Loquacité

Elh,

Laissez-moi commencer par ce fait : je n'ai point apporté ce kit chez vous, tout simplement car je ne sais point où vous êtes, ni qui vous êtes ! Le mystère reste entier pour moi, également. Il semble que les Aetheri ont décidé de jouer des tours. En réalité, j'ai même demandé à toute ma famille et à une bonne partie de mon quartier s'ils savaient quelque chose là-dessus. Mais ils sont catégoriques : je suis le seul dans ce cas !

Pour tout vous dire, la curiosité de mes proches quant à cette lettre a grandi autant que mes questions à mesure qu'elle se nimbait de mystères. Vous verrez certainement un dessin lié à cette lettre, si l'envoi a correctement fonctionné. Il s'agit d'un cadeau de ma nièce Yoko. Elle veut savoir ce que vous avez ressenti en le voyant. Votre première émotion ! Alors, qu'en est-il ?

Désormais, vous en savez plus sur ma nièce que moi-même. Mais laissez-moi mettre fin au mystère, chère Elh ! Je me nomme Min Shào. Je suis une Orine originaire d'Onikareni, bien que je vive actuellement dans la cité de Maëlith. Je passe la plus grande partie de mes journées à l'apprentissage de l'art sous toutes ses formes, bien que j'aie mes propres préférences. Ma tante me dit que je n'exploite pas assez mon talent en ikebana. Vous connaissez ? C'est l'art des compositions florales. J'aime ça car ce n'est pas seulement l'apparence qui compte, mais aussi la compatibilité naturelle des plantes et l'harmonie de leurs odeurs. C'est très beau.

Récemment, j'ai également commencé à apprendre l'art du combat de façon plus poussée. Mais je commence à me dire que ce n'est pas ce qu'il me correspond vraiment. Au fond de moi. Je ne suis pas un guerrier ! Ma danse à moi, c'est celle des éventails. En utilisez-vous dans votre région ? Chez nous, c'est plus qu'un simple moyen de s'éventer ! Les objets en soi sont un art, le fruit d'un travail de bois très précis, allié à un parchemin affublé de calligraphies ensorcelées ou de dessins oniriques. Et ce n'est pas tout : dans la danse, il devient l'outil d'une performance céleste.

L'art touche à tous nos sens. Certains estiment que la gastronomie, par exemple, est une sorte de "sous-art", tout comme le shibari, car ils flattent des sens jugés moins nobles. Que pensez-vous de cette hiérarchie ? D'ailleurs, quelles formes d'art font chanter votre âme ?

J'attends votre réponse avec hâte.

Min Shào, l'Orine d'Onikareni.

Min posa sa plume, satisfait. Il secoua son poignet endolori par sa longue écriture. La lettre disparut pour aller rejoindre sa mystérieuse destinataire et il songea à son identité. A quoi ressemblait-elle ? Sourirait-elle en la lisant ? Elh. Il répéta ce nom dans son esprit et ferma les yeux. Il voyait une rivière qui coulait paisiblement sous le feuillage baigné par la lumière du crépuscule. Elh... il lui évoquait une douce tranquillité, une discrétion propre à l'élément quand il restait dans son lit. Quoiqu'il en soit, il s'était amusé en écrivant sa lettre. Il était intriguant d'échanger avec quelqu'un dont on ne savait rien et de qui l'on pouvait supposer tout.

Mots : 561

Loquacité

Une Lyrienne qui dansait dans le ciel... cette image avait inspiré Min. Il remuait les bras en regardant le ciel et s'imaginait s'élever dans les nuages. Un souvenir de son passage dans son Monde des Rêves lui revint en mémoire. Il se visualisa en train de se pencher sur un nuage et en retirer une boule, qu'il aurait lancée sur sa correspondante inconnue. Ils auraient pu faire une bataille de boules de nuages, s'ils s'étaient retrouvés la nuit.

Malheureusement, il faisait jour et Min était bel et bien dans la réalité. Plus loin, ses nièces se chamaillaient pour savoir qui avait le plus grand bonzaï. Ils étaient minuscules et elles tentaient de déterminer la gagnante au millimètre près. Il se demanda comment ses nièces allaient régler leur différend, puis se pencha sur les notes qu'il avait griffonnées à mesure qu'il avait lu la lettre. Sur un autre bout de papier trônait une liste de questions qu'il poserait à Chuan. Il ne comprenait pas pourquoi sa correspondante ne vivait pas à Hava et réalisa qu'il avait beaucoup à apprendre. *Bon, par où je commence ? Hmmm... ah oui !* Min secoua la tête. Il y avait trop de distractions autour de lui ! Il devait se concentrer.

Chère Elh, Lyrienne de Sülh,

Votre lettre m'a autant touché qu'intrigué ! Je vous remercie d'être si ouverte à mon encontre. Moi, un inconnu qui ne sait rien de votre peuple ! Cela m'est très précieux. J'ai une question qui me brûle la plume, avant de répondre aux vôtres : avez-vous déjà dansé sur les nuages ? Sont-ils tous doux, comme une neige chaude ?

Min s'arrêta d'écrire et releva les yeux vers le ciel. Un nuage en forme de grenouille obscurcissait la lumière du soleil. Il bougeait si vite... comment sa forme se faisait-elle ? Est-ce que les nuages étaient eux-mêmes dessinés par les Lyrienns ? *Note à Chuan... lui demander comment les nuages sont faits.* Il trempa sa plume et reprit l'écriture.

Je ne pense qu'à un lien entre nous. Une amie à moi est dans la famille de Lyrienns de Hava. Je m'apprête à lui écrire à propos de nos correspondances après avoir terminé cette lettre. Qui sait ce qu'elle aura à me dire ? Peut-être la connaissez vous ? Elle se nomme Chuan Ming. Sa famille à elle sont les Anephel. C'est elle, la guerrière. Il est amusant que vous parliez du combat, parce que dans sa famille, c'est aussi légion ! Ils font même des courses d'archers à dos de pégase ! C'est un peu extrême, non ?

En tous cas, à mon sens, le pourquoi de nos correspondances importe peu. Le destin est ce qu'il est, et je pense qu'il a très bien fait son choix en nouant son ruban autour de nos plumes ! Chuan me dira plein de choses sur les Lyrienns, et puis après, je vous poserai d'autres questions là-dessus. Mais avant, je me renseignerai un peu. Je ne veux pas vous prendre pour une boîte à réponses !

Je suis ravi d'apprendre que vous aimez danser. J'aimerais beaucoup vous montrer ce que l'on fait avec les éventails. Vous savez, la timidité est l'ennemie de l'aventure ! C'est du moins ce que dit maman. Depuis qu'elle m'a dit ça, j'essaie de ne plus laisser ma timidité me brider. La danse se partage ! Ses limites s'étendent avec l'apprentissage des autres. Je ne doute point que vous sauriez trouver des danseurs autour de vous. La danse existe dans tous les peuples, même les plus maléfiques. C'est un peu un language universel, non ? Si nos correspondances avaient eu lieu dans un monde vide où nous ne pourrions pas parler... alors, je danserais, et nous pourrions communiquer. Ne serait-ce pas amusant ?

Une fois de plus, Min posa sa plume et son regard se perdit dans un monde onirique. Il imaginait la situation et pensait à quels mouvements il pourrait utiliser pour formuler une phrase. Plus loin, Yoko avait quitté le jardin : elle était partie demander à leur tante de trancher le conflit. Les deux filles avaient mesuré leur bonzaï avec leur ongle mais restaient en désaccord. Nila s'était accroupie et renfrognée, les bras croisés autour de son torse. Elle regardait son bonzaï comme s'il était coupable de haute trahison. Elle savait déjà qu'elle avait perdu. Min secoua son poignet et recommença.

A la fin de la lettre, Elh posait des questions hautement philosophiques. Min ne savait pas employer des grands mots et il ne savait plus quoi répondre. C'était plutôt une affaire pour Wao. Pourtant, il lui semblait essentiel de bien choisir ses mots. Elle avait l'air de se confier et il en avait été touché. Ce dernier écrit une phrase puis la barra. Il recommença et fit de même. Au total, cinq lignes de gribouillis avaient sali la lettre. Frustré, il la déchira et colla maladroitement une autre feuille en-dessous de la première. Son sourire avait disparu alors que son esprit tournoyait autour de sa question. Il pensait à Onikareni et à tout ce qu'il avait perdu à Maëlith. C'était si difficile d'être loin de chez soi... même en étant entouré des nièces les plus adorables au monde. Il devait être honnête, sinon, il n'y arriverait pas.

Il y a des cigognes, par chez vous ? Ce sont des oiseaux migrateurs au long bec. J'en dessine un croquis sur le côté de la lettre. Il y en avait beaucoup à Onikareni. Mais quand la saison devenait plus frisquette, elles s'en allaient dans un endroit plus chaud. Je ne sais pas où elles allaient, mais c'était sur un autre continent ! Si loin ! Elles voyageaient en colonies, mais parfois, on en voyait revenir toutes seules. Ma tante m'a dit que les cigognes planaient sur les vents chauds. Pourtant, chaque année, elles revenaient près de chez nous. Et pas seulement dans le même terrain ! Elles reprenaient exactement le même nid, et c'était là qu'elles fondaient leur famille.

Ce que je veux dire, c'est que nos racines ont été ancrées à notre naissance et nous suivront toute notre vie, peu importe où on ira. L'important, c'est juste de savoir qu'on y reviendra un jour. Si nos racines nous attendent bien au chaud, pourquoi devrait-on s'inquiéter de s'en éloigner ? ... j'écris cela et en même temps, je me dis que je suis hypocrite. Je vis à Maëlith maintenant, sur un autre continent que chez moi et, justement, je décris encore Onikareni comme "chez moi". Partout ailleurs, je ne suis qu'un voyageur. Il faut accepter les moments difficiles. Mais j'essaie d'être fort, je me dis que quand je reviendrai, j'aurai plein d'histoires à raconter !

Min se releva. Le soleil coulait à l'horizon. Depuis quand ses rayons s'étaient-ils teintés de rouge ? Depuis combien de temps écrivait-il ? Le temps passait si vite ! *Cela fait presque un an que je suis parti d'Onikareni.* Une larme coula sur sa joue, sans prévenir. Il la laissa terminer sa course dans son cou. *Au moins, je ne suis pas seul à ressentir cela.* Son regard s'arrêta Yoko et Nila qui avançaient leurs arguments face à sa tante, désemparée, qui secouait la tête. *Non, je ne suis pas seul.* Il ne restait plus qu'une ligne sur sa feuille. Min colla une seconde lettre à la première ; elle avait maintenant des allures de long parchemin.

Cette notion de racine est très présente chez nous aussi, les Orines. Non pas car on est plus attachés que d'autres à notre terre natale, mais parce qu'on voyage toutes. On est toutes amenées à partir, ce qui nous amène à chérir nos cocons, mais aussi à nous rassembler où qu'on soit dans le monde. Partout, même à Hava et peut-être sur votre île, nous avons des ambassades, des troupes, des rassemblements en tous genres. Et ces troupes, ces foyers sont notre famille. Vous voyez, les Orines sont une grande famille, qui est unie par la même mission de leur vie : propager l'Art. C'est un lien difficile à expliquer. Je suis aussi proche de maman que de mes tantes, de ma mentor que de mes sœurs... Chuan m'avait dit que c'était la même chose dans sa tribu. Que les Eléments valent plus que le sang. Est-ce que c'est vrai ?

Je suis avec vous,
Min Shào, l'Orine d'Onikareni.

Mots : un peu trop

Loquacité

Min Shào termina sa soupe miso et alla déposer la vaisselle dans les cuisines du vaisseau des Enfants de Yanna. Le voyage touchait bientôt à sa fin. La fascination initiale avait disparu au profit d'une routine pas si différente de la sienne à Maëlith. Il s'était vite habitué à voyager dans les airs et attendait déjà la suite avec impatience. L'Orine avait rencontré des Mousses aux histoires plus passionnantes les unes que les autres et vu un combat de dragons. Le plus palpitant était déjà passé, certainement.

Quand il revint dans sa cabine, ses yeux s'illuminèrent en constatant qu'une lettre était apparue sur son lit. Il avait amené sa plume et son encrier, mais doutait recevoir de réponse d'Elh pendant son voyage. Il avait eu tort : la lettre ensorcelée avait réussi à le trouver. Ce dernier l'ouvrit et lut la lettre avec avidité. Plusieurs émotions se succédèrent en parcourant ses mots et il s'empressa de lui répondre.

Chère Elh, Lyrienne de Sülh,

Je suis touché d'apprendre que vous vous confiez autant par ces mots. En fait, je me sens privilégié ! C'est un peu égoïste, non ? En tous cas, je considère comme bien plus que de simples 'mots sur un bout de papier'. Mais je comprends votre intention !

Je suis très curieux de voler dans les nuages. A vous lire, votre description me fait penser à ce que je ressens quand j'arrive dans une source chaude... si elle était, à l'inverse, rafraîchissante ! Vous connaissez les sources chaudes ? Chez nous, on les nomme des onsen. Elles ont des vertus thérapeutiques. J'y suis souvent allé en famille. C'est un moment privilégié à passer avec ses proches.

Parfois, il y en a même dans des temples. On va se purifier dans les bains avant d'aller prier ! Certains temples sont même inaccessibles sans passer par cette étape. Moi, je suis pour. L'eau lave le corps et la chaleur lave l'esprit.

Min leva la plume, songeur. Il se tourna vers la vitre du vaisseau des Enfants de Yanna. Le paysage défilait tranquillement. Il n'y avait plus aucune trace des forêts entourant Maëlith. A la place, les Montagnes de l'Edelweiss Enneigé s'approchaient petit à petit. Au-dessus de la cime des nuages, seuls leurs sommets étaient visibles. S'il y avait des montagnes, il y avait certainement des sources chaudes près des terres Magiciennes... mais était-ce intégré à leur culture ? L'Orine décida de mentionner son voyage à la Lyrienne plus tard. Son aventure était trop épique pour être passée sous silence.

Pour répondre à votre question, je dirais que oui, les Orines ont plein d'amies dans le monde ! On ne s'embarrasse pas de politique. C'est surtout ça qui cloisonne les peuples entre eux, non ? Enfin, je ne dirais pas que nous n'avons pas d'avis, mais nous les laissons de côté. Notre Reine, Sakuya Tsuyari, assiste aux réunions politiques plutôt que de rester à l'écart. Elle oeuvre pour la paix avec les Orines et entre les peuples.

Bref, je m'égare ! Moi, je connais des Orines dans beaucoup d'endroits. Ma meilleure amie a grandi à Hava, et mon meilleur ami est maintenant à Drosera. J'ai aussi une bonne amie à Vervallée... si je voulais, je pourrais passer mon temps à voyager pour aller voir mes proches. Mais j'ai bien trop de choses à faire pour ça ! Ma priorité est mon futur Aisuru et mon Art. Cela me prend beaucoup de temps.

Je me dis parfois que la politique complexifie beaucoup trop les choses et qu'elle éloigne les gens. Mais en échangeant avec vous, je comprends maintenant que nous sommes tous différents et que je ne peux pas juger les autres sur mes propres critères. Je ne peux imaginer vivre sous l'influence d'un Elément... c'est fou ! Et je suis d'autant plus admiratif qu'une île comme Sülh existe ! Si le passé est si beau, alors je ne vois pas où est le mal de vouloir le perpétrer. Les traditions sont aussi importantes que les projets, non ? J'aimerais beaucoup la visiter un jour. C'est passionnant !

Min cessa d'écrire et souffla. Ses doigts fins se nouèrent autour de son poignet. Où rêvait-il d'aller ? Le monde était vaste. Sa liste était aussi longue que son bras. S'il ne voulait pas multiplier les feuilles, il devrait plutôt se limiter à où il allait. Min oublia sa question sur Maëlith. La ville était déjà bien loin dans son esprit. Il était rivé vers l'avenir et ses prochaines aventures. Ce dernier posa sa plume et se saisit d'un fusain à la place. Il dessina un croquis rapide de l'engin dans lequel il voyageait.

Quand il fut satisfait de son croquis, Min rangea son fusain et s'essuya les mains sur son chiffon dédié. Il l'avait utilisé tellement de fois que le tissu était noirci et ne nettoyait plus grand chose. Sans y faire attention, l'Orine posa ses doigts sur son menton et réfléchit, y apposant deux grandes courbes grises. Puis, il reprit l'écriture.

En ce moment, je ne rêve plus de voyages, parce que j'en vis un ! Pour tout vous dire, j'écris cette lettre au milieu des nuages. C'est amusant que nous en parlions dans nos précédents échanges. C'était comme prémonitoire ! Je suis en route vers les Terres du Lac Bleu dans un dirigeable. Vous trouverez un croquis sur la seconde feuille. Vous connaissez ces machines ? Ce sont des joyaux des Enfants de Yanna. Cet Empire est capable des exploits les plus époustouflants les uns que les autres. Il y a quelques temps, j'ai même découvert une jonquille mécanique qui reproduit la musique sans artistes !

J'ai même aperçu des dragons sur mon chemin ! J'aimerais vous dessiner un croquis, mais je n'en ai pas les capacités. Ils ressembleraient juste à des gros lézards ailés. J'ai eu très peur, mais les dirigeables sont bien équipés pour notre sécurité. C'est mon Professeur de mathématiques qui est à l'origine de tout cela. Maintenant, je comprends mieux l'intérêt des sciences. Je suis toujours assez mauvais, mais j'apprends beaucoup. Et vous, est-ce votre tasse de thé ? D'ailleurs, connaissez-vous les terres Magiciennes ? Vous entretenez des rapports avec ce peuple, non ? Avez-vous des conseils à me prodiguer ?

J'attends votre réponse avec hâte,
Min Shào, à bord du Perce-Nuages.

Mots : 1056