[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Les lieux de culte vandalisés de Phoebe font d’excellents lieux de rassemblement. Les seuls individus prêts à s’approcher de ce qui fût sacré étaient des fidèles de la déesse, ainsi que de rares vagabonds trop curieux. Celui que l’on appellera Monsieur Mira n’appartenait à aucune de ces catégories. Il faisait les cent pas au milieu de l’abbaye en ruines, trop angoissé pour son propre bien. Son contact allait-il venir ? La pression provenant des autres lignées était immense. Peut-être que l’un d’eux l’avait retrouvé, et tué.  Et si, sous la torture, on avait révélé sa position ? Le vampire frémit, tout en essayant d’oublier ce scénario macabre. Il devrait reprendre contenance. Sans doute que son bienfaiteur avait simplement un peu de retard.

La lignée de Mira était au plus mal. Une récente chasse avait fortement réduit leurs effectifs. Il demeurait difficile d’estimer leurs nombres, tant ces vampires-là étaient désunis. En vérité, ils avaient même fini par reproduire, sans le vouloir, le vieil ordre des clans. Celui que gérait Monsieur Mira ne comptait qu’une centaine d’âmes. Il en existait quelques autres, d’une taille moindre. Au moins, ce système possédait un avantage : les Cershargs apparaissaient aux quatre coins des Terres de Sympan, et il demeurait difficile de traquer chaque membre de la lignée. Se rassembler en grand nombres, c’était se condamner à un assaut foudroyant de la part des fanatiques.

« Désolée, j’étais affairée. » Une dame venait de faire son apparition. « Comme je vous l’ai dit, je ne peux pas vous aider plus. La dernière livraison était déjà assez conséquente. » Monsieur Mira n’eut pas le temps de répondre. Quelque chose dans sa réaction suffit à donner à la dame vampire les informations dont elle avait besoin. Ils avaient dû subir une nouvelle attaque, et ne quémanderaient pas la même aide qu’habituellement. Enfin, ils cédaient. « A moins que vous ne vouliez discuter plus en détail de ma proposition, bien sûr. » Son regard était vicieux, quoique fatigué. Elle comptait chasser dans les heures qui suivraient leur conversation. « Oui. Vous disiez être tous en sécurité. Est-ce vrai ? » Elle fixa l’entrée de l’abbaye, comme pour vérifier que personne n’entrait. On lui disait souvent qu’elle voyait, entendait ou sentait des menaces qu’autrui ne remarquait pas.

« Bien sûr. Dans le cas contraire, pourrions-nous nous permettre de vous aider sans rien attendre en retour ? » Elle s’approchait de Monsieur Mira avec une cadence trop lente pour ne pas être volontaire. « Mais je comprends votre scepticisme. Vous êtes un homme de raison, n’est-ce pas ? » Celui qui semblait vieux ne répondit pas, préférant mimer la statue jusqu’à ce que son interlocutrice termine son discours commercial. Elle n’aimait pas cette absence de réaction, qui ne lui permettait pas d’adapter son comportement. « La plupart des Rahzdens de notre lignée sont membres du Temple, et nos chiffres grandissent de jour en jour. Rhéa Latia nous accorde sa bénédiction… mais ce n’est pas un fait propre à la Lignée Lech. » La dame marqua une pause, plongeant pour la première fois son regard dans celui du vieil homme. « Elle pourrait vous l’accorder à vous aussi. « – « Nous ne connaissons rien de votre déesse. » Le ton de Monsieur Mira était peut-être un peu trop vindicatif. Son interlocutrice s’arrêta net, et considéra de partir avant de se raviser. Généralement, ils laissaient les futurs fidèles venir à eux mais les vampires dont Lubuska se détournait avaient trop de potentiel pour être abandonnés. Il faudrait que l’idée repose dans l’inconscient des enfants de Mira quelques temps. Ils finiraient par se convertir. On lui avait souvent dit que Rhéa Latia était similaire à un caméléon : une fois que l’on réussit à la percevoir, il est impossible de la perdre de vue. Il faudrait juste que le vampire sente la présence et l’importance de la déesse.

« Dites-moi… pour quelle raison pensez-vous que nous sommes ici ? » Question rhétorique. Elle allait lui apporter une réponse. Ce discours, la vampire le connaissait par cœur. On le lui avait appris dès son éveil. « Pour quelle raison est-ce que nos deux lignées, soi-disant corrompues, ont pu survivre ? » L’homme essaya de répondre, mais se fit interrompre d’un geste. « Le Shaazka, je sais. C’est exactement là où je veux en venir. Il s’agit d’un pouvoir unique. Aucune potion, aucune magie si ce n’est celle des dieux ne peut le reproduire. Comment penses-tu que Lech et Mira, isolés à une époque où la recherche était bien moins avancée, aient pu développer cette capacité ? Si aucun aether ne leur était venu en aide, ils n’auraient simplement pas pu obtenir le Baiser. Ils auraient fini par mourir. » Tout en délicatesse, elle laissa sa remarque mijoter dans l’esprit du vieillard.

« Si Lubuska nous avait fait ce don, pourquoi nous aurait-elle maudits ? » Un long soupir se fit entendre. « Oublie Lubuska. Rhéa Latia est la mère de beaucoup de magies hétérodoxes. Elle laissa quelques indices, nous permettant de remonter la piste jusqu’à un rituel de sa confection permettant de nous arroger le droit du Shaazka. Sans elle, nous ne serions pas là aujourd’hui. » C’était en tout cas ce que l’on avait appris à la vampire, et jamais elle n’aurait douté de cette version des faits. Son intonation jusqu’ici douce se fit plus grave. « Mais Rhéa Latia est aussi la Mère d’un genre à part du vivant. Des créatures, fascinantes et uniques. Certains les considèrent comme monstrueuses. C’est pour cela que nous sommes solidaires envers nos frères. Tu comprends ? »

Le vieillard fit quelques pas en arrière jusqu’à ce que son dos touche un des murs de l’abbaye. « Solidaires ? Avec les Cershargs ? C’est ridicule… ce sont des abominations. » – « Notre déesse a toujours eu un goût pour les parias. Ce n’est pas haïr les monstres qui fera de toi un être accepté par les autres. Aux yeux des adorateurs de Lubuska, nous sommes des créatures aussi impies que les Cershargs. Mais… ils ont énormément à offrir, tout comme toi et tes Enfants. » L’homme se sentait malade, rien qu’à entendre ces mots. Comme beaucoup de descendant des lignées corrompues, il avait un passif avec ces créatures. Lors de sa première vie, son fils en était devenu un. Son créateur avait choisi de transformer le père en plan de secours. « Les nôtres cherchent un remède contre la malédiction depuis des décennies. » Elle sourit. « Ont-ils été victorieux ? » Encore une fois, la question était rhétorique. « Les Cershargs ne sont pas une malédiction. Les voir comme tel, c’est prendre le point de vue de nos persécuteurs. Notre vérité n’est pas la leur, et nous n’avons aucune raison de nous percevoir comme des victimes. » La dame tourna les talons.

« Je pensais que vous comprendriez, et que vous pourriez convaincre d’autres groupuscules de votre Lignée. J’avais apparemment tort. » Elle marchait jusqu’à la porte de l’abbaye, l’air sombre. Le Temple de Rhéa Latia devait augmenter en nombre, encore et toujours. « C’est juste compliqué de- non, attendez. » Par soucis de mise en scène, elle ne s’arrêta pas mais gardait ses oreilles tendues. « Si je change d’avis, où dois-je envoyer la lettre ? »

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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Dans les couloirs d’un manoir à Alès Palatium, un servant se dépêchait. La missive qu’il tenait n’était pas marquée comme importante, mais il valait mieux être prudent. Ici s’agglutinaient énormément de suceurs de sang Lech, depuis quelques années déjà. Leurs nombres augmentaient et leurs nouveau-nés ne faisaient pas d’excellents hôtes. Les rumeurs voulaient aussi que d’affreuses créatures vivent dans les sous-sols de l’endroit. Il n’y avait rien de moins surprenant pour la Secte de l’Étoile Froide, mais les Cershargs restaient particulièrement coriaces et peu étaient autorisés à les observer. S’attarder ici serait prendre un risque inconsidéré.

« Dame Zeshkva. Une lettre d’un certain… Monsieur Mira. » La jeune femme congédia le garçon d’un regard, lui arrachant presque le papier des mains. Ils avaient comme mission d’étendre l’influence du Temple dans un délai relativement court. Les vampires – ou Zvezdas – étaient moins simples à convertir, de par leur singularité et le fanatisme ambiant vis-à-vis de Lubuska, mais quelques individus avaient tout de même été dépêchées. Cela prendrait des décennies d’infiltration, avant que des résultats satisfaisants ne soient obtenus. Elle, fille des Lech, avait reçu la tâche d’attirer autant d’enfants de Mira que possible. C’était un travail moins subtil mais tout aussi colossal. Les suceurs de sang, lorsqu’ils provenaient de Lignées corrompues, étaient particulièrement durs à trouver. Elle était contente d’avoir mis la main sur ce groupe-ci. Néanmoins, ils étaient si méfiants qu’elle avait été contrainte de faire fuiter leur position auprès des fanatiques de Lubuska. Si tout se passait comme prévu, ils seraient suffisamment fragilisés pour vouloir la rejoindre. Si cette lettre n’apportait pas de bonne nouvelle, quelqu’un allait se faire dévorer ce soir. Et si cette lettre apportait une bonne nouvelle… eh bien, quelqu’un serait aussi dévoré mais le repas se déroulerait dans la bonne humeur.

« Dame Zeshkva,

J’ai longtemps médité sur votre proposition. Nous ne sommes, habituellement, pas intéressés par les serments de protection si ces derniers proviennent d’institutions, par prudence. Néanmoins, après réflexion auprès de mes frères, j’en ai conclu que votre zèle est bien intentionné et sincère. Nous admirons avec curiosité l’originalité de certaines de vos affirmations. Nous passerons tous les examens auquel votre Temple désirera nous soumettre, et je peux organiser plusieurs départs successifs pour déplacer nos effectifs jusqu’à votre refuge.

Je ne suis pas là pour vous mentir, ou abuser d’euphémismes. À l’heure actuelle, les miens sont dans une position délicate et nous ne pouvons nous permettre d’essuyer plus de morts. Pour cette raison, j’ai pris l’initiative d’envoyer, en même temps que la présente lettre, la position des tributs qui expérimenteront en premier la vie telle que vous la concevez. Si leurs retours sont bons, je viendrai ainsi que le reste de mes enfants. Brusquer les choses n’est habituellement pas dans ma nature, mais la situation est critique.

Veuillez ne pas m’adresser de réponse. Habituellement, j’utilise un circuit de fausses adresses démarrant à Amestris et terminant à Megido, en passant par plusieurs villages. Cependant, des descendants de cette traînée d’Oksana ont remonté le réseau et, ainsi, trouvé notre position. En conséquence, si vous souhaitez me faire passer un message, il faudra vous rendre à l’abbaye délaissée où nous nous sommes rencontrés pour la première fois. Je prendrais soin de la visiter chaque soir, quoi qu’il en coûte. Enfin, je vous prie de ne pas faire tomber cette lettre dans les mains d’une personne qui pourrait avoir des intentions malveillantes à notre égard. Mes enfants ont assez souffert comme cela.

Je vous présente par avance mes excuses pour tous ces avertissements. Ils sont malheureusement obligatoires en période de danger, vous le savez tout aussi bien que moi. Nous plaçons énormément d’espoirs en votre Temple, qui je l’espère saura nous protéger et nous permettre de briller autant que ceux de votre Lignée.

Votre humble serviteur, Monsieur Mira. »

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