C’était une disposition familière. Une pièce fermée, maigrement éclairée par quelques bougies. Sur les côtés se trouvaient différents placards dont le contenu leur était inconnu. Il semblait aussi y avoir des objets de décoration s’apparentant à des os. Ce décor entourait trois personnages. Au centre de ce donjon se trouvaient une adulte, ainsi que deux élèves ayant commis un délit mineur. Ce scénario se répétait bien souvent. La chaleur des boissons qui leur était offerte par politesse ne suffisait pas à faire oublier l’atmosphère glaciale qui planait sur leur entretien.

La directrice laissait ses doigts glisser contre le bureau en acajou. « Vous avez violé l’une des règles les plus essentielles au bon déroulé de l’apprentissage au sein de notre école… » Otobis, tremblotant devant sa tasse de thé, savait qu’il devait prendre la parole. « C’est de ma faute… mais ça ne se reproduira plus, Madame d’Ovipa. » Avril paraissait furieuse, mais gardait son sang-froid. Elle sourit aux trouble-faits, laissant apparaître des dents pointues. «  Vous me voyez ravie de l’entendre. Mais comment puis-je en être certaine ? » Elle se leva brusquement.

Aucun mot ne saurait décrire à quel point le sorcier était intimidé, en cet instant. Debout, la directrice faisait plusieurs fois sa taille. Ses épaulettes en écailles de dragon ainsi que les nombreux anneaux qu’elle portait donnaient à sa silhouette une structure inquiétante. Pourtant, ce n’était rien en comparaison de ses yeux. Deux iris jaunes qui se plongeaient dans ceux des élèves ayant osé voler ce qui lui appartenait. « Vous n’avez donc rien à répondre à cela ? Vous brisez la confiance que je vous accorde, et c’est tout ce que vous trouvez à dire… c’est bien cela ? »

« C’était seulement pour une après-midi, madame d’Ovipa. Nous n’avions aucune intention de… » – « Silence. » Avril serpentait entre les deux élèves, l’air sinistre. « Je ne vous ai pas autorisés à prendre la parole. Là encore, vous n’attendez pas d’obtenir de permission. » Elle s’arrêta devant Asra, laissant ses ongles effleurer la peau de la magicienne. « Vous n’êtes pas fiables. Vous ne serez jamais de bons élèves, ou des éléments moteurs au sein de l’école. Vous m’avez déçue. » La directrice huma l’air. C’était l’odeur des vilains garnements, de la peur et de la tristesse. Une fragrance très vivifiante, qu’elle savait apprécier.

« Nous vous demandons par- » La langue de la directrice claqua contre son palais. « J’en ai assez entendu. Chaque délit mérite sa punition. « Asra et Otobis étaient désormais incapables de bouger, comme retenus par une force plus imposante et vorace dans tous les sens du terme. Avril semblait glisser sans effort jusqu’aux bougies qui, aux quatre coins de la pièce, offraient aux délinquants un mince sentiment de sécurité. Une à une, les flammes s’éteignaient, jusqu’à ce que la seule source de lumière disponible ne soit les yeux dorés de celle qu’ils appelaient leur directrice.

« Il vous faut un exemple positif, pour vous améliorer. Et mes enfants sont bien plus respectueux de leur Mère que vous. » Ses pupilles verticales ne laissaient aucun doute quant à sa nature, tout comme les griffes qui semblaient maintenant avoir remplacé ses doigts crochus. Les placards s’ouvrirent tous au même moment, et Otobis put discerner malgré l’obscurité des formes qui ne pouvaient qu’être celles d’œufs. La créature étendit ses bras dans toute leur longueur. Elle ne pouvait empêcher sa langue bifide d’apparaitre à travers son sourire aiguisé. Et, dans un dernier sesseyement, ses deux proies purent l’entendre dire « Voilà ce qui arrive, quand on n’obéit pas à la Grande Avril d’Ovipare ! » Un rire hystérique fendait l’air et les coques d’œufs, laissant des serpenteaux aux tailles déraisonnables ramper jusqu’aux deux enfants innocents. Ce serait leur premier repas, et le dernier délit des deux amis.

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« Nooooon ! » Otobis se réveillait en sueur. La sensation froide des reptiles contre sa peau semblait ne pas le quitter. « Encore ? » Le magicien avait déjà été réveillé par les cauchemars de son clone, cette nuit. Il était toujours furieux pour ce qu’il était arrivé, mais ne pouvait s’empêcher de se sentir mal pour les petits délinquants qui, visiblement, avaient passé un très mauvais moment dans le bureau d’Avril d’Ovipa. En employant toutes ses connaissances en magie blanche – c’est-à-dire pas grand-chose, il essayait de calmer son jumeau adoptif. « Oui… c’était si réel. Elle essayait de nous donner à manger à… » Otobis n’arrivait pas à finir sa phrase, ses pensées encore brumeuses. « Ce n’est rien. Tu m’as dit qu’elle nous a juste donné deux petites heures de colle à la fin de la semaine. Pourquoi tu t’inquiètes tant que ça ? » Le sorcier ne l’aurait jamais admis, mais en cet instant, il pouvait apprécier l’attitude écœuramment positive de son modèle. « Je ne sais pas. Elle faisait peur. J’ai cru qu’on allait être renvoyés. » En vérité, il avait avant tout peur que son amie nouvellement acquise ne veuille plus lui parler après cet incident.

Le mage bleu, lui, n’était pas terrorisé à l’idée d’être mis dehors : si le personnel décidait de l’exclure, il resterait tout de même entre ces murs jusqu’à ce que son inscription soit renouvelée. Certains appelleraient cela du harcèlement professionnel, mais c’était le devoir d’un élu de Sympan, d’Hel’Dra et de tous les autres aetheri dont il imaginait obtenir les faveurs. « Mais non, ça n’arriverait pas. D’ailleurs, Asra n’est toujours pas au courant pour… » – « Non, je ne lui ai rien dit. » Pour son plus grand déplaisir. « Fiou’, tant mieux ! Parce que notre secret, c’est probablement une faute plus grave que simplement avoir emprunté un livre sans prévenir. » Otobis avait embelli la vérité, lorsqu’il avait dû expliquer la situation au magicien. « D’ailleurs, qu’est-ce que tu avais emprunté ? » Embarrassé, et encore trop groggy pour inventer un mensonge convaincant, le mage noir en devenir employa une audacieuse stratégie, consistant à marmonner des mots au hasard en feignant de se rendormir.

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