Il ne suffit que d’une seconde d’inattention à Ellie pour qu’elle se retrouve au sol avec une pommette en moins. Quelques-unes de plus lui furent nécessaires pour se remettre sur pieds. Frottant la zone douloureuse et les gouttes de sang qui gênaient sa vue, elle poussa un grognement menaçant, prête à en découdre avec son adversaire. Ce coup de poing ne l’avait pas calmée, bien au contraire : elle prenait ça comme une provocation en duel et le goût métallique dans sa bouche ne faisait qu’intensifier sa rage. Puisqu’elle avait déjà réussi à avoir l’avantage sur lui, elle se savait capable de reproduire la chose. Il allait payer très cher son affront. Restait juste à savoir comment, car les proies ne se faisaient jamais avoir deux fois d’affilée.
-C’est moi que tu traites de Réprouvée ?
Il cherchait vraiment à souffrir, à croire qu’il était de ceux qui y vouaient leur sexualité. Elle allait lui en foutre de la schizophrénie et de la bipolarité. Vraiment, il racontait connerie sur connerie. Il ne savait même pas ce qu’il disait. S’il y avait bien quelqu’un qui avait des propos incohérents, c’était lui.
-On n’est pas cinglées. Siffla-t-elle.
Kitoe, Lia et Kraa étaient connes, ça elle pouvait le lui accorder. Elle, elle était de loin la plus raisonnable et la plus intelligente du groupe. Mais en AUCUN cas l’une d’entre elles n’était folle. C’était un terme qu’elles n’acceptaient pas. Elles n’étaient pas une vulgaire déséquilibrée inconsciente de ses actes. Sa manière de les sous-estimer l’énervait profondément. Cette enflure n’était même pas conscient de la gravité de ses propos, il ne se rendait pas compte d’à quel point il avait blessé Kitoe. Le visage tordu par la colère, Ellie scrutait le blond avec tellement d’insistance qu’elle aurait pu le réduire en fumée par ses simples pupilles si elle en avait eu le pouvoir. Malheureusement, elle ne voyait aucun moyen de retourner la situation à son avantage. Elle tenta bien quelques mouvements, mais il était plus agile qu’elle. Ce n’était pas le bon moment. Il n’y avait plus l’effet de surprise. Tout ce qu’elle pouvait espérer, c’était que Toki surgisse derrière lui, mais elle n’avait que très peu d’espoirs que ça arrive. Alors tant pis. Deccio allait partir et elle allait devoir attendre si elle espérait une revanche. Pour tout remerciement en échange de sa carte, Ellie lui adressa un majeur levé. Quand il eut quitté la propriété, elle resta en position de combat, s’attendant certainement à le voir débarquer à nouveau, par une fenêtre ou elle ne savait quoi. Mais non. Il ne revînt jamais. Cela la rendit d’autant plus amère.
-Putain de merde ! S’écria-t-elle. Quel connard !
De rage, elle tapa du poing sur la table et mit un coup de pied dans une chaise, qui effectua une glissade lamentable sur quelques mètres. L’envie de fracasser les plats et les assiettes en plan était mordante mais elle se retînt. La maison avait subi assez de dégâts pour aujourd’hui. Ramassant la clope qu’elle avait volé au blond, elle ralluma l’extrémité et tira. La sensation de chaleur au fond de sa gorge et la fumée dans ses poumons apaisèrent quelques-unes de ses pulsions destructrices. Elle récupéra la carte qu’elle rangea dans un tiroir après l’avoir examinée. Ça pourrait toujours servir. Kitoe lui en voudrait à mort si elle la jetait et elles savaient toutes les deux qu’elles reverraient cette raclure tôt ou tard. On ne faisait pas irruption chez quelqu’un de cette manière si ce n’était pas pour relancer derrière. Il reviendrait pour le travail. Où elles iraient pour le tuer. Ou les deux. Kitoe aimait bien les deux.
Dans un long souffle aux arômes de tabac, Ellie monta dans sa chambre pour enfiler une tenue plus adéquate. Elle poussa un soupir de soulagement en quittant la robe trop serrée de Kitoe. Un pantalon et un débardeur la siéraient davantage.
-TOKI JE SORS. Aboya-t-elle sèchement.
Bon, en réalité elle ne s’était pas beaucoup calmée. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle elle allait prendre l’air. Elle espérait que tout serait en ordre à son retour. Si elle découvrait que le Reflet n’avait pas surveillé la maison pendant son absence, elle lui pèterait promptement la gueule. Foutue copie de merde. Ellie était celle qui acceptait le moins cette intruse, bien que cette dernière se révélât pratique et utile par moments. La jeune femme la trouvait ridicule – et ça lui trouait le cul d’admettre que la copie de sa personnalité était réussie – alors elle tâchait d’avoir le moins d’interactions possibles avec celle-ci. Jetant sa cigarette au pas de la porte, Ellie se barra. Combien de temps cela lui prendrait-il ? Bonne question. Elle allait se promener jusqu’à trouver un péquenaud à qui péter le nez et puis elle irait chercher un serrurier.
