Immobile, au centre de la salle, je détaillai chaque élément qui la composait. Elle avait été entièrement remaniée par les organisateurs pour l'événement. « Des putain de bobos comme cette école sait en faire. ». Peut-être. Possible. Ça ne m'intéressait pas vraiment. À présent je cherchai Maya, balayant les lieux du regard à la recherche de ma jumelle. C'était elle qui m'avait convaincue de m'inscrire, même si ça n'avait pas tant été grâce à ses arguments que pour qu'elle nous laisse tranquilles. « Tu crois pas qu'on serait mieux sans elle ? » - « Quoi ? » - « On se débarrasse de la "jumelle". » - « Et on redevient enfant unique. » - « Ho ! Tu m'entends ? ». Je papillonnai des yeux en captant cette nouvelle voix. Elle ne venait pas de nous celle-ci. « Oui je... ». Je me pinçai les lèvres. C'était flagrant que c'était un mensonge. « Non. J'étais distraite. Pardon. » - « Tssss. » - « Depuis quand tu fais la lavette comme ça ? »- « C'est lui la connasse qui nous emmerde pendant qu'on parle. » - « Ce n'est rien, tu n'es pas la seule. Je te demandais si c'était bien toi, Melissandre Sibola... Jemu ?  » - « Gemû. » la corrigeai-je, confirmant par la même mon identité. « Gemû, désolée. Suis-moi. ». J'obéis docilement, ignorant les protestations et grommèlement de Bertrand et Sélène. Et des autres. Ceux qui avaient accompagné Tobias. Mais eux étaient surtout des murmures. Ils étaient moins... Intrusifs. « Tiens, installe-toi ici. Je vais chercher ton premier partenaire. ». Bien que l'étudiante tenta de se contenir, il était facile de voir et d'entendre l'excitation dans sa voix sur ces derniers mots.

Nous n'attendîmes que peu de temps avant qu'un garçon ne nous rejoigne. « Tu parles d'un partenaire. » - « Il a encore une gueule de bébé. ». Le mépris de Bertrand et Sélène s'envola vite pourtant. Moi-même je retins difficilement un sourire. Cela me paraissait déjà une éternité la dernière fois que ces variations de tons comme cet accent nous était parvenu, tout comme l'hésitation d'une langue parlée qui n'était pas la sienne. « Toi aussi tu es Humain ! » fis-je en Alikir, trop heureuse de pouvoir échanger dans ma langue natale. « Moi c'est Melissandre. Tu viens d'où ? Attends,  je devine. Pas Grimvarr, ni Muharkel, ça c'est certain. Peut-être Haute-Terre, vu qu'ils sont plus ouverts que les autres territoires. Quoique, c'est plutôt l'accent du Désert que t'as. Est-ce que– ». Je me tus enfin, prenant conscience sous une réflexion de Sélène que j'étais en train de monopoliser la conversation. « Elle en pince pour le bébé finalement. » - « Je–! » m'apprêtai-je à protester avant de me rappeler de mon vis-à-vis. « Pardon. On n'est pas beaucoup d'Humains ici. Et certains ne parlent même pas l'Alikir, même si c'est surtout le cas des Enfants des Cieux qui n'auraient pas été élevés parmi nous. ». Ce qui était dommage selon moi.

Pour la première fois depuis longtemps je sentis une vague de chaleur me submerger. Comme celle qui réchauffe la peau à Utopia lors des vents du nord, ceux qui portent la chaleur du Désert sur la ville. « Moi aussi ! » répondis-je, peut-être trop fort, emportée par l'enthousiasme. « T'es sûre de ta réponse ? ». Je ne comprenais pas. « Peut-être il voulait savoir à quel Royaume tu appartiens, qu'il se fout d'où t'es née. ». En effet. C'était une possibilité. « Enfin, j'y suis née, mais ces dernières années ce sont des gens de Babelsba qui se sont occupés de moi. ». Ce qui ne changeait en rien que j'étais ravie de faire face à un pair. Peut-être même étions-nous voisins ! « Mmh mmh. Mais pas beaucoup. Il y a ma sœur déjà, pour commencer. Normalement elle est ici aussi, même si je l'ai pas vu. » - « Tu parles, elle t'a roulé, oui. » - « C'est même sûr ça. » - « Elle t'as fait croire qu'elle participerait à ce truc juste pour te forcer à t'y pointer. » - « Oui, ce serait bien. La cohésion est moins forte quand la culture n'est pas partagée... » ignorai-je mes voix en répondant à Taj, quoique ma concentration commençait à me faire défaut. « Avec de la chance ils auront pris l'Alikir comme apprentissage en langue secondaire. ». Je l'espérais réellement, même si au fond je n'y croyais pas beaucoup. « D'où ça le regarde notre vie ? » - « Oh, on peut le pardonner pour cette fois. Il est comme nous. ». J'étais d'accord avec Bertrand. Il serait dommage de se méfier d'un égal dès la première rencontre. Quand bien même la question pouvait se montrer difficile. « En fait... C'était le souhait de papa. Il n'avait pas eu l'occasion de pousser réellement ses études, et il ne voulait pas que je subisse ça aussi. Maman dit que c'est son grand regret, de ne pas avoir pu plus s'instruire, et que c'était pour ça qu'il avait choisi de commercer directement au contact des autres. Elle dit également qu'il y trouvait du positif quand même, dans le fait qu'il pouvait s'émerveiller de ce qui pouvait être un rien aux yeux d'autres. ». Il me manquait. Et pourtant je n'étais pas sûre de me rappeler exactement de son visage. Même sa voix commençait à disparaitre, mon attachement avec. On ne s'attachait pas aux inconnus, surtout quand la seule information que nous avions été son identité. Il devenait un fantôme dans ma mémoire. J'en étais triste. « On s'habitue à la vie en communauté ici, même si ce n'est pas tous les jours très simples. Et puis– ». Je fus interrompue par le rideau censé nous isoler soudainement s'écarter. « Qu'est-ce qu'il veut celui-là, il voit pas qu'on est en plein milieu d'une discussion. ». Je fronçai les sourcils, tout aussi agacée. « C'est terminé ! J'espère que ça s'est bien passé ! Viens, je vais t'emmener à ton prochain binôme. » fit l'intrus, trop enjoué, à mon intention. « Quelqu'un va venir s'occuper de toi. » ajouta-t-il en se tournant vers Taj avant m'emporter de force loin du garçon. Je lui jetai un ultime regard, accompagné d'un sourire. Maya avait eu raison. C'était une bonne chose que d'être venue. J'étais contente maintenant.