La curiosité de Lucille

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Quête de Top Site (59) : Votre personnage, peu importe sa position, va se retrouver témoin de phénomènes étranges et inexplicables. La nature prendra des teintes bleutées. De petites créatures se faufileront entre les herbes ou les branchages, avec cette éternelle mine étrange, curieuse ou décalée. Le sentiment associé ? Comme si la Magie Bleue, soudainement, s'emballait un peu. Comme si la Création même, soudainement, s'emballait un peu. Et le phénomène s'éteindra, sans plus d'explications.

☙ Sunmi - Borderline

Dans une salle d'étude, une poignée de Basphéliens ployaient la nuque sur leurs devoirs. Le silence studieux était uniquement rompu par le bruit des pages tournées et des soupirs. Les doigts, crispés sur les plumes tels des serres sur leur proies, griffonnaient formules et essais, schémas et ratures. Plusieurs livres ouverts ou en pile formaient un rempart contre le soleil se déversant des fenêtres, les tentacules lumineux aussi tentateurs et cruels pour les étudiants que le chant envoûtant des Sirènes sur des matelots imprudents. Blottie dans un coin, derrière un épais livre de géographie ouvert et maintenu debout, Susannah scrutait ses congénères avec un mépris fasciné. De temps à autre, elle les quittait des yeux pour jeter des remarques sur son carnet secret avant de retourner à son étude assidue des étudiants. Son devoir, superbement vide d'annotations, avait été abandonné négligemment près d'un autre livre après que l'adolescente y eut écrit l'intitulé de son exposé. Une présence se manifesta brusquement tout près d'elle. Penchée par dessus son épaule, une jeune femme lisait sans vergogne les observations de Susannah. Cette dernière sursauta : «Mais qu'est-ce que !» Plusieurs regards noirs la firent baisser d'un ton et la Sirène referma d'un geste sec son carnet. Dans ses yeux gris se confondaient la surprise et l'effroi. Qui était cette femme ? Quand était-elle arrivée ? Qu'avait-elle eu le temps de lire ? «Lucemy a des marques de scarification sur ses poignets.» Récita l'étrange femme avec un air mutin. Elle cala sa main sur sa hanche tandis que l'autre se portait jusqu'à sa bouche avec un air faussement choqué. «C'est vrai ? Bonté divine, la pauvre chérie.» Médusée, Susannah la contemplait sans un mot. La peau diaphane, ses cheveux étaient rassemblés en un chignon bas informe laissant s'échapper quelques mèches brunes et ses yeux noisettes scintillaient de malice. Sa robe rouge découvrant de larges pans de peau était si peu adaptée à l'atmosphère de l'école que Susannah était surprise qu'on l'ait laissée entrer. Pendant son examen de la jeune femme, cette dernière continuait de jacasser à voix haute. «Je me suis déjà mutilée moi-même, pour essayer. Mais je n'y ai pas trouvé la satisfaction que je recherchais. Ça faisait juste un peu mal. Tu as déjà essayé toi ? Tu devrais. Je serais curieuse de voir ce que ça te ferait.» Malgré le ton léger employé, elle semblait sérieuse et Susannah trouvait son regard particulièrement dérangeant. Elle ne cillait pratiquement pas et ne quittait pas la Sirène des yeux. «Bien sûr que non.». Répliqua-t-elle brusquement. Seuls les faibles se laissaient aller à de telles extrémités et il était hors de question qu'elle décide de marquer sa peau de façon aussi disgracieuse. «Ah oui ? Tu préfères peut-être si c'est quelqu'un d'autre qui te mutile ?» Susannah la regarda, incrédule. «Quoi ?» «Chut, les autres te regardent tu sais. Enfin moi, je m'en fiche mais je crois bien qu'ils se posent des questions. Après si tu veux une réputation de folle à lier, ça peut être amusant aussi. Ça peut pimenter les choses.» Elle eut un petit rire. «Quoi ?» Répéta Susannah avec une pointe de colère perçant dans sa voix avant de réaliser qu'effectivement tous les étudiants la regardait. Elle fronça les sourcils et marmonna une excuse. Qu'est-ce que cela signifiait ? Ne voyaient-ils pas cette cinglée qui venait d'apparaître et parlait aussi fort que si elle était en pleine rue, attifée comme si elle revenait d'une soirée chic ? Était-elle une professeur qu'elle ne connaissait pas encore ? «J'ai du travail.» Finit par dire la Dæloran. Dans le doute, l'ignorer semblait être le meilleur choix. Scandalisée, elle vit alors la femme s'asseoir à moitié sur son bureau et soulever le menton de la Sirène d'un index à l'ongle vernis d'un rouge luisant. Elle voulut se dégager mais une force invisible la clouait sur place et un frisson traversa sa colonne vertébrale. «Ne me mens pas. Jamais. Ce serait idiot.» Elle lui sourit, découvrant des dents pointues et le visage de Susannah devint blanc comme de la craie. Une aura dangereuse déroulait ses tentacules invisibles jusqu'à sa proie. Son coeur se glaça et soudainement, la femme éclata de rire, brisant le carcan polaire dont elle avait enveloppé l'adolescente. «Et je n'ai pas besoin que tu sois idiote. C'est même tout le contraire. C'est pourquoi tu devrais te concentrer sur ton devoir au lieu de fureter dans la vie des autres. Allez hop hop hop.» Déconcertée, Susannah resta sans bouger et fronça les sourcils. Pour qui se prenait-elle ? La colère menaçait de la submerger mais les réminiscences de la peur qu'elle venait d'éprouvait lui clouaient le bec et elle se contenta de lui décocher un regard mauvais. À cet instant, la pièce s'assombrit, engloutie par une pénombre bleue surnaturelle. Le phénomène figea la Basphélienne sur sa chaise. D'or lumineux, les rayons de soleil se déversaient désormais en traits cyans dans la salle comme lorsqu'elle se trouvait dans les villes sous l'océan. Vivement, elle se tourna vers la femme. «C'est vous qui venez de faire ça ?» L'accusa-t-elle d'une voix qu'elle voulait forte mais qui se révéla chevrotante. La brune perdit un peu de son sourire et haussa un sourcil. «Quoi donc ?» Menteuse, songea Susannah en observant le visage de la femme sur lequel jouait des reflets outremer. Le rouge de sa robe avait été aspiré par une nuance bleu acier et sa peau revêtait maintenant une teinte céruléenne. Susannah blêmit et se redressa. Avec des gestes fébriles, elle rassembla ses affaires sous les regards curieux de ses congénères qui avaient noté son état bouleversé. L'adolescente se força à lisser l'expression de son visage et réussit à arborer un air méprisant qui n'impressionna personne. Elle était de l'Obsidienne, elle ne devait jamais montrer lorsqu'elle était ébranlée et de toute évidence, ils n'avaient pas remarqué le phénomène. Résistant à l'impression de devenir folle, elle quitta la pièce sans un regard pour la femme.

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La curiosité de Lucille

☙ Ed Sheeran - Bad Habits

Le couloir que traversa Susannah baignait dans une clarté azurée et un filet de sueur froide coula dans le dos de l'adolescente. «Susannah ? Qu'est-ce que tu as ?» La Sirène ralentit légèrement à l'appel de Sahuîv. Avant de lui faire face, elle s'assura que ses mains ne tremblaient pas. L'Alfar faisait attention à ces détails-là. La voix perfide de la femme qui l'avait suivie s'éleva à ses côtés. «Oui, qu'est-ce que tu as, Susannah ?» Elle s'amusait manifestement de la situation. La Dæloran força un sourire crispé et fit signe à l'Alfar de se rapprocher. Elle se pencha vers lui et l'interrogea à voix basse : «Tu ne vois pas ?» Il haussa un sourcil. «Que je vois quoi ?» «Que tout est bleu, nom d'une méduse fermentée !» S'exclama Susannah, l'angoisse augmentant sa voix d'un octave. Les coins de la bouche de Sahuîv frémirent. «Pardon ?» Agacée, la Sirène rejeta ses cheveux en arrière dans un geste hautain. Il ne fallait pas que lui aussi commence à la croire atteinte d'une dégénérescence mentale. «Oh, rien.» Fit-elle d'un ton condescendant qui ne plut pas à son camarade. Il la considéra un instant alors qu'elle rongeait inconsciemment ses ongles, lançant des regards frénétiques autour d'elle. Les pupilles dilatées et malgré ses efforts pour ne rien laisser paraître, Sahuîv voyait bien que la Sirène n'était pas dans son état normal. Adoucissant sa voix, il reprit : «Tu veux que je t'emmène à l'infirmerie ?» Elle leva les yeux au ciel. «Laisse tomber.» Dit-elle avec hauteur avant de s'éloigner sans un mot de plus ni un regard en arrière.
Empruntant une des arcades menant jusqu'à un des jardins intérieurs à l'école, Susannah tentait de faire comme si de rien n'était, comme si son monde ne venait pas d'être devenu monochrome et qu'elle voyait une femme que personne d'autre ne semblait voir. Effrayée, elle fit un bond en arrière en manquant marcher sur un animal à peine plus gros qu'un chat, son pelage toujours de ce maudit bleu qui avait envahi sa vision. Ses repères floutés par le phénomène, Susannah se sentait prête à défaillir à chaque seconde. Sans lui prêter attention, l'animal poursuivit son chemin d'une curieuse démarche sous les yeux éberlués de la Basphélienne. «Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?» Demanda l'agaçante femme qui, au comble de la curiosité, se pendit au bras de Susannah. Aussitôt, celle-ci se détacha de l'étreinte d'un geste brusque et persifla : «Arrêtez ça !» L'air étonné de la brune ne fit qu'alimenter sa colère. «Je sais que c'est vous qui faites ça !» Sa voix enflait et le timbre de sa voix était inflexible. Ce ton, si efficace lorsqu'utilisé par ses tantes quand elles la grondait étant petite, n'eut pas l'effet escompté sur la femme qui lui sourit avec indulgence. «Mince alors. Je pensais que tu serais assez forte pour supporter ma présence mais si ton mental chavire pour si peu... J'aurais peut-être dû me choisir quelqu'un d'autre.» Ajouta-t-elle pour elle-même sans se soucier que Susannah puisse l'entendre. «Au nom d'Aylidis, mais de quoi parlez vous ?» L'interrogea-t-elle d'un ton impérieux. «Et d'abord qui êtes-vous ?» La femme fit mine de réfléchir. Et pour cause, l'Archonte ne devait pas se tromper dans ses calculs. Décidant finalement que l'attitude décevante de son poulain ne méritait pas son honnêteté, Ornurtr répondit : «Je suis Lucille et, ma chérie, on va devenir les meilleures amies du monde.» Elle tenta de s'emparer à nouveau du bras de l'adolescente qui recula avant que ses ongles rubis n'effleurent sa peau. «Je ne suis pas votre chérie. Et je ne crois pas que nous allons devenir amies tout court. Surtout avec ces plaisanteries douteuses !» «Alors là. Je me targue d'être plutôt intelligente mais je ne vois pas de quoi tu m'accuses. Surtout que je n'ai même pas encore commencé à me mêler de tes affaires. C'est un peu fort de ...» «Le monde est bleu !» S'égosilla Susannah, ce qui fit grimacer Ornurtr. Au dessus d'elles jaillirent des ricanements. Quelques étudiants observaient la Sirène perdre son sang froid depuis l'étage supérieur, trouvant le spectacle particulièrement intéressant. Les narines frémissantes, Susannah s'écria : «Dégagez ! Y a rien à voir !» Quand elle les quitta des yeux, elle vit le regard pensif de Lucille posé sur elle. «Je n'aurais jamais pensé que tu puisses être si sanguine. À première vue, tu es si... transparente. Il va falloir que je repense ma stratégie.» «Je ne comprends rien à ce que vous dites.» Se renfrogna l'adolescente en croisant les bras. «Ah mais ! C'est fini !» «Mmh ?» «Tout est redevenu normal !» De soulagement, ses genoux cédèrent et elle s'affala comme un chiffon triste sur le banc derrière elle. Elle décocha un regard mauvais vers l'Archonte. «Enfin, presque tout.» Ornurtr ne s'en offusqua pas. En fait, elle ne s'offusquait de rien, pour la simple et bonne raison que rien d'autre ne l'intéressait que son petit nombril. Susannah n'était qu'un pion et, à ce titre, elle pouvait la traiter de tous les noms ou la vénérer, ça ne changeait pas grand chose à sa vie. Elle avait tant à gérer, tant à penser, tant à faire que les jérémiades d'une adolescente ne l'atteignaient nullement. Ce qui l'intéressait, c'était ce que la Dæloran pouvait lui apporter, et pour ça, elle devait bien l'observer pour être sûre de l'amener exactement là où elle voulait qu'elle soit et devenir celle qui trouverait grâce aux yeux d'Isemli. Forte de ce désir de gagner, elle s'assit à côté de sa protégée et l'interrogea avec gentillesse. «Tu veux m'expliquer ce qu'il s'est passé ?» Devant l'expression qui s'imprima sur les traits de Susannah, elle leva les mains en l'air. «Je te promet que je n'ai rien fait !» Pas encore du moins. La Sirène soupira. «C'est juste que tout est devenu soudainement bleu. Vous-même étiez devenue de cette couleur. L'herbe était bleue. Il y avait des animaux étranges. C'était comme si... Qu'est-ce que vous faites ?» «Mmh ?» «Vous prenez des notes sur moi ?» Ornurtr eut un sourire aimable et referma son livre. «Enfin mon chou. Ce serait malvenu de ta part de m'accuser de faire ça.» Elle rouvrit son carnet. «Et puis j'ai trop de choses à penser. C'est plus simple si j'écris !» Susannah la contemplait avec des yeux ronds et se demanda qui était cette cinglée qui venait de faire irruption dans sa vie.

Message II | 1151 mots