‘ Dis-moi, A’Hawé, tu te demandes toujours ce que c’est qu’une étoile ? ’
Ton visage se tord en une expression de surprise tant la question est inattendue. Tu t’arrêtes alors pour te perdre dans le tourbillon de tes pensées. Une étoile… Ton esprit tente d’associer tous les éléments caractéristiques de cette notion impalpable. Un caillou, du feu, la lumière, la nuit. La moitié de ces concepts te sont difficilement imaginables. Tu effleures du doigt la signification de ce mot sans réussir à t’en imaginer les contours. Finalement, tu constates que tu n’es pas en mesure de te représenter la chose.
« Oui », soupires-tu d’un air triste. Et puis, comme tu te sens obliger de te justifier, tu poursuis. « C’est que… J’ai toujours du mal avec ce que je ne peux ni toucher, ni sentir, ni entendre, ni goûter… J’imagine qu’il y a des choses qui me resteront à jamais inaccessibles… »
Tu t’efforces à offrir à ton compagnon un sourire rassurant. Tu ne veux pas de la pitié des gens - encore moins venant de ceux que tu aimes. Alors, tu te montres sous ton meilleur jour. Bourgeon se tait un instant pour accueillir ton chagrin. Il te comprend mieux que quiconque et sait - tout comme moi - que tu barricades souvent tes réelles émotions derrière une armure guillerette. C’est toi qui rompt le silence qui s’est installé entre vous.
« Pourquoi me demandes-tu cela si soudainement ? » t'interroges-tu.
Cela faisait plusieurs semaines que vous aviez eu cette discussion et tu ne comprenais pas ce qui avait poussé le Lesoviks à relancer le sujet. Une crainte s’empare soudain de toi : et si tu l’avais blessé ? Le petit être avait fait du mieux qu’il pouvait pour te répondre ; tu savais que ce n’était pas de sa faute. Alors, pour ne pas le vexer, tu tentes de te rattraper in extremis.
« Mais ce n’est pas ta faute, Bourgeon. Ton explication était très claire ! »
Mais personne ne te répond et tu ne sens plus son poids sur tes épaules. Il est parti. Tu le sais. L’angoisse s’empare de toi : froide, lourde et pénétrante. Elle serpente jusqu’au plus profond de ton âme, réveillant tes peurs les plus primaires. Le poison qui coule dans ton esprit est douloureux et virulent. Il s’empare de tes souvenirs avant de les brûler dans une fumée pestilentielle, relent de rêves brisés et de réminiscences détruites. Tes protections cèdent ces assauts fatals. Bientôt, des soubresauts parcourent ton petit corps chétif. Ta gorge est serrée. Tu retiens un sanglot, puis un second. Et, finalement, abandonnée au milieu de la forêt, tu fonds en larme en t’effondrant sur le sol.
Bourgeon se déplace avec agilité sur le sol pavé de feuilles aux couleurs de l’automne. Il connaît l’endroit comme sa poche : c’est Sa forêt, Sa demeure. Ses rhizomes le portent vers le tronc d’arbre qui lui sert d’abri contre les prédateurs. Il n’est plus très loin. Les pleurs de la gamine lui parviennent comme un écho à ses propres émotions. De petites larmes coulent sur ses joues râpeuses alors qu’il s’éloigne de son amie. Son coeur se déchire à chaque cri de détresse de la petite, comme un coup de poignard qui le transperce de part en part.
Les gémissements ne faiblissent pas malgré la distance qui s’installe entre eux. Le vent pernicieux se fait un plaisir à charrier les sons qui meurtrissent son âme. A plusieurs reprises, l’hésitation éreinte sa détermination. Mais, il tient bon. Il est hors de question de faire marche arrière. Pas maintenant. Il essaye de se convaincre qu’il a prit la bonne décision ; que ce qu’il s’apprête à faire est ce qu’il y a de mieux. Alors, il accélère le pas dans l’espoir de mettre fin à ce supplice lancinant.
L’accablement a tari tes larmes, mais tu pleures toujours à l’intérieur. Tes yeux brûlent du torrent qu’ils ont versés. Tu dois partir. Il n’y a plus rien à attendre de cette forêt. Tu te relèves péniblement et tentes de te souvenir du chemin qui t’a amené ici. En vain. Tu choisis une direction, et progresses à tâtons plus profondément dans les bois.
‘Attends moi !’
Tu t’immobilises. Tu manques de défaillir à nouveau. Cette voix… L’as-tu imaginée ? Les bruissements et les craquements sur ta droite contrastent avec la mélodie de la sylve. Tu fais volte-face. Le pas est lourd et maladroit. L’espoir qui marquait les traits de ton visage disparaît aussitôt.
« Qui est là ? »
‘ Ben c’est moi, gros bêta ’ répond la voix dans ta tête.
Cette fois plus aucun doute, il est revenu. La joie l’emporte sur la tristesse, et aucune colère ne vient ternir tes sentiments. A ta grande surprise, ton corps trouve des larmes à déverser sur tes joues rougies par le froid.
« Bourgeon ! Tu es revenu ! Je suis désolée… »
‘ C’est moi qui suis désolé, j’aurai dû te prévenir que je partais mais je voulais te faire la surprise…’
« Une surprise ? t'étonnes-tu. Tu n’étais pas fâché ? »
‘Non, pourquoi l’aurai-je été ?’
Tu te sens soudain ridicule d’avoir autant sangloté pour rien. Finalement, peut-être Tekoa avait-il eut raison de te traiter de pleurnicharde. Une partie de toi se réjouit qu’il n’ait pas assisté à cette scène déplorable. Tu ne sais même pas ce qui t’a pris de dramatiser autant les choses. Tu aurais dû savoir que Bourgeon ne s’enfuirait pas de la sorte. Tu te sens bête à cet instant. Le petit être remonta le long de ta jambe pour se hisser jusqu’à ton épaule. Il se pencha sur ta figure et frotta sa petite tête terreuse contre ta joue humide. Ce contact réchauffa immédiatement ton coeur et illumina ton visage d’un sourire béat.
‘ Bon, ma surprise maintenant… Tu voulais savoir ce qu’est une étoile ? Penche-toi, il y en a une à tes pieds ’
« Vraiment ?! Mais les étoiles ne sont-elles pas dans le ciel ? »
‘ Si… Ce n’est pas vraiment une vraie étoile, c’est un doudou qui en a la forme. Je l’ai trouvé dans la forêt au pied d’un arbre.’
« Mais… Il doit manquer à quelqu’un, non ? »
‘ Peut-être, mais vu son état, je pense qu’il a passé de nombreux jours dehors. Je doute que son propriétaire précédent le retrouve alors… je me suis dit qu’au moins, cela te permettrait peut-être de comprendre ce qu’était une étoile.’
« Oh, Bourgeon ! Merci !! »
Tu attrapes délicatement la racine entre tes mains et l’amène à tes lèvres pour lui offrir un bisou. Ensuite, sous ses conseils, tu le reposes et te penches pour attraper la peluche. Elle fait approximativement la taille de ta tête et tu prends alors conscience des efforts qu’à fait ton ami pour l’amener jusqu’à toi. Tes mains parcourent les arrêtes de l’objet. Il semble y avoir cinq branches composant cette forme atypique. La matière est d’une douceur incomparable ; tu ne peux te retenir de frotter ton visage contre le tissus. Le contact est chaud et agréable. Son odeur terreuse est agréable ; c’est un mélange d’humus et de résine. Tu l’adoptes immédiatement.
« Et donc, ce sont des cailloux qui ont cette forme qui brillent dans le ciel ? »
‘ C’est à peu près ça ’ confirma le Lesoviks.
Tu serres ton nouveau Doudou contre ta poitrine. Un sentiment de plénitude et de chaleur s’empare de toi. Ton coeur est vidé de la moindre parcelle de ton chagrin.
« Merci beaucoup, Bourgeon. Je l’aime vraiment beaucoup ! Je pense que je vais l’appeler… Odile ! »
Ce jour-là, tu exploras le monde avec Odile dans tes bras. Et, le soir venu, après avoir raconté tes exploits à Tante Koko, tu t’endormis paisiblement en serrant l’étoile tout contre toi. Ce fût la nuit la plus paisible d’une longue série.
