Souvenirs - cuculs la praline - de Viviane

Viviane déboucha sur une grande plaine. Lagherta recelait bien des secrets et, de ce qu’elle avait compris, l’île n’avait pas encore été explorée en entier. Elle s’arrêta sur un petit muret, songeuse. Il était très tôt le matin et il n’y avait personne à l’horizon pour constater sa splendeur. Elle commençait doucement à comprendre qu’elle était peut-être perdue. Hors de son Royaume, les rares individus qui avaient eu l’honneur d’être questionnés par elle n’avaient pu l’aider. Ils ne connaissaient pas Wilmard, chose qui lui paraissait aussi incongrue que stupide. Ainsi, tous ceux qui l’entouraient étaient-ils totalement incultes ?! Un Royaume de cette splendeur ne pouvait pas être ignoré des individus de bonne éducation. Elle soupira et perdit son regard sur le lointain, se remémorant un souvenir en particulier. C’était ancré en elle, ce moment qu’elle avait passé avec Tristan. Ils n’étaient pas encore mariés, à cette époque.

« Ma Dame, me feriez-vous l’honneur de m’accompagner en promenade ? » Le jeune homme fit une révérence. Il avait un rang nobiliaire supérieur au sien. Il était le véritable Roi du Royaume. Néanmoins, elle était une femme extraordinaire et, à l’avenir, elle gérerait les affaires d’une main de maître, auprès de son beau Souverain. « Mais avec plaisir, Prince Tristan. » « Parfait. J’ai fait préparer mon cheval. » « Votre… cheval ? » « Oui, nous n’allons pas y aller à pied. » « Avez-vous une idée fixe sur la destination ? » « Je pensais à un pique-nique. » « Oh, quelle bonne idée. » « Dans une grande plaine. » précisa-t-il. Elle lui sourit.

Plusieurs minutes plus tard, les deux tourtereaux galopaient fougueusement dans une étendue d’herbe grasse. Elle sentait le torse de Tristan contre son dos. Il ne cachait pas son attirance. Il ne la vocalisait pas pour autant, pas d’une façon qui aurait choqué les usages du moins. Leur relation avait toujours été extrêmement courtoise. Elle n’avait jamais dérogé à l’étiquette et celle qui rêvait actuellement à ce souvenir en particulier n’avait aucune idée de l’influence des Faes sur son attirance pour le futur Roi. Enfermée dans son rôle, elle n’avait jamais compris n’être qu’une marionnette. Conte pour midinettes, il fallait que l’histoire fût raisonnable. Pas de sexe. Pas de mots crus. Juste une romance à l’eau de rose parfaitement adaptée pour les jeunes filles. L’héroïne, elle, était parfaite et représentait – selon la Fae – un modèle pour ces jeunes lectrices. Bien sûr, des individus d’un âge plus avancé lisaient également le Conte. Alors, ce qu’il se passait actuellement dans le pantalon de Tristan, son érection, était totalement absente de la narration. Ils vivaient ce que la Fae désirait qu’ils vécussent et ne se rendaient pas réellement compte d’être pris dans une histoire cucul la praline. Pourtant, depuis que Viviane n’était plus dans le Conte, les choses avaient bien changées. Tout s’était détraqué. Elle n'en savait rien.

La nouvelle Déchue, assise sur son muret, soupira d’aise en se rappelant le baiser – sage – qu’ils avaient échangé sous un vieux chêne, au bord d’une petite rivière. Son Tristan lui manquait légèrement, même s’il y avait quelque chose d’étrange qui s’éveillait en elle à son propos. L’aspect trop lisse, trop sérieux, trop bon, commençait à l’irriter. Pourquoi maintenant, alors qu’elle ne l’avait jamais remarqué avant ? Elle n'en savait rien. Elle n’avait pas conscience de ne plus être dans son Monde et, par là-même, d'avoir reçu la liberté d'endosser le rôle qui lui irait le mieux : sa véritable personnalité.

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