. Il ne leva plus les yeux au ciel par devoir, préférant dès lors s'éloigner de cette musicalité dont il ne nourrissait plus aucune affinité. Il préférait geler ses tympans plutôt que de subir encore et encore ce chant macabre dont l'étendue stellaire semblait se complaire. Páredros n'avait de Rehla plus que le sang, une étiquette qu'il masqua sous les apparats d'Alfar le temps d'accomplir son délit ; après tout, cloisonnés autant, personne ne savait ce qu'était un Alfar et personne n'osera le contredire. Une identité, un alibi, tous les ingrédients se réunissaient pour mettre en place la plus grande des mascarades, la plus formidable implosion de leur galaxie. Une vengeance ? Cette idée restait trop abstraite : ce qui lui comptait à cœur avant tout, c'était d'offrir une démonstration de taille.

Le Destin ne le laisserait sûrement pas devenir un fléau des Astres. Dans ce cas, il invoquera lui-même cette mâchoire capable de les dévorer jusqu'au dernier. Ceci était la promesse de cet adepte de la Secte.

Raguä'Shiriki'Om fut exécuté par pendaison. Son cadavre est resté à la merci des éventuels rapaces et charognards des environs ; guère longtemps avant que Mo'Kamama'Udo ramena son corps encore chaud au bercail. Rigor mortis est un phénomène que ses pairs connaissent à la perfection. La rigidité cadavérique du défunt débutera trois heures après son trépas et évoluera vers une forme complète six heures plus tard, enfin cette persistance s'éternisera durant trois jours jusqu'au premier stade de décomposition. Puisque le nœud de la corde fit pression contre le cervelet de Raguä'Shiriki'Om, une érection priapique post-mortem perdurera suffisamment longtemps pour que sa semence survive plusieurs jours dans son corps. Tous ces phénomènes se chevauchant permirent à la Chamane d'exécuter son rituel. C'est de cette manière qu'est née Zi'Utixhax'Ir au sein de la tribu Alsea.

Unique engeance du condamné, la fillette ne possède que trop peu de souvenirs d'Awaku No Hi, puisque sa tribu de naissance renoua avec son mode de vie nomade dès la réouverture des frontières. Les Chamans voués à voyager et à s'intégrer au sein des peuples – tels des parasites avides de savoirs – se multiplièrent en dehors des maigres territoires que les Ætheri leur accordèrent. Sur les traces de sa mère, la petite s'imprégna des coutumes mortuaires d'Alsea, tout en jouant en forêt avec des enfants aux oreilles taillées comme des lames, en ville avec des gens aux costumes extravagants, ou encore en terres beaucoup plus sauvages avec des espèces d'animaux mi-hommes. Partout où ils allaient, elle se faisait appeler Vega, puisqu'une Chamane entretenait tous les secrets.

Assoiffée d'aventures comme tout adolescente de son âge, la fille née d'entre les morts choisit de se détacher d'Alsea pour s'intégrer pleinement dans la tribu Souw. La transition se fit sur les terres d'Orahza, là où une partie de son peuple s'était attachée au culte tabou et destructeur. Cette voie-ci engendra les prémices de sa tragédie, puisqu'en choisissant de rendre justice aux défunts, ce sont ces derniers qui l'utilisèrent comme outil de leurs sentences. Qui de mieux qu'une descente d'un pendu pour incarner leur ultime souhait ? Zi'Utixhax'Ir s'accommoda de ces singuliers Esprits dont elle ignorait l'existence et se promit de catalyser leurs méfaits, afin d'épargner les siens de ce fardeau et espérer – en vain ? – purifier ces âmes gorgées d'un trop plein de regrets. Si jeune encore, ses mains pataugeaient constamment dans le sang et elle préférait les utiliser pour se soustraire à leur macabre vision. Avec elle et d'autres martyrs était né Ihagye, les Souw qui choisirent le sacrifice éternel.