Intrigue/Objectif : Complot. Gal’ulm le Gourmand profite du siège de Durienrisda pour visiter Typhon, son apprenti cuisinier. Le Démon reste muet sur ses véritables intentions et offre plutôt ses services à la cause eversha, mais il est évident que Gal’ulm cherche à obtenir la faveur promise par Typhon pour la nourriture fourni pour le banquet de déclaration de guerre.

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Des visiteurs indésirables

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Typhon et Échidna étaient affairés à leur toilettage matinal à une heure plutôt tardive ce jour-là. Le siège de la dernière ligne de défense vampire était en cours et le commandant des armées evershas n’avait aucune idée de son efficacité. Si tôt dans la manœuvre, les Vampires bénéficiaient de leurs réserves et la sécurité autour de ces précieuses provisions était si efficace que même le maître cambrioleur Munin avait jugé la cause perdue. Il n’y avait d’autre choix que de laisser le temps engendrer la négligence et amoindrir naturellement les réserves.

Pendant un moment, Typhon et sa meute se sont distraits en détruisant les bastions vampires abandonnés de la première et deuxième ligne de défense, mais d’autres meutes se sont jointes à eux et la destruction fut totale en l’espace de deux semaines. Il faut dire que le gros des efforts des Vampires aura été concentré sur la troisième ligne de défense et un réseau de routes pour faciliter les déplacements de troupes et de matériels. Les structures défensives étaient donc principalement faites de bois. Elles étaient suffisamment solides et imposantes pour tenir tête aux assaillants evershas lorsque défendu, mais laissé à l’abandon, elles s’écroulèrent comme des châteaux de cartes devant les Totems les plus imposants ou le feu.

Résultat, Typhon et sa meute s’installèrent à distance respectable de la ligne de front et ils s’y établirent pour y rester aussi longtemps que durera le siège. C’était un terrain riche en ressource. Il y avait de l’eau poissonneuse, du gibier et une bonne quantité d’arbres. Pour une meute avec une trop grande proportion de vieillards et de jeunes, c’était le terrain idéal. Les besoins essentiels pouvaient être comblés sans trop de mal et il y aurait même un peu de temps libre pour se reposer et vaquer à des occupations non essentielles. Les nouveaux géants de la meute profitaient eux aussi de cette accalmie pour s’entraîner et apprendre à vivre avec leurs nouvelles dimensions.

C’est pour le chef de meute et sa compagne que les choses se compliquèrent. Maintenant que les quatre augures dépêchés par le Grand Totem Rakel à l’Antre des marais travaillaient de concert, la coordination et le partage d’information devenaient essentiels. Typhon recevait donc sans cesse des messagers et devaient prendre des décisions en conséquence. Il pouvait difficilement faire quoi que ce soit sans être interrompu. Confidente et conseillère, Échidna prenait elle aussi part à chacune de ses rencontres. Et pour couronner le tout, puisque Typhon avait pour tâche de détourner l’attention du Marquis de Sanguice, commandant des forces vampires, l’Eversha devait s’assurer de devenir un centre d’intérêt incontournable pour les espions vampires. Évidemment, tout espion découvert était tué ou transformé en monstre, mais ils étaient assez nombreux pour tenir le marquis au moins aussi occupé que Typhon.

Sans manœuvre audacieuse, d’un camp comme de l’autre, l’oisiveté s’installa dans la routine des chefs de la meute. Puisqu’ils pouvaient être dérangés à toute heure de la journée, incluant la nuit, ils se mirent à faire la sieste de jour. Puisque l’heure du repas n’y échappait pas, le couple opta pour grignoter ici et là. La notion « matinale » de la toilette se permettait donc elle aussi une plus grande latitude.

Le vieux vampire avait bien évidemment compris le subterfuge, mais il ne se souciait guère de ceux qui œuvraient dans l’ombre. Pour cause, les Evershas avaient toujours été désorganisés dans le conflit opposant Durienrisda à l’Antre des marais. Le prédécesseur du marquis avait vaincu ces sauvages pendant dix ans et pourtant, il ne reçut aucun mérite. Pire, il porta le blâme de l’échec de la conquête définitive du plateau. Le Marquis de Sanguice ne répéterait pas la même erreur. Il ferait tout ce qui est en son pouvoir pour doter les Evershas d’un chef imputable. Ainsi, quand Typhon aurait perdu, le marquis pourrait démontrer au reste du monde que tous les Evershas avaient perdu.

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C’est en plutôt mauvaise posture que Typhon reçut de la visite ce jour-là. Le raclement de gorge sonore qui suivit révéla dès lors l’identité du visiteur démoniaque. L’Eversha aurait souhaité ignorer ce visiteur indésirable et continuer sa sieste. Malheureusement, en tant que maître cuisinier, un minimum de respect était dû à Gal’ulm le Gourmand. Seulement quelques mois séparaient ce matin de la dernière rencontre entre l’apprenti et son maître. La raison de sa visite était donc évidente, le Pacte Démoniaque qui liait les deux hommes.

Lors du banquet de déclaration de guerre, Typhon ne reçut aucune aide du Rocher au Clair de Lune et dû œuvrer seul pour tenir tête à l’opulence du Marquis de Sanguice. Pour ne pas laisser le riche Vampire dominer les modestes moyens du jeune chef de meute, Typhon pactisa avec son maître cuisinier pour assurer l’approvisionnement dudit banquet. Somme toute, la manœuvre fut une réussite, considérant qu’elle permit aux Evershas de recevoir la faveur populaire, mais maintenant, l’Eversha devait une faveur au Démon.

Le chef de meute avait réussi à négocier un pacte qui lui accorde autant de liberté que possible. Ainsi donc, il disposait du droit de refuser les demandes de Gal’ulm. Malheureusement, ça signifiait également que ledit Démon pouvait sans cesse apporter de nouvelles demandes, jusqu’à ce que Typhon remplisse sa part du pacte.

L’accueil minimaliste ne choqua pas le Démon. Le corpulent cuisinier n’avait pas été chassé des lieux, ce qui était déjà une première victoire. Durienrisda était après tout une terre en guerre et Gal’ulm faisait intrusion. Ça signifiait que Typhon était, au minimum, disposé à écouter la demande de son mentor. Échidna, qui sortait de la léthargie de sa sieste, fut surprise d’apercevoir l’imposant Démon, mais elle aussi n’en fit que peu de cas. Le Pacte Démoniaque liant Gal’ulm à Typhon permettait au Démon de se téléporter à son protégé, où qu’il soit. Au moins, le Démon obèse avait choisi un moment calme de la guerre pour faire son apparition.

Quelques instants plus tard, Typhon et Échidna reçurent plus formellement Gal’ulm, mais ils ne firent guère plus que se passer de l’eau au visage et sortir de sous leurs couvertures. Si le Démon avait voulu une réception plus accueillante, il aurait avisé avant de se présenter ainsi à l’improviste. L’influence malsaine du Démon n’était pas étrangère à ce genre d’accueil, mais Typhon cherchait également à faire passer le message que le moment était mal choisi pour réclamer si tôt une faveur d’un chef de guerre en pleine campagne.

De son côté, l’imposant Démon était porté par six jeunes Démons, car il était si corpulent qu’il avait perdu la capacité de se mouvoir dans sa forme humaine. Seule sa forme démoniaque, dénuée de jambes pouvait permettre à Gal’ulm le Gourmand de se déplacer par ses propres moyens. Cela dit, le Démon préférait, de loin, se faire porter par ses serviteurs.

« Typhon, mon Typhon, k’uhm, déclara Gal’ulm, mais quelle ambiance déplorable ! Mais où est la musique et où sont les domestiques, k’uhm ! Où sont l’abondance et la joie de vivre ?!?
— Oh ferme-là gros lard, répliqua Échidna en baillant. On est en guerre ici.
— Mais quel manque d’ambition, k’uhm… Le Marquis de Sanguice est tout aussi en guerre et pourtant, k’uhm, ses invités profitent des largesses de son manoir. Ses soldats ont des permissions. Il y règne bien plus la joie de vivre qu’ici, k’uhm !
— Ça tombe bien, renchéri Typhon, les Vampires vont plus rapidement manquer de vivre. Maître Gal’ulm, je ne suis ni disposé à vous recevoir ni à vous donner la faveur promise par notre pacte. Nous avons déjà convenu que je suis libre d’attendre la fin de la guerre pour honorer mon engagement.
— Certes, certes, k’uhm ! Me croiriez-vous donc incapable de rendre une simple visite de courtoisie à mon apprenti cuisinier ?
— Absolument, Démon ! Allez, crache le morceau, qu’est-ce que tu fous ici !?!
— Soit, k’uhm, je ne l’aurais pas cru moi-même ! Résumons la chose avec le fait les affaires ne vont pas bien chez les Démons. Et que, k’uhm, j’ai moi-même des comptes à rendre.
— Et bien, résumons la chose à : je n’en ai rien à faire de tes problèmes. J’ai une guerre à mener, des cérémonies à organiser, une meute à gérer et une femme à combler. À moins que tu comptes te rendre utile, nous n’avons plus rien à nous dire.
— Typhon, mon Typhon, Gal’ulm le Gourmand ne se présente jamais les mains vides, k’uhm ! Voici ce que je te propose : je vais cuisiner pour toi et ta meute. Non, non, k’uhm, j’insiste. Ce sera ma contribution à l’effort de guerre eversha ! »

Il y eut un moment de silence alors que les deux Evershas pesaient le pour et le contre de la proposition. Typhon avait difficilement le temps de cuisinier dû aux fréquentes interruptions nécessitant une intervention immédiate. Il ne pouvait guère faire mieux que cuisiner pour les cérémonies mensuelles. Inutile donc de préciser qu’il ne chassait guère plus. La proposition du Démon avait donc une valeur réelle qui méritait une considération, puisqu’elle accorderait à la meute suffisamment de temps libre pour achever les installations du camp et s’occuper des nombreuses tâches non essentielles qui permettraient à la meute de mieux recevoir les messagers et autres visiteurs importants.

Il était évident qu’il s’agissait d’une diversion pour permettre à Gal’ulm de gagner du temps et imposer la faveur due par le Pacte Démoniaque. Après tout, il lui suffisait que Typhon donne son accord à une quelconque demande pour que la magie du pacte le lie à cette promesse. Selon ce contrat, Gal’ulm pouvait demander ce qu’il lui plaisait comme faveur, mais seule celle qui sera acceptée par Typhon pourra être imposée par la magie du pacte. Plus le Démon passerait du temps en compagnie du chef de meute, plus il aura d’occasions pour lui ravir son consentement.

En contrepartie, le siège de Durienrisda donnait de nombreuses opportunités à la meute du commandant des forces evershas. En risquant l’aide de Gal’ulm, Typhon pourrait tirer profit de son statut pour faire acquérir des compétences utiles aux membres de sa meute. Sans la nécessité d’acquérir ou de préparer la nourriture, les membres auraient tout le temps libre nécessaire pour parfaire leurs connaissances et leurs compétences. Même au niveau de la guerre elle-même, Typhon pourrait réquisitionner l’un des entraîneurs Humains. Il pouvait même justifier certains apprentissages pour déléguer certaines de ses propres tâches et prendre du temps pour devenir un meilleur commandant.

Une rapide consultation avec Échidna révéla que la chatte était sur la même longueur d’onde que le tigre. La principale force de la meute était également sa principale faiblesse. Les géants consommaient bien plus de nourriture que l’Eversha moyen. Résultat, le reste de la meute devait se concentrer sur l’acquisition de suffisamment de nourriture pour nourrir tout le monde. Les tâches annexes s’en retrouvaient délaissées et la meute se retrouvait avec divers manques à combler. La qualité de vie en souffrait et il devenait plus difficile d’attirer de nouveaux membres. Qui plus est, si pour l’instant, les géants formaient un noyau fidèle à Typhon, si la qualité de vie dans la meute régressait, les géants iraient tôt ou tard rejoindre d’autres meutes et gaspiller les ressources ayant permis leur croissance. En d’autres mots, l’offre de Gal’ulm était trop pertinente pour être refusée.

« Soit. J’accepte votre offre, Maître Gal’ulm. En échange de nourrir ma meute, vous et vos serviteurs pourrez vivre parmi nous. Vous comprendrez que je ne puisse vous accorder de faveur qui me détourne de mes responsabilités, mais j’accepterai d’écouter vos demandes. »

Satisfait de la réponse de son protégé, Gal’ulm se permis un large sourire, ne prenant même pas la peine de cacher ses intentions malsaines. Typhon n’était pas du genre à croire que le Démon œuvrait pour une autre raison que de satisfaire ses propres désirs, alors Gal’ulm ne prenait pas la peine de prétendre le contraire. Le maître cuisinier se permit toutefois de dire qu’il n’avait aucune intention de réclamer sa faveur pour l’instant. Il affirma préférer attendre le moment propice.

2016 mots
1er message

La première faille

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Gal’ulm observait son protégé et sa compagne engloutir gaiement leur énorme festin. Le couple de géants dévorait sans difficulté un repas qui aurait dû satisfaire pas moins de dix adultes, ce qui aurait dû ravir le Démon qui se spécialisait dans les afflictions de la gourmandise et de la corpulence. Or, c’était tout le contraire. Malgré tous les efforts du Démon, Gal’ulm n’arrivait pas à corrompre son apprenti. Par extension, Typhon permettait à Échidna d’elle aussi résister à l’influence démoniaque. Les deux chefs maintenaient donc le contrôle de la meute, qui persistait à contenir leurs pulsions pécheresse.

Ce n’était pas pour dire que les Démons étaient sans effet sur la meute d’Evershas. Grâce à l’escorte de Gal’ulm, une douzaine de Démons qui vivaient parmi les Evershas, ces derniers maintenaient leur régime des jours d’intenses activités. D’une semaine à l’autre, un léger gain de poids pouvait être constaté, mais c’était bien loin de l’excès qu’espérait provoquer le seigneur Démon. Il faut dire que Typhon se retrouvait plus actif depuis la présence de Gal’ulm. Le chef de meute supervisait sans cesse les membres de sa meute ainsi que les Démons qui les accompagnaient, limitant grandement le potentiel de l’influence démoniaque.

En d’autres mots, Typhon gagnait présentement son pari sur Gal’ulm. Il recevait du Démon et ne donnait rien en retour. Fort heureusement pour lui, le corpulent Démon avait encore un atout à jouer. Roself, le maître des servants de Gal’ulm, avait passé les dernières semaines à observer les Evershas, se servant de son intellect et de son expérience pour trouver les points faibles à exploiter. Typhon était un adversaire redoutable pour Gal’ulm, puisque l’Eversha avait passé suffisamment de temps en compagnie du maître cuisinier pour apprendre ses faiblesses. En soi, ce n’était pas un exploit si formidable. Gal’ulm avait le défaut d’être plutôt prévisible. Ce défaut avait été cultivé au fil des siècles pour permettre à Roself de lui-même en tirer profit. Or, plutôt que d’agir contre les intérêts de Gal’ulm, le serviteur démoniaque agissait à son avantage. Il faut dire que le pacte liant Gal’ulm et Roself faisait en sorte que Roself profitait de l’opulence de son « maître. »

Les deux Démons se retrouvèrent en privé lorsque la meute d’Evershas prie congé pour la nuit. C’était là l’une des nombreuses faiblesses exploitables de la surveillance de Typhon. Ce dernier était si concentré à préserver sa meute de l’influence démoniaque, qu’il ne portait aucune attention aux Démons eux-mêmes.

« K’uhm ! J’avais oublié à quel point mon apprenti était vorace. Et pourtant, il trouve le moyen de perdre du poids malgré ma présence… Je n’y comprends rien. Comment est-ce que quelqu’un d’aussi passif peut manger autant et ne pas devenir obèse !?!
— C’est pourtant évident, Maître Gal’ulm, Typhon est déjà corpulent. Il le cache plutôt bien par sa grande taille et sa musculature, mais…
— Non, K’uhm ! Je passe assez de temps en sa compagnie. Typhon et Échidna perdent du poids, k’uhm. Et je ne peux pas leur donner plus à manger, ils sont repus chaque jour.
— Dans ce cas, je ne vois que deux explications possibles. Soit ces Evershas utilisent la magie pour régulariser leur poids…
— K’uhm… Je ne pense pas. Du moins, pas en ma présence.
— Soit leurs corps de géants occasionnent une dépense d’énergie supérieure à l’énergie assimilée par leur alimentation. Mes recherches sur les Evershas ont démontré que l’animal totem leur permet de devenir de véritables animaux. Ce faisant, il va de soi qu’un Eversha transformé dispose des mêmes besoins qu’un animal normal de cette taille. »

Roself évalua alors qu’en considérant que l’Eversha moyen passait la moitié de son temps sous forme animale, pour une raison ou une autre, il était logique que leur alimentation en soit affectée. Par contre, les Démons étaient rarement témoins des transformations. Depuis leur arrivée, les Evershas passaient presque tout leur temps en forme humaine. Cela dit, l’imminente pleine lune allait changer la donne. Les Evershas préparaient se moment depuis des jours déjà et plusieurs meutes se joindraient à celle de Typhon pour l’occasion. Les Démons étaient d’ailleurs fort occupés pour préparer la nourriture nécessaire nourrir ces nombreuses bouches supplémentaires.

Se souvenant de son duel contre Typhon lors d’une nuit de pleine lune, Gal’ulm eut un frisson. Le tigre enhardi par la puissance de la déesse de la lune et de la nature avait failli avoir raison d’un Démon pourtant bien plus puissant que l’Eversha. En l’espace de cette unique nuit, le prédateur était devenu la proie. Typhon avait beaucoup progressé depuis et, Gal’ulm devait l’admettre, était devenu plus fort que le maître cuisinier. Si ce duel devait à nouveau avoir lieu, Gal’ulm n’en sortirait pas vivant. L’Eversha était aujourd’hui encore plus grand et nul doute que sa forme de tigre l’était tout autant.

Le maître et son serviteur convinrent de porter une attention particulière aux Evershas lors de la nuit de pleine lune. La cérémonie religieuse avait de bonnes chances de faire baisser sa garde à Typhon et il suffisait de bien peu d’inattention pour les talents d’observateurs de Roself pour percer à jour de nombreux secrets.

***

Les Démons de Gal’ulm passèrent aisément inaperçus parmi les centaines d’Evershas venu assisté à la cérémonie de Typhon en l’honneur de Phœbe. L’on remarqua à peine la présence des cuisiniers démoniques, à l’exception du corpulent Gal’ulm, permettant à ceux-ci de se disperser sous les ordres de Roself pour mieux observer les Evershas et leurs comportements.

Ne se souciant guère du charabia pseudomystique de Typhon à l’égard des siens, Roself concentra toute son attention sur les faits et gestes de l’augure. Les festivités suivant les soi-disant « mots de Phœbe, » incitèrent les Evershas à baisser leur garde et oublier la présence des Démons parmi eux. C’est ainsi que Roself constata que la forme féline de Typhon avait changé depuis son séjour à l’Antre des damnés. Le tigre de taille surnaturelle était devenu un peu plus massif, tout comme sa taille lunaire. Plus important encore, le Démon constata que les Evershas géants se nourrirent deux fois cette nuit-là. Une fois sous forme humaine et une autre fois, avec un appétit décuplé, sous forme animale.

Les jours qui suivirent, les meutes retournèrent dans leurs territoires respectifs et, fait intéressant, un bon nombre d’Evershas de la meute de Typhon se reposèrent dans leur forme animale. Typhon lui-même ne quitta guère sa tente pendant les deux jours suivant la cérémonie. Tous les messagers lui étant destinés durent patienter jusqu’à son rétablissement, où la vie de la meute retrouva sa routine.

***

Une nouvelle rencontre privée entre Gal’ulm et Roself s’imposa suite aux découvertes de chacun. Gal’ulm révéla que Typhon et Échidna avait repris leur poids perdu, et plus encore, démontrant que Roself avait eu raison. Les Evershas géants ne pouvaient se sustenter uniquement avec leur estomac humain. Ils devaient donc se nourrir sous forme animale de temps à autre. Roself estima que cette nécessité devait varier en fonction du temps passé entre les formes.

« Enfin, K’uhm ! Une faille exploitable. Il était temps, k’uhm…
— Effectivement, les finances mises de côté pour soutenir les Evershas s’épuisent plus rapidement que prévu. Entre les géants et les cérémonies religieuses, j’estime que nous pouvons nous permettre deux mois supplémentaires, au plus, pour accomplir vos desseins et éviter de puiser inutilement dans nos finances courantes.
— Au diable les finances, k’uhm ! Notre tâche nous vient du Monarque Démoniaque. Nous devons faire notre part pour repeupler l’Enfer, k’uhm.
— Certes, chaque démone en âge parmi vos servantes a été enfantée. Seule la réincarnation d’âmes maléfiques en Démons pourra nous permettre d’en faire plus. Cette guerre est donc opportune pour nous.
— Mais ce n’est pas assez, k’uhm. Il nous faut de nouveaux champions.
— Je vois ou vous voulez en venir, maître. Je serai donc prêt au moment souhaité. »

***

Il n’y eut aucun changement dans le comportement des Démons les jours qui suivirent. Gal’ulm étant patient, il comptait endormir la méfiance de son apprenti avant de passer à l’action. Le Démon savait que Typhon était aux aguets depuis la cérémonie. Il suffisait donc d’éviter des mouvements hâtifs et la méfiance de l’Eversha aurait tôt fait d’être endormie par l’ennui de la routine. C’est au contraire Gal’ulm qui choisit de s’exposer. Sous les conseils de Roself, le seigneur démon apporta à Typhon l’enjeu des coûts financiers du soutien apporté à la meute de l’augure.

« Typhon, mon Typhon, k’uhm, sans parlé de la douce et imposante Échidna, annonça Gal’ulm. Il m’incombe de vous parler finances. J’ai convenu de porter assistance à votre meute, en guise de bonne foi, je le précise. Or, si j’ai gracieusement fourni un festin de célébration, k’uhm, vous comprendrez que cette faveur à un coût non négligeable.
— Je comprends et j’ai apprécié votre implication dans le bienêtre des mes alliés, répondit Typhon. J’avoue qu’il a été cupide de ma part de vous en demander autant.
— Voyons, voyons, k’uhm ! Je ne serai m’offense par un petit péché ici et là. Je tiens simplement à réitérer mon engagement, k’uhm, de soutenir les individus de cette meute sans rien demandé en retour que notre hébergement. Par contre, soutenir d’imposantes fêtes à un coût. Évidemment, k’uhm, je suis disposé à obtenir ma faveur promise en retour, mais un simple financement serait tout aussi acceptable.
— Nous n’avons aucune intention d’honorer le Pacte Démoniaque avant la fin de la guerre, répliqua Échidna. Et pas la peine d’invoquer la pitié, gros lard, nous ne t’avons jamais demandé de cuisiner pour les autres meutes !
— Non, non, k’uhm, je n’invoque aucune pitié. J’ai suggéré moi-même cette contribution à votre cause, k’uhm, tout comme j’ai moi-même décidé de nourrir chacun de ces visiteurs. Je ne fais que préciser que ma générosité n’est pas infinie. Vous êtes en bonne voie pour me surclasser, k’uhm, je m’en voudrais de ne pas vous permettre de devenir aussi grosse que moi !
— Ne nous tentez pas Maître Gal’ulm, vous savez que notre appétit surpasse le vôtre.
— Typhon, mon Typhon, k’uhm, je ne rêve que du jour où nous nous tiendrons d’égal à égal !
— Égal ? Ah ! Tu ne ferais pas le poids Démon ! »

Gal’ulm en resta là pour ce soir, satisfait d’avoir semé les graines de la tentation chez le couple eversha. Petit à petit, la tentation du diable prenait place dans l’esprit de ces deux gourmands. La récente célébration avait ouvert une brèche, puisque le duo avait repris le poids perdu lors des semaines précédentes. Évidemment, Gal’ulm avait usé de toute son influence malsaine pour s’immiscer dans cet interstice de l’impressionnante défense mentale de Typhon. À partir de ce point, d’autres failles deviendraient inévitables alors que Typhon et Échidna étaient incités à grossir jusqu’à éclipser Gal’ulm.

Il faut dire que Typhon avait toujours apprécié avoir un poids élevé. C’était la preuve de ses talents de chasseur, des réserves pour les temps difficiles et un avantage en combat d’être le combattant le plus lourd. Cela dit, le chef de meute ne cherchait pas à devenir gros pour autant. Il était aussi lourd que lui permettait une forme physique exemplaire. C’était Échidna, beaucoup plus influençable, qui cherchait à imiter son compagnon. Gal’ulm aurait aisément pu exploiter les péchés de cette dernière, mais Typhon s’en seraient alors rendu compte. Il fallait tenter les deux en même temps, et force était de constater, Gal’ulm avait réussi.

1902 mots
2e message

L’influence démoniaque

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L’influence démoniaque de Gal’ulm ayant fini par pénétrer les défenses mentales de Typhon, dernier rempart entre le Démon et le couple d’Evershas. Qu’il ait fallu un mois au seigneur Démon et ses sbires pour obtenir un résultat si modéré était la preuve que Typhon déployait des efforts monumentaux pour maintenir le contrôle sur sa meute, mais le péché était insidieux. La moindre faille, aussi petite soit-elle, pouvait être exploité et, à terme, ouvrir un trou béant et incité à l’excès.

Maintenant que les deux Evershas souhaitaient grossir, Gal’ulm dû leur offrir un festin à la hauteur de leurs ambitions, ne nécessitant rien de moins que le double de nourriture, une quantité déjà extravagante, maintenant tout simplement absurde. Ensemble, deux individus dévoraient autant, sinon plus, que l’ensemble de la meute comptant une quarantaine d’individus, dont plusieurs géants avec un appétit conséquent. Pour ingérer autant, Typhon et Échidna terminaient tous leurs repas sous forme animale.

À la grande surprise de Gal’ulm, son contrôle sur son apprenti était beaucoup plus ténu que le Démon ne s’y serait attendu dans les circonstances. Le tigre géant continuait ses rondes sur le territoire de la meute et s’assurait que les serviteurs démoniques limitent leurs interactions avec la meute d’Evershas. Pourtant, Gal’ulm s’efforçait maintenant de stimuler également le péché de la paresse. Typhon aurait dû devenir de plus en plus amorphe dans son comportement et délaisser progressivement ses responsabilités. De même, le péché de la luxure ne trouvait aucune prise, puisque les chefs de meute étaient d’espèces différentes en forme animale.

Gal’ulm se résolu à n’exploiter que le péché de la gourmandise pour le moment, mais le Démon s’inquiéta de ce nouveau revers. Typhon était bien plus préparé à l’arrivée soudaine de son mentor cuisinier pour être une coïncidence. L’Eversha savait que le Démon viendrait s’établir parmi sa meute, ça ne faisait plus aucun doute. Force était de constater, les Evershas profitaient au maximum des services des Démons. Le temps sauvé à ne plus se soucier de la nourriture permettait divers apprentissages. Que ce soit des apprentissages pour la guerre ou la vie de tous les jours, les Evershas de la meute de Gargantua diversifiaient leurs compétences.

Fortunément, Gal’ulm le Gourmand n’était pas a court de ressources, puisque Roself était sur le coup. En temps normal, le maître serviteur aurait laissé son maître faire ses propres erreurs et vivre avec les conséquences, mais sur ce coup, les deux Démons travaillaient de concert, puisque l’avenir de la race démoniaque était concerné. Aussi préparé était-il, Typhon avait des siècles de retard sur l’expérience combinée de Gal’ulm le Gourmand et de Roself le Perfide.

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Un deuxième mois s’écoula sans qu’il y eût un grand changement dans la meute. Typhon et Échidna prirent congé de la cuisine de Gal’ulm les derniers jours précédents la pleine lune afin de se préparer à la cérémonie lunaire. C’est donc au grand déplaisir du cuisinier démoniaque que le couple réussit à enfiler sans trop de mal leurs habits cérémoniels. Le Démon avait, à tort, cru que l’appétit démesuré des Evershas avait eu un effet beaucoup plus prononcé, mais c’était simplement qu’étant sans cesse bien nourrie, ce n’est qu’après un jeûne de deux jours que leur silhouette véritable se révéla.

Profitant que la cérémonie lunaire occupe les Evershas, Gal’ulm et Roself se réunirent discrètement à l’écart de la meute pour discuter.

« Typhon s’est joué de nous… Je n’arrive pas à croire, k’uhm, qu’il a prévu que j’essaierais d’exploiter son appétit animal et qu’il a trouvé moyen de me déjouer aussi facilement…
— Entre nous, maître, vous n’êtes pas particulièrement subtile dans vos méthodes. Je vous rappelle qu’il s’agit de votre apprenti, pas d’un étranger. Cet Eversha sait comment vous pensez et comment vous agissez.
— K’uhm ! Je ne suis quand même pas SI prévisible, k’uhm, et Typhon n’est pas SI intelligent, Roself.
— En effet. Le nombre élevé de coïncidences me porte à croire que cet Eversha peut lire l’avenir. Or, comme vous l’avez dit, son intelligence est limitée, alors il ne dispose pas des facultés pour tirer pleinement profit de ce genre de capacité. Cela expliquerait la simplicité du piège dans lequel vous êtes tombé.
— Suffit les insultes, k’uhm. J’ai besoin que Typhon soit corrompu par autant de péchés que possible pour la suite du plan, k’uhm et tu sais qu’il n’a aucune once de colère, d’envie ou d’orgueil en lui. Et je commence à me demander si la luxure a une chance de s’appliquer. De vrais animaux, k’uhm…
— Et c’est pourquoi cette cible est aussi attrayante, maître. Corrompre l’incorruptible est l’aspiration de tout Démon qui se respecte. J’admets cependant que si cet Eversha peut lire l’avenir, dans quelque mesure que ce soit, il sera difficile de le surprendre. Il me faut connaître l’étendue de cette capacité. »

Gal’ulm et Roself s’entendirent pour occuper Typhon pour un troisième mois afin de permettre à Roself de connaître l’étendu des capacités de Typhon à prédire les actions des Démons. C’était le dernier mois que permettaient les finances prévues pour cette manœuvre, alors le maître serviteur convainquit le seigneur Démon que s’il échouait à nouveau, il lui faudrait faire usage de la faveur que lui devait l’Eversha.

***

Le lendemain de la cérémonie, Gal’ulm se présenta à nouveau devant les chefs de meute, un air déçu au visage. Après deux mois d’effort, les deux Evershas avaient gagné guère plus de quelques kilos, ce qui était insignifiant par rapport à leur stature.

« Typhon, mon Typhon, k’uhm, soupira Gal’ulm, il m’afflige de vous voir aussi… maigre, k’uhm. Je sais que vous enviez ma corpulence et, il me chagrine que ma nourriture ne vous permette pas d’atteindre cet idéal…
— C’est l’inconvénient d’être aussi massif, répondit Typhon. Pour manger autant, nous avons dû adopter plus souvent la forme de nos Totems, mais ce faisant, nous avons accru nos besoins alimentaires. J’ai bien peur que pour grossir, il nous faille passer tout notre temps en forme animale.
— À la bonne heure, k’uhm ! Il me peinait de n’avoir trouvé aucun moyen pour nous de nous tenir d’égal à égal, mais, k’uhm, voilà la solution ! Sans ces vilains changements de forme, il me sera possible de vous engraisser selon vos désirs refoulés !
— Mauvaise nouvelle, répliqua Échidna d’un air faussement déçu, nous devons gérer l’effort de guerre. Si nous sommes nourris à notre convenance, nous ne pourrons reprendre impunément forme humaine pour retrouver l’usage de la parole. J’ai bien peur qu’il nous faille nous rendre à la raison…
— Mais, non, k’uhm ! Typhon, mon Typhon, aurais-tu oublié que je peux lire les pensées ? Repaissez-vous comme jamais vous vous êtes repus et je serai vos interprètes, k’uhm ! »

Suite à cette révélation, Gal’ulm aperçu le sentiment de frayeur qui s’empara momentanément du visage d’Équidna. La femme aurait pu invoquer la nécessité du secret des conversations, mais elle savait pertinemment, tout comme le corpulent Démon qui siégeait devait elle, que l’objectif de Typhon était justement que ces conversations soient épiées par les Vampires. Une source de plus ou de moins n’aurait aucune influence, puisque le fait était que ces conversations étaient tout sauf privés. Le regard qu’adresse Typhon à sa compagne était malheureusement révélateur de ses intentions.

Ni l’un ni l’autre n’était insensible à l’influence démoniaque de Gal’ulm. Ils désiraient engraisser, même s’ils savaient que c’était une bien mauvaise idée. Grâce à un subterfuge ou à un autre, le couple avait réussi à déjouer les manœuvres du Démon cuisinier, mais il tenait le moyen de parvenir à ses fins. S’ils ne pouvaient plus résister à leur gourmandise, leurs autres péchés risquaient d’ensuite faire surface. La raison et le désir s’affrontaient dans la tête d’Échidna et la femme avait des raisons de craindre la suite des événements.

Échidna déglutit donc lorsque Typhon donna son accord au seigneur Démon. Pour lui, c’était un risque nécessaire. Gal’ulm ne tuerait pas Typhon tant qu’ils étaient unis par un pacte. Le Démon n’oserait pas s’en prendre à Échidna, non plus, puisque ce n’était pas par colère, mais par tradition que Typhon devrait venger la mort de son épouse. Le maître cuisinier et son apprenti savaient tout deux que Gal’ulm ne sortirait pas vainqueur d’un affrontement direct, alors cette suite d’événements était à écarter.

Typhon se doutait que Gal’ulm gardait sa faveur en réserve pour utiliser en cas d’urgence, alors l’Eversha ne comprenait pas encore l’insistance du Démon à déployer autant d’effort sur lui. Toutefois, ces efforts étaient avantageux pour la meute de Gargantua. L’expérience qu’accumulaient les membres était d’une valeur inestimable. En deux mois, la meute gagna plusieurs membres de valeur et se dota d’artisans de plus en plus compétents. Il était donc à l’avantage de Typhon de subir les manigances de son maître aussi longtemps que possible.

Certes, la guerre accaparait l’attention du jeune chef de meute, mais la guerre ne serait pas éternelle. Il faudrait revenir à la vie normale dès lors et revenir aux luttes entre meutes et à la politique interne eversha. La guerre entraînant un énorme bouleversement chez les Evershas, plus la meute de Typhon serait désirable, plus elle gagnerait en influence. C’est en tant que commandant de guerre que Typhon pouvait offrir à sa meute les meilleurs enseignants. Ce titre et ces avantages étant éphémère chez les Evershas, c’était maintenant ou jamais qu’il fallait en profiter.

« Tu as intérêt à me laisser te surpasser, Démon ! Si je me rends compte que tu fais exprès de limiter ma croissance, c’est toi que je vais bouffer. »

Le cuisinier démoniaque répliqua à Échidna avec un large sourire. Il était bien au fait de la façade de la femme. Contrairement à Typhon, celle-ci était beaucoup plus humaine qu’animale. L’envie, la colère, l’avarice et l’orgueil qui faisaient défaut à Typhon, avaient chacun leur place dans son esprit. Il aurait été aisé pour un Démon de la trempe de Gal’ulm d’exploiter ces nombreuses faiblesses, mais tel n’était pas son objectif. Échidna ne servait présentement qu’à faciliter la déchéance de Typhon, mais elle ne perdait rien pour attendre.

***

Lorsque Gal’ulm quitta la tente des chefs, Échidna voulu en profiter pour passer des moments plus intimes avec son mâle. Cependant, la motivation n’y était pas, bien qu’elle fût pourtant dans son cycle.

« C’est pour le mieux de la meute, chercha à expliquer Typhon. Et puis, ce n’est pas comme si tu étais mince pour commencer.
— Doucement, répliqua Échidna, je suis… bien en chair. Mais ce que ce Démon veut nous faire, ça n’a rien à voir !
— Rien que quelques lunes ne peuvent rétablir. Nous sommes en pleine croissance, je te rappelle. On va continuer de grandir et si tu ne fais pas attention, tu te retrouveras maigre ! »

Échidna voulut argumenter, mais Typhon marquait un point. Il y avait deux raisons pourquoi le couple mangeait autant. La première, et la plus évidente, c’était que nourrir une chatte de plus de quatre mètres et 400 kilos était un véritable défi. Sans le temps passé en forme humaine, un prédateur aussi énorme aurait besoin de passer la majorité de son temps à manger. La deuxième, moins apparente, c’était que le don du gigantisme n’avait pas encore atteint sa limite. Typhon comme Échidna n’était pas à l’abri de soudaines poussées de croissance, ce qui stimulait encore plus leur appétit.

« Je ne pense pas que Maître Gal’ulm peut nous engraisser autant que tu le crois. »

1901 mots
3e message

La faveur

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La déchéance des chefs de meute s’opéra bien plus lentement que l’espérait le Démon cuisinier Gal’ulm. Les Evershas ne présentaient plus aucune défense pour résister à son influence démoniaque. Ils se soumettaient à leur gourmandise et la paresse prenait de plus en plus de place dans leurs journées pour leur permettre de digérer la faramineuse quantité de viande ingérée quotidiennement. Or, ces immenses félins avaient un appétit tout simplement monstrueux.

Ironiquement, le frein à l’engraissement des Evershas était Gal’ulm, lui-même. Malgré ses efforts, le Démon peinait à nourrir les géants à la hauteur de leur propre démesure. Comment permettre à des êtres énormes de se goinfrer de manière démesurée quand la simple logistique de suffisamment les nourrir représentait un défi. Et l’on faisait abstraction de cuisine qui devait être maintenue pour le reste de la meute. Ça représentait des centaines de kilos de nourriture à traiter chaque semaine.

Même s’ils passaient l’entièreté de leur temps en forme animale, Typhon et Échidna maintinrent un certain nombre d’activités, dont leur toilette habituelle. Au grand déplaisir de Gal’ulm, c’était signe que leur gourmandise n’était pas assez stimulée pour ses sombres desseins. Une déchéance totale nécessitait de négliger tout ce qui ne permettait pas d’ingérer plus de nourriture. Puis, il fallait exploiter le seul autre péché possible (pour Typhon), la paresse, afin que le prédateur devienne las de toute autre activité que de s’empiffrer et qu’il ignore ses responsabilités.

Ultimement, le seigneur Démon échoua à sa tâche, au grand soulagement des deux Evershas. La cérémonie lunaire approchant à grands pas, Gal’ulm dû déclarer forfait. Son apprenti avait encore eu raison de ses méthodes. Maigre consolation, mais après un troisième mois à chercher à engraisser Typhon et Échidna, le duo avait suffisamment grossi pour ne plus pouvoir enfiler leurs habits cérémoniels, pourtant amples et ajustables.

Le Démon pouvait se consoler par un résultat indéniable. Le couple avait chacun gagné une trentaine de kilos sous l’influence démoniaque, dont une vingtaine seulement ce mois-ci. Le problème, c’était l’absence de déchéance à proprement parler. Gal’ulm n’avait jamais senti son apprenti perdre le contrôle. Les années passées à contrôler son appétit vorace ne facilitaient pas la vie du seigneur Démon.

***

De retour en forme humaine, après deux jours de jeûne, les chefs de meute eurent tôt fait de dévorer avec avidité la nourriture du festin, cuisinée pour la cérémonie lunaire. C'était leur premier repas cuisiné en un mois. La meute s’organisa alors tel à son habitude pour leur cérémonie religieuse. Frustré, Gal’ulm s’en alla quérir son maître serviteur, espérant que son intellect lui ait permis d’enfin trouver comment corrompre ces Evershas. Pour des êtres sauvages et sanguinaires, ils étaient particulièrement difficiles d’exploiter leurs péchés.

« Roself ! Je t’en prie, k’uhm, dis-moi que tu as de bonnes nouvelles…
— Évidemment, maître. La capacité de Typhon à lire l’avenir, s’il dispose même de cette capacité, est soit particulièrement limitée, soit amoindrie par son désir d’avoir une vue d’ensemble pour la guerre.
— Enfin, k’uhm, nous allons pouvoir reprendre l’avantage !
— Permettez-moi d’en douter, maître. Le fait est, l’esprit de cet Eversha est trop limité pour être corrompu à la hauteur de vos ambitions et ce n’est pas de la gourmandise si la quantité de nourriture ingérée est nécessaire.
— Mais, mais, K’uhm… J’imagine que je n’ai plus le choix.
— Évidemment que vous avez le choix, maître. Vous pourriez abandonner votre projet.
— Je n’ai aucune intention de laisser mon apprenti l’emporter sur moi, k’uhm ! Aux grands maux, les grands remèdes. Roself, k’uhm, trouve-moi un acte maléfique assez simple pour que Typhon accepte de me l’accorder en faveur. Ça doit être cruel, mettre en évidence son insensibilité et, k’uhm, en lien avec la gourmandise. »

Le maître serviteur soupira. Gal’ulm laissait encore une fois sa fierté l’emporter sur la raison et c’était encore à Roself de trouver une voie de sortie qui préserve la réputation de son maître. Cette fois-ci, au moins, ladite solution était d’une évidence et d’une simplicité qui permettraient aux deux Démons de vite retourner chez eux à l’Antre des damnés et d’en finir avec la coexistence avec les Evershas.

***

C’est peu avant la cérémonie lunaire que Gal’ulm se présenta à Typhon pour lui demander la faveur qui lui était promise. Le chef de meute n’eut donc pas le choix d’au minimum écouter la demande. Le moment n’était guère opportun, mais plus vite il serait débarrassé du Pacte Démoniaque, plus vite Gal’ulm partirait. Le corpulent Démon et son entourage avaient son utilité, mais après trois mois et diverses manigances, la gêne occasionnée commençait à surpasser les mérites.

Il faut dire que si la meute de Gargantua avait acquis un bon nombre de compétences, et attiré la venue de nouveaux membres prometteurs, il leur fallait éviter de dépendre de Gal’ulm et retrouver un rythme de vie normal. Qui plus est, l’influence néfaste de ces Démons était la source de divers problèmes dans la meute. Le premier étant visible chaque fois que Typhon baissait les yeux vers son ventre beaucoup trop volumineux.

« J’ai bien réfléchi Typhon, k’uhm, annonça Gal’ulm. Après trois mois d’entraînement, je crois que tu es prêt pour une modeste faveur. Je veux que tu, k’uhm, que tu dévores vivant quelques Vampires sous la pleine lune.
— C’est tout ? Répondit Typhon, surpris par la demande. Tu as fait tous ces efforts pour me demander ça ?
— Évidemment, k’uhm. Il ne s’agit que d’un modeste échange de faveur. Je ne peux, en bonne conscience, chercher à obtenir plus que ce que j’ai donné. J’ai bien plus à gagner à ce que tu prennes l’habitude de dépendre de ton maître cuisinier, k’uhm !
— Ça ne fait aucun sens, répliqua Échidna. Tu as passé trois mois à nous nourrir, tu as même cherché à nous engraisser, juste pour demander une faveur que Typhon aurait pu t’accorder dès la pleine lune ?
— Bien sûr que non, k’uhm ! Pour tout vous dire, il s’agit d’une expérience. Il y a quelques années, quand j’ai affronté Typhon en duel, k’uhm, nous en sommes venus à un dilemme qui nous a forcé à mettre fin au combat. Aujourd’hui, k’uhm, je cherche à savoir ce qui se serait passé si nous avions continué le duel.
— Tu veux savoir lequel d’entre nous serait mort à l’aube.
— Tout juste, k’uhm ! Je t’ai donc gavé comme je l’ai fait lors de notre première rencontre. Il ne te reste plus qu’à faire introduire l’équivalent de mon poids en Vampires dans ton ventre de tigre sous la lueur de la pleine lune.
— Donc, si je comprends bien, tu veux que Typhon bouffe, quoi, trois-cents kilos de Vampires pendant la pleine lune et tu veux savoir si sa panse va éclater à l’aube ? Parce que la réponse, c’est non.
— Je vous en prie, k’uhm, un tel corps en vaut au moins cinq-cents, k’uhm ! Et puis, j’ai l’intention de tout faire pour permettre aux Vampires de survivre, comme si j’étais moi-même en danger. »

Échidna n’était toujours pas convaincu par les explications de Gal’ulm. Pour elle, il était évident que le Démon était, soit à court de temps ou de ressources, pour son projet initial et qu’il cherchait un moyen pour sauver les apparences et de quand même parvenir à ses fins. La question était : qu’avait-il à gagner ? Échidna refusait de croire que seule sa réputation était en jeu. Il y avait forcément quelque chose de concret à obtenir de Typhon dans cette manœuvre.

« Maître Gal’ulm, j’accepte votre demande de faveur. Vous pourrez conclure votre expérience et mettre fin au pacte qui nous unit. »

Suite à ces mots, Typhon invita son maître cuisinier à préparer son expérience pendant la cérémonie lunaire. Échidna avait toujours des doutes, mais son compagnon avait jugé que cette faveur avait plus d’avantages que d’inconvénients. Se débarrasser du pacte qui l’unissait à Gal’ulm était un avantage certain et la mort de Vampires ne pouvait pas nuire à l’effort de guerre. Le seul inconvénient, c’était l’état dans lequel Typhon se trouverait à l’aube. L’Eversha avait confiance qu’il survivrait à l’expérience, mais il n’anticipait pas des jours agréables par la suite.

***

La soi-disant expérience de Gal’ulm se révéla des plus simple. Le seigneur Démon et son maître serviteur téléportèrent des Vampires dénudés dans le ventre du gigantesque félin de près de quatorze mètres de long, puis protégèrent ces derniers grâce à un bouclier magique et la création d’air directement dans l’estomac du tigre. Il ne restait plus qu’à attendre, pendant que Roself s’efforçait d’analyser l’état des Vampires et de l’Eversha.

La meute de Gargantua observa avec une certaine curiosité le rituel démoniaque qui avait privé Typhon de sa capacité à présider la cérémonie lunaire. Échidna avait remplacé son mâle pour cette activité essentielle à la vie communautaire eversha, mais ses talents en la matière témoignaient toujours de son inexpérience. La Wynmeris n’était donc pas en mesure d’offrir une cérémonie aussi inspirante que son compagnon.

Cela dit, la cheffe de meute demeurait augure. En l’absence de Typhon, son interprétation des signes de Phœbe était indiscutable. Ainsi, tous se satisfaire de savoir que la déesse de la lune et de la nature continuait de soutenir les Evershas dans leur reconquête de Durienrisda et appréciait leurs efforts de redonner ses droits à la nature. La cérémonie s’étant terminée assez tôt, l’on profita des restes du festin préparé par les Démons et on observa, à distance respectable, l’étrange rituel auquel s’était soumis Typhon. Cela dit, il suffisait d’un mot d’Échidna pour que les Démons passent d’alliés à ennemis de la meute, alors l’on se tenait prêt à agir.

Les Démons, pour leur part, laissaient les Evershas tranquilles pour la première fois depuis les débuts de la cohabitation. Gal’ulm mettrait fin à la coopération entre les Démons et les Evershas dès le lendemain, alors les serviteurs du maître cuisinier s’en étaient retourné chez leur seigneur, dans l’Antre des damnés. Après une absence de près de trois mois, il y avait fort à faire pour préparer la résidence au retour de leur maître. Il ne restait donc plus que Gal’ulm et Roself parmi les Evershas.

***

Épuisé par l’effort, Gal’ulm ne réussit pas à maintenir son bouclier magique jusqu’à l’aube. Ayant cherché à être le plus fidèle possible au duel original, le seigneur Démon fut forcé de constater qu’il s’était retrouvé dans une bien plus mauvaise posture qu’il ne se l’était imaginé. Sans bouclier, le processus de digestion commença et la souffrance des Vampires prisonniers du tigre géant augmenta drastiquement en intensité.

Par un mélange de curiosité malsaine et du souci de rester fidèle à la justification de l’expérience, Gal’ulm continua de créer de l’air dans l’estomac du géant, afin de prolonger les souffrances des Vampires. Ainsi, ils ne perdirent que bien plus tardivement conscience alors qu’ils étaient digérés vivants. La création d’air nécessitait bien moins d’énergie que le maintient du bouclier magique, alors c’était logiquement ainsi que Gal’ulm aurait procédé s’il avait toujours été coincé dans l’estomac de son protégé.

L’aube n’était toujours pas à l’horizon que le dernier Vampire périt dans le ventre de Typhon. Gal’ulm pu ainsi mettre fin à l’expérience, puisqu’il était maintenant démontré que le Démon n’aurait pas pu survivre à la nuit dans l’estomac du tigre. C’est pourquoi, Roself qui inspectait toujours le corps de l’Everasha, put annoncer la fin de l’expérience, et donc du Pacte Démoniaque. Le maître serviteur précisa que Typhon était libre de régurgiter les restes des Vampires, puisqu’il aurait pu faire de même avec Gal’ulm au terme du duel.

Pendant ce temps, Gal’ulm profita de l’occasion pour diriger son influence démoniaque de gourmandise vers Typhon, afin que le tigre géant ne régurgite pas le contenu de son estomac. Le cuisinier démoniaque voulait que son apprenti choisisse volontairement de faire de l’expérience son repas, et ainsi, assumer les meurtres commis. L’influence du Démon fut inutile au processus décisionnel de l’Eversha. Ce dernier n’avait aucune intention de régurgiter quoi que ce soit après l’avoir dévoré. Il choisit simplement de se dégourdir les pattes avec le temps de pleine lune restant.

Quand les premières lueurs de l’aube gagnèrent l’horizon et que les effets de la pleine lune s’estompèrent, le surplus de matière consommé par le tigre fut réparti sur l’ensemble de son corps. Puisque le félin surdimensionné était déjà bien nourri avant son repas lunaire, il se retrouva bien plus corpulent que la veille. C’est donc avec la joie d’avoir bel et bien engraissé son apprenti que Gal’ulm retourna chez lui dans l’Antre des damnés. Typhon était redevenu libre des manigances de son maître cuisinier… pour le moment.

***

De retour dans sa demeure, Gal’ulm se permis enfin un moment de détente. Il avait vécu beaucoup de stresse chez les Evershas et enfin, il pouvait retrouver un rythme de vie normal, où il était le maître et personne dans son entourage ne représentait un danger. Roself choisit donc ce moment de vulnérabilité pour venir faire son rapport des événements et réitérer tous les échecs du seigneur Démon.

« Et un autre pacte de gaspiller, k’uhm… J’ai cette désagréable impression que mon protégé avait tout prévu.
— C’est hautement improbable, maître… mais pas impossible. Je suis toujours incertain de l’étendue des capacités de cet Eversha à lire l’avenir. Personnellement, j’ai plutôt l’impression qu’il improvise tout au fur et à mesure et qu’il a eu de la chance. Cela dit, il ne semblait pas très enthousiaste au terme de l’expérience.
— Ah, k’uhm ! L’expression sur son visage quand il a réalisé à quel point je l’ai fait grossir valait ces trois longs mois d’efforts !!! Mais plus important, k’uhm, qu’en est-il de notre mission ? As-tu réussi à le cloner ?
— Bien évidemment. Il ne nous reste plus qu’à faire parvenir le corps aux Enfers et il pourra devenir un véritable Démon.
— Formidable ! Si un tel monstre a pu naître chez les Evershas, k’uhm, je me demande ce qu’il en adviendra en tant que Démon…
— Contenez vos espoirs démesurés, maître. Il s’agit d’abord et avant tout d’un double maléfique. Il ne pourra être complet tant que vit l’âme originale. Le champion démoniaque que vous souhaitez parrainer doit survivre aux Enfers ET vaincre l’Eversha. »

2362 mots
4e message et fin du RP