Lia était au marché. En fredonnant, elle gambadait, sautillait et se faufilait entre les passants. La foule était assez dense et curieusement, elle ne heurtait personne ni ne se faisait aborder ou dérober par qui que ce soit. Pourtant, son panier rempli de marchandises qu'elle balançait d'avant et arrière dans son élan enjoué, ne manquait que d'une étiquette "servez-vous" pour que le coup de main ne devienne légal. Sans parler de sa monnaie, qui tenait dans un petit sac en bandoulière mal fermé et malmené par sa danse, et qui faisait un bruit de cliquetis constant. Mais on la laissait tranquille. Les voleurs ne devaient pas être d’humeur.
Lia était donc au marché. Elle avait acheté n'importe quoi : des fleurs, des bonbons et une petite peluche trop mignonne de poussin. Soit à peu près rien de ce qui était sur la liste que Kitoe avait rédigé. Mais la gamine s'en fichait un peu. Aujourd'hui, elle avait décidé qu'elle ne savait pas lire et qu'elle voulait se faire plaisir. La plus grande irait refaire ses emplettes si ça lui chantait ; elle, elle voulait surtout s'amuser ! Elle aimait bien le marché et dernièrement Kitoe l'en avait beaucoup privée, alors aujourd'hui, c'était son jour rien qu'à elle !
La petite fille s'arrêta devant un vendeur d'esclaves, qui exposait fièrement ses produits. Cela faisait longtemps qu'elle n'en avait pas vus ! Les hommes et femmes enchainés étaient alignés devant le stand. Le marchand criait pour attirer l'attention et lister les qualités de ses différentes bêtes ou des réductions alléchantes sur l’une ou l’autre. Lia les détailla uns à uns avec un demi-sourire. Tous essayaient de ne pas croiser son regard, probablement parce qu'on leur avait enseigné que ce n'était pas poli. Ils étaient tous très grands et se tenaient très droits. S'ils n'avaient pas eu les yeux, la jeune fille aurait pu parier qu'il s'agissait de statues. Ceux-là devaient être vraiment forts à "Un, deux, trois, Jeriel". Peut-être pouvait-elle en acheter un pour qu'il devienne son ami et qu’ils puissent y jouer ? Oui, c’était une bonne idée. Mais pour ça, elle devait trouver le meilleur.
-Pourquoi celui-là a une muselière ? Demanda-t-elle très fort en pointant nonchalamment une direction du doigt.
Le concerné se trouvait en retrait, caché derrière le mur humain. Il se tenait mal et n'arrêtait pas de gigoter. Lorsqu'il s'aperçut qu'on le désignait, il sursauta et se retourna comme pour se cacher.
-Celui-là n'a aucun intérêt, petite.
Le commerçant était un grand monsieur costaud, chauve, et avec des gros sourcils froncés. Il faisait au moins deux fois sa largeur, presque deux fois sa taille, et ses biceps étaient plus épais que des poutres en chêne massif, surtout lorsqu’il avait les bras croisés. En bref, il était très impressionnant. Elle le considéra pourtant comme s’il s’agissait du roi des cons. Elle ne comprenait pas sa réponse, car ça ne répondait pas du tout à sa question.
-Oui mais pourquoi ? Je veux le voir.
-C'est un sauvage, petite. Je suis sûr qu'on peut te trouver un compagnon plus intéressant que celui-là.
Ses poings se serrèrent sous l'effet de la contrariété. Oui, il était complètement bête ce vendeur.
-Alors déjà, je suis pas si petite que ça et en plus eh bah c'est lui que je veux voir !
Elle aurait bien aimé que de la vapeur sorte de ses narines comme un dragon énervé, mais elle ne savait pas comment faire. Toujours était-il qu’elle était très sérieuse et que ça au moins, le bonhomme le saisit. Finalement, son haussement d'épaules traduisit un "comme tu voudras" qui déclinait toute responsabilité auprès des parents s'il arrivait malheur à l'enfant.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]-Clark ! Viens ici ! Aboya-t-il.
Un ou deux grognements plus tard, l'esclave était à la hauteur de son maitre. Celui-ci le saisit par la laisse à son cou.
-Voici Clark. Un Réprouvé qu'un collègue a retrouvé dans une forêt, sur le continent Naturel. Sa mère a dû crever ou l'abandonner, ce qui serait pas étonnant vu comment il est moche et con. Il est maigrichon et son dos malformé ne lui permet pas de se tenir droit. Il se prend pour un animal et il sait pas parler, mise à part deux trois mots de temps en temps. Ça doit être un de ces désespérés mentaux dont personne ne veut. Comme il est agressif, on a cru bon de lui faire faire des combats à une époque, mais j’ai jamais vu un échec pareil.
Les yeux grands ouverts, Lia essayait de capter son regard, mais l'énergumène faisait tout pour le fuir. Même s'il était voûté, il était assez grand et dépassait la gamine de deux têtes.
-On dirait un loup.
Il était pâle, sale et ses cheveux mal coiffés étaient aussi blancs que de la neige boueuse en train de fondre. Ses pupilles semblaient transpercer tout ce qu'elles voyaient et Lia aimait bien ses iris jaunes. Il avait de sacrées cernes et des cicatrices un peu partout. Son visage constamment crispé donnait l'impression qu'il était en colère, alors que le reste de son corps trahissait d'une nervosité grandissante. Il respirait d'une manière assez chaotique et bruyante, lui-même ne semblait pas comprendre pourquoi.
-Un loup ? Il ricana. Crois-moi petite, achète-toi un chien, ça vaudra mieux. Celui-ci pige pas la moitié des ordres et ce qu'il comprend, il le fait mal.
Toutes ses critiques amères n'affectaient absolument pas Clark. Probablement qu'il n'écoutait même pas. Lia lui tendit sa main, mais il tira soudainement sur sa laisse pour essayer de s'écarter. Puisqu'il ne pouvait pas, il émit une plainte et se mit à grogner en montrant ses dents.
-Moi je l'aime bien.
Lia avait toujours voulu d'un animal de compagnie et celui-ci la touchait particulièrement. Elle ne savait pas pourquoi, elle sentait une sorte de connexion. Elle était sûre qu'elle pouvait en faire quelque chose et que ce monsieur ne l'avait pas bien dressé, et que c'était pour ça qu'il était nul.
-Je peux l'acheter ?
-Est-ce que t'as au moins l'argent pour ça ? Se moqua le plus grand.
La petite lui présenta le contenu de son sac en bandoulière. Il haussa ses deux sourcils broussailleux, puis sourit de toutes ses dents. Cette gamine trop naïve était une belle occasion de se débarrasser du boulet pour trois fois sa valeur.
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Lia s'empara de la laisse que lui tendait le marchand. Elle était ravie : elle venait d'acheter son premier esclave ! Elle avait tellement hâte de le montrer à tout le monde à la maison ! Sur le chemin du retour, l’enfant fit part de sa joie à son nouvel animal de compagnie. Celui-ci était assez peu réceptif à ses propos. Il avait plutôt tendance à jeter des coups d'œil en arrière, tout en tirant sur ses liens pour les retarder.
-N'aie pas peur, Clark. Je vais m'occuper de toi personnellement et personne ne te fera de mal.
Elle fit volte-face et se suspendit à son collier pour qu'il se baisse à son niveau. Lorsqu'il obtempéra enfin, elle prit son visage entre ses deux mains. Il puait.
-Et si Kitoe essaie de te manger, je l'en empêcherai. C'est promis. Je prendrai soin de toi et je te dresserai comme il faut et on deviendra copains. T'es d'accord ?
Elle n'était pas bien sûre qu'il comprenait tout ce qu'elle disait, alors elle espérait qu'il saisissait au moins ses intentions. Pour s'en assurer, elle lui offrir un sourire, passa une main dans ses cheveux pour le caresser, puis ils reprirent la route.
