L’histoire n’était pas un sujet qu’Otoris trouvait passionnant, et ce professeur remplaçant — Monsieur Nylerante — n’aidait certainement pas à éveiller l’intérêt de ses élèves dans cette matière. Malgré ses défauts, l’homme possédait tout de même un savoir presque encyclopédique sur le passé, ainsi que sur les diverses théories des historiens à son sujet. Cette qualité s’était avérée fort utile aujourd’hui, puisque le programme du jour était centré sur l’histoire ancienne. Ces récits d’un monde qui semblent si iréels de nos jours. Deux reines pour une si large portion des Terres connues ? Comment pouvaient-elles avoir des sujets aussi variés, des sirènes aux Mord’th en passant par les nains et les humains ? Les trois quarts des races mentionnées avaient connu au moins un génocide depuis. Pour Otoris, il était donc à la fois délicieux et difficile d’envisager un monde aussi polarisé et uni à la fois. L’idée le séduisait autant qu’elle le laissait dubitatif quant à sa faisabilité.

Il avait à peine pris le temps de noter ses devoirs. Ce n’était pas un mauvais élève, mais trois heures d’histoire n’avaient pas laissé ses nerfs indemnes, quand bien même la séance avait été inspirante. Son cerveau peinait à réagir. Pour la première fois depuis un certain moment, il ne répondit que par un hochement de tête quand Asra lui demandait s’il voulait aller Aux petits Sënthirs. C’était une taverne assez populaire, ouverte à tous, mais dont la clientèle était constituée d’élèves un peu plus âgés. L’endroit idéal pour prendre l’air et détendre son esprit encore embrumé par le cours d’aujourd’hui.

Daïa était arrivée et, après un court échange qu’Otoris suivit avec autant d’attention qu’il le pouvait, le magicien et l’ygdraë partirent chercher un autre de leurs amis. Hasmal était un autre étudiant de première année, arrivé un peu plus récemment que les autres. Élève de la Craie assez timide, il avait fini par atterrir dans ce groupe plus par association que par désir. Les membres du club de jeux de rôles — dont il faisait partie — avaient dû passer commande auprès du club de tricot : c’est ainsi qu’Hasmal et Otoris, qui avaient plusieurs amis en commun, s’étaient rencontrés.

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« Le cours de poterie est où, déjà ? » Otoris suivait naïvement son amie jusqu’ici et, après quelques détours, commençait à douter de ses capacités d’orientation. « Au plus profond coeur de Basphel, dans les grottes secrètes. » Cette blague aurait une tonalité différente pour Otobis. « De quoi ? » – « C’était du sarcasme. C’est par ici. » Daïa pointait vaguement sa droite du doigt. Cependant, elle finit par remarquer qu’Otoris fixait un peu trop dans la direction indiquée. Ce qui attirait son attention n’était rien de moins qu’un tableau. Un tableau ambulant et gigantesque, en fait. Avec un peu plus d’attention, l’on pouvait sans doute voir qu’il s’agissait d’une représentation de la reine réprouvée. La peinture semblait d’excellente facture. Comment arrivait-elle à se déplacer ? Eh bien, en observant un peu en dessous, l’on pouvait apercevoir des jambes. Un élève portait l’oeuvre, quand bien même elle faisait deux fois sa taille.

Otoris fit quelques pas de côté, pour voir une jeune fille qui avait l’air particulièrement motivée. Mélusine semblait épuisée et colérique, mais continuait à porter sa peinture. « Qu’est-ce que… » — « Invasion de mites dans ma chambre, je dois bouger mes effets personnels le temps de la désinfection. » — « Et pourquoi tu as un tableau gigantesque ? » — « Je l’ai trouvé par terre. » — « Ah, la chance ! » Daïa intervint, foudroyant amicalement son ami du regard. « Elle faisait de l'ironie. Viens Oto, on est censés voir Hasmal. Courage pour le transport ! » L’ygdraë fit un petit signe à la cancre, avant de courir en direction du cours de poterie.

« Oh, qu’est-ce que vous faites là ? » Hasmal venait de sortir de classe. Il avait l’air légèrement maussade. « Asra nous a proposé d’aller manger Aux petits Sënthirs. Elle est allée chercher Wil, tu nous rejoins ? » – « Hum… oui. Les autres seront là ? » Il ne les connaissait pas tous, mais avait pu voir la majorité d’entre eux. « Émilie et Isaline sont en atelier spécial, Luzinker s’est fait porter pâle et est consigné à l’infirmerie. Et Mangue… elle doit probablement être en train de finir sa sieste. Kerlaed est là ? » – « Non, il aide ma sœur à bouger ses affaires, il y a eu un souci dans sa chambre. » Daïa et Otoris s’échangèrent un regard.

722 mots. Je poste sur Siruu du coup :D. Comme prévu, Otobis viendra après.

La mélasse sombre était en ébullition depuis quelques minutes déjà, et prenait une allure menaçante. L’apprenti sorcier craignait que son chaudron ne se fracture sous la pression du liquide, qui semblait prendre vie. Malgré l’appréhension, un rictus se traçait sur ses lèvres. Bientôt, il aurait le contrôle. « Un engrais pour les gouverner tous, un engrais pour les trouver, un engrais pour les amener tous… » L’incantation n’était pas nécessaire à la réalisation de la potion, mais Otobis trouvait que cela ajoutait du panache au processus. Il ne restait plus qu’un ingrédient à incorporer : du cordyceps.

« Et dans les ténèbres, les lier ! » Cependant, à peine eut-il introduit la poudre de champignon que la solution se sépara, créant une écume verdâtre en son sommet. Le clone essaya alors de sauver la potion en touillant le contenu du chaudron, mais cela ne fit qu’empirer les choses : des filaments solides s’accrochèrent à ses ustensiles de cuisine. Il fallait se rendre à l’évidence, aujourd’hui ne serait pas le jour où le mage noir réussirait à effectuer une potion de contrôle des arbres. Était-ce un manque d’instructions, un défaut d’assiduité, ou de magie ? Un peu des trois, en réalité. Il était trop ambitieux, et trop peu talentueux. Jusqu’ici, les seuls philtres qu’il avait pu créer avec succès étaient connus pour leur simplicité enfantine.

Otobis remarqua la présence de Pépite, qui, assis sur un lit, fixait paisiblement le sorcier tandis que ce dernier s’acharnait contre son chaudron. « Je t’y verrais bien, toi ! » Les petits yeux globuleux du chat semblaient dédaigneux. « Je fais ce que je veux ! Et c’est pas un échec, c’est juste une étape vers une future réussite. » Son interlocuteur ne répondait pas, mais il n’avait pas pour autant l’impression de gagner ce débat. « Oui, oui, très bien, je vais nettoyer ça avant qu’il ne revienne. Ne cafte pas ou je te le ferais payer ! » Laissant négligemment sa cuillère en bois tomber au sol, le blondinet sortit en trombe de la chambre.

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« Otoris ? Je ne t’avais pas vu par ici. » Yuan servait d’assistante à la bibliothèque. Elle voyait souvent le sorcier passer emprunter des livres, et pensait qu’il devait être studieux. Son superviseur lui avait dit que le garçon Dantilleul était un excentrique – comparé à sa sœur, mais elle n’avait pas fait la même observation. Il semblait discret et courtois. « Qu’est-ce tu cherches aujourd’hui ? » Le faux magicien sourit. Il aimait bien être reconnu : cela n’arrivait pas souvent. « La Magie du Nettoyage de Potions par Marianne Kondorens. Je vous le rends dans la semaine ! » L’on ne pouvait pas simplement disposer des résidus de potions ratées en les vidant au hasard : cela pouvait avoir des conséquences catastrophiques, même lorsque la magie du créateur était faible. Il y avait des méthodes et des procédures spécifiques à respecter, et Otobis voulait se prêter au jeu. « Celui-là spécifiquement ? Il a déjà été emprunté, malheureusement. Mais ne t’inquiète pas, on en a commandé un nouvel exemplaire. Attends un instant, je vais regarder si on l’a déjà reçu. »

Quelques minutes plus tard, le jeune élève repartait avec le livre souhaité dans son cartable. Les livres souhaités, en fait. La décision avait été prise spontanément. Il avait déjà volé précédemment, et n’avait jusqu’ici jamais été retrouvé. C’était bien là le seul avantage à ne pas être remarqué. Alors, tandis que l’orine s’affairait à chercher La Magie du Nettoyage de Potions ailleurs, lui avait pu se faufiler dans une section de la bibliothèque proscrite aux élèves de moins de seize ans. La protection n’était pas magique et formelle : accompagnés d’un tuteur se portant garant, ils pouvaient s’y rendre sans trop d’inquiétudes. Cependant, Otobis ne voulait pas que quiconque soit mis au courant de son intérêt pour le Sgoliearachd Glias Dherean. Ce livre était aux antipodes des valeurs magiciennes et, pour l’heure, il devait encore prendre l’identité d’Otoris.

Sur le principe, le clone aimait beaucoup Jauris Aregius. Cet ancien auteur fut sans doute l’un des plus prolifiques, si bien qu’on le soupçonna d’avoir des porteplumes et autres doubles travaillant pour lui. Le quasi-sorcier aimait à penser que Jauris était un jour dans la même situation que lui, et renversa son original pour le forcer à écrire pour lui. Comment aurait-il pu avoir une bibliographie aussi riche, autrement ? Il avait autant de publications scientifiques que de romans, et avait su préserver une majorité de ses œuvres. Beaucoup de ses contemporains voyaient ce cher monsieur Auregius comme un créatif incapable de suivre une méthodologie scientifique correcte, mais le temps leur donna en partie tort. Le Sgoliearachd Glias Dherean finit par être considéré comme un excellent outil pédagogique, et devint une lecture répandue au travers des écoles sorcières. Otobis aspirait à un jour obtenir le niveau de prestige et d’influence de Jauris Auregius.

Avoir pu subtiliser un livre lui apportait un peu de réconfort. Au moins, cette journée n’aura pas été un échec total. Néanmoins, avant de se plonger dans les lignes de ce grimoire, le clone savait qu’il devait se dépêcher de regagner sa chambre. Si Otoris découvrait encore un chaudron sale, il allait finir par suspecter quelque chose. Heureusement que le magicien n’avait pas la lumière bleue à tous les étages et aimait voir le bien au fond de chacun : autrement, il aurait dénoncé son clone clandestin auprès des autorités de Basphel.

Les couloirs étaient vastes et, à cette heure-ci, vides. Pourtant, le sorcier était trop perdu dans ses pensées pour anticiper la collision. Le cartable — qu’il avait eu la merveilleuse idée de porter à une main — lui échappa des doigts. Il reconnut Asra directement, mais était trop embarrassé pour que le moindre mot sorte de sa bouche. C’était une situation assez affreuse, compte tenu de la proximité entre la magicienne et l’original. Après quelques secondes et une remarque de la part de sa camarade, le clone commença à rassembler son courage. « Oh ! Je… euh. C’est vraiment une drôle d’histoire, tu n’y croiras pas. » Mince. Il n’avait pas d’alibi à raconter. Que faire ? Hurler ? S’évanouir ? L’attaquer avec son sac ? Non, ce n’était pas raisonnable. Ce qui était certain, c’est qu’il ne devait absolument pas mentionner…

« Le livre ! Je l’ai volé. Enfin, par erreur. Pas vraiment, mais… » Il n’avait aucune idée de pourquoi il venait de confesser ça. Elle n’avait aucune raison de suspecter quoi que ce soit. Le garçon s’était tellement concentré sur le fait de parler pour éviter tout silence embarrassant, qu’il en avait oublié quoi dire et débitait ses premières pensées à voix haute. « Ah, non ! Blague, ha ha. » Et maintenant, il ne savait plus faire de phrases. S’il continuait comme cela, il allait se noyer dans sa propre logorrhée. Après une longue inspiration, il essaya de retrouver son calme. Sans succès, bien entendu. Il ne s’appelait pas Phédoras Vaughan non plus, et n’exerçait aucun contrôle sur ses émotions. Toutefois, après un léger rire anxieux, il put articuler un « à l’aide » qui s’adressait autant aux aetheri qu’à Asra.

1191 mots.

Asra demeurait relativement calme et tolérante. Elle faisait même preuve de patience, vis-à-vis de celui qu’elle pensait être son ami. C’était sans doute dû au fait qu’il ne se comportait pas comme le vrai magicien. Pour qu’Otoris paraisse si déboussolé, il faudrait qu’il soit réellement traumatisé, et cela forcerait l’empathie de quiconque. Néanmoins, Otobis se sentait bête, et ce n’était pas uniquement dû au fait que la panique lui laissait des capacités d’élocution approchant celles d’un nourrisson affamé. Avant tout, il ne comprenait pas pourquoi il avait ouvert la bouche en premier lieu. Il aurait pu faire semblant d’être devenu muet à cause d’un sort, il aurait pu prétexter d’être pressé, il aurait pu partir en courant sans un mot, mais non, son esprit avait décidé que la meilleure solution était de tout révéler à la meilleure amie de l’Original. Heureusement que cela n’avait été qu’Asra et non Blu : sa sœur n’aurait pas été aussi douce et aurait rapidement compris que quelque chose clochait.

« Je… oui, tu as raison. » Le clone était plutôt fier d’avoir réussir à aligner quatre mots : cela devait être son plus haut score. Revigoré par ce constat, il enchaîna en essayant d’imiter l’entrain d’Otoris. « Mais on n’aura peut-être plus l’opportunité de regarder le Sgoliearachd Glias Dherean après aujourd’hui. Et peut-être qu’une information là-dedans sera très importante, un jour. » Fébrilement, il lui tendit le livre. « C’est un grimoire écrit par un sorcier. » Il cherchait ses mots. Que dirait le magicien, dans cette situation ? C’était difficile à dire, parce qu’il ne serait pas allé voler un bouquin en premier lieu. Il ne parlait pas souvent des sorciers : le concept lui semblait trop abstrait. Alors, Otobis ne pouvait qu’improviser à partir de là. « Si on veut unir tout le monde quand on sera plus grand, il faut les comprendre, non ? »

L’apprenti mage noir se mordait la langue. Il rassemblait toutes ses forces pour transformer sa mine inquiète en une expression plus neutre. Il savait que l’Original n’aurait probablement pas utilisé cet argument. Otoris n’était pas vraiment un savant : le partage des savoirs n’était pas quelque chose qui revenait souvent dans ses discours enflammés. Il pensait simplement que les membres de races maléfiques ne se rendaient pas compte qu’ils faisaient le mal, et pouvaient être éduqués avec de la compassion et des argumentaires moraux.

« Enfin… c’est ce que je pensais. Si tu veux, on peut aller le reposer tout de suite. Ou alors, on peut juste lire une page ou deux ? » Le clone força un sourire se voulant serein, mais qui exsudait l’émotion inverse. « Comme tu veux, de toute façon je ne sais pas si c’est un bon grimoire. Ha ha. » Il commença à articuler quelque chose avant de s’arrêter net. Il avait failli dire « les autres livres sorciers que j’ai lus étaient pas très amusants, j’espère que celui-là est meilleur », ce qui n’aurait certainement pas arrangé sa situation. Otobis n’avait jamais eu autant envie de se brosser les dents avec un tube de glu pour s’empêcher de parler à tout jamais.

509 mots.

L’apprenti sorcier était ravi de voir qu’Asra semblait accepter son explication. Quand elle lui demanda de quoi parlait le livre, il eut envie de lui offrir une explication détaillée, mais se retint par peur de trop en dire. « C’est un grimoire de magie. Je crois que ça parle de vampires, à un moment. C’est bizarre. » Jauris Auregius n’était certainement pas un auteur récent. Il avait vécu à une époque où le Sanctuaire Noir était partagé entre les sorciers et les enfants de la nuit, et avait donc pu collaborer avec ces derniers. Fasciné par l’immortalité et ses différentes formes, il clamait souvent que son magnum opus serait sa dernière œuvre : un manuel détaillant de nombreuses formes d’éternité qu’il jugeait supérieures à un simple arrêt du vieillissement. Pour cela, il voulait s’inspirer du sommeil éternel ainsi que des lignées vampiriques qui, à l’époque, n’étaient que peu recherchées. Malheureusement, comme cela arrive souvent avec les scientifiques trop zélés, il mourut avant de publier ledit livre, et beaucoup en conclurent que ses recherches n’aboutirent jamais concrètement. Otobis avait appris toutes ces informations dans l’ouvrage "L’apport scientifique des peuples bénéfiques et maléfiques", une lecture optionnelle recommandée par Basphel pour favoriser l’ouverture d’esprit de certains étudiants.

Otobis survolait des yeux les lignes du grimoire, par-dessus l’épaule de la magicienne. Elle avait raison : les runes qui étaient apparues sur leur peau n’avaient visiblement pas grand-chose à voir avec celles présentées par l’auteur de ce livre. Ses tracés étaient précis et familiers, mais les motifs qu’ils contenaient n’étaient pas ressemblants à ceux qu’ils avaient pu voir dans les mystérieuses grottes de Basphel. C’était en tout cas une des premières observations qu’Asra fit, et le clone était plutôt d’accord avec elle. Puis, la meilleure amie d’Otoris tourna une page.

« Ah, attends. Cette rune ressemble un peu à la tienne, tu trouves pas ? Elle est juste plus penchée… et il y a une espèce de boucle en plus. Bon, c’est peut-être pas si ressemblant en fait. » Les explications de Jauris Aregius n’étaient malheureusement pas à la portée d’adolescents. « En grande pauvreté ne gît pas grande loyauté du mobilier, et la rune ci-contre décrite permettra de siccare vos aedes imprégnées comme embrumées. » Bien que cette édition ait été imprimée en langage commun, le vocabulaire employé demeurait nébuleux, et il semblait évident que ce livre avait été rédigé il y a longtemps, pour des élèves accoutumés aux pratiques sorcières. Certains mots semblaient même être des transcriptions de l’Obien Syliath. Otobis crut reconnaître l’un d’entre eux. « Siccare, je crois que c’est sécher… c’est un sort de déshydratation ! » Le sorcier était si surpris qu’il en oublia de rester discret. « Désolé. »

Après avoir essayé de se recentrer, il relit le passage en question. « Pauvreté du mobilier… loyauté… ah, c’est peut-être juste pour rendre les sols étanches. Ou sécher après avoir passé la serpillère. Les sorciers ont des serpillères ? » Le clone abandonna aussitôt son rêve de momifier l’original en utilisant cette rune pour le drainer de toute eau. « En tout cas, même si ça y ressemble un peu, ça n’est probablement pas lié à nos runes… » Il n’était pas particulièrement déçu, mais savait qu’il faudrait de toute façon reposer ce grimoire avant que la bibliothèque ne ferme. « Enfin, je sais pas. Si on veut en savoir plus sur elles, il faudrait peut-être qu’on trouve un livre sur les gens qui vivaient ici avant la construction de l’école. »

569 mots.

Il n’est pas compliqué de deviner qu’en ce contexte, Otobis jubilait. Qu’il peinait à réaliser ce qu’il se passait. Qu’il ne savait pas comment réagir face à Asra qui, visiblement, se comportait comme s’ils étaient amis. Ce qui est moins évident, en revanche, c’est de ressentir à quel point l’apprenti sorcier était soulagé. Après des mois à penser qu’il serait incapable d’interagir correctement avec les camarades d’Otoris, le voilà en train de sympathiser avec sa meilleure amie. Cela ne devait vouloir dire qu’une chose : il était compétent, au moins par intermittence.

« Je pense qu’ils doivent être aussi avancés sur les runes que nous sur les pentacles. » Cette phrase lui était venue si naturellement qu’il n’avait pas pris le temps de réfléchir si l’Original l’aurait prononcée à sa place. Peu importait : ils étaient en train de lire un grimoire de magie noire, et c’était déjà en dehors des plates-bandes du magicien étincelant. Certes, Otoris répondait autant à l’autorité qu’un sourd aux murmures, et commettait donc quelques infractions. Néanmoins, il n’était pas du genre à se renseigner sur les runes.

« Si les magiciens utilisaient les runes, ils devraient utiliser du sang, et c’est pas très propre… je me demande comment les sorciers font pour leurs tâches quotidiennes. Est-ce qu’ils peuvent prendre le sang des plats non végétariens à la cantine ? » Les écoles de sorcier étaient un sujet qui fascinait Otobis : souvent, il s’était rêvé là-bas. Il idéalisait sans doute le décor, car il les imaginait comme un endroit où il serait aimé, voire idolâtré. Il se voyait bien être surnommé « Le garçon qui a survécu à Basphel », et partir dans de grandes aventures avec ses deux amis — dont l’un serait roux —.

« Mais c’est vrai que nos runes n’ont rien à voir… est-ce que les gens qui ont créé les caves de Basphel étaient des sorciers ? Peut-être qu’ils étaient magiciens, mais ça ne ressemblait pas à des pentacles… » La question lui semblait légitime : qui avait pu créer ces mécanismes ? Il se souvenait vaguement d’un cours dont Otoris lui avait parlé : c’était à propos d’une reine neutre qui régnait sur les Terres de Sympan, et des rebelles qui s’étaient installés ici. « Peut-être qu’il y a longtemps, chaque race avait ses petits glyphes magiques. Et que maintenant, il ne reste que les magiciens et les sorciers. »

Puis, Asra mentionna de nouveau la rune mystérieuse dont ils avaient précédemment essayé de décrypter le sens. « Tu n’as pas tort… mais sinon leurs maisons seraient sales. Et puis, faire le ménage est une bonne manière de se calmer, donc peut-être que l’Empereur Noir fait la poussière de temps en temps. » Otobis prit une pause, surpris par sa capacité à échanger librement avec sa nouvelle amie. « Quoique, pour être Empereur Noir il faut être très en colère, donc peut-être qu’il ne fait vraiment jamais la poussière. Il le devrait. »

Soudain, il sentit une énergie monter en lui. C’était vicieux, blond et riche en ressentiment. Un peu comme lui, en pire. C’était Cindy, autrement appelée Cendrillon. Cette espèce de parasite prenait parfois contrôle de son corps en le transformant. La discussion autour de l’entretien d’une demeure l’avait attirée : elle avait des opinions très tranchées sur les tâches ménagères, et elles impliquaient généralement d’enfoncer toutes sortes d’objets pointus dans les yeux des garces qui lui demandaient de lessiver les sols.

C’est aussi dur à lire qu’à écrire, mais il faut en venir aux faits : Otobis ne voulait pas que la princesse qui vivait en lui ruine la connexion paisible qu’il avait établie avec la meilleure amie de celui dont il était le clone. Et, si cela arrivait, il aurait bien du mal à expliquer à Asra qu’il changeait parfois de genre, car il était hanté par un personnage de conte. Pour se calmer, le jeune sorcier dut se lever un peu rapidement. Il se sentait passablement triste de ne plus avoir de contact physique avec la magicienne, mais essayait de trouver une solution sans gâcher le reste de leur interaction.

« Oh non, je crois que beaucoup de temps est passé… ils vont faire l’inventaire, il faudrait qu’on puisse remettre le livre à sa place à temps. » Il ne savait pas vraiment si un inventaire serait fait ce soir même ni s’il serait vraiment trouvé coupable pour ce vol s’ils ne rendaient pas le grimoire aujourd’hui. Il avait fallu improviser quelque chose pour se distraire et calmer la furie-fée du logis qui le parasitait. « Tu as une idée ? » Fier de sa distraction, Otobis fit un sourire à Asra. C’était une expression sincère, bien qu’elle pâlissait en comparaison de l’Original qui semblait parfois pouvoir montrer plus de dents qu’il n’en possédait.

780 mots.

Otoris et ses amis auraient dû rentrer à leurs dortoirs respectifs depuis près d’une heure, mais interrompaient chaque tentative de clôturer la conversation. « Je te jure que c’est vrai ! » Le magicien leva les yeux au ciel. « Non, tu n’as pas croisé Bae-Bibaba Bottey éméchée. C’est vraiment pas son genre ! » – « C’était à l’anniversaire d’un de mes oncles, elle était invitée. Je pourrais même demander à mes parents et ils te diraient la même chose ! » Wilfried faisait partie de ce genre d’individus qui, même lors d’un léger désaccord, voulait mettre toutes les preuves de son côté. Cela avait le don d’agacer certaines personnes, mais il voulait toujours faire triompher sa vérité. « Je ne te crois pas, c’est tout. » Alors que le lyrienn s’apprêtait à rétorquer quelque chose, Daïa les interrompit.

« Rooh, arrêtez, on s’en fiche. D’ailleurs, il serait peut-être temps de rentrer. Pour de vrai, cette fois. » Otoris était bien obligé d’admettre qu’elle avait raison. « Oui, oui… » Il commença à récupérer chacune de leurs affaires, s’assurant que personne n’ait rien oublié. En partant, sa meilleure amie avait dû laisser un élastique pour cheveux. « Vous savez pourquoi Asra n’est pas revenue, au fait ? » Il montrait l’objet à son groupe comme s’il s’agissait d’un artefact rare. « Peut-être qu’elle avait quelque chose d’urgent à faire. On lui demandera. » L’élu de Sympan autoproclamé pensait que rendre service à autrui faisait partie de son devoir, et se dit qu’il toquerait à la porte de son amie pour lui redonner son élastique.

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Otobis ne pouvait qu’être d’accord avec Asra. Madame Sidiun serait en effet leur plus grand obstacle : elle et les autres adultes avaient été formés pour repérer les délits. Pire encore, elle avait une étrange tendance à se retrouver au bon endroit au bon moment : ainsi, il l’avait parfois vue présentée en tant qu’assisstante de leur professeur d’art, bibliothécaire, agent d’entretien, surveillante, cuisinière en cantine ou encore jardinière. Il ne savait pas comment cette orine s’y était prise, mais elle semblait occuper tous les postes de Basphel à temps partiel, ce qui devait lui offrir un certain avantage.

« Je propose d’ajuster le plan. » Ils avaient dû se rendre dans l’atelier du club de théâtre pour obtenir de l’huile mécanique et, malgré le désordre ambiant, Otobis avait pu remarquer quelques vieux masques accrochés à un tiroir. « On pourrait être anonymes, et utiliser des noms de code. » Il tendit l’un des accessoires à sa nouvelle amie. « Je serai Furet Glacial, et toi… Lynx Cérulien. » Il ne savait pas prononcer céruléen correctement, mais avait entendu ce mot et l’utilisait fréquemment depuis. « Tu prends un mannequin d’ici et tu l’accroches à une des échelles de l’aile ouest. C’est à l’opposé de notre objectif, donc ça nous servira de distraction et on poussera l’échelle le plus loin possible. Pendant ce temps, j’huile les échelles de l’aile est et on pourra les utiliser pour se déplacer discrètement. » Il prit une pause involontaire. Ce plan, il l’inventait en temps réel.

« Mais la section où j’ai récupéré ce livre n’a que des échelles fixes, pas des coulissantes. Et c’est les premières marches qui sont les plus grinçantes… donc je peux placer mes mains pour faire porteur, comme en gymnastique acrobatique. Et tu montes jusqu’aux marches de l’échelle qui ne grincent pas. Et tu redéposes le livre. Puis tu redescends en évitant les parties qui grincent. Et… on repart comme on rentre : ni vus ni connus. » S’il avait été seul, il aurait simplement pu marcher jusqu’au bon endroit pour remettre le livre à sa place, mais Asra n’était pas maudite par le don d’invisibilité et il souhaitait qu’elle l’accompagne. Pour une fois qu’il avait une amie, il ne comptait pas la lâcher.

« Si l’un de nous est démasqué, mais que l’autre a pu s’en sortir… il ne faut pas dire son nom. Même sous la torture. Même menacés de mort. » Telle était la macabre réalité des élèves de douze ans qui décidaient d’emprunter un livre sans autorisation. Dans l’esprit d’Otobis, ce genre de délinquance faisait d’eux des héros de guerre comparables à ceux qui durent tuer leurs proches devenus morts-vivants durant l’épidémie des sans-âmes. Mais, même dans les pires circonstances — une heure de colle — il savait qu’il refuserait de dévoiler le nom d’Asra. C’était le code chez les bandits, et il se considérait désormais comme tel.

719 mots.

Otoris n’eut pas de réponse. Est-ce qu’Asra était occupée ? Avait-elle reçu une mauvaise nouvelle ? Il n’était pas sûr de savoir de quelle manière réagir. Devrait-il ouvrir la porte et vérifier sa présence ? Peut-être qu’elle préférait être seule. « Qu’est-ce que tu fais ? » La voix d’Émilie lui était familière. Il ne l’avait pas croisée aujourd’hui. « Je voulais voir si Asra était là. Elle est partie pendant notre pique-nique. » La magicienne eut l’air de réfléchir. « Vous avez fait un pique-nique sans moi ? » – « Tu étais en atelier, c’est pas contre toi. » – « C’est pas grave, je ne suis pas vexée. » Elle était vexée. « Donc ? » – « Bah Asra a dû partir pour je sais plus trop quelle raison, et elle a laissé son élastique pour cheveux. On l’a pas revue donc c’est bizarre, tu trouves pas ? » Émilie jeta quelques regards en direction des couloirs adjacents, pour vérifier que personne ne les écoutait. « Je ne vois qu’une seule explication. »

« Laquelle ? » Il se rapprochait de son amie, appréhensif. Elle empoigna le tricot qui couvrait son avant-bras, l’air macabre. « Tu sais qui. » – « T-tu veux dire… Sarah la Sirène ? » Le silence de son amie fut une réponse suffisante. « Mais c’est moi qui lui ait donné la copie de la lettre et… c’était il y a assez peu de temps. Elle est encore dans les délais, non ? » Émilie libéra l’habit de son emprise, et recula. « Les créatures des mers sont lunatiques. Peut-être qu’elle a eu une crise de colère… » Elle haussa les épaules. « Enfin, ce n’est qu’une théorie. En tout cas, on était censées réviser toutes les deux un peu plus tôt demain matin. Si elle n’est pas là, je te préviendrai. » La magicienne se mit à marcher en direction de sa chambre comme si de rien n’était, laissant Otoris terrorisé à l’idée que sa meilleure amie se soit fait assassiner par un monstre spectral.

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Otobis et Asra se retrouvaient projetés à une vitesse dépassant leurs attentes. Leur échelle coulissante avait pris de l’élan et, non sans l’aide de l’huile, semblait incapable de s’arrêter. Le grincement qu’ils avaient initialement cherché à étouffer était moindre comparé au bruit qu’une échelle supersonique générait. « Furet-Lynx… comment est-ce qu’on peut l’arrêter ? On s’approche de l’objectif. » Il put ralentir leur moyen de locomotion en s’agrippant à l’une des étagères, mais l’échelle commençait alors à glisser dans l’autre sens. « Il faut sauter. Trois, deux, un ! » Le duo réussit tant bien que mal à quitter l’échelle et à rejoindre la bonne section de la bibliothèque. Le clone pointa du doigt un emplacement légèrement en hauteur. « C’est là que je l’ai récupéré. »

439 mots.