Dans le port d'A...

Musique

Shashake (que nous appellerons Shake pour plus de simplicité) était assis sur une grosse caisse en bois. Les bras croisés sur son torse, il observait son frère d’un œil empli de circonspection. Shashaka (que nous appellerons Shaka pour la même raison) était, en effet, en train de fouiller dans les malles et les caisses qui étaient entassées ici et là, prêtes à être déchargées. « Regarde ce truc ! » dit-il, un sourire un peu béta sur les lèvres. Shake fixa l’objet avec un désintérêt morne. Il faisait semblant de s’intéresser, le strict minimum, et la joie de vivre de Shaka ne faisait que le renfrogner davantage. Ne voyait-il pas qu’il se fichait de tous ces objets ? Lui, ce qu’il voulait, c’était retourner dormir, seul.

Il était de mauvaise humeur, chose que l’autre n’avait pas l’air de remarquer, pris dans une frénésie agaçante. « Qu’est-ce que c’est ? » fit-il l’effort de demander, pour éviter la dispute qui ne manquerait pas d’arriver si Shaka remarquait qu’il se fichait totalement de cette espèce de tuyau bizarroïde qu’il avait trouvé dans la malle bleue et qui, de toute façon, ne leur appartenait pas. Ils allaient finir par avoir des problèmes et ce serait de sa faute. En plus de ça, il n’aimait pas voir son frère heureux lorsque cette joie n’était pas directement liée à lui. Il se sentait de trop et avait envie de disparaître ailleurs, pour être seul, sans personne. « Je ne sais pas exactement… Huuuummm… Une longue-vue peut-être ? » Shaka essaya de porter le tuyau à son œil mais ne vit visiblement rien. En revanche, lorsqu’il décolla l’objet, de l’encre bleu avait marqué sa peau. Shake le fixa et retint un sourire – celui-ci aurait été le premier de la journée. Il préféra ne rien lui dire. Ce serait sa punition pour le forcer à rester là à l’écouter. D’un autre côté, tout en posant le fardeau de son ennui sur son frère, il ne faisait absolument rien pour se sortir de ce dernier, une flemme tenace enroulée autour de lui. « Alors ? » questionna-t-il tout de même. « Non. Je ne sais pas… C’est drôle quand même, tous ces gadgets qui sont accrochés dessus… Il faudrait demander à Monïhr s’il sait. » « Ou aux autres. » Les autres désignaient les Esprits. C’était un secret que partageaient les deux frères. Ce n’était pas le seul puisqu’ils devaient dire à tout le monde qu’ils étaient deux Orines. « Ou aux autres, mais pas ici. » Shake fixa l’objet une nouvelle fois. « Peut-être que ça sert à jeter des sortilèges. » « Oh ! Comme ça ? » Shaka se mit à danser de façon ridicule, en agitant le tuyau rigide sous le nez de son frère qui ne trouva pas ça drôle du tout mais força un sourire qui lui donna une apparence coincée que le danseur ignora totalement.

« Attention ! » La voix provenait d’un homme aux longs cheveux blonds et aux yeux verts, pas costaud pour deux sous, mais qui portait pourtant à bout de bras une caisse remplie de bric à brac et qui semblait faire son poids. Il la déposa délicatement, sans un bruit, et repartit. Shaka balança le tuyau là où il l’avait trouvé et vint s’asseoir à côté de son frère. Il passa son bras autour de lui et perdit son regard sur Port Dirælla. « Tu vas voir, ça va être chouette ici. Et si ça ne l’est pas, ce n’est pas grave parce qu’on va repartir vite ! J’ai hâte de rencontrer Circë. » Puisque les troupes se réunissaient pour elle, afin de chercher une terre perdue quelque part et que les boussoles magiques elles-mêmes n’arrivaient pas à localiser. Il y avait une Prophétie sur le voyage qu’ils allaient tous vivre mais ni Shaka ni Shake ne connaissaient cette dernière pour le moment. Ils se contentaient de rêver, Shaka plus que Shake, ce dernier étant d’un naturel peu avenant et aventureux. « Je ne sais pas si elle viendra ici ou si elle rejoindra les troupes à une autre escale. Je crois que Monïhr a dit que la flotte allait s’agrandir au fur et à mesure. » Comme son frère ne disait rien et se contentait d’acquiescer, Shaka continua. « En attendant, on va pouvoir partir à la découverte de Port Dirælla. J’ai entendu dire qu’il y avait presque que des Sirènes ici et qu’il fallait éviter de les approcher de trop près parce qu’elles pouvaient nous manger ! » Shake leva les yeux vers son frère, soudainement intéressé. « Nous manger ? » « Oui ! Parce que les Sirènes ont d’éééénoooorrrmmeeess dents ! » Shaka se tourna vers Shake et, avec ses doigts, commença à le chatouiller. Si le deuxième était souvent silencieux ou bougon, il n’en demeurait pas moins hypersensible et chatouilleux à souhait. Il se mit à rire bien malgré lui, sous l’œil attendri de quelques Esprits de passage. S’ils connaissaient que très peu les Ondins, c’était avant tout parce que la Maison Sahwelia voyageait dans les airs.

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Dans le port d'A...

Alors que les jumeaux chahutaient – Shaka bien plus victime que Shake, un mouvement attira l’attention du chatouillé. Le bleu ouvrit de grands yeux devant la valse du seau volant, ce même seau répandant dans l’air les clous qu’il contenait précédemment. Les doigts du brun cessèrent leur manège et il se tourna lui-même vers la scène du crime, afin de constater la chute du matériel. « Hé mais ! » commença le plus affable des deux. Shake était celui-ci : toujours prêt à communiquer et à aller vers les autres. Nous l’appellerons ainsi l’Aimable. Son frère, que nous appellerons le Boudeur, préférait rester en retrait et trouvait toujours à redire sur tout. Un vrai rabat-joie. « Qu’est-ce qu’elle fait celle-là ? » demanda le Boudeur, en croisant les bras sur son torse. D’après lui, cette histoire commençait très mal. Il n’aimait pas ce genre d’interventions. « C’est une espionne tu crois ? » ajouta-t-il, d’un air renfrogné. Il était souvent méfiant avec ceux qu’il ne connaissait pas. « Attends, je vais voir ! » déclara l’Aimable. « Reste là ! » ordonna-t-il, ce qui noirci davantage la mine du bleu.

Shashake partit donc à l’aventure et engloutit la distance qui le séparait de la fille bizarroïde de la même façon qu’il aurait englouti des croissants au chocolat si on lui en avait trop laissé à portée de main. « T’es qui ? » questionna-t-il, en la regardant de bas en haut. Il avait beau la trouver étrange – surtout à cause de sa tête, il n’était pas mieux loti. En effet, dans sa chevelure brune étaient accrochées tout un tas de babioles : des rubans, des perles, des trésors venus du bout du monde – d’après Monïhr, des os qu’il avait trouvé ici et là sur des animaux morts et autres originalités. Il était aussi habillé avec des sortes de fripes : de la peau par ci, de la fourrure par là. Actuellement, il n'avait rien de la parfaite Orine. Ces dernières étaient connues pour l’élégance et la beauté de leurs tenues. Les kimonos qu’elles enfilaient leur seyaient toujours à merveilles et étaient fabriqués dans les règles de l’art. Bien sûr, Shashake et Shashaka en possédaient, mais les deux enfants ne les trouvaient pas pratiques pour voyager. Surtout, vu qu’ils n’arrêtaient pas de partir à l’aventure ici et là – notamment le brun, un kimono n’aurait pas survécu dans leur vie quotidienne. C’était la raison pour laquelle leur tuteur n’exigeait d’eux que quelques apparitions dans ce vêtement particulier. Le reste du temps, ils s’habillaient comme ils le voulaient et, si leur vision de la mode et de la praticité laissait à désirer, ils en tiraient au moins une grande satisfaction.

« Pourquoi t’as fait tomber ce seau ? » Comme si elle l’avait fait exprès. « Tu faisais quoi ? Pourquoi on ne t’a pas vue avant ? Tu nous espionnais ? » L’Aimable était une vraie machine à questions. En réalité, il était toujours gentil – malgré le fait qu’il fût excentrique, sauf lorsqu’on lui piquait ses affaires. Il avait horreur de partager. « T’es amoureuse de mon frère, c’est ça ? » demanda-t-il, tout haut, avec en tête un dessein bien particulier. Il adorait embêter Shaka puisque, après, il rougissait et boudait. « Tu peux l’avouer hein. » Il rit et approcha sa main pour lui tapoter l’épaule. « Mais non, je rigole. C’est pour l’enquiquiner ! La dernière fois, une fille qui devait avoir six ans est venue se planter devant lui et lui a déclaré qu’il était son amoureux. T’aurais vu sa tête ! » Shaka, au loin, envoya un regard noir en direction des deux protagonistes. Ça n’empêcha pas son frère de continuer. « Moi je m’appelle Shashake. Lui, là-bas, c’est Shashaka. Bon… c’est un peu compliqué à retenir alors, si tu veux, tu peux nous donner un surnom ! Celui qui t’arrange ! » Il baissa les yeux de nouveau. « Je peux voir ta queue ? D’ailleurs, tu t’appelles comment ? Tu viens d’où ? Nous, on est de la Maison Sahwelia et nous sommes des Orines. » C’était un mensonge mais il mentait depuis qu’il savait parler. Monïhr voulait absolument qu’ils se prétendissent Orines. Ça ne le dérangeait pas de raconter des salades. C’était un peu comme un jeu, finalement ; une sorte d’aventure de tous les instants. « Tu vas participer à l’expédition ? » Shashake ne se rendait pas compte qu’il pouvait être malaisant. Il parlait et, bien souvent, dès qu’il ouvrait la bouche, il trouvait toujours quelque chose à ajouter. Ça n’en finissait plus.

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