Dérider Junichi : mode d'emploi

Objectif : Ren et Kagamiko, devant le stoïcisme de Junichi, se mettent en tête de le dérider un peu, ce qui n'est pas une mince affaire.

Ren et Kagamiko étaient toutes les deux concentrées sur leur tâche. La rouquine était à quatre pattes par terre. La brune était positionnée juste au-dessus d’elle. Leurs petites têtes de mini Orines dépassaient par l’embrasure de la porte. Elles regardaient exactement la même chose ou, plutôt, la même personne. Junichi était assis en tailleur, au milieu de la pièce. L’enfant – qui était un peu plus âgé qu’elles – était d’un calme absolu. Depuis qu’il avait emménagé chez Baba, il s’était contenté d’adresser quelques mots ici et là à Kagamiko. Il représentait un vrai mystère pour cette dernière. C’était la raison pour laquelle elle avait invité Ren, afin qu’elle l’aidât à déchiffrer cet étrange garçon. « Il fait quoi ? » demanda Ren, en chuchotant afin que l’Orine masculine ne l’entendît pas. « Il fait du jardinage… Je crois. » « Mais il ne bouge pas depuis deux heures… » Peut-être que deux heures n’étaient pas encore passées mais, pour elles, c’était tout comme. Les mouvements qu’exécutait Junichi ne se voyaient presque pas. Parfois, son bras bougeait légèrement et elles pouvaient entendre un bruit net se dégager de son ouvrage. Puis, plus rien. Il se servait un minuscule bol de thé, restait silencieux et immobile puis le buvait sans un son. Les deux petites filles ne voyaient donc que son dos, habillé d’un kimono blanc, et ses cheveux qui y ondulaient soyeusement. « Peut-être qu’il médite… ? » La méditation avait bien du mal à trouver une place dans le quotidien de Ren et de Kagamiko ; surtout de Kagamiko. La brunette n’arrêtait pas de bouger et de parler, bien plus que son amie de toujours. Elle aimait être en activité et n’arrivait pas à concentrer son mental sur quelque chose en particulier. Elle papillonnait ici et là. Ren s’avérait être une meilleure élève. Le seul problème était le suivant : elle se laissait bien trop souvent entraîner par la première, qui lui lançait des clins d’œil, des sourires complices ou s’amusait simplement à imiter des animaux ou l’Orine en charge de leur apprendre cet art compliqué. « Mais c’est long comme méditation… » murmura Kagamiko. « Moi je me serais déjà endormie. » « Ne le dis pas devant Baba. » « Mais non, mais non. » La grand-mère avait à cœur l’éducation des fillettes.

« Qu’est-ce que vous faites ? » Ren et Kagamiko sursautèrent en même temps. La deuxième, qui était en équilibre, chuta sur la première, et elles formèrent bientôt un drôle de paquet sur le sol. Junichi tourna la tête, curieux. Ce n’était pas lui qui avait posé la question mais Baba. L’Orine avait plusieurs vêtements colorés entre les mains et regardait les deux filles avec un air faussement sévère. La lueur dans son regard était joueuse. Quant à sa question, elle n’en était pas une réelle : elle savait très bien ce que les enfants faisaient ici. Elle les entendait chuchoter tout le temps à propos de Junichi, de ses cheveux, de sa façon de tenir ses baguettes, de sa bouille trop mignonne. Kagamiko était convaincue qu’il pourrait devenir son amoureux. Ren réfrénait un peu les ardeurs de la brunette mais c’était surtout parce qu’elle l’aimait bien aussi. La présence du garçon avait chamboulé leur quotidien et Baba s’amusait comme une folle à suivre les histoires de cœur imaginaires des deux gamines. Junichi, lui, ne semblait pas s’apercevoir des événements qui se déroulaient autour de lui. Il était réglé comme une horloge, était très autonome et ne manquait jamais d’initiative lorsqu’il s’agissait d’aider pour quoi que ce fût. Il jouait à plusieurs jeux de stratégie, testait beaucoup d’Arts et de Sciences, adorait les Artisanats et se montrait assez doué pour tout ce qu’il entreprenait. Il était calme, posé, mais manquait d’humour. C’était comme si l’enfant avait grandi trop vite. Il ne jouait pas à des jeux futiles et était immensément discipliné. Baba aurait aimé qu’il se mêlât davantage aux activités de son âge mais avait de bons espoirs que cela se produisît. Kagamiko était d’une obstination à toute épreuve et, généralement, elle trouvait toujours de quoi motiver les autres enfants, que ce fût en cuisinant des gâteaux, en faisant des galipettes dans l’herbe ou en chantant des chansons. Elle n’était pas encore très douée mais se prêtait aux exercices avec une bonne humeur légendaire. Il n’y avait que quand il s’agissait de se laver qu’elle faisait la moue.

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Dérider Junichi : mode d'emploi

« On ne fait rien, Baba, voyons ! » clama Kagamiko, un sourire espiègle sur les lèvres. « Ah oui ? » demanda la vieille femme. Malgré son vieil âge, elle était encore très élégante. Ses mouvements étaient grâcieux, résultat de siècles de théorie et de pratique. Il ne lui serait d’ailleurs jamais venu à l’esprit de changer cette façon toute particulière de vivre. « C’est amusant, parce que je vous ai entendu dire que Ju… » « Ah ! » cria soudainement Ren. Ses joues, déjà rosées, devinrent rouges comme une pivoine. « Je… » La mini Orine se mit à réfléchir à toute allure. Si elle avait réussi à sauver la situation, elle devait, à présent, s’expliquer sur les causes du son qui était sorti de sa gorge. « J’ai… J’ai une crampe à l’orteil ! Aïe aïe aïe ! » déclara-t-elle, en mimant la douleur. Après un petit silence, la plus âgée du groupe se mit à rire doucement. Puis, sans rien ajouter, elle s’éloigna, toujours hilare. Dans le couloir, elle se prêta à un petit commentaire. « Ah la la, la jeunesse. » Cette remarque n’était en rien médisante, bien au contraire. Il était aisé de constater à quel point Baba éprouvait de la tendresse pour ces enfants et s’amusait de la situation dont elle avait été témoin. Les amours enfantins étaient les plus intéressants d’après elle. Ils étaient candides et frais. Elle était d’ailleurs certaine que ni Kagamiko ni Ren ne voyaient le souci : elles étaient toutes les deux éprises de la même personne. Ça ne les empêchait pas d’être amies et elles n’avaient pas l’intention de se faire la guerre. Peut-être même étaient-elles prêtes à partager cette amourette. Les problématiques étaient bien différentes d’une histoire entre adultes. L’idée d’appropriation de l’autre n’avait pas encore germé dans leur esprit. Elles se contentaient d’aimer Junichi et de faire des plans pour dérider l’indéridable garçon. C’était un défi.

« Tu fais quoooiiiiii ? » demanda Kagamiko, après s’être approchée de l’Orine masculine. Ce dernier posa l’objet qu’il tenait dans les mains précautionneusement, avant de lever les yeux vers elle. « J’entretiens mon arbuste. » « Depuis deux heures ? » Le brun ne sembla pas remarquer l’impatience présente dans la question. La petite fille trouvait que c’était bien trop long et, si elle ne l’avait pas fait exprès, l’interrogation sonnait étrangement comme un reproche. Elle ne comprenait pas comment est-ce qu’il pouvait rester assis là autant de temps. Surtout, ces heures à entretenir son arbuste étaient autant d’heures qu’il ne passait pas à jouer avec Ren et elle. « C’est un travail minutieux. Ce temps est précieux et me permet de me ressourcer. » « Te ressourcer ? » Kagamiko se rappelait vaguement le discours de la professeure de méditation sur l’importance de se ressourcer. Elle ne devait pas écouter énormément parce que tout ce qui lui venait en tête, c’est qu’elle avait imaginé un point d’eau et que ça lui avait donné envie de faire pipi. « Oui. » se contenta de répondre le garçon. Il n’était pas pédant. Il était simplement… peu démonstratif. « Et est-ce que tu es ressourcé, maintenant ? » continua la fillette. « Oui. » « Alors tu peux jouer avec nous ? » Elle s’était engouffrée dans la brèche. Peut-être devrait-elle penser à embrasser une carrière de vendeuse, finalement ? Chaque opportunité qui lui était laissée faisait un parfait prétexte pour débuter un nouveau jeu. Surtout, elle voulait voir Junichi rire. Il faisait bien des petits sourires, parfois, mais elle ne l’avait jamais entendu s’éclaffer. Ce garçon était semblable à un moine ermite des cavernes, à méditer toute la journée, les yeux clos ou ouverts sur l’immensité de l’univers ; un univers non visible pour le commun des Mortels. En d’autres termes, si elle voulait le convaincre de devenir son amoureux, elle allait devoir le faire sortir de cet état ennuyeux dans lequel il semblait s’être plongé.

« Ce serait vraiment bien si tu venais… » Ren s’était également approchée. Sa voix était bien plus calme que celle de Kagamiko, cette dernière ayant tendance à se laisser entraîner par ses émotions au-delà du raisonnable. « Tu peux même choisir le jeu ! » dit Kagamiko, comme argument choc. Junichi sembla réfléchir. « Je veux bien jouer jusqu’à ce que le soleil touche le vieux saule pleureur. » Les deux Orines regardèrent par la fenêtre. « D’accord ! » lança la brunette. « Tu veux jouer à quoi ? » « Je vous laisse décider. » L’idée percuta le cerveau enfantin de l’habitante de la maison. Elle se pencha vers Ren et lui murmura quelques mots à l’oreille. D’abord surprise, la rousse se mit à rire. « Je suis partante. » « Très bien ! Nous allons pouvoir commencer ! » annonça l’initiatrice.

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