Le Tableau des sœurs maudites
Le Noël de Deccio

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❀ Cher Bi'll Hilly,

❀ En me promenant aujourd'hui, j'ai pensé à vous, mon très cher ami de correspondance. Alors que je flânais dans une vieille boutique proposant des antiquités, je me suis dit que je voulais vous faire un petit cadeau. Il n'a pas été facile de convaincre Raïm de me prêter de quoi payer ce cadeau mais en lui faisant croire que c'était pour ma famille, il a finalement cédé. On ne croirait pas comme ça, mais il a un coeur ! Quoi qu'il en soit, je n'ai pas eu la patience d'attendre votre réponse et je vous offre ce tableau en gage de mon amitié. Vous m'aviez dit précédemment être obligé de rester chez vous et je pense que cette peinture fera du plus bel effet sur l'un de vos murs et vous divertira. Je n'en suis pas sûre mais je crois avoir vu une des femmes bouger et je ne serais pas surprise d'apprendre que ce tableau est magique. Je compte sur vous pour me raconter les secrets de cette peinture. ❀

❀ Astriid Cëlwùn❀

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La lettre qui accompagnait le paquet repose sur la table. Le papier qui recouvre la toile se déchire dans un soudain crissement qui fait sursauter les trois sœurs avant qu'elles ne se forcent à rester immobiles, le coeur palpitant d'enfin découvrir le nouveau propriétaire. Le saule pleureur offre une fraicheur bienvenue aux trois sœurs. Seuls quelques rayons de soleil indiscrets parviennent à atteindre les visages détendus des jeunes femmes qui profitent du bel après-midi estival qui baigne la scène représentée. Un cours d'eau ruisselle à leurs pieds pour disparaître dans le coin inférieur de la peinture. Perchés dans les branches et s'aventurant sur les bras nus des femmes, des hirondelles animent le tableau. Les trois sœurs jouent leur rôle, leurs visages n'exprimant rien d'autre qu'un épanouissement total. Elles sentent le regard de leur nouveau propriétaire se promener sur elles mais elles se sont mises d'accord il y a des années pour ne pas montrer tout de suite la particularité de leur tableau. Souvent en désaccord, elles parviennent toutefois à faire des compromis quand il s'agit de tourmenter leurs propriétaires. Les trois sœurs préfèrent se faire d'abord un avis avant de se révéler à leur possesseur en lui parlant, de préférence à un moment qui sera le plus gênant possible pour lui. Une fois, elles ont donné leur avis sur l'excès de graisse qui se formait sur les hanches d'une femme alors que cette dernière sortait de son bain. Il y avait aussi ce jour où elles avaient provoqué une crise cardiaque à ce vieux magicien mais ça avait vite cessé d'être drôle car elles avaient passé plusieurs semaines en compagnie du cadavre pourrissant juste sous leur nez.
Quand enfin l'homme quitta la pièce, Ulfaë s'autorisa un léger soupir et sa bouche prit un pli contrarié. «Ah quand même ! J'ai cru qu'il ne partirait jamais !» Elle fit craquer sa nuque après avoir chassé un oiseau qui lui chatouillait le bras. D'un geste agacé, elle passa sa main dans ses cheveux auburn, ses prunelles sombres dardant avec hauteur la pièce dans laquelle le tableau avait été accroché. «J'espère qu'il sera plus propre que la vieille qu'on s'est coltinés avant.» Articula-t-elle enfin en reniflant avec dédain. «Et plus intéressant ! La vieille était à moitié aveugle et croyait que les voix étaient dans sa tête quand nous essayions de lui parler. Quand je pense qu'elle nous a vendu pour une bouchée de pain avant de prendre le large chez ses petits-enfants ! Quelle ingratitude ! Et le déshonneur ! Franchement, ça ne suffit pas que nous soyons piégées ici ? Quand tomberons-nous enfin sur quelqu'un d'important ?» Plus elle parlait, plus l'ire d'Ulfaë semblait croître. S'apercevoir qu'un blanc bec était leur nouvel acquéreur la mettait de méchante humeur et l'inconfort d'avoir passé plusieurs jours à étouffer dans un papier cadeau n'avait guère arrangé son aigreur.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Gowenya passa une main réconforte sur son bras. «Allons, allons, calme-toi. Imagine qu'il puisse nous entendre. En tout cas, il est agréable à regarder. Pas de rides ni de vieilles vergetures cette fois. Tu as vu ses muscles ? Tu râleras moins quand il t'allongera dans l'herbe. Et il paraît jeune et vigoureux, ça nous fera du bien un peu de fraîcheur. Et si tu n'en veux pas, je saurais m'en occuper avec Serys.» La blonde fit un clin d'oeil à celle-ci avant de s'étirer avec un sourire malicieux en ignorant le regard assassin d'Ulfaë. Guillerette, Gowenya se pencha ensuite vers un parterre de pâquerettes pour en piquer son chignon bas en chantonnant une ancienne berceuse magicienne. Ses traits innocents dissimulaient une cervelle curieuse qui était avide d'apprendre tout ce qu'il y avait à apprendre. Avant d'être emprisonnée dans la toile, elle était un véritable rat de bibliothèque qui dévorait livres après livres. Passionnée de géographie et d'histoire, elle avait amassé un volume impressionnant de connaissances. Pourtant, peu désireuse de partager son savoir, Gowenya préférait glisser des mensonges dans les informations qu'elle délivrait aux possesseurs de leur tableau. Comme cette fois où elle avait brisé l'amour naissant entre cette jeune Lyrienne et cet Eversha Loup en lui faisant croire que les Evershas étaient tous des cannibales qui mangeaient leurs enfants. Après des centaines d'années de pratique, elle était passée maîtresse des mensonges à l'instar de ses sœurs.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Serys, elle, demeurait silencieuse. Elle contemplait ses sœurs, un léger sourire flottant sur ses lèvres. Plus réservée que les autres, elle préférait être spectatrice plutôt qu'actrice et comploter ainsi tranquillement dans l'ombre. Sous ses paupières alourdies, ses neurones s'activaient à vive allure, estimant, prévoyant, imaginant plusieurs scénarios à l'avance. Sous ses airs impassibles, il ne fallait pas s'y tromper, elle mourait d'ennui autant que ses sœurs et un nouveau propriétaire la mettait aussi dans un état de fébrilité qui mettait ses nerfs à vif. Il était vrai que ce blond avait l'air prometteur. Outre ses beaux yeux, elle avait deviné un esprit acéré qui lui plaisait bien. Oui, peut-être que cette fois, elle ne mènerait pas leur possesseur à sa perte en le plongeant dans un imbroglio de problèmes plus gros que lui. Avec quelques conseils avisés de sa part, la brune était confiante sur ses capacités à le mener sur les chemins les plus glorieux. Il suffisait juste qu'il fasse les bons choix. Seulement voilà. Serys était d'humeur changeante et ses envies semblaient se modifier au hasard, aussi imprévisible que la danse de ce papillon au dessus de leurs têtes. Oui, la folie guettait les trois sœurs. Pleines de ressources, leurs talents étaient gâchées par ce confinement forcé où elles devaient se supporter les unes les autres et rester dans ce paysage éternel dont elles ne pouvaient sortir. L'ennui avait ratatiné leurs cœurs et rongé leurs esprits. Mais peut-être ce jeune homme pouvait les sortir de ce marasme et les divertir suffisamment pour qu'elles ne cherchent pas à combiner leurs idées pour l'enfoncer dans la boue.

Le Noël de Deccio:

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