RP précédent : Il y a deux Reines des Morues.


Malgré son agacement, un sourire ourla les lèvres de l’Ondine. Entendre Johannês beugler de rage était particulièrement jouissif. Plus jouissif que toutes les images qui s’imposaient à elle dès qu’elle songeait à lui, et qu’elle exécrait au plus haut point. Éprouver du plaisir à l’entendre hurler, c’était vivre la confirmation que tout allait bien : il la détestait, elle le détestait, ils se détestaient et c’était tout. Ses insultes l’indifféraient : elles étaient la preuve de la réussite de l’opération. Elle ne se lasserait pas de repasser en boucle son visage trempé de jus de fruit. Imaginer la sensation collante qui devait peu à peu marquer sa peau était particulière satisfaisant. L’Ondine ricana doucement avant d’entrer dans le nouvel isoloir. Elle espérait qu’elle n’allait pas tomber sur l’autre dégénéré de Sympan, ou n’importe quel ami de son frère – elle les trouvait tous bizarres. Elle fut exaucée, mais probablement pas de façon satisfaisante. Assise, les yeux bandés – option qui ne lui avait évidemment pas plu du tout –, elle était prête à recevoir son nouveau prétendant, lorsque juste après le lever de rideau, une voix féminine résonna. Était-ce une plaisanterie ? Les membres de l’AAAP se moquaient visiblement profondément des questionnaires et, conséquemment, des participants. La patience de Lana s’effrita au point qu’elle se demanda si elle allait se présenter au troisième rendez-vous. Les dents serrées, elle hésita à dénouer son bandeau, mais le fait que l’autre l’y invitât la bloqua. « Moi non plus. » répondit-elle, cinglante. Elle allait leur pourrir la vie. L’AAAP allait finir dans un caniveau. Elle traînerait l’association dans la boue. « Lana. Obsidienne. » L’Étain. Le département de son frère. Elle détestait qu’il y fût. Pour elle, cette révélation avait été un nouveau soufflet qu’il lui envoyait, en plus de sa naissance, de sa vie parmi les Gælyan, de son sexe, et de tous ces autres éléments qui pouvaient la conduire à nourrir une forme de mépris à son encontre. Elle aurait pu profiter que son interlocutrice fût dans le même département pour l’interroger sur son jumeau, mais elle n’en fit rien. Les remarques de Johannês flottaient encore dans son esprit. Elle n’avait pas envie que les autres crussent qu’elle trouvait un intérêt démesuré à Adriæn.  « Merci. C’est naturel. » Machinalement, elle attrapa l’une de ses mèches. Elle la fit glisser entre son index et son majeur. Lana avait toujours accordé un soin particulier à ses cheveux. Même si Blu était une bipède, qu’elle lui fît un compliment à ce sujet l’adoucît vaguement. Finalement, elle retira son bandeau et le posa sur la table. Ses yeux céruléens détaillèrent la brune. Sa chevelure était effectivement – et sans surprise – moins belle que la sienne. « Bon. Quitte à être là, autant tuer le temps. Qu’est-ce que tu aimes dans la vie, Blu ? » demanda-t-elle, d’un ton las, en posant son menton dans sa paume, la tête inclinée contre ses doigts.

L’exploration. Lana la détailla de la tête au buste – la table l’empêchait de faire descendre plus bas sa condescendance. Lire, voyager. C’était bien là des activités de Bipède. Quand on était une Ondine, on n’avait pas besoin de parcourir les Mers pour se sentir rattachée à l’Océan ; il pulsait en soi, il imprégnait chaque particule de l’organisme, il berçait tout le corps. Quant au monde terrestre, n’avaient d’intérêt que ses parties submersibles. Lorsque la blanche y pensait, c’était avec la velléité de les voir englouties par les eaux. Le royaume des mers était vaste, mais il ne demandait qu’à s’étendre. C’était son droit. Il accueillait gracieusement quelques îlots rocheux qui osaient pour certains se targuer du nom de « continent ». En un claquement de doigts, il pouvait décider de les reprendre. Les Gælyan pouvaient refuser ce fait, refuser même d’en avoir conscience, pourtant la vérité siégeait là : ils n’étaient rien de plus que d’insignifiants bouts de planctons charriés par des courants hors de leur contrôle. « Je joue de la musique. » répondit-elle. « De la harpe et de l’arpeggione. Et je chante. Je danse aussi. » Ses iris céruléens dévisagèrent la brune. Elle l’imaginait mal tenir un instrument ou suivre une chorégraphie. Il lui manquait la grâce inhérente aux danseurs et aux musiciens. Ce n’était pas vraiment de sa faute : elle était née ainsi. Les Gælyan avaient tendance à gâcher tout ce qui était beau. Ils ne savaient pas apprécier la tonalité d’une note ou la subtilité d’un mouvement. « Sympan ? » Lana réprima tant bien que mal une grimace. « Ça ne m’étonne pas. C’est un grand malade. » Elle ne comprenait pas pourquoi son frère traînait avec ce type. Tout comme elle ne comprenait pas pourquoi il acceptait de se coltiner Johannês, et cet autre énergumène dont elle oubliait tout le temps le nom – ça ressemblait trop au mot « pierre » et il ne méritait pas un iota de son attention déjà partiellement fluctuante. « J’espère que je ne tomberai pas sur lui, sinon… » Elle ne termina pas sa phrase. « Ces speed-datings ne sont qu’une vaste blague. Pourquoi nous faire remplir des questionnaires si c’est pour faire des assemblages pareils ? » La grimace qu’elle avait retenu jusqu’ici s’étala cette fois pleinement sur ses traits. Elle leva les yeux au ciel. « L’AAAP va en entendre parler, crois-moi. » eut-elle le temps de glisser juste avant qu’une organisatrice ne vînt les interrompre, tout sourire. « Alors ? Comment ça s’est passé ? Oh mais tu n’as plus ton band- » Lana la fusilla du regard.