RP précédent : Juste un petit peu d’amour rien que pour moi.


« Attendez, j’ai oub- » L’adolescent de l’AAAP était déjà partie. Hélène se mordilla la lèvre inférieure. Tant pis. Avec de la chance, Adriæn avait pensé à récupérer la boîte, et surtout, les boucles d’oreilles qui reposaient à l’intérieur. Elles n’étaient pas vraiment originales ou luxueuses, mais la valeur affective qu’elle leur accordait surpassait toute la valeur pécuniaire ou artistique qu’elles auraient pu avoir. Il s’agissait des premières boucles d’oreilles qu’elle avait eues, des premières que son père lui avait offertes. Elle se souvenait encore du jour où ils s’étaient rendus dans la boutique du perceur-bijoutier. Kaahl avait dû la porter pour qu’elle pût voir les différentes œuvres de l’artiste et en choisir une. Ils avaient choisi celle-là ensemble. Le vendeur lui avait expliqué que les perles venaient de l’océan. Presque ironique, donc, de les avoir oubliées entre les mains d’un Ondin. L’Humaine soupira doucement, les bras croisés et la tête légèrement inclinée vers l’arrière, avant de se redresser et de poser ses deux mains sur la table. Sous ses doigts, elle sentait le tissu de la nappe – elle était bleu pâle. Une odeur de fleurs parfumait l’air – c’était logique, puisqu’en pénétrant entre les rideaux, elle avait pu voir qu’un bouquet trônait au milieu de la table. Autour d’elle, des conversations prononcées à voix basse papillonnaient. Elle avait traversé une bonne partie de la salle pour se rendre jusqu’à cette table-ci, sur les talons du membre du comité d’organisation du speed-dating. Une fois qu’elle avait été assise, il avait sorti un masque noir de sa poche et lui avait expliqué que cette fois, elle aurait les yeux bandés. L’adolescente n’avait pas bronché, intriguée par cette méthode. Elle imaginait que le but était de faire abstraction du physique de son futur – ou sa future – partenaire, pour ne se concentrer que sur ce qu’elle pourrait en percevoir : la voix, l’odeur peut-être, l’attitude, sommairement, et une partie de l’intellect. L’expérience serait sans doute amusante.

Quand elle entendit un nouveau froissement de rideaux, elle tourna la tête dans cette direction. Derrière l’écran noir, ses yeux s’affolaient, comme si scruter les ténèbres pouvait finir par attirer la lumière. La vue était un sens sur lequel on se reposait énormément – trop, peut-être. Elle inspira, et attendit que son éventuel partenaire se manifestât. Dès qu’il la salua, elle fit de même : « Bonjour. » Le bruit de ses pas et le chuchotis du tissu de ses vêtements s’approchèrent d’elle. La chaise racla le sol. Le cœur d’Hélène battit un peu plus fort, impatient. Elle avait hâte de découvrir ce « sujet test numéro deux » qu’elle ne pouvait voir. « Je m’appelle Hélène Paiberym. » commença-t-elle. « Je suis Humaine. » Elle aimait bien annoncer la couleur dès le départ : souvent, les réactions des êtres magiques s’avéraient intéressantes à observer. Pourrait-elle deviner ce qu’il en pensait au simple son de sa voix, à la longueur de son silence avant qu’il ne prît la parole, ou demeurerait-il muet ? « Et toi ? » Ses doigts tapotèrent la table, à mi-chemin entre la nervosité et l’excitation.

Dans une inspiration, Hélène s’humecta les lèvres avant de se les mordre. Elle avait l’habitude de ces questionnements. Déjà, lorsqu’elle vivait à Vervallée, ils avaient été courants, plus par ignorance qu’autre chose, malgré le retentissement mondial qu’avait eu l’apparition inopinée de tous ces bébés ailés. À Basphel, les remarques abondaient tout autant. Parfois, des étudiants faisaient exprès d’appuyer sur cette différence-là. Lorsqu’elle en parlait à son père, il lui disait que ces ailes n’avaient rien d’un défaut et qu’elles feraient sa force. On lui disait qu’elles étaient le cadeau d’un Æther et que rien que pour cela, elles avaient quelque chose de sacré. Mais parfois, ça lui pesait. Elle eut presque envie de retirer son bandeau pour planter son regard dans celui de son vis-à-vis, mais ne le fit pas. La meilleure réponse consistait sans doute en une approche pédagogique. Elle s’apprêtait à rétorquer, quand la modulation nouvelle de l’intonation de son partenaire la retint. Son phrasé soudain trébuchant semblait indiquer une forme de gêne. La blonde esquissa un vague sourire qui se voulait rassurant. « Je ne suis pas une Ange, mais bien une Humaine. Une Humaine avec des ailes. On est plusieurs à être nés comme ainsi, il y a quelques années. » Elle n’aimait pas préciser qu’elle était l’œuvre d’un Æther, une « enfant de Väaramar ». Cela suscitait souvent un intérêt particulier – positif ou négatif – auquel elle n’aimait pas devoir faire face. « Oui, j’ai deviné à ton prénom. Enfin, j’aurais pu me tromper, mais vu la consonance… » Elle croisa ses poignets sur la table, droite. Cette expérience à l’aveugle était troublante. Elle n’avait plus que son ouïe pour capter les attitudes de son interlocuteur. Cet état de fait l’empêchait de mener son expérience de façon exhaustive. À l’avenir, il faudrait qu’elle retrouve ce fameux Taj pour mieux l’étudier. « Tu as rempli ton questionnaire en indiquant que tu ne voulais rencontrer que des Humaines, peut-être ? » Elle avait inscrit qu’elle était ouverte à toutes les races. En général, c’était plutôt les autres qui se trouvaient dérangés par sa présence. « Mélissandre ? On s’est déjà croisées, il me semble, mais jamais parlé. C’était ton rendez-vous précédent ? » Elle frotta brièvement la tranche de son index sur le bout de son nez. Elle ressentait une forme de tension. Était-ce son imagination ou ses sens opérants avaient-ils raison ? Ce rendez-vous lui semblait se dérouler avec bien moins de fluidité que le précédent. « Si ma sœur, Asîlah, était restée à Basphel, tu aurais pu la croiser aujourd’hui, peut-être. Elle suit une formation de danseuse. » Elle s’interrompit. « Est-ce que tu as des frères et sœurs ? »