| | | Une étoile dans l'eau [Mission de niveau 4] |  |
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 | | Ven 18 Déc 2015, 15:50 | |
| Le doux clapotis de l'eau sur la coque empêchait la Rehla de trouver le sommeil. La fatigue se creusait sous ses yeux, et l'éclat lumineux qui y brillait habituellement semblait presque avoir disparu. Le Temple des Esprits lui avait accordé un fragment de Vérité, une révélation terrible pour laquelle elle n'était pas sûre d'être prête. Le doute, ennemi languissant du choix, s'était insinué dans son esprit avec la mollesse d'un serpent. Accepter ce que les étoiles avaient gravé en elle à tout jamais représentait la seule manière de se délivrer des pensées obsédantes qui tourbillonnaient à l'ombre de ses paupières blanches. Ce soir pourtant, elle sentait que quelque chose s'apprêtait à changer. L'agitation intérieure qui la dévorait depuis plusieurs jours retombait avec une lenteur délicieuse. Le coeur apaisé, assisse sur le pont du bateau qui la menait loin de son continent natal, Callidora se laissait emporter par la brise fraîche qui perçait la nuit de sa lame aérienne. Laissant ses songes divaguer au gré du vent, elle ressentait une sérénité profonde. Le contrôle qu'elle cherchait toujours à maintenir sur elle-même et ses émotions, la domination de la raison sur les sens et les passions lui paraissait brusquement une attitude dépourvue de finalité qui ne pouvait conduire qu'au malheur.
Sa respiration silencieuse se mêlait aux effluves salés de l'Océan. L'impression de n'avoir jamais vécu un tel voyage maintenait la Rehla en éveil. Mais avait-elle seulement été éveillée un jour ? Ne faisait-elle pas qu'osciller entre le sommeil et l'illusion en permanence ? Peut-être cet éloignement qu'elle ressentait désormais avec la réalité lui avait-il fait prendre conscience qu'elle n'en avait jamais réellement fait partie. Ses congénères n'étaient rien d'autre que les créatures des étoiles. Nés d'un songe, chacun d'entre eux passait sa vie à chercher la Vérité, quitte à se perdre dans ses méandres. Une ombre effleura son visage lorsqu'elle pensa à son père. Serait-elle suffisamment forte pour supporter le fardeau de l'existence qui appartenait à ceux de son peuple ? Se laisser aller à la paresse, voilà qui aurait promis une vie de sérénité et de bonheur assurés à laquelle elle ne se résoudrait pourtant jamais. Il fallait croire que la souffrance lui plaisait, en fin de compte. Prenant une grande inspiration, elle savoura le parfum à nul autre pareil qu'exhalaient les flots.
La douceur d'une nuit d'été à voyager seule sur les mers. Voilà une aventure qu'elle n'avait jamais mené auparavant, et qui lui semblait pourtant d'une importance plus grande que les tumultueux événements qu'elle vivait la plupart du temps. Pour la première fois depuis sa visite au Temple, elle ressentait l'envie spontanée d'offrir une mélodie aux étoiles. S'apprêtant à entrouvrir les lèvres, elle s'interrompit cependant. Un frisson sur l'eau venait de la distraire, murmure d'une voix qu'elle ne connaissait pas encore. Dérobant son regard au monde, elle chercha la source de ce chuchotement délicat qui courrait sur les vagues avec agilité. Après ce qui lui sembla une attente interminable, elle leva enfin les yeux vers le ciel. Une lumière l'aveugla, si intense qu'elle fut obligée de détourner le regard. Comment supporter la vue d'une telle blancheur ? Les prunelles dilatées, la jeune femme mit quelques instants avant de retrouver ses esprits, bercée par le murmure de l'étoile et de l'océan. C'était une alliance merveilleuse, une mélodie qui s'élevait au-dessus des flots avec la douceur du rire d'un enfant et la splendeur de la sincérité. Comme si les choses n'auraient pu être différentes, leurs deux mélodies autrefois distinctes et que rien n'amenait à se trouver se mêlèrent, virevoltèrent entre les nuages pour effleurer d'une inflexion langoureuse l'astre d'argent jusqu'à finalement se laisser retomber jusqu'aux oreilles de Callidora avec une tendresse d'amant.
Les bras appuyés contre le bastingage, la Rehla ferma les yeux pour s'évanouir au monde et retrouver une certaine concentration. Le silence progressait lentement à l'intérieur d'elle-même, battant comme un coeur, envahissant chacune de ses veines comme un feu divin. Ses pensées se taisaient enfin. La sérénité était un véritable trésor qu'elle ne faisait que découvrir. Cependant, le murmure qu'elle entendait depuis plusieurs minutes s'intensifia, cherchant à entrer en elle. Un sourire ravi aux lèvres, Callidora ouvrit son âme à l'étoile qui souhaitait la rejoindre et ouvrit à nouveau. Alors, ce fut un éblouissement plein de chaleur. Tendant la main vers la forme lumineuse qui se trouvait devant elle, elle lui offrit une étreinte fraternelle. À sa grande surprise, l'étoile avait un corps _ ou ce qui s'en approchait, car il n'y avait ni sang ni chair _, un corps étrangement tangible qui palpita sous ses doigts l'espace d'un instant. « Je t'ai cherchée longtemps. » Peut-être était-elle la victime d'une illusion, ou avait-elle sombré dans un rêve, mais peu lui importait. Une sensation rassérénante de sécurité l'enveloppait toute entière. S'adresser à un astre lorsque l'on n'était pas même certain que ce soit réel relevait d'une naïveté désespérante, et cette pensée la déstabilisa une seconde.
Mais la présence céleste lui ôtait toute idée désagréable. Acceptant de se laisser guider par son intuition, Callidora resta un moment à contempler l'étoile, cherchant à comprendre son message. Le sens de son murmure lui demeurait incompréhensible, perdu quelque part entre l'éther et l'océan, en un lieu qu'elle ne pouvait imaginer. Avec le temps, elle parvenait à décrypter leurs paroles mélodieuses de mieux en mieux, et il y avait pourtant des soirs où cela lui était impossible. Incapable de résister à l'appel que lui chantait la charmante murmureuse, la brune sentit que des bribes lui parvenaient et prit brusquement conscience que sa voix s'élevait en une douce mélodie. L'Oraédéra était la plus merveilleuse des langues, douce comme du cristal, belle comme du velours. Un idiome qui ne s'employait que pour offrir les cris du coeur ou des fragments de Vérité. Chanter en compagnie d'un astre une mélodie de son peuple lui paraissait une opportunité exceptionnelle. Aussi se contenta-t-elle d'acquiescer lorsqu'elle entendit la requête. Cueillir une perle au fond de l'Océan et la ramener à celui pour lequel les étoiles déployaient les secrets du monde, et bien plus encore. Sans la moindre hésitation, la Rehla monta sur le bastingage et disparut au milieu des flots dans un sursaut d'écume.
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| | Lun 11 Jan 2016, 18:28 | |
| Les effets de l'eau ne tardèrent pas à se faire sentir. Pour une raison mystérieuse, elle ne ressentait cependant pas la suffocation à laquelle elle s'attendait. Seul le goût acre du sel qui coulait dans sa gorge pour l'incendier des merveilles de l'Océan. C'était elle, la lave des mers à laquelle bon nombre de mortels succombaient. L'eau salée. La mission confiée par l'astre nocturne représentait la lumière qui guidait la brune dans les ténèbres des abysses. À mesure qu'elle s'enfonçait dans les courants frais, la sensation qu'elle quittait le monde lui apparaissait comme une évidence. Quelles que soient les conséquences de son voyage, elle ne serait plus jamais la même en se délivrant de la fascinante emprise aquatique. Le silence des profondeurs l'entourait de ses bras squelettiques. Sans savoir depuis combien de temps elle s'aventurait en ces lieux interdits, ni de quelle étrange manière elle pouvait parvenir à respirer, elle se contentait de progresser au coeur de cette étendue sauvage et royale qui lui semblait vierge de toute créature, humaine ou non. L'impression fugace d'accéder à une dimension céleste emplissait son coeur d'allégresse. La solitude ne lui paraissait plus un fardeau insurmontable, mais un cadeau démesuré dont elle saisissait à peine la portée. Laissant ses pensées voguer au gré des enroulements de l'eau, elle s'armait de patience et trouvait en elle une sérénité profonde et apaisante dont elle ignorait jusque-là l'existence.
Les tourments de son esprit se relâchaient enfin. Malgré l'effroi qui aurait dû la saisir, elle ne ressentait qu'un calme teinté de délicatesse. L'image de son corps se débattant dans les flots lui arracha un sourire : les habitants de l'Océan, s'ils la voyaient, la trouveraient probablement ridicule, à se démener ainsi dans l'immensité glacée sans savoir où elle se dirigeait, d'autant que ses capacités en tant que nageuse hors pair laissaient à désirer. La Rehla se laissait porter par les courants marins, espérant que ceux-ci la guideraient vers son Destin comme l'avait prédit l'étoile rencontrée quelques instants plus tôt. Les minutes s'écoulaient, exceptionnellement longues, odieusement courtes. La brune ne savait plus que penser de cette expérience libératrice dans laquelle elle se complaisait élégamment. Toute notion de Temps et d'Espace s'abolissait, toutes deux rendues muettes par ce milieu aux limites de l'imaginable. Parler lui semblait un sacrilège en cet endroit sacré, surtout que réveiller les Sirènes qui dormaient dans les profondeurs s'avérait parfaitement déplacée. Pourtant, au lieu de se sentir étrangère à ce monde liquide qui l'engloutissait en douceur, elle ressentait l'étrange impression d'avoir enfin atteint ce qu'elle cherchait depuis longtemps.
Et puis, elle était là. La Perle. Délicieusement nacrée, irisée de reflets illusoires et de promesses impromptues. L'approcher devenait l'unique désir de Callidora. D'un geste qui se voulait doux, elle offrit à son corps une nouvelle secousse et se projeta en avant. La distance se révélait encore trop grande pour qu'elle la saisisse à pleine main, mais ce n'était pas là le genre de contact qu'elle cherchait à établir. À dire vrai, elle n'osait pas réellement l'attraper. Un tel trésor ne méritait pas d'être arraché à son royaume, et pourtant il fallait qu'elle l'emporte vers d'autres rivages. Ses doigts légèrement tremblants effleurèrent la surface blanche. À sa grande surprise, rien ne sembla se passer. L'éclat féérique de la Perle ne faiblissait pas et s'illuminait comme une lueur réconfortante dans des ténèbres insondables. À l'instant où ses phalanges hésitantes employèrent la sphère miraculeuse, la Rehla sentit une fêlure naître en elle. Brusquement, le sel s'engouffra dans ses poumons pour la chasser de cet endroit sacré qu'elle tentait de profaner sans le vouloir. La brune ne faisait qu'obéir à la volonté d'une étoile, volonté qui devenait sienne à travers le lien immuable qu'elle entretenait avec les astres célestes. Malgré le liquide mortel qui s'infiltrait entre ses lèvres closes, elle avait enfin trouvé un chemin.
Prenant brutalement conscience du terrible sort qui l'attendait si elle s'attardait en ces lieux, Callidora s'efforça de remonter vers le ciel. Des mouvements précipités accompagnèrent sa tentative. Des gestes désordonnés à l'image de son coeur affolé. Comment se délivrer des flots noirs qui l'encerclaient ? Aucun moyen de se repérer dans une obscurité pareille. La lumière salvatrice des étoiles ne parvenait pas jusqu'à ses yeux brûlés. La peur s'empara d'elle à mesure qu'elle sentait ses muscles faiblir sous la pression de l'eau qui envahissait son corps. Toute force l'abandonnait et elle se mouvait avec une lenteur désespérante, écrasée par l'absence d'oxygène. Une toux violente la força à ouvrir la bouche, laissant le sel pénétrer dans sa gorge. C'était comme avaler un torrent de flammes ; plus on résistait, plus on succombait. Luttant contre ses propres limites pour rejoindre la surface avant de finir emportée à son tour par l'Océan, elle ressentait les moindres soubresauts de son organe vital à la recherche d'un air salvateur qu'il ne trouvait pas. L'asphyxie s'avérait sans le moindre doute la pire des tortures qu'elle n'eût jamais subi.
Soudain, quelque chose la percuta. Terrifiée à l'idée de terminer dévorée par un quelconque prédateur des mers, la brune utilisa le regain d'adrénaline offert par ce contact pour s'élancer dans l'immensité aquatique. Dépourvue de repères, elle se battait avec un acharnement qui ne faisait que précipiter sa perte. Se laisser porter par les courants représentait sa seule chance de survie, mais comment aurait-elle pu s'en remettre à une chance aussi faible ? Les habitudes avaient la vie dure. Mieux valait se débattre jusqu'à son dernier souffle qu'accepter que son Destin ne dépende que des caprices de l'Océan. Une philosophie qu'elle appliquait à sa vie entière. La combativité, voilà le véritable trésor gagné par toutes ces années de souffrance silencieuse. Cela dit, parfois, elle ne suffisait. Et ce soir, elle ne pouvait compter que sur elle-même, que sur ce corps fragile qui s'abandonnait à l'agonie. Son esprit cherchait encore à survivre, à vaincre l'eau salée qui détruisait tous ses espoirs. Ne reverrait-elle donc jamais la lueur divine des étoiles ? Le Destin s'avérait parfois d'une ironie cruelle. Alors qu'elle commençait enfin à comprendre pourquoi elle existait et qui elle était, elle disparaissait au fond des mers sans pouvoir résister. Ses muscles se détendirent avec délicatesse, acceptant finalement le sort qui leur était réservé. Les battements de son coeur ralentissaient de plus en plus, prêts à se taire pour toujours. Son regard se dérobait une dernière fois au monde. Ses prunelles dorées n'eurent que le temps d'apercevoir un corps ondoyant avant de succomber aux ténèbres.
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