Intrigue : Hanako et d'autres Orines se préparent pour une fête. Elles apprendront alors le retour d'une Soerei, un moment toujours très excitant pour les jeunes Hanatsu.

Hanako fit légèrement dépasser sa langue, la pinçant entre ses lèvres sous l'effet de la concentration. Joignant ses fins sourcils blonds dans un froncement, elle penchait la tête sur le côté. D'une main franche, sans hésitation, elle traça quelques mots en Niseis : « Je souhaite un joli garçon. » Malgré son application, ses coups de pinceaux étaient épais, disgracieux et difficilement lisibles : elle était loin de maîtriser l'art noble de la calligraphie. Dans sa manipulation, elle avait taché ses doigts d'encre noire, encre qu'elle transportait de feuille en feuille, imprimant sur les fibres des empruntes qui lui vaudraient plus tard de se faire réprimander. Malgré tout, la fillette semblait satisfaite par le résultat : un sourire avait remplacé sa langue tirée. « Celui-là, c'est le plus important ! » s'écria-t-elle à l'intention de ses camarades tout en déposant son pinceau. A ses côtés se tenait un petit groupe d'Orines. Certaines étaient légèrement plus âgées que la blonde mais elles restaient toutes jeunes. Ces quelques années d'écart suffisaient pour remarquer la différence de talent flagrant entre certaines, dont les papiers étaient impeccablement pliés et les mots élégamment tracés là où d'autres restaient encore torchon, comme ceux la jeune Kondou. Sa remarque fit rire quelques-unes de ses copines, qui s'étaient penchées pour lire le souhait qu'avait inscrit la petite fleur. « Tu penses sincèrement qu'il s'agit de la plus importante de toutes les qualités pour un maître ? » demanda Safia d'un air calme où pointait néanmoins un peu de consternation. « Bien sûr ! » rétorqua l'impétueuse. « Tu imagines, devoir servir un homme qui est laid ?! Avec plein de pustules sur son visage et des dents en moins ! » L'écervelée exécuta une grimace pour mimer ses propos, déclenchant une seconde vague de rire dans son auditoire. « Non ! Moi je veux un garçon beau, avec de beaux cheveux soyeux et des jolis yeux ! » « Moi, je veux qu'il soit grand ! » « Et moi, fort ! » Chacune allait de son commentaire, essayant ensemble de créer le portrait du maître idéal. « Mmh... Je pense que ça n'aura pas vraiment d'importance, une fois que nous serons liées... » laissa échapper Safia dans un murmure, l'air songeur. Elle était la seule, avec Ran, à ne pas avoir ajouté d'adjectif à la liste. La demoiselle aux cheveux châtains s'était abstenue par timidité là où la première marquait simplement son désaccord. « Peu importe qu'il soit fort et beau : nous le trouverons parfait quoi qu'il arrive dès que le Lien aura été scellé et nous aura uni, de tout manière. » Hanako croisa les bras sur sa poitrine, cette remarque lui déplaisant visiblement. Elle poussa l'effronterie en levat les yeux au ciel tout en soupirant, signe extrême de son agacement. « Ah oui ? Et t'imagines ce que dirons les autres, si tu te retrouves coincée avec un moche ? Que tu es trop bien pour lui. » Safia haussa les épaules avec flegme. « Je me moque de ce que pensent les autres. Ils seront simplement jaloux de ne pas m'avoir à leur côté et trouveront toujours matière à critiquer, quoi qu'il arrive. Il sera soit trop vieux, soit trop petit, soit pas assez bronzé... » Hanako fit la moue. Elle savait pertinemment avoir tort mais n'aimait pas cette idée. « Bon bah, qu'est-ce que tu as marqué toi, sur tes origamis ? » La belle était en train de terminer l'un de ses pliages : il était parfaitement exécuté. « Je voudrais qu'il soit... Intelligent pour pouvoir répondre à mon énigme. » commença la prodige. « Bah, si tu lui poses pas une énigme toute pourrie et qu'il répond correctement, ça veut dire qu'il sera forcément intelligent d'abord. » rétorqua la blonde, toujours vexée par les remarques de son aînée. Cette dernière ne sembla pas perturbée par son intervention et continua. « Je voudrais qu'il soit attentionné avec moi, et qu'il prenne soin de moi comme d'une princesse. Je voudrais que l'on puisse s'offrir de petits cadeaux chaque jour, ou bien s'échanger des mots pour nous redéclarer notre amour. Que nos discussions soient intéressante bien sûr. » Les jeunes filles s'étaient toutes tues pour écouter attentivement les paroles de la plus âgée - elle avait quatorze ans. C'était à la fois peu et beaucoup pour les demoiselles de Maëlith : il ne lui restait plus que trois années pour parfaire son apprentissage et quitter sa terre natale. « Je souhaite que nous nous aimions d'un amour profond et devenir l'être qui lui soit le plus cher, comme il le sera pour moi. » Ce n'était pas toujours le cas. Ça l'était rarement, à vrai dire. Les maîtres avaient toujours une vie avant de faire leur rencontre et, souvent, une autre résidait déjà dans leurs cœurs. Cela ne voulait pas dire qu'elles ne comptaient pas, bien au contraire. Mais le fait de ne pas se voir attribuer la place la plus importante tracassait de nombreuses jeunes filles. Avec l'âge, elles comprenaient que ce n'était pas ce qui importait. « Nous aurons plein d'enfants et nous vivrons une vie remplie d'amour. Peut-être même qu'il me fera faire le tour du monde. » Elles étaient nombreuses également à désirer faire le tour de ce monde dont elles ne connaissaient qu'un fragment minuscule. Hanako fronça à nouveau les sourcils et ouvrit la bouche pour rétorquer quelque chose. Ran, percevant sa tension et se doutant que son amie allait prononcer de malheureuses paroles, se décida finalement à intervenir. « Je suis certaine que Marcus saura nous trouver un maître à la hauteur de nos attentes… Pour que nous soyons toutes le plus épanouie possible… » La remarque de la fille aux cheveux châtains sembla adoucir le tempérament de sa sœur de cœur. Elle soupira une fois de plus, avec plus de légèreté cette fois-ci. Un sourire mutin barra son visage. « Dans ce cas, il me faut un homme qui sache se battre ! » L’intrépide bondit sur ses deux pieds. Avec dextérité, elle donna des coups de sabre imaginaire dans le vent. « Et puis, il m’apprendra aussi ! Comme ça, on ne se contentera pas de visiter le reste du monde : on l’explorera ! » Là où certaines Orines rêvaient du parfait conte d’amour, Hanako vibrait davantage en s’imaginant vivre un roman d’aventure où l’héroïne vivrait mille rebondissements. « Moi… Je voudrais bien être l’Orine du Mars… Il est le seul homme au monde capable de comprendre ce que nous ressentons vraiment… »

« Hé, ne m’oubliez pas les filles. Moi aussi je vous comprends. » Bae était enfin revenu. Dans ses bras, il tenait une pile de feuilles encore vierges. Certaines étaient d’un simple ton uni : du vert, du rose, du bleu ou encore du jaune. D’autres, moins nombreuses, arboraient sur l’une de leurs faces des motifs décoratifs. Des vagues argentées, des étoiles dorées, des points oranges ou des pétales. La qualité du papier était indéniable. Le garçon esquissa un sourire en direction de celle qui avait parlé. « Oui enfin, toi tu comptes pas vraiment. Et puis de toute façon, d’ici à ce que tu deviennes dignes de l’une de nous, nous aurons déjà toute trouvé notre Maître. » « Et puis, est ce que l’une de nous a le droit d’avoir sa propre Orine ? » Les filles se mirent à réfléchir tout en acceptant les feuilles que le blond s’était mis à leur distribuer – il connaissait leur préférence et essayait de leur donner un papier qui correspondait à leurs goûts : un bleu pour Safia, un jaune avec des soleils pour Hanako, un avec des pétales pour Ran... Lui-même se réserva une feuille verte, toute simple. « De toute façon, aucune de vous n’égale mon talent ! Alors, pas besoin de vous ! Je me suffit à moi-même.» taquina-t-il ses camarades. Presque toutes réagirent à sa provocation en vociférant à plein poumon, déclenchant son fou rire. Seules Safia et Ran gardèrent, une fois de plus, le silence, observant la scène avec un sourire amusé pour l’une et inquiet pour l’autre. Une fois que tous le monde se fut calmé et rassis, les Orines reprirent leur activité : la préparation des Origami pour la Valse de Papier. Le grand jour approchait rapidement et elles devaient se dépêcher de faire le plus de prières possibles, afin de laisser les Kitsune les porter pour elles jusqu’à leur futur maître.

Tout en continuant leur activité, les demoiselles se posaient des devinettes. Certaines étaient enfantines et rigolotes, sans donner de réelle difficulté au groupe pour trouver la réponse. D’autres en revanche donnaient plus de fil à retordre et créaient quelques instants de silence où chacune réfléchissait. Safia, en particulier, aimait à poser des énigmes difficiles : en tant qu’aînée, elle se sentait le devoir d’élever le niveau et de devenir un modèle pour les autres Hanatsu. Parfois, l’une des Orines se proposait de divertir ses camarades avec un interlude musical, pratiquant leur art divin. Hanako aimait alors se lever et effectuer quelques pas de danse, entraînant quelques autres artistes dans son enthousiasme. Elle était comme ça : elle préférait davantage danser et bouger plutôt que de rester assise à ne rien faire. Elle ne tenait pas en place. Certaines trouvaient cela charmant. D’autres agaçant.

« Mmh… Au fait… Il y a une Orine qui est rentrée à Maëlith. » laissa échapper Bae. Encore une fois, les réactions ne se firent pas attendre. « Quoi ?! C’est qui ? » « Pourquoi elle est revenue ? » « Qui est son maître ? » « Où est ce qu’elle habitait avant ? » « Est-ce qu’elle est belle ? » « Est-ce que son maître est mort ? » La venue d’une Orine était toujours quelque chose d’excitant. Il s’agissait de Soerei ou de femmes plus abouties : celles qui n’avaient pas dépassé le rang de Hanatsu n’étaient plus les bienvenues avant d’avoir rencontré leur maître et de s’être lié à lui. Bien souvent, elles avaient eu l’occasion de voyager à travers le monde, d’avoir vu des merveilles qu’elles s’empressaient alors de raconter aux nouvelles, à celles qui n’avaient jamais quitté la Cité des Arts. Ces simples mots avaient le don de les faire voyager, au moins en pensée. Ces dames reflétaient bien souvent ce que chacune aspirait à devenir, avec une hâte non dissimulée. C’était la raison pour laquelle chacune de ces Orines devenait toujours le centre d’attention lors de son arrivée. Bae, qui s’était fait messager de cette heureuse nouvelle, tenta de répondre à chacune des questions qu’il avait entendu. « Il s’agit de Sakura Suzumayu. On ne la connait pas, elle est partie bien avant notre naissance et n’a jamais quitté son maître pour revenir ici. Je l’ai aperçu et oui, elle est très belle. Elle a de beaux cheveux longs et… Et de magnifiques yeux bleus… » A la façon dont il en parlait, on pouvait deviner que le blondinet avait trouvé la femme sublime. Son charisme, bien supérieur à celui des Hanatsu inexpérimenté qu'il côtoyait habituellement, la rendait envoûtante, une créature mystique que tout homme rêverait de pouvoir voir à son service. « Je ne sais pas d’où elle vient mais je sais qu’elle est rentrée parce que son Maître est décédé… Un terrible accident, de ce que j’ai compris… » La fameuse Sakura était rentrée endeuillée. Une triste nouvelle, qu’elle portait pourtant avec beaucoup de grâce. « Est-ce que son ventre s’est déjà arrondi ? » demanda une voix curieuse. « Non, pas encore. » Les commentaires continuèrent bon train. Les interrogations également. Bientôt, les unes et les autres se mirent à émettre des hypothèses sur son passé, son identité, son maître.

Hanako était restée bien silencieuse dès l’instant où elle avait appris la mort du Maître. Lentement, elle se pencha vers l’oreille de Ran. « Setsuwa no akai ito. » se contenta-t-elle de murmurer.

1830 mots