Oniyumi et galettes de riz
Flashback.

Objectif : Min et Eiko participent à un festival mettant à l'honneur les Oniyumi.

Quand Min sortit du foyer avec sa nièce Xue, il se retrouva nez à nez avec un groupement d’êtres aussi lumineux que le clair de lune, aux cheveux blancs et à la peau presque translucide. « L’un de vos voisins m’a indiqué que vous pourriez me conduire jusqu’au village d’Onikareni. Puis-je me joindre à vous ? » Min hocha la tête et les yeux de Xue brillaient de curiosité. « Bien entendu. Venez avec nous et suivez les carpes ! » Il n’y avait qu’une seule raison pour laquelle les Rehlas étaient aussi nombreux dans la région : un festival. Et ce n’était pas n’importe lequel. Celui-ci avait pour but de célébrer la cohabitation paisible entre les Orines et les Oniyumi, ces chats géants qui ne pouvaient être aperçus que sur les terres de Lua Eyael.

Les festivités des Orines faisaient partie de ces moments qui restaient à jamais gravés dans la mémoire de sa famille. Chaque lune, Min marquait la date fatidique dans son calendrier et débordait d’idées pour organiser toujours plus de projets. Cette année, il avait été aussi bien occupé pour le festival : Min avait organisé un atelier origami pour faire des formes de chats et un atelier d’artisanat pour fabriquer des koi nobori. La famille Shào en avait réalisé une trentaine de ses petites mains et leurs voisins les avaient aidés à les installer tout le long du chemin vers Onikareni, le centre névralgique des festivités.

Xue était nerveuse car elle était avare en paroles. En effet, dans quelques heures, elle se retrouverait sur une scène devant l’entièreté du village pour faire une petite représentation. Min, quant à lui, serait niché dans l’orchestre pour participer à la musique de la pièce. En réalité, il avait uniquement rejoint le projet pour servir de soutien à sa nièce : elle était très timide, mais il suffisait d’un petit coup de pouce pour qu’elle ait le courage de se lancer.

*

Un grand final mettant en avant les talents des comédiennes sonna la fin de la représentation. Après avoir soufflé la dernière note dans son dizi, Min sourit de toutes ses dents et applaudit fort les comédiennes, en reprenant son souffle. Xue avait fait des erreurs, mais il pouvait voir qu’elle s’était amusée comme une folle, et là était le plus important.  En observant les visages du public, il s’aperçut qu’ils paraissaient aussi satisfaits. Sa tante et le reste de sa famille s’étaient installés au fond et s’étaient levés pour applaudir Xue et les autres très fort. Une fois que le public commença à se disperser, ils vinrent tous féliciter sa nièce. Quand elle enleva son masque de chat, il remarqua que des larmes de joie perlaient à ses yeux. Cela lui rappela sa propre enfance ; les spectacles comme celui-ci étaient des événements décisifs pour les enfants de la région d’Onikareni.

Min s’affaira à ranger le dizi dans la réserve des instruments et quand il revint à sa place, la famille Shào était repartie vaquer à ses occupations, alors que Xue discutait vivement avec une autre petite Orine aux joues rebondies. Quand elles se rapprochèrent des musiciens, la couleur si caractéristique des prunelles de la camarade de Xue balaya ses doutes : c’était Eiko, la petite de la famille Hitoka. Il s’en souvenait car sa nièce n’en terminait pas de dire à quel point elle était jalouse de son talent pour communiquer avec les animaux. Juste à côté de lui, Bae les félicita. L’Orine lui emboîta le pas. « Quel talent ! Les Hanatsu de Maëlith n’ont qu’à bien se tenir. » Déjà prête à poursuivre les festivités, Eiko lui demanda de chanter avec elle. « Alors, chantons ! » La petite compagnie s’éloigna de la scène en chantonnant sous les regards appréciatifs des passants, comme si elle délivrait un joyeux Encore à la présentation.

En arrivant près des stands de nourriture, les effluves ouvrirent l’appétit de Min. Et apparemment, il n’était pas le seul. « L’heure du goûter ? Hm… demande à ton estomac. Il le sait mieux que moi ! » Xue, quant à elle, s’était plantée avec résignation devant le stand de dango. « Moi ?! » s’exclama-t-elle en se tournant vers Eiko. « Je veux des dango ! Hein, Min ? Je peux ? » Elle le tira vers le stand en sautillant, en sachant très bien qu’il allait craquer. Ce dernier fit mine de réfléchir, histoire de la faire patienter un peu, puis répondit : « D'accord, Xue ! Arrêtons-nous pour manger quelques mets bien mérités. Et ensuite, nous irons voir les Oniyumi. » « Oui ! » Alors que Xue s’adressait au vendeur de dango, Min se dirigea vers son propre péché mignon : les taiyaki. Quand il fut servi, il rejoignit le petit groupe qui s’était assis sous un cerisier pour manger. D’ordinaire très bavarde, Xue ne pipa mot, trop occupée à s’empiffrer de dango. Min se demanda même si elle allait s’étouffer, à les manger si vite. Il décida de détourner son attention avec une histoire.

« Vous connaissez la légende de la naissance de l’amitié entre Oniyumi et Orines ? » Xue secoua la tête. Il se souvenait lui avoir déjà raconté, mais elle oubliait souvent ses histoires… ou faisait mine, pour le plaisir de les entendre une nouvelle fois. « C’était il y a très longtemps, quand les Orines venaient de s'installer à Onikareni et que la Grande Prêtresse Bellule disparut. Autrefois, les Oniyumi vivaient reclus dans les montagnes car ils n’étaient pas amis avec les Töh-Taureaux, qui restaient dans les vallées. Et le village des Orines était caché par un bouclier magique. » « Oh ! ch’e sh’ais ! » L’interrompit Xue en terminant sa dernière bouchée. « Tu t’en souviens, Xue ? » Elle hocha la tête avec excitation et se leva en lissant sa robe. « Les Oniyumi avaient poursuivi Bellule pour la manger ! Mais elle s’était cachée dans une grotte en passant par un trou trop petit pour qu'ils passent, qu’on appelle aujourd’hui la grotte Bellule. Tout le village était venu avec ses armes, ils étaient prêts à en découdre ! Mais ils allaient trouver une solution pour faire la paix. Tu la connais aussi, Koko ? Et toi, Bae ? » Elle se planta en position de combat et lança des coups de pieds énergiques dans le vide. Min sourit en voyant un tel enthousiasme de sa part et se concentra sur son poisson, en engloutissant l'une de ses nageoires.

Mots: 1037

Oniyumi et galettes de riz
Flashback.

Bae entreprit de raconter la fin de la légende de la Grotte de Bellule. Quand il usa de son invocation céleste pour accompagner ses paroles, Xue se rassit et imita la position confortable d’Eiko, son ventre se frottant contre l’herbe fraîche. Min, quant à lui, en profita pour continuer à déguster son mets. Il adorait cette Légende. Quel courage cette Orine avait eu pour sortir de la grotte ! La suite de l'histoire plaisait visiblement à Eiko, dont les pupilles furent animées d’une passion insatiable à la mention de son chant salvateur. Et soudain, elle s’approcha de Min, les yeux plein d’espoir, et elle lui demanda d’aller voir cette grotte. Mais ce dernier jugea bon de jouer d’un peu de suspense pour laisser son imagination germer encore. « Je suis certain que les Oniyumi tomberont sous le charme de ton chant, comme pour Bellule ! » s’exclama l’Orine en secouant les mains d’Eiko sur le rythme d’une mélodie jouée par un groupe de villageois quelques arbres plus loin. « Peut-être même que tu pourras leur donner envie de danser ! Mais avant d'aller dans la grotte, il faut que l'on aille les nourrir. » Et il accompagna sa parole d’un pas de danse candide. Xue eut un léger rire et se leva à son tour, puis l’imita en tirant doucement sur le tissu de la tunique de Bae, lui intimant de danser avec elle.

Mais quand elle commença à se dandiner, la nourriture qu’elle venait de manger lui fit l’effet d’une enclume dans son ventre, et elle s’arrêta bien vite de danser, avant qu'un relent ne la pousse à faire un bruit peu gracieux. « Maintenant que j’ai bien mangé, moi, j’veux nourrir nos amis les Oniyumi ! » s’écria-t-elle sans pouvoir retenir son enthousiasme. « V’nez ! Suivez-moi ! » Et elle s’en alla en trottinant sans vérifier que quiconque la suivait en direction des Plaines Rouges. En s’éloignant du brouhaha du centre du village, elle s’engagea sur un chemin qui serpentait et laissait apercevoir les immenses champs en contrebas, où pullulaient de formes rondes qui ne pouvaient être autres que les Oniyumi. Mais quand elle se retourna, la jeune Shào s’aperçut qu’elle les avait semés et fut prise d’un doute. Est-ce qu’ils l’avaient ignorée ? Elle planta son regard à l’horizon en se grattant nerveusement le bras. Et soudain, elle aperçut le haut des cheveux dorés de Min qui brillaient de mille feux au soleil. *Les voilà ! Vite, je vais me cacher !*

Cette dernière exécuta une rapide roulade pour sortir du chemin de terre et s’allongea tel un serpent entre deux arbres, cachée par leur ombre, ne relevant la tête que pour voir les jambes de ses cibles s’approcher d’elle. « Xue est tellement partie comme une flèche que je crois qu’elle est déjà en train de remplir ses poches de poissons séchés », entendit-elle Min dire. Il ne semblait pas inquiet de son sort, et cela l’agaça. Puisque c’était comme ça, il serait la cible de sa farce ! Elle attendit que le groupe la dépasse tel un prédateur et quand elle estima qu’il était à portée de ses bras, la petite fille sauta sur ses pieds et poussa un cri félin en prenant son élan. Quand le groupe se retourna vers elle, surpris, elle sauta aussi haut qu’elle le put, pour atterrir en plein sur Min. Heureusement, ce dernier était habitué à ses combines et eut le temps de se préparer à la retenir au lieu de tomber au sol. « Aaah ! Non, nous sommes attaqués par une monstresse ! » Sa grand-mère détestait que Xue s’adonne à ce genre de jeux, mais quand elle n’était pas là, Min le lui autorisait. Certes, elle prenait du poids chaque année ; mais jusqu’ici, il pouvait encore la porter sans problèmes. Les deux cousins rirent ensemble alors qu’il la fit voltiger au-dessus de lui, puis il reprirent leur chemin, Min portant Xue sur son dos. Cette dernière commença à fredonner un air familier alors que le groupe s’approchait des Plaines Rouges.

Quand ils furent arrivés, Min huma l’odeur si particulière de l’herbe des Plaines qui s'étalaient à perte de vue au pied des montagnes, comme un tapis cérémonial s’inclinant devant la royauté. Des Oniyumi se roulaient dans l’herbe et d’autres s’étaient assoupis à l’ombre de la montagne, ou protégés par les herbes hautes. Et à la sortie du chemin, une quantité monstrueuse de poissons séchés était empaquetée, dans laquelle les Orines piochaient pour les ramener aux chats géants en célébration de leur paix ancestrale. Quelques Töh Taureaux aussi, attirés par l’animation du village et de ses environs, étaient venus observer les festivités. Ils avaient leurs propres occasions de recevoir et donner des gages de paix, mais cela ne signifiait pas qu’ils devaient se retirer des Plaines pour cette fête. Tout le monde y avait sa place. La cohabitation entre ces deux races avaient aussi leurs propres légendes, mais il était plus difficile de démêler le vrai du faux et au final, chacun choisissait l’hypothèse qui lui plaisait le plus.

« Par les Aetheri, vous voilà enfin ! » Alors que Min s’était baissé pour laisser Xue piocher dans les paquets de poissons, une voix familière attira son attention. Quand il se tourna vers sa direction, il fut ravi de reconnaître Wao, l’un de ses plus proches amis qui résidait sur le flanc Est de la montagne, près d’Onikareni. Son jardin donnait sur une vue imprenable du soleil levant, les Plaines Rouges et l'océan au loin. Pas étonnant qu'il avait jeté son dévolu sur la peinture. Ce dernier s’était installé devant un chevalet, sur lequel trônait une peinture à peine commencée du paysage qui s’offrait à eux. En remarquant Bae et Eiko, son regard s’illumina d’autant plus. « Oh ! Eiko, c’est ça ? Très belle performance, tout à l’heure… heureusement que vous étiez là pour rattraper la performance de Min… » devant son air faussement offensé, il fit un clin d’œil à son ami puis s’approcha d’Eiko, après avoir posé sa palette au sol. Ses mains étaient badigeonnées de peinture, et il ne manqua pas de donner une tape sur le bras de Min en lui laissant une trace rouge pivoine. « Oui oui, quel plaisir de te voir, Wao… » ronchonna Min. Xue éclata de rire en voyant la trace de main s’imprégner sur sa peau. « Un oiseau m’a soufflé que tu parlais aux animaux, Eiko », susurra-t-il à la petite fille en s’accroupissant. « Et j’ai besoin d'une héroïne comme toi ! L’Oniyumi là-bas, qui a l’air ronchon, ne veut pas de nos poissons séchés. ça t’ennuierais d’aller le voir pour savoir ce qu’il se trame dans sa tête poilue ? »

Mots: 1114

Oniyumi et galettes de riz
Flashback.

« Mais bien sûr ! Montre-moi comment tu leur parles ! » Répondit Xue à la proposition d’Eiko. Cette fois, c’était elle qui débordait d’excitation. Une main plantée dans celle de son amie, elle caressait les hautes herbes écarlates de l’autre. Ces dernières bougeaient au rythme de ses bonds, comme les trémous d’un ruisseau. Elle était hypnotisée par ces mouvements, si bien que quand Eiko s’arrêta près de l’Onikareni, la fillette manqua de lui foncer dedans. « Oups…! » La créature était impressionnante. Eprise d’une tranquillité ancestrale, elle ne se montra nullement dérangée par l’enthousiasme débordant des petites qui venaient de se planter devant elle. Les prunelles brillant d’admiration, Xue attendit que l’Orine use de son pouvoir pour communiquer avec elle. Cette dernière était timide : elle avait déjà approché des Oniyumi auparavant, mais jamais sans adultes pour la protéger.

Elle se frotta nerveusement les mains en reculant, laissant Eiko ouvrir la voie. L’Oniyumi la regardait de ses grands yeux jaunes, attentif, mais il ne lui empêcha pas de le toucher et attendit qu’elle s’adresse à lui. Lorsqu’elle lui parla, Xue fut rassurée. Elle s’en approcha à petits pas, comme pour être oubliée, puis toucha ses grands poils du bout des doigts. L’Oniyumi se tourna instantanément vers elle en la faisant sursauter ; mais il la quitta des yeux tout aussi rapidement pour ramener sa tête en direction d’Eiko et lui répondre par un long miaulement qui ressemblait à une plainte. Les larmes montèrent aux yeux de Xue en l’entendant. Pourquoi était-il malheureux ?

Cela lui brisait le cœur, alors qu’elle n’avait aucune idée de ce qu’il se passait réellement. Xue voulait aider à tout prix ; elle enfouit sa main dans sa sacoche remplie de poissons séchés puis le secoua vers l’Oniyumi pour attirer son attention. Une fois qu’il se tourna vers elle, cette dernière ramena le poisson puant à la bouche et en croqua un morceau. « Mmmhh… ‘egade ! » dit-elle en se forçant à mâcher. Le poisson était certainement très vieux : il s’était ramolli avec le temps et l’on ne sentait plus qu’un goût de fumé, qui dominait complètement la saveur caractéristique du poisson. Ce n’était définitivement pas destiné aux Orines. Mais il fallait qu’elle soit courageuse pour la bête. « Ch’est tès bon ! Tu rates queq’chose ! » Elle ne parlait pas l’Oniyumi, mais il n’était pas certain que les Orines puissent comprendre sa phrase, elles non plus. Quoiqu'il en soit, elle était fière d’avoir aidé à sa façon, même sans comprendre la situation.

*

De son côté, Min surveillait Eiko et Xue du coin de l'œil, mais il savait que cette dernière ne s’éloignerait pas trop de lui ; elle était trop trouillarde. Wao, à côté de lui, s’était arrêté de peindre pour regarder les petites Orines courir vers l’Oniyumi. Il semblait s’être vite perdu dans un autre monde bien à lui, mais Bae le ramena à la réalité par sa remarque flatteuse. Ce dernier ne laissa rien paraître, mais Min décela le rose de ses joues qui trahissait son émotion. Quand Bae lui posa une question sur son Art, il ne parvint pas à dissimuler son intérêt, les yeux brillants, cette fois. « J’aime peindre des paysages, surtout pour parfaire ma technique sur les couleurs. Mais ça, c’est la spécialité de Min. Si tu voyais les milliers de toiles de ciel qu’il a chez les Shào ! » Ce dernier haussa les épaules. « Bah oui, le ciel, c’est ce qui a de plus beau dans ce monde », répondit-il sur le ton de l’évidence. « C’est ton opinion… non, moi, je peins surtout des portraits. Enfin… je veux dire, j’ai peint beaucoup d’autoportraits, mais je réfléchis en ce moment à peindre d’autres personnes… »

Min fut surpris de sa réponse : il ne savait pas que son meilleur ami cultivait de telles envies. « Tiens, tu ne me l’as jamais proposé ! Pourtant, mon charme serait un tel cadeau pour mettre tes talents à bon escient. Et toi, Bae, tu peins plutôt des ciels ou plutôt des visages ? » poursuivit-il en essayant d'intégrer l'Orine à leur conversation. En réalité, le Shào était quelque peu vexé que ce dernier ne lui ait pas demandé. Pour cacher son état d’humeur, il fit mine de se retourner pour observer Xue. Il remarqua qu’elle était en train de manger quelque chose. Ce n’était pas un poisson séché destiné aux Oniyumi, quand même ? Elle allait se rendre malade. Quand il entendit une nouvelle fois la voix de Bae, il se retourna vers lui. En entendant sa remarque, il s’esclaffa et jeta un œil sur la trace qu’il avait déjà oubliée sur son bras. « Oh, ça, ce n’est rien… si tu me voyais en cours de calligraphie avec mes nièces ! Je finis toujours par servir de parchemin. Ma peau doit être faite pour ça. D’ailleurs, tu devrais essayer, ça procure un certain panache lorsque l'on danse. »

Soudain, Wao sembla frappé d’une révélation et lui coupa presque la parole. « Mais oui ! Et si je peignais un double-portrait de vous, un jour ? Vous pourriez poser avec vos instruments. Je vous peindrais en train de voler… avec des pétales de cerisier qui traceraient des cercles autour de vous… votre couleur de cheveux est si rare, si précieuse… » Ce dernier ne semblait même pas attendre leur réponse. Ce dernier laissa tomber son pinceau dans les herbes. Il forma un carré avec ses doigts et fit mine de les encadrer mentalement, en imaginant déjà à quoi pourrait ressembler sa toile. Quand ce dernier entrait dans sa folie créatrice, il semblait quitter ce monde pour en rejoindre un décalé de la réalité, et rien ne pouvait l’arrêter. Ce dernier regarda Bae en coin, qui devait se demander quel était cet énergumène. Il se pencha vers lui avec un air de confession. « Je vais répondre à ta question : oui, il est toujours comme ça. »

Mots: 978

Oniyumi et galettes de riz
Flashback.

Les épaules de Min furent secouées par un rire franc alors qu'Eiko l'avait pris par la main et tentait de l'entraîner dans sa course, comme s'il était aussi léger qu'une plume. Min avait beaucoup ri pendant la journée, tellement qu'il sentait ses zygomatiques fatigués par l'exercice. « Attends un peu, Eiko ! Mais où vas-tu ! » Parvint-il à formuler une fois son rire calmé. Il essuya une larme d'un geste de la manche et, de l'autre, entraîna Eiko dans la direction opposée. S'il avait eu un peu plus de force, Eiko et Xue se seraient envolées toutes les deux avec son impulsion. Surprise autant par la prise d'Eiko et l'élan de Min, Xue poussa un cri d'excitation et bondit vers eux. « En route ! En route ! » S'exclama-t-elle en gambadant. L'éclat carmin des lanternes dansait dans ses prunelles.

Min se joignit à la danse et gambada en direction du défilé. Une fois arrivés, ils se pressèrent dans la foule pour s'approcher de la procession qui commençait sa route. Ce fut un bouquet de couleurs vives, de tintements, percussions, tissus et arabesques ; un véritable feu d'artifices avant l'heure. Xue et Min avaient mis leur masque et avaient suivi la procession en dansant au rythme des percussions. Ils avaient chacun retrouvé des amis et des membres de leur famille, mais ils ne prenaient pas le temps de discuter : il y avait trop à voir et à ressentir.

Petit à petit, la foule d'Orines s'était épaissie, jusqu'à atteindre le Temple de Línggǎn. La petite Xue, qui débordait d'énergie depuis le lever du soleil, avait été frappée de fatigue. Min la portait sur ses épaules. Il était fatigué, lui aussi, mais l'excitation lui prodiguait une énergie infinie. Les danses du dragon l'avaient inspiré pour ses propres chorégraphies. Une ribambelle d'émotions le grisait, comme s'il avait bu trop de saké. Un grand sourire s'accrochait à ses lèvres, en réponse à celui qu'il voyait sur tous les visages.

Min applaudit quand les effigies aux Oniyumi s'illuminèrent. Il échangea des regards complices avec Bae et Eiko. Tous s'abreuvaient de la solennité du moment. Puis, la foule attendit que le bouquet final ne close la journée. Xue avait été soudainement tirée de sa torpeur par les applaudissements et demanda à descendre. Elle baissa la tête et joignit les mains dans une courte prière. Une fois qu'elle eut tourné ses grands yeux vers lui, à moitié dissimulés sous un masque blanc et rouge, Min s'accroupit et lui fit signe de venir sur ses genoux. « Tu connais l'histoire de Línggǎn, Xue, n'est-ce pas ? » S'enquit-il. « Oui, je la connais super bien ! » S'exclama-t-elle, son énergie retrouvée.

« Elle fut la troisième femme de Hahanaru Shizen, notre Mère à toutes. D'elles, naquit l'Æther des Arts... Kennocha. » A mesure qu'elle parlait, Xue avait baissé la voix, comme pour souligner son respect envers les Déesses de son peuple. Min hocha la tête. « Et Kennocha donna naissance à Subarashī, l'Æther du Beau », compléta le blond. Il leva les yeux vers le ciel et admira les étoiles. Son coeur manqua un battement. Cette journée avait été si belle et heureuse. Il se sentait vivant, empli d'émotions magnifiques, son âme chantant de bonheur. Le blond vouait un culte à tous les Ætheri de la race, mais Línggǎn avait une signification particulière pour lui, car rien ne l'effrayait plus que le vide insurmontable dans son âme que laisserait la perte de l'inspiration.

« C'est par l'oeuvre de Línggǎn que nous sommes bénies par l'Inspiration. Et sans cela, comment nous serait-il possible de Créer ? Comment pourrions-nous donner vie au Beau ? Elle est au coeur de notre raison d'être. Que Línggǎn bénisse tes pas, Xue. Vos pas », rectifia-t-il en souriant à Eiko et Bae, réalisant qu'ils avaient tendu l'oreille. Il reignait une osmose puissante entre les quatre compagnons. Ils étaient liés par les souvenirs de la journée, par leurs émotions mais surtout, leur amour pour le Beau. Min avait été inspiré par toutes ces personnes, et c'était un précieux cadeau. « Oooooh ! La première flamme ! » S'exclama soudain Xue en tapant des mains. La foule entière, comme un seul corps, riva ses yeux sur le feu d'artifice. Les lumières se reflétaient sur leurs pupilles dans la nuit, formant une constellation d'étoiles terrestres. Celles de Min coulaient sur ses joues comme des étoiles filantes.

Mots: 775
FIN !