[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Lysium étudiait chaque jour le Latia Libri. Ces derniers jours, il n’arrivait pas à atteindre les objectifs imposés par son Créateur. Il manquait simplement d’énergie. Au début, il avait pensait que cela n’était que la conséquence de la faim qu’il ressentait constamment. Pourtant, il buvait tout aussi régulièrement, et ne manquait pas de repos. Non, il fallait venir à l’évidence : le problème, c’était la fichue météo d’Alès Palatium. Frustré par sa propre lassitude, le vampire repoussa le livre sacré d’un geste qu’il voulut respectueux. Il s'était emparé d'une plume avant de la noyer dans l’encre. Peut-être que coucher sur papier son état d’esprit permettrait de l’exorciser ?

« Cher journal. »

Il ratura ces premiers mots. Pour une raison qui lui échappait, il n’était pas inspiré à l’idée d’écrire à une entité inexistante comme un journal. Il préférait presque s’adresser à quelqu’un, mais n’était pas certain de savoir qui. Après tout, aucune des personnes de son ancienne vie n’était au courant de son état actuel. Devrait-il les en informer ? Non. Ces gens-là n’avaient pas d’importance, et se replonger dans son passé ne ferait que l’emprisonner dans un torrent de ruminations. L’anonymat avait quelque chose de rassurant. Et puis, de toute façon, cette lettre ne serait jamais expédiée nulle part.

« Bonsoir, personne que je ne connais pas. Bon, je vais aller dans le vif du sujet. J’ai été choisi pour une histoire de prophétie arbitraire, puis j’ai dû effectuer une panoplie de missions terribles. La dernière d’entre elles a été un échec. J’ai été capturé puis séquestré dans un cachot. Après quelques jours, semaines ou mois — je ne sais trop — j’ai décidé de rejoindre le culte de mes geôliers. Je sais, là comme ça, ça paraît fou. Je doutais aussi, mais je pense que j’ai pris la meilleure décision. »

Quand il repensait au fil des événements, une pointe de doute effleurait encore ses côtes. Il n’avait pas perdu la raison, et savait très bien que sa décision paraissait étrange. Parfois, il regrettait presque sa transformation, mais la culpabilité l’empêchait de garder cette pensée bien longtemps dans son esprit. « Culpabilité », quelle drôle d’émotion. C’était comme une drogue à laquelle il n’avait pas développé de tolérance. En tant que sorcier, son éducation n’avait jamais encouragé ce genre de faiblesses. Maintenant, lorsque madame culpabilité venait pointer le bout de son nez, il la ressentait à une intensité si élevée qu’elle en était paralysante. Alors, il essayait de chasser le doute de son esprit, et se concentrait sur la sérénité que le Temple lui apportait.

« Donc, ça, c’est le contexte. Le problème réside ailleurs. J’ai juste l’impression d’être un poids. Je suis faible, et je ne l’avais jamais réalisé auparavant. Ma magie est ridicule. Je commence à me demander si ma mère n’a pas trompé mon père avec un humain pour me produire, car j’ai réellement la sensation que mes efforts ne paient pas. Je mérite mieux. Si encore, j’avais été un fils de servant, je comprendrais pourquoi ma vie tourne aussi mal, mais ce n’est pas le cas. Je suis… enfin, j’étais un Vicomte sorcier. Héritier, qui plus est, puisque mon concurrent principal à la ligne de succession a eu la bonne idée de se faire faucher. L’avenir me souriait. Tout ça pour dire que le destin est vraiment un chien, et que le monde est injuste. »

Lysium grattait frénétiquement le papier, prenant occasionnellement des pauses pour abreuver sa plume d’encre. L’écriture de cette lettre prenait désormais une dimension cathartique. Cela faisait du bien de se plaindre ! Il se retenait plus ou moins lorsqu’il était en présence d’Edgar, alors il n’avait pas eu l’occasion de râler depuis des mois. Ses pensées négatives s’étaient accumulées au fil du temps, comme un miasme lourd qu’il devait porter chaque nuit. Maintenant, il pouvait l’expulser sur un parchemin et l’envoyer au bout du monde ! Cette lettre était une bombe d’émotions négatives qui, il l’espérait, dégraderait l’humeur de celui qui aurait le malheur de la lire.

« Je ne sais pas à qui je m’adresse, à vrai dire. Je ne vais probablement jamais envoyer ce message : de toute façon, je suis perdu dans un endroit coupé du monde. Par politesse, je vais imaginer que vous êtes noble, fortuné, naïf et que vous allez prendre en pitié ma situation. Vous feriez bien, en réalité. Je ne refuse jamais de l’aide gentiment proposée. Alors, qui êtes-vous ? Est-ce que mes théories sont vraies ? Soit dit en passant, »

Alors qu'il était en train de finir sa phrase, Lysium entendit des pas se rapprocher, et se leva soudainement. Il n’avait aucune envie d’être pris pour un oisif qui écrit à son journal intime plutôt que de travailler sa compréhension des textes sacrés. Néanmoins, en balayant du regard ses environs, il fut surpris de ne voir aucune silhouette. Soit il y avait un intrus invisible, soit il avait eu une hallucination auditive. La deuxième théorie lui semblait plus probable. Alors, le vampire prit une inspiration avant de s’asseoir à nouveau. Seulement, voilà : le papier sur lequel il écrivait n’était plus là.

848 mots.

Dyfan se fait un meilleur ami
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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Tandis que ses doigts s’enroulaient autour de la poignée de porte, l'écho d'un bruissement de papier le stoppa net dans sa manœuvre. Pivotant la tête à la hauteur de son épaule, Dyfan aperçut une enveloppe sur sa table de chevet. Les sourcils froncés, il s’éloigna lentement de la sortie pour se rapprocher du courrier. Comment ce dernier était-il apparu ici? Et surtout, pourquoi? Saisissant la lettre, il l’examina minutieusement sous tous ses angles afin de vérifier si le nom de l’expéditeur était inscrit dessus. Il n’en trouva aucun. Après un moment d’hésitation, le Fils d’Hekur s’autorisa à briser le cachet qui scellait la missive, puis en commença la lecture. Une fois pour prendre connaissance de son contenu, et une deuxième pour être certain qu’il n’hallucinait pas. Pourtant, la vérité était bien là, sous ses yeux : pour une raison qu'il ignorait complètement, il avait reçu un courrier de la part d’un Sorcier membre d'une secte inconnue. Par réflexe, il songea immédiatement à le déchirer et le jeter au feu sans plus de cérémonie, mais étonnamment, il n’en fit rien. Avisant l’ensemble de papiers et d’enveloppes qui s’était matérialisé en même temps que la lettre, il s’empara vivement d’un stylo et d’une feuille qu’il transporta jusqu’à son bureau pour rédiger, en quelques lignes concises, une réponse.

Cher inconnu,

Après avoir pris connaissance du contenu de votre lettre, je dois admettre qu’il m’est assez difficile de vous comprendre. Votre situation est sans conteste exceptionnelle, mais je crains de ne pas être en mesure de vous apporter mon soutien. C’est regrettable que le Destin vous ait conduit à perdre tout ce que vous possédiez, mais il est encore plus navrant de constater qu’après tout ce temps, vous continuez à vous apitoyer sur votre sort. Je vous l’accorde, le monde est injuste, mais se plaindre sans cesse contre les Dieux ou la destinée ne résout strictement rien. Cessez donc de vous lamenter et commencer par agir sur ce que vous pouvez contrôler avant de supplier de l’aide de la part d’un étranger. La faiblesse ne doit jamais servir d’excuse à la médiocrité.

Il répétait, mot pour mot, les paroles que lui assénaient durement ses parents lorsqu’il avait le malheur de se plaindre d’une « injustice ». Que ce soit durant ses leçons de piano ou ses cours d’économie, on lui interdisait de prétexter qu’un exercice était trop difficile pour abandonner. Même s’il se trompait de touche ou n’obtenait pas le résultat attendu, il devait persévérer, encore, et encore, et encore, jusqu’à ce qu’il parvienne à dompter ses lacunes en les transformant en habiletés. Travailler le fer afin de le purifier de ses imperfections.

Si vos efforts ne paient pas, c’est sans doute parce que vous ne vous y prenez pas de la bonne manière. Il est inutile de vouloir exceller dans un domaine pour lequel vous n’avez aucune affinité. Il doit bien y avoir une activité dans laquelle vous êtes plus ou moins doué ou, à la limite, dans laquelle vous vous débrouillez. Quoi qu’il en soit, commencez à travailler sur vos forces et le reste suivra éventuellement. Dans combien de temps? Je ne peux vous le dire exactement. Tout dépend de vous et du temps que vous comptez accorder à vos apprentissages. Les méthodes importent peu, tant que les résultats sont là : laissez donc courir votre créativité et prouver, une bonne fois pour toute, à vos anciens geôliers que vous n’êtes pas une personne à sous-estimer.

Déposant son stylo, le Lyrienn n’apposa aucune signature au bas de la lettre. Si son correspondant croyait qu'il pouvait lui demander de décliner son identité sans d'abord lui révéler la sienne, alors c'était mal le connaître. Il n'était pas assez fou pour divulguer ses renseignements personnels à un inconnu, encore moins à un Mage Noir adepte d'un culte douteux. Satisfait par l'accomplissement de son travail, le roux initia un mouvement pour se lever de sa chaise avant de se figer brusquement. La missive venait de disparaître de son bureau.

✠ 665 mots

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Lorsqu’une page du Latia Libri semblait inintéressante, il la tournait sans remords. Voilà bien cinq minutes qu’il n’avait pas lu une seule ligne en entier, trop las pour se forcer à comprendre le Moliarial mais pas assez épuisé pour oser fermer le bouquin. Puis, comme si sa prière avait été écoutée, quelque chose vint le sortir de sa torpeur. Un message, logé entre deux pages. Ni enveloppé ni scellé, la fraîcheur de l’encre laissait  supposer qu’il avait été rédigé récemment. Curieux, Lysium se mit à le lire avec plus d’attention que ce qu’il avait jusqu’ici accordé au livre sacré.

De toute évidence, cette lettre était une réponse, mais le roux n’était pas certain de savoir à qui elle était destinée. Un autre acolyte de la secte ? Un vampire, probablement. Une sensation d’inconfort s’installait au creux de son ventre, alors qu’il réalisait qu’il s’agissait peut-être d’un retour sur cette entrée de journal. Pourquoi est-ce qu’elle avait fini entre les mains d’un Inconnu ? Il n’en avait aucune idée, mais la magie de ces lieux lui échappait.

Toujours est il que si ce message lui était adressé, il était vraiment écrit par un enfoiré. « La faiblesse ne doit jamais servir d’excuse à la médiocrité » ? Mais il se prenait pour qui, lui ? Est-ce qu’il était en train de dire qu’il était médiocre et faible ? Certes, Lysium s’était décrit en ces termes, mais il n’aimait pas les entendre de la bouche d’autrui. Cet inconnu n’avait pas le droit d’avoir raison. Enragé, l’ancien sorcier se mit à griffonner quelques épithètes injurieux au dos du papier, avant de les raturer. Soit. Il allait répondre proprement.

« Cher inconnu,

C’est avec surprise que je lis vos mots. Vous écrivez qu’il est inutile de vouloir exceller dans un domaine pour lequel on n’a aucune affinité. Je vous y verrais bien, vous. Je ne vous connais ni vous ni les activités insignifiantes dans lesquelles vous êtes très certainement impliqué, mais imaginez un instant que, malgré tous vos efforts, vous ne réussissez pas à briller dans votre nation. J’étais censé faire quoi, moi ? Changer d’identité, me reconvertir et devenir chocolatier ? »

En un sens, c’est ce qu’il avait fait. Il avait rejoint une secte, était devenu vampire et n’avait plus revu sa famille depuis des lustres. C’était l’occasion parfaite pour se recréer une vie. Pourtant, même s’il ne tenait pas plus que ça à son existence précédente, il avait du mal à admettre que Lysium le sorcier avait été un échec. Tout était plus simple, quand ses servants le couvraient d’éloges du matin au soir.

« Soit dit en passant, je serais curieux de savoir d’où vous venez et qui vous êtes. Surtout, je veux comprendre comment vous avez réussi à trouver ma lettre, et à laisser votre réponse à un endroit stratégique pour que je la retrouve par hasard. C’est une prouesse admirable. Si vous avez des dons de divination, peut-être devriez-vous les utiliser pour prédire qu’être aussi désagréable et condescendant ne vous apportera rien de bon. »

Il était bien conscient de faire preuve de mauvaise foi. Cet inconnu ne disait rien de plus que la vérité et, si Lysium prenait cette dernière comme une insulte, cela en disait probablement plus sur lui que sur son correspondant anonyme. Sa seule ligne de défense était ce ton mordant, qu’il employait dans l’espoir de rabattre le caquet de l’inconnu, mais qui signalait davantage sa propre vulnérabilité. Alors, afin de clôturer cette lettre, il tenta de ravaler sa fierté. Elle laissait un goût aigre au fond de sa gorge.

« Trêve de taquineries. Vous avez, je dois bien l’admettre, plutôt raison. Certes, se plaindre ne m’apportera rien. Alors comment vous y prenez, vous ? Est-ce qu’il n’y a pas quelque chose sur lequel vous avez des difficultés ? Si vos efforts étaient vains, si vous en veniez à devoir abandonner votre patrie, que feriez-vous ? »

648 mots.

Dyfan se fait un meilleur ami
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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Un soupir agacé siffla entre ses dents après la lecture attentive du courrier qu'il avait reçu. De mauvaise humeur, Dyfan jeta violemment l'enveloppe sur son bureau, avant de tirer une chaise pour venir s'y installer. Saisissant une feuille et un stylo, il entreprit de rédiger le message qu'il souhaitait transmettre à son correspondant anonyme sans s'efforcer de mâcher ses mots :  

Cher inconnu,

Il est regrettable que mes mots vous aient autant contrarié, alors qu'il s'agit simplement de bon sens et de vérité. Vous semblez croire, à tort, qu'abandonner est une source de disgrâce et de honte. Estimez-vous qu'il soit préférable de poursuivre une activité qui contribue à restreindre, voire à dégrader, votre potentiel que de vous réorientez dans un domaine qui, à première vue, vous parait insignifiant, mais qui permet néanmoins de mettre à profit vos habiletés? Là d'où je viens, les choses sont très simples : si notre performance s'avère insuffisante pour percer dans notre domaine de prédilection, il faut considérer un changement de carrière. L'efficacité est au cœur de nos préoccupations et si, pour cela, nous devons renoncer à suivre un chemin plus conventionnel, nous nous résignons à accepter notre sort la tête haute. Pour le bien commun de notre nation, il est de notre devoir d'utiliser nos talents à bon escient. Chacun à un rôle précis à jouer. Il serait dommage de priver une industrie d'un être talentueux qui s'acharne à vouloir faire carrière dans un domaine qui ne sied pas à ses habiletés. Il n'y a rien de honteux à devenir chocolatier, pour autant qu'on soit doué et que l'on aspire constamment à atteindre l'excellence. Qui sait? Vous êtes peut-être passé à côté de l'opportunité de devenir le meilleur chocolatier des Terres de Sympan.

Cette dernière phrase, il l'avait transcrite de manière à laisser transparaître tout le sarcasme qu'il ressentait en écrivant ces lignes.  

C'est étrange que vous m'accusiez de vous avoir dérobé votre courrier. Je crois me souvenir que c'est vous qui m'avez envoyé cette lettre en premier. Si celle-ci ne m'était pas destinée, peut-être serait-il pertinent, à l'avenir, d'assurer un meilleur suivi de vos correspondances pour éviter qu'elles ne tombent, encore une fois, entre les mains d'un inconnu. Si vous tenez absolument à trouver un coupable, pointez plutôt votre doigt vers le postier, ou mieux encore, vers l'un de vos collègues. Après tout, ce n'est pas moi qui suis membre d'une secte aux pratiques douteuses. Avec un peu chance, vous découvrirez peut-être que quelqu'un s'est amusé à vous jouer un tour en changeant l'adresse de tous les courriers que vous expédiez.

Le Lyrienn posa brièvement sa plume. Il inspira : une fois pour détendre ses nerfs, et une seconde fois pour expulser les derniers relents d'amertume qui envenimaient son esprit, avant de conclure sa lettre.  

Si vous me posez toutes ces questions, dois-je en comprendre que vous êtes enfin disposé à entendre raison? Malheureusement, il n'existe pas mille solutions pour faire face aux difficultés : il faut continuer de persévérer, encore et encore, jusqu'à ce qu'on constate une amélioration. C'est de cette manière que je procède et si les résultats ne sont pas à la hauteur de mes attentes, je change simplement d'instructeur. Parfois, ce n'est pas tant la matière elle-même qui pose problème que l'approche pédagogique utilisée dans le cadre de mes apprentissages. J'ose croire que tous les efforts que je fais contribuent à affiner mes habiletés afin que, un jour, je puisse les placer au service de ma nation. Même si les circonstances m'amenaient à devoir abandonner ma patrie, jamais je ne cesserai d'œuvrer pour sa prospérité. Il ne peut en être autrement.

✠ 603 mots

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Lysium serrait les dents, en calculant son score. Il détestait perdre aux jeux, mais force était d’admettre qu’aucune de ses fléchettes n’atteignait la cible. Frustré, il se tourna vers son Créateur. « Bon, je dois utiliser la mauvaise technique. Tu peux me montrer ? » Il ne prenait plus la peine de dissimuler son ton acerbe. Edgar avait fini par ne pas y prêter attention. Au fond, il aimait la combativité du rouquin. C’était sans doute sa seule qualité. « Avec plaisir. » Le maître vampire tendit la main pour récupérer les fléchettes. Sans même changer de position, il put lancer correctement le projectile. Cela paraissait presque trop facile. « Tu fais de la télékinésie ? » — « Non. Observe bien les mouvements de mon bras. » Edgar répéta le même lancer plusieurs fois. L’une après l’autre, chacune des fléchettes atteignait la cible.

« Visiblement, la précision ce n’est pas fait pour moi. » Lysium laissa son regard de perdre, comme hypnotisé par les gestes du vampire. Cette interaction lui rappelait un échange épistolaire particulièrement éprouvant, qu’il avait eu récemment. Il ne savait toujours pas qui était son interlocuteur, mais, vraisemblablement, ce devait être une farce. Il ne voyait qu’un potentiel coupable, et il se tenait devant lui. « Finalement, tu n’avais pas tort. Peut-être que je devrais me reconvertir en chocolatier. » Fier de sa pique, il se retint de ricaner. Pourtant, il fut surpris de voir qu’Edgar n’avait pas eu la réaction qu’il espérait. « De quoi tu parles ? » – « Tu voulais que je devienne chocolatier, non ? »

Interrompant son prochain lancer, son progéniteur se tourna vers Lysium. Il le toisait, comme pour diagnostiquer une anomalie. « Tu as bu du sang d’origine douteuse ? » C’était une question sincère. « Non… je faisais référence aux lettres. » – « Quelles lettres ? » – « Donc ce n’est vraiment pas toi ? » Edgar fixait les pupilles de son enfant, et crut y lire de la peur. « Explique-moi tout de suite de quoi tu parles. » C’était un ordre. « J’ai reçu une lettre qui répondait à… quelque chose que j’ai écrit, une fois. Je n’avais rien l’intention d’envoyer. Le parchemin a juste disparu, comme ça. Mon correspondant me donnait des conseils. Et j’ai continué à lui écrire. »

« Dis-moi que tu n’as rien révélé de confidentiel. » Lysium hésitait. Il ne se rappelait plus du contenu exact de cet échange épistolaire, mais se souvenait d’avoir mentionné la secte. C’était hors limite, ça ? Il n’avait pas besoin de poser la question. Son maître savait lire dans les pensées, et le regard inquisiteur qu’il était en train de faire lui disait déjà tout ce qu’il avait besoin de savoir. « Tu… tu sais si c’est quelqu’un de Lech ? Ou du Temple ? » – « On ne peut pas en être certains. Il faudra que tu me montres les messages, si tu les as encore. »

D’un geste brusque, Edgar lança la dernière fléchette. Elle atteint la partie qui rapportait le plus de points : l’œil. Malheureusement, la partie touchait à sa fin, car leur cible avait cessé de gémir et avait fini par tomber dans l’inconscience. « Je ne lui ai pas encore répondu. Est-ce que tu veux que — » — « Non. N’écris rien. On va attendre. Si tu reçois à nouveau un message, montre-le-moi. Je te dirais s’il provient du manoir. » C’était l’hypothèse la plus probable. « Et dans le cas contraire ? Si c’est quelqu’un de l’extérieur ? »  Son créateur ne savait trop quoi répondre. Il n’avait jamais entendu d’histoire similaire de la part de ses Enfants, et la Lignée devait rester secrète à tout prix. « Tu lui enverras des chocolats. »

624 mots. [ne compte pas pour les correspondances]

Dyfan se fait un meilleur ami
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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Étendu sur le matelas de son lit, Dyfan parcourait distraitement [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]. Particulièrement épais, il s'agissait d'un ouvrage dans lequel un groupe d'auteurs, aux origines étonnamment diversifiées, y avait catalogué une série de compositions musicales en ordre de difficulté. Des morceaux les plus simples aux pièces les plus complexes, ces derniers, à l'image des hommes et des femmes qui avaient participé à l'élaboration de ce projet commun, n'étaient pas tous de souche lyrienne. Certains textes musicaux avaient été composés par des artistes orines; d'autres, par des compositeurs ondins, alfars et même angéliques. Cette hétérogénéité réunie dans le même livre lui rappelait vaguement les années qu'il avait passé au sein de l'école flottante, où les peuples se mélangeaient les uns et les autres dans une harmonie relative, voire fragile, mais étrangement fonctionnelle. Le Lyrienn soupira. Bien qu'il ne regrettât pas l'expérience qu'il y avait vécu, et ce, malgré les résultats décevants qu'il avait obtenu à sa graduation, penser à Basphel était récemment devenu une épreuve dont il n'avait plus la force de supporter. Sa rencontre avec Mélusine n'était pas étrangère à la montée d'amertume qu'il ressentait à chaque fois que ses pensées l'amenaient à songer à l'établissement scolaire; établissement auquel elle appartenait. S'il pouvait s'estimer heureux d'avoir complété sa scolarité avant qu'elle n'y eût été admise, le seul fait de savoir qu'elle étudiait présentement là-bas suffisait à faire ressurgir sa colère. Quand il songeait à ce qu'elle avait fait à Helios, la rage prenait aussitôt l'ascendance sur sa raison jusqu'à le consumer en entier. Elle n'était pourtant pas la seule à éveiller en lui une fureur irrationnelle : Helios aussi le frustrait beaucoup ces derniers temps, de même que Yelfir, qui semblait s'être mise en tête de découvrir à tout prix l'élément déclencheur de leur querelle. Ses intrusions ne faisaient que contribuer à aggraver sa mauvaise humeur, mais au moins, en guise de consolation, il n'avait pas eu à supporter les jérémiades de son correspondant anonyme par-dessus toutes ses frustrations. Ce silence l'inquiétait-il? Pas du tout. Au contraire, il se réjouissait de ne pas avoir eu à lire un énième courrier de sa part, mais curieusement, l'envie de lui écrire une nouvelle lettre n'avait pas complètement disparu. Il avait bien des tâches plus importantes sur lesquelles se concentrer pour passer le temps, comme reprendre ses leçons d'orgue en mettant à profit les connaissances contenues dans son livre, mais le caprice de clôturer proprement cet échange épistolaire transcendait le besoin de s'exercer à sa musique. De toute façon, cela faisait quelques minutes qu'il ne lisait plus son ouvrage et tant qu'à ne rien faire, il valait mieux se distraire avec une activité plus productive qu'une lecture désintéressée d'un bouquin.

Cher inconnu,

Cela fait un certain temps que je n'ai plus eu de vos nouvelles et j'étais curieux d'en connaître les raisons. Avez-vous réfléchi à ce que je vous ai dit lors de notre dernier échange? Vous sembliez finalement intéressé à placer les efforts nécessaires pour améliorer vos performances physiques et magiques, dans un domaine au sein duquel vos talents personnels seraient en mesure de briller. Avez-vous commencé à appliquer les conseils que je vous ai prodigués? Constatez-vous des changements ou des améliorations dans votre corps? Dans votre esprit? Il me tarde de savoir comment vous avez décidé d'embrasser votre carrière de chocolatier.

À très bientôt,

Votre correspondant anonyme

✠ 580 mots

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Lysium gisait sur son lit d'infirmerie. Il essayait de décrire l’étrange sensation qui envahissait son crâne. C’était comme si quelqu’un s’était amusé à poudrer son cerveau. Il y avait cette odeur familière, qui ne le quittait pas. Une fragrance d’amidon et de rose, qui lui rappelait les perruques passées de mode que certains vieux nobles magiciens portaient. Il aurait aimé en parler avec une personne qui avait ces mêmes souvenirs. Se moquer des goûts vestimentaires des habitants de Cael. Discuter de tout et de n’importe quoi, pour se distraire de sa situation actuelle.

Malheureusement, c’était impossible. Sa condition de mort-vivant-pas-tout-à-fait-mort-en-fait-mais-malade l'avait isolé de la société sorcière. Il aurait pu s’intégrer au peuple vampirique mais, outre le fait qu’il soit composé de sauvages avec lesquels il n’avait pas envie de s’associer, il était différent de la plupart d’entre eux. Les lignées corrompues portaient ce nom pour une raison. Alors, il était seul. Ou, tout du moins, ses seuls interlocuteurs se limitaient à un groupuscule aux motivations douteuses, et à sa propre Lignée. Un vrai inceste intellectuel, qui n’avait rien à envier aux tribus consanguines que des explorateurs trouvaient parfois sur des îles perdues.

Dans ce contexte, même si ça lui faisait de la peine de l’admettre, il était content d’avoir du courrier. Il l’avait gardé précieusement et, depuis quelques heures, hésitait à l’ouvrir. Une fois qu’il aurait appris ce qui se cachait dans cette enveloppe, il n’aurait plus rien de nouveau pour le distraire, et il retournerait dans l’ennui fiévreux qui caractérisait ces derniers jours de convalescence. Néanmoins, l’impatience avait fini par prendre le dessus. D’un coup de dents – il n’avait pas de coupe-papier – il fendit la cire, pour sortir de l’enveloppe un papier.

Une lettre, provenant du même correspondant mystérieux avec qui il n'avait pas eu de contact depuis un certain temps. Le vampire soupira en regardant le parchemin froissé entre ses mains, se demandant ce que cette personne pouvait bien vouloir de lui. Il était méfiant, mais aussi curieux. De toute façon, il n’avait rien à perdre. Il prit une plume et commença à répondre, réfléchissant soigneusement à chaque mot qu'il inscrivait sur le papier. Il avait envie d’être honnête, mais aussi de jouer.

« Cher inconnu,

Je suis navré de ne pas avoir pu vous donner de nouvelles. J’étais un peu débordé ces derniers temps et, pour tout dire, j’ai cru mourir à deux ou trois moments. Pour autant, je n’ai pas oublié vos conseils. Vous souhaitiez savoir quel est mon vrai talent et, après mûre réflexion, je pense qu’il s’agit de servir de chair à canon. Visiblement, c’est ce que je réussis le mieux. Parfois, dans la vie, on se fait avoir. Je suis sûr que ça a dû vous arriver, à vous aussi. Vous n’en donnez pas l’air, comme ça, parce que vous ne révélez pas beaucoup d’informations, mais je suis sûr qu’il vous arrive de faire des faux pas.

En ce qui me concerne, je pense que la chocolaterie n’est pas faite pour moi. Mon sens du goût n’est plus très développé, depuis quelques mois… mais bon, ce n’est pas grave, je peux toujours rebondir. J’ai songé à travailler en banque. Si je me débrouille bien, je peux avoir accès à quelques fonds. D’ailleurs, si vous en avez besoin, je suis sûr que je peux vous fournir un prêt à un taux très intéressant. »

579 mots.

Dyfan se fait un meilleur ami
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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Assis devant son piano, Dyfan fixait d'un air incrédule l'enveloppe qui s'était subitement matérialisée sous ses yeux, se glissant entre les pages de la partition qu'il lisait dans l'intimité de son local privé. Surpris, il enfonça par mégarde la mauvaise touche de son instrument qui, en retour, recracha un son déplaisant à ses oreilles, brisant l'harmonie de la pièce qu'il était entrain de jouer. Vivement, l'étonnement qui peignait ses traits se décomposa en une grimace où la colère et le dédain valsaient comme des flammes voraces. Relâchant son clavier, le Lyrienn agrippa sèchement le papier qui venait d'apparaître avant de rompre, avec tout autant de virulence, le cachet qui le maintenait fermement scellé. Dès qu'il extirpa la seule feuille que contenait la lettre, il survola prestement les quelques lignes qui étaient inscrites dessus, puis expulsa un sifflement entre ses dents serrées. Encore lui. Après que son dernier courrier se fût buté à son silence, ce crétin s'était finalement décidé à lui écrire de nouveau? Pour continuer à se plaindre? Le Fils d'Hekur dût prendre énormément sur lui-même afin de contenir le deuxième soupir qui menaçait de quitter ses lèvres. Ces échanges commençaient sérieusement à l'ennuyer et pendant un moment, il songea à laisser son correspondant sur sa faim en s'abstenant de lui répondre à son tour. Néanmoins, l'idée de couper abruptement le contact après avoir investi tant de temps à produire tous ces courriers lui déplaisait, bien plus qu'il se le serait imaginé. Même s'il ne tirait aucune gratification à alimenter leur correspondance, il était constamment épris d'une envie irrépressible de saisir sa plume à chaque fois qu'il recevait une missive de sa part. Véritable intérêt ou curiosité malsaine, cela ne changeait pas le fait que le roux finissait irrémédiablement par céder à cet appel singulier, malgré son humeur qui s'avérait souvent peu propice à la conversation. Et comme toujours, cet instant ne fit pas exception à la règle.

Cher inconnu,

Cela me désole de constater qu'en dépit de vos paroles, il m'apparait évident que vous n'avez absolument rien retenu du tout. Est-ce que cela vous tuerait d'avoir davantage confiance en vous? Si vous me dites bel et bien la vérité, même après avoir été confronté à la mort à plusieurs reprises, vous continuez à vous lamentez sur votre sort comme une Magicienne superficielle en peine d'amour et d'attention. Ne comprenez-vous pas la chance que vous avez d'être encore en vie, malgré l'existence que l'on vous a contraint à mener? Je suis certain que, dans les mêmes circonstances que vous, la plupart des gens ordinaires auraient fini par succomber aux horreurs que cette secte vous fait endurer au quotidien et pourtant, la seule leçon que vous en tirez, c'est que vous possédez un talent inné pour vous faire maltraiter? Ouvrez les yeux et commencez à regarder la vérité en face : vous êtes bien plus puissant que vous ne le croyez. Cependant, j'ai l'impression que quelque chose vous empêche de voir tout le potentiel que vous détenez. S'agit-il d'une mauvaise estime de vous-même ou le problème est-il bien plus profond que cela? Évidemment, les faux pas arrivent à tout le monde, mais ce n'est pas une raison pour se démoraliser à la moindre difficulté. Cela fait tout simplement parti du progrès : si une montagne s'avère trop haute pour être franchie, il suffit de se pratiquer à en escalader de plus petites avant de se confronter à nouveau à la plus grande, au risque de commettre une erreur fatale en se précipitant vers le danger sans aucune préparation. La clé de la réussite, c'est la planification : si vous vous y prenez de façon ingénieuse et méthodique, vos efforts finiront forcément par porter fruit.  

Votre correspondant anonyme

P.S : Sans vouloir vous offensez, il me parait peu judicieux de contracter une dette auprès d'un individu dont les circonstances sont aussi louches et douteuses que les vôtres. Et éviter d'assumer la valeur de mon patrimoine, qui est loin d'être si misérable pour justifier l'emprunt d'un prêt avec une banque étrangère, encore moins la vôtre.

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