Celui qui ne devrait pas être là
Moon & Persée

☙ Oiseau de nuit - Transcendence

D'un ton guindé, l'adolescent me désigna d'un ample mouvement du bras la chaise qui m'attendait dans l'espace confiné dans un carré de rideaux. « Installe-toi. » Je pris place, satisfait d'être arrivé le premier pour me donner le temps de me préparer psychologiquement. L'exercice était nouveau et exaltant. À tout moment, au moindre relâchement de ma magie, je risquais de lever des suspicions à mon encontre mais j'étais si curieux d'en apprendre davantage sur les élèves de l'école et de mesurer l'étendue de mes capacités que lorsque j'avais entendu parler de l'évènement, je n'avais pas su y résister. « On t'amène ta partenaire dans pas longtemps. » « Merci. » Il me jeta un drôle de regard et le doute m'envahit. Avais-je déjà fauté ? Étais-je trop poli pour un Sorcier ? Celui que j'incarnais aurait-il remercié un inconnu pour si peu ? Ma connaissance de Léonidas n'était pas parfaite, mais je n'avais rien oublié du peu que j'en avais vu les fois où je l'avais observé. Ma magie avait préservé certaines expressions, la tessiture de sa voix, elle me permettait de reproduire à l'identique la structure de sa silhouette. Ce qui me manquait était culturel. Je ne pouvais que m'inspirer du géniteur de Perséphone et d'elle-même, en plus des connaissances que je glanais ici et là. Pour parfaire mon jeu, il me fallait en apprendre davantage, mais rien ne valait la pratique pour progresser.

« Pardon, je me montre certainement trop curieux, mais tu n'es pas déjà engagé ? » Interdit, je me réfugiais dans le silence, me contentant de lui renvoyer un regard égal. « C'est ce qu'on dit. Je ne fais que répéter. » Se justifia-t-il en haussant les épaules. « Désolé si je me mêle de ce qui ne me regarde pas. » Il disparut derrière le rideau. Je profitai de ce court instant de solitude pour passer une main dans mes cheveux et sur mon visage comme si mes traits menaçaient de glisser si je relâchais ma vigilance. Dans le même temps, je réfléchissais à ce que je venais d'apprendre. Un petit sourire ourla mes lèvres. Ma présence allait peut-être causer des problèmes à celui que je copiais. Tant pis.

Le rideau s'écarta pour laisser entrer une étudiante. Ses cheveux de jais environnaient un visage aux traits harmonieux, agréable à regarder. Sans mot dire, je la scrutai alors qu'elle me rendait à la pareille. Étais-je à la hauteur de ses attentes ? Si j'avais pris Léonidas, c'était aussi parce qu'il était dit qu'il était beau garçon. Je regrettais mon choix à présent, il aurait été bien plus amusant de prendre l'apparence d'un adolescent au physique disgracieux juste pour voir l'autre en face se décomposer. J'attendis que le même étudiant de l'association qui m'avait emmené ici nous laisse à notre simulacre d'intimité pour prendre la parole. « Bonjour. Tu t'appelles comment ? » Je m'adossai à ma chaise et laissai mon doigt s'appuyer contre ma mâchoire alors que je la considérai pensivement. « On a peu de temps je crois, alors je vais aller au vif du sujet. Qu'est-ce que tu recherches en venant ici ? Tu as déjà eu un petit copain ? »

Celui qui ne devrait pas être là

Musique

Ce n’était pas vraiment l’idée de Moon et, en y réfléchissant, la jeune fille se disait qu’elle n’aurait jamais dû parler de l’événement à sa mère. La nouvelle était passée de Lhyæræ à Louise et, ensemble, les deux adultes avaient déclaré que c’était une occasion à ne surtout pas manquer. Outre le fait que l’Orine pourrait rencontrer, à cette occasion, les noms présents sur sa liste, elle pourrait également se dégoter un petit ami, ou une petite amie. L’Ondine qui avait engendré Moon n’était pas aussi raciste et sexiste que certaines de ses congénères mais elle trouvait tout de même les hommes un peu limités. Selon elle « ils ne représentaient aucun obstacle qu’un bon décolleté ne pourrait pas écarter ». En d’autres termes : à trop penser avec son bassin, on en finit par griller ses neurones. Elle était la première à en jouer et elle espérait bien que sa fille fît pareil afin d’obtenir absolument tout ce qu’elle désirait. Elle avait donc beaucoup insisté pour que la brune participât. Louise avait même confectionné à la débutante des sous-vêtements assortis pour l’occasion. Enfin, peu avant le jour J, sa mère et la Dominatrice l’avaient encouragée, tout en lui précisant de ne pas oublier de leur raconter les petits moments croustillants. Puis, elles avaient ri en parlant de baisers, laissant à l’Orine une impression mitigée.

À présent qu’elle se trouvait devant Léonidas Taiji, elle n’était plus sûre que ce fût une bonne idée. Néanmoins, puisqu'il lui semblait impossible de partir comme ça, il lui parut opportun d'appliquer le conseil que sa mère lui avait répété à de maintes reprises, à savoir : « Tu sais Moon, le monde est peuplé de personnes qui ne sont pas sûres d’elles mais qui font semblant de l’être. N’hésite pas à faire pareil, tu verras que l’assurance finira par venir toute seule. ». L’Orine inspira donc et songea à ce que la Sirène aurait fait à sa place. Elle pencha son buste un peu plus en avant. Les hommes, les obstacles, les décolletés, tout ça, tout ça. « Je m’appelle Moon, enchantée. » répondit-elle. « Je n’ai pas de petit copain et je ne sais pas ce que je cherche. Je suis surtout venue par curiosité... » dit-elle, avant d’ancrer ses yeux dans ceux du Sorcier. « Et toi ? Je croyais que tu étais fiancé… C’est ce que tout le monde dit. » avança-t-elle. Même sa mère et Louise en parlaient. « Enfin… je n’ai rien contre ce genre de pratiques et ce n’est pas moi qui te jugerai. » Tout le monde disait que sa fiancée était horrible par rapport à lui. Moon n’avait pas d’opinion sur la question. Elle faisait simplement semblant d’être au courant de tout et sûre d’elle. « Ta fiancée ne te plaît pas ? » Pour le moment, elle ne préférait pas dévoiler aux concernés qu’ils étaient sur sa liste. Elle aimait bien les observer de loin. « Tu es attiré par quelqu’un d’autre, c'est ça ? »

465 mots

Celui qui ne devrait pas être là
Moon & Persée

☙ Oiseau de nuit - Transcendence

Je m'apprêtai à répondre que c'était aussi la curiosité qui m'avait poussé à venir mais verrouillai mes lèvres juste à temps. S'ils étaient vrais pour moi, ce n'était peut-être pas le cas de mon enveloppe. Je désirais ardemment le contact avec ces êtres faits de chair et de désirs qui n'étaient que des mots pour moi. Je voulais tout savoir d'eux, ce qui les rendait différents les uns des autres, ce qui les motivaient, les liens qui les unissaient. Je songeai à mon apparence. Qu'est-ce qui aurait pu inciter Léonidas à venir à ce speed-dating ? J'apprenais qu'il était promis, un savoir manifestement étendu dans l'école ce qui signifiait que la concernée était soit également à Basphel, soit suffisamment connue à l'extérieur pour que cela se sache. Était-il en mon pouvoir de menacer leur future union ? Jusqu'à présent, je ne volais les identités des élèves qu'à des fins purement observatrices, j'apprenais ainsi les règles qui régissaient l'école, j'avais découvert la multiplicité des races qui foulaient les salles de classe dans une harmonie relative malgré les disparités culturelles mais jamais je n'avais songé à m'impliquer. À force d'être un être tissé de magie, à peine plus tangible que du vent, je m'étais convaincu que je n'étais là qu'en tant que spectateur solitaire d'une œuvre où tout m'était interdit. Je m'apercevais que jamais je n'avais été plus dans le tort. Je me découvrais un pouvoir si précieux que j'en eus la tête qui tournait. À quelles fins pouvais-je en faire usage ? Jusqu'où étais-je capable d'aller ? Je devais tester mes capacités, à commencer par ce Sorcier. Aimait-il sa fiancée ? Que penserait-elle à le savoir présent ici ? Et si l'une des personnes rencontrées tombait sous son charme ? Deviendrait-elle la cible de sa fiancée ? Séduit par cette idée, je souris à Moon. Elle risquait d'être un dommage collatéral mais la curiosité me consumait de l'intérieur et je me rassurai en me disant que rien ne pouvait lui arriver au sein de cette école.

« En effet. Je le suis. » Je pris un air légèrement ennuyé, comme si je trouvais ses questions déplacées. Mon regard glissa distraitement sur ses clavicules sans s'y attarder. J'avais pris note de son changement de position mais n'émis aucun commentaire. « Ce n'est pas qu'elle ne me plaît pas, mais c'est un peu comme une prison, et je ne connais pas beaucoup de monde qui aime être enfermé. Je n'ai pas envie de me priver de la possibilité de rencontrer d'autres personnes. » Je verrouillai mon regard sur le sien. « On ne sait jamais. Je trouverai peut-être la clé à cette prison aujourd'hui. Quelqu'un qui n'aurait pas froid aux yeux. Ça t'ennuie que je sois déjà engagé ? Tu as peur d'elle ? Si ce n'est que ça, on peut toujours s'arranger pour faire ça discrètement. Ce serait excitant, non ? Ce serait notre secret. » Comment réagirait Léonidas si Moon venait à l'aborder à la suite de cette conversation ? Je me promis d'être présent pour le voir, curieux de voir ce qui découlerait de cet entretien. La clochette signalant la fin de la première entrevue retentit et j'entendis les chaises râcler sur le sol. « On n'a que peu de temps, trop peu pour apprendre à se connaître. Si ça t'intéresse, tu sais où me trouver. »

Celui qui ne devrait pas être là

Musique

Moon fixa son regard sur Léonidas, bien contente d’avoir retenu qu’il était fiancé ; bien contente aussi qu’il le lui avouât. Sa mère disait souvent que les hommes n’étaient que des chiens, qui sautaient sur la moindre occasion pour copuler avec la première venue malgré les liens du mariage. Rares étaient ceux à avoir le courage (même si sa mère parlait plutôt de couilles que de courage) de l’avouer. Ceux-là, méritaient bien plus que les autres, même s’ils restaient des chiens quand même. L’Orine avait retenu que sa génitrice ne manquait jamais une occasion pour enfoncer ses talons aiguisés dans le « courage » de ces hommes. Néanmoins, la jeune fille savait aussi que sa mère prenait d’abord ce qu’elle avait envie, sans considération aucune pour sa femme ou pour ses enfants. Elle s’occupait de rendre sa propre justice après, ce qui faisait rire Louise. « Ta mère traite de la même façon les hommes infidèles que les personnes qui ont oublié de payer leurs impôts à la Couronne Ondine. » disait-elle. Moon ignorait que Lhyæræ avait quelques morts sur son absence de conscience.

« Je comprends. » répondit-elle. Elle-même avait une liste d’Aisuru potentiels et elle comptait bien se rapprocher de tous avant de faire un choix définitif. L'essayer, ce n’était pas toujours l’adopter. « Non, ça ne m’ennuie pas. » Surtout que son nom figurait sur sa liste. « Même si je pense qu’on devrait éviter de se revoir en public, si ça se fait. » Elle ne perdrait rien à aller dans son sens. Elle ne serait pas obligée de l’embrasser s’il s’avérait grossier. « Ma mère aussi parle souvent de possibilités, comme toi. Elle m’a éduquée pour que je puisse avoir le meilleur et je compte bien l’obtenir. » Elle l’avait dit d’un ton assuré mais, en réalité, elle n’était pas sûre de ça. Elle ne voulait pas forcément « le meilleur » en termes sociétaux. Elle voulait surtout le meilleur pour elle. Néanmoins, elle trouvait que les traits du visage de Léonidas étaient beaux. Sa prestance n’était pas particulièrement importante et, face à d’autres, il paraîtrait sans doute fade, mais il était plutôt élégant. Basphel le formerait ; comme l’école la formerait elle. Il évoluerait et, surtout, elle devait apprendre à le connaître. Elle avait le temps et rien n’interdisait d’avoir des relations passagères avec qui que ce fût. Elle n’avait jamais été très curieuse avant d’intégrer l’école mais, depuis, elle voyait des couples partout et ça lui faisait envie. « D’accord… Je t’enverrai un mot. » Elle lui sourit, en se disant que si les autres garçons qu’elle rencontrerait étaient également intéressés, elle pourrait très bien diviser son emploi du temps entre eux.

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