Lilas virevolta jusqu'à la branche de l'arbre puis se laissa chuter, essoufflée. C'était drôlement haut ! Voler jusqu'ici lui demandait beaucoup d'efforts et puis, elle ne maîtrisait pas encore trait bien ce nouveau corps. Même si l'apparence hideuse de petit monstre qui avait toujours plu à Bellada n'était qu'une malédiction, il s'agissait du vaisseau avec lequel elle avait toujours découvert le monde. Elle n'avait connu que celui-ci, depuis sa naissance à Ynys Sailanen jusqu'à la petite chaumière de Bellada. Maintenant qu'elle avait retrouvé sa véritable enveloppe charnelle, devait réapprendre à l'utiliser, redécouvrir son environnement. Elle percevait les choses différemment. Les gens, également, l'observaient différemment. A commencer par les terribles matous qui peuplaient la demeure Ward. Queena, la tyran qui dirigeait la bande de félin, avait fini par se désintéresser d'elle. Maintenant qu'elle avait perçu sa véritable apparence, elle n'éprouvait à priori plus d'intérêt pour  la jeune Fae. Cela ne signifiait pas pour autant que Lilas lui faisait confiance. Bien au contraire, elle se méfiait encore farouchement du matou et continuait à l'éviter soigneusement. Les autres chats, en revanche, avaient réussi à s'attirer sa sympathie - en particulier lorsqu'ils la laissaient grimper sur leur dos pour partir en ballade. Elle s'entendait singulièrement bien avec Cactus, qui adorait faire des sottises - étrangement, la jeune Anteeksi se révélait être une partenaire de jeu particulièrement espiègle, ce qui enchantait le matou.

« Hop-là ! » s'écria-t-elle tandis qu'elle sautait par-dessus une feuille de l'arbre. Elle courut, de plus en plus vite, puis s'élança dans le vide tout en criant. « Aaaattentiooooooon ! » Les bras et les jambes écartées, elle décrivit une courbe jusqu'à atteindre sa cible : une pomme bien verte, quoi qu'un peu biscornue. Elle émit un petit couinement lorsqu'elle s'écrasa contre la surface dure du fruit. La Sylaëth resta immobile un instant, agrippée à la pomme. Comprenant que son poids ne suffirait pas pour la décrocher de sa tige, Lilas se traîna en haut de fruit, puis commença à batailler avec la tige. Après plusieurs minutes, elle parvint à faire chuter sa cible. « LILAS ! » épouvanta le crocus en voyant le fuit tomber non loin de lui. « Tu veux ma mort ?! » « Mais non voyons ! Je ramasse des pommes pour ma mamie ! Elle veut faire une tarte. » « Et as-tu besoin de les faire atterrir si près de moi ? » Lilas haussa les épaules puis entrepris de faire rouler la presque-sphère jusqu'au tas qu'elle avait déjà commencé à constituer. Épuisée, elle s'arrêta un instant. « Lilas, tu ne ferais pas mieux de t'amuser avec d'autres personnes ? » demanda la jonquille. « Cette amitié que tu entretiens avec cette vieille dame... Ce n'est pas très sain... » « C'est vrai, les humanoïdes ne sont pas fait pour s'entendre avec les petites fleurs comme toi. » affirma la tulipe. La Fae fronça les sourcils. « Mmh. Mais Bella, c'est ma seule copine. » Elle n'était pas très douée pour se lier d'amitié autrement que par l'intermédiaire de sa dame de compagnie.

Les fleurs du jardin semblèrent se concerter d'un coup de pistil silencieux. Il était temps de discuter de choses sérieuses avec leur petite protégée. « Lilas... » commença la tulipe d'un ton maternel et bienveillant. « As-tu déjà entendu parler du Gang de Fae ? » La toute jeune Anteeksi s'était mise à chantonner et, pendant un instant, la jolie fleur pensa ne pas avoir parlé assez fort : Lilas était souvent dans la lune et, dans ces moments là, il était difficile de la faire sortir de sa bulle. Avec bienveillance, la jonquille enlaça ses feuilles autour des épaules de la jeune fille et la força à pivoter pour faire face à son interlocutrice. Cette dernière répéta sa question. « Un gang de Fae ? Non, jamais. Qu'est ce que c'est ? » « Il s'agit d'un groupe de Fae, comme toi, jolie fleur. » « Je suis un groupe de Fae ? » répéta-t-elle en écho, un peu perdue. « Non non non, toi, tu es une Fae. Mais lorsqu'il y a plusieurs Fae, on appelle ça un groupe de Fae. » « Ah d'accord ! J'ai compris ! » déclara fièrement la novice, affichant un sourire satisfait. Elle s'apprêtait déjà à continuer sa récolte de pommes mais la jonquille la retint tendrement pour lui faire comprendre qu'elle devait continuer à écouter. La turbulente se résigna. « Et qu'est ce qu'elles font, ces plusieurs Fae ? » « Leur objectif est simple : protéger la nature de leurs terres, et empêcher les brigands qui sèment le chaos de sévir ! » Lilas papillonna des yeux. « Mmh-Mmh... » fit-elle d'un air distrait : elle s'était mise à observer les nuages, dans le ciel. Ils avaient toujours de drôles de formes qu'elle se plaisait à analyser.

« Lilas, il faut nous écouter attentivement. » intervint la Rose d'une voix douce. Aussitôt, l’interpellée se redressa, braquant son visage rond vers la reine des fleurs. La Rose était de loin la plus belle de toutes les plantes du jardin. Elle était éclatante et sage. Sublime. Lilas l'aimait d'un amour tout particulier. Malheureusement, ses pics l'empêchaient de lui faire des câlins - un constat qui attristait grandement la petite Fae. « Nous voudrions que tu rejoignes le Gang des Fae. » La brunette écarquilla les yeux. « Moi ? » demanda-t-elle, surprise, sa voix menaçant de se briser. Elle ne comprenait pas la décision si soudaine de sa Majesté la Rose. « Mais... Mais pourquoi ? » Lilas n'était pas très douée : tout ce qu'elle savait, elle le devait à ses amies les fleurs du jardin. Depuis qu'elle avait élu domicile dans le tiroir de Bellada, elle ne s'était plus aventurée au delà des limites de son jardin : sa vie y était devenue paisible et agréable. Elle n'avait aucune envie d'en partir. La vie de nomade ne lui manquait aucunement. Malheureusement, le Conseil des Fleurs avait eu lieu et il avait été décidé que, pour son bien, la petite fleur devrait prendre son envol et parcourir le monde. Bien évidement, elles espéraient pouvoir la revoir bientôt, mais elles ne pouvaient pas lui enseigner beaucoup plus de choses. Elle avait encore beaucoup à apprendre et pour cela, elle devrait voyager. Découvrir d'autres jardins. Rencontrer d'autres Fae. Le Gang de Fae leur semblait être une parfaite opportunité. « C'est pour ton bien, petit bourgeon... » lui assura la rose. Et, juste comme ça, Lilas la crut sur parole.

« Bien, tu as ton sac de nourriture ? » demanda la jacinthe. « Oui ! » Affirma la Fae en effectuant un demi-tour pour montrer le cartable qu'elle avait confectionné pour préparer son voyage. Il avait été tissé à l'aide de plusieurs brins d'herbes. Elle y avait rangé quelques graines et une moitié de mûre. Ça lui tiendrait au ventre pour plusieurs jours et ensuite, elle devrait trouver de quoi se nourrir sur son chemin. Voir leur bébé partir pour l'aventure inquiétait les fleurs du jardin, quand bien même elles soient à l'initiatives de ce départ. Elles ressentaient un instinct tout maternel à l'encontre de ce petit bourgeon qui s'apprêtait à s'épanouir dans le grand monde... Elles devaient lui faire confiance, désormais, et croire en elle. Elles prieraient Sailanie pour que rien ne lui arrive, et devraient espérer que leur enseignement serait suffisant jusqu'à ce qu'elle trouve ses futures camarades. « Tu as ta cape de voyage ? » « Oui ! » La Sylaëth tendit les bras devant elle pour montrer l'imperméable fait à partir des feuilles du pommier.  « C'est bien, mon petit pétale... » L'émotion fit trembler la voix de la fleur. « Et maintenant, ne manque plus que ta casquette ! » rappela la jonquille en déposa sur ses cheveux débraillés un samare du frêne voisin. « Voilà, tu es parée pour l'aventure ! » « L'aventure ! » « La grande aventure ! » « L'épopée ! » s'écrièrent les pâquerettes avec excitation. « Dans, ce cas, c'est l'heure du câlin ! » La Fae fit le tour du jardin et distribua une étreinte à chacune des plantes présente. Même le crocus se révéla moins râleur qu'à l'accoutumée et enserra sa petite protégée de sa tige, avant de la houspiller dans les feuilles de quelqu'un d'autre. Lorsqu'elle arrive à hauteur de la Rose, Lilas se contenta de la contempler silencieusement - souvenez vous : pas de câlins, à cause des pics. Un sourire benêt  trônait sur ses lèvres.

Elle s'apprêta à partir lorsque la jonquille l'interpella. « Tu te souviens bien comment rejoindre le Gang de Fae, n'est ce pas ? » « Oui, c'est toujours tout droit ! » Silence. « Toujours tout droit jusqu'à... » « Jusqu'à... euh... Jusqu'à... un rocher ? » Les plantes soupirèrent. « Je vous l'avait bien dit. Elle n'est pas prête. » « Chut, espèce de rabat-joie ! » « Lilas, petit bourgeon, c'est tout droit jusqu'au ruisseau, qui te conduira à la rivière... » « Ah oui, c'est vrai. » La jonquille pressa ses pétales entre eux. « Je pense que nous n'avons pas le choix. » La plante se mit à se dandiner furieusement. La Fae l'observa, penchant légèrement la tête sur le côté. « Qu'est ce que tu fais ? Tu danses ? » Lilas trouva l'idée très drôle et entrepris de gigoter également. « Non, j'attire le chat ! » Et, comme elle le disait, une masse duveteuse bondit des herbes pour l'atteindre entre ses pattes. « Cactus ! » s'écria la petite conteuse en sautant sur le dos de son ami, riant aux éclats. Sonnée, la jonquille se remit sur sa tige. « Le muguet a éternué. » divagua-t-elle d'une voix sourde. La tulipe soupira. « Oh pauvrette... Il vous a complètement cogné les étamines. » Elle se racla la gorge puis s'exprima à l'attention du félin, lui expliquant la route à suivre. Le minou se mit à miauler pour marquer son accord. « Bien, Lilas, il ne te manque plus qu'une chose... Une barque. » « Une barque ? C'est quoi ? » « C'est... C'est un petit bateau pour aller sur l'eau et ne pas couler. C'est très important. Puisque tu ne sais pas nager, tu ne pourras pas aller dans al rivière. Il faudra donc bien faire attention à rester dans ta barque, et veiller à ce qu'il n'y ait pas d'eau dedans. D'accord ? » Lilas acquiesça. « Et puisque tu voyageras à dos de chat, autant en profiter : prends un morceau d'écorce sur notre ami le pommier. Ca te fera une parfaite barque. » Lilas s'exécuta puis remonta sur le dos du félin. Elle adressa encore quelques mouvements de la main puis s'en alla, s'enfonçant dans le pelage de son destrier.

« Alors c'est ça une rivière ? » s'exclama Lilas, impressionnée par le cours d'eau qui coulait devant elle. En réalité, il s'agissait d'un petit ruisseau, tout juste plus épais qu'un bras. Mais, pour elle, la dimension lui paraissait étrange : sa taille lui donnait l'impression que tout était toujours plus grand que selon la perspective humaine. Elle avait entendu les fleurs dire que les rivières étaient de très très grands cours d'eau, et s'était ce qu'il semblait se dresser devant elle. En réalité, cela revenait au même, à peut de choses près : le ruisseau la conduirait à la rivière dans quelques centaines de mètres. Cactus en avait conscience et puisqu'il devait rejoindre ses camarades à poils doux, il avait décidé de s'arrêter ici. Lilas fronça les sourcils. « Oh... Une rivière... C'est quand même beaucoup d'eau, tu trouves pas ? » demanda le chat qui miaula pour essayer de la rassurer. Le félin vint se frotter à elle pour l'encourager. Lilas inspira profondément. « Oui, t'as raison Cactus ! Les fleurs du jardin ont dit que j'en était capable ! » La brave mini-fille s'empara de l'épais morceau d'écorce qu'elle avait récupéré sur le pommier et le traîna jusqu'au bord de l'eau. C'était drôlement lourd et elle eut besoin de faire plusieurs pauses pour arriver au bout de son entreprise. « Bien... C'est le moment de se dire au revoir... » dit-elle en se tournant vers son ami à moustache. Ce dernier se mit à ronronner et colla sa truffe humide contre le visage de la petite enfant, qui se mit à rire. « Haha, tu chatouilles. Allez, rentres bien. Et surtout, veille sur Mamie Bella pendant que je suis pas là, d'accord ? » Le chat miaula une fois de plus. Rassurée, Lilas s'assis dans sa barque. « Allez, à nous deux rivière ! » Elle leva son petit poing dans les airs. Cactus donna un petit coup de patte et l'écorce fut emportée par le courant de la fausse rivière. « OoooOOOOOooooh ! » s'écria, paniquée, la nouvelle Sylaëth. « Ca va vite ! Ca va trop vite ! Ca... Hahaha ! Ca... Ca va vite ! » soudainement, l'appréhension s'était transformée en amusement. « Allez, tayo rivière, tayooo ! Plus vite ! » Lilas s'époumonnait sans s'inquiéter du voisinage. Sur les rives de la rivière, elle salua une sauterelle et une coccinelle, quelques fourmis occupées à rapporter des miettes et même un oiseau.

L’embarcation allait de plus en plus vite, emporté par le courant du ruisseau. Quelques gouttes d’eau commençaient à entrer dedans, alourdissant sa charge. Lilas ne se rendait pas compte de ce phénomène : elle était trop occupée à observer les formes blanches qui se découpaient sur le ciel azuré – les fleurs lui avaient appris qu’on les appelait des nuages. « Toi, tu ressembles à un éléphant. Toi, t’es un renard. Et toi là-bas, tu es un bicorne. » énonçait-elle à voix haute en levant son très petit bras dans la direction de ses cibles. Elle n’avait pas la moindre idée de ce à quoi ressemblaient véritablement ces animaux : tout ce qu’elle connaissait, c’était grâce aux fleurs de son jardin, et un peu aussi grâce à sa mamie de compagnie. Mais elle n’avait jamais vu de ses propres yeux ces animaux qui lui faisaient tant envie. Madame Tulipe était très douée pour dessiner et même si elle lui avait tracé des croquis dans la terre fraichement arrosée, ce n’était pas suffisant pour que la petite Fae puisse comprendre de quoi il s’agissait : elle désignait donc hasard tel ou tel nuage. Sans doute aurait-elle pu visiter le conte d’une consœur pour en apprendre davantage mais elle n’avait jamais pris la peine de s’y risquer : elle se contentait des explications de ses amies à tige. « Toi là-haut, tu es un… » L’attention de l’Anteeksi fut détournée par un projectile qui passa au-dessus de sa tête en sifflant. « A la chaaaaaarge ! » s’écria une voix de cristal, suivi de quelques hurlements barbares. Aussitôt, le ciel fut envahi par des dizaines de silhouettes : des rats, des souris, des grenouilles, des libellules : les corps se heurtèrent les uns aux autres puis commencèrent à tomber dans le cours d’eau, telle une pluie de météorites. « AAAAAAH ! » hurla Lilas, s’aplatissant sur le ventre, les mains recouvrant sa petite tête. Elle ferma très fortement les yeux, priant les plantes que rien ne lui atterrisse dessus. Malheureusement, ses espoirs furent vains et un rongeur fut propulsé sur sa barque de fortune. Le poids de son corps fit balancier et l’élan propulsa la Sylaëth dans les airs. Son cri résonna à nouveau entre les roseaux, tandis qu’elle effectuait de grands gestes de jambes et essayait de battre des bras. Ses ailes, incolores, essayèrent de se joindre au désordre, sans plus de succès. Personne, dans ce chaos, ne sembla remarquer le projectile improvisé, qui amorçait sa chute vers les profondeurs du ruisseau.

L’impact souffla tous l’air des poumons. L’eau, froide, gonfla les vêtements et l’attirèrent vers le fond à mesure que la noyée se débattait pour regagner la surface. Après plusieurs longues et affreuses secondes, Lilas parvint à sortir la tête : tout juste le temps de reprendre son souffle avant d’être à nouveau happée par le courant. « Fae à l’eau ! » hurla la voix stridente.

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