La brusquerie de l’action lui arracha un cri, qui se brisa en éclats de rire une fois qu’elle eût la tête sortie de l’eau. Presqu’aveuglée par ses cheveux, Laëth les ramena en arrière, sans se départir d’une expression amusée. « J’étais sûre que tu allais faire ça ! » sourit-elle, une fois entre ses bras. Elle n’avait pas cherché à résister pour autant. C’était le jeu. La sphère de métal lui avait échappé et ses ailes étaient aussi trempées que celles du Mage. Sur l’instant, cela n’avait absolument aucune importance. Tandis qu’elle enroulait ses bras autour de lui, elle lui rendit son baiser. « Tu es toujours agaçant. » Peut-être parce qu’elle s’agaçait facilement. Un nouveau rire se fraya un chemin au creux de sa gorge. « C’est possible ? » Elle se rappelait de ce qu’il lui avait dit, à Boraür. Qu’il n’était pas un Réprouvé. Qu’il ne lui voulait pas de mal. Péniblement, le temps d’une fraction de seconde, elle songea avec une lucidité douloureuse qu’il ne le voulait pas, mais le faisait quand même. Comme si c’était inévitable. Pour s’extirper de ses pensées, elle resserra son étreinte autour de lui. Sa main se crispa sur sa nuque quand ses lèvres trouvèrent le chemin de son cou. Chaque sensation la traversait avec puissance. Ses caresses l’enflammaient et ses regards la brûlaient. Tout venait nourrir cet amour qu’elle lui portait. Cet amour exhausteur de sa force et de sa fragilité ; qui la consolidait et la détruisait, dans une danse incessante de tourments et de délices.

Elle chuta sur le lit en riant. Elle eut à peine le temps de regarder autour d’elle. Dès que ses iris se posèrent sur Kaahl, une onde de choc la secoua. Il était beau. Pas uniquement pour son physique, mais pour ce qu’il s’en dégageait et pour ce qu’elle y attachait. C’était comme retomber amoureuse, encore et toujours plus fort. Tout s’effaçait. Rien n’existait. Il n’y avait qu’eux, leurs souffles, leurs regards, leurs peaux ; et toute la nuit. Peu importait où ils se trouvaient, car c’était forcément un endroit tranquille. S’il ne l’avait pas choisi pour elle, il l’avait fait pour lui et sa passion du secret. À ses yeux et à l’instant, cela n’avait absolument aucune importance. Elle voulait simplement oublier ses déconvenues du Fessetival, leurs différends qui ressurgiraient bientôt, ses craintes et ses doutes quotidiens, les difficultés de l’existence et la menace de la mort. Elle voulait juste se rappeler de la puissance de la vie. Se sentir plus vivante encore, plus forte et plus résistante – mais aussi plus vulnérable et fragile. En se perdant dans ses prunelles, elle y parvenait déjà. Elle se souvenait de leur conversation sur la vulnérabilité et de sa façon de rejeter la sienne en bloc, comme si cela pouvait mettre en péril sa survie. Elle la craignait comme on s’effraie d’un monstre. Alors qu’elle avait toujours voulu la faire taire, la museler, la massacrer, sa fragilité avait touché le Mage. Il lui avait dit quelque chose, une phrase dont sa mémoire avait gardé la trace : être vulnérable prouve juste que vous êtes en vie. Avec lui, ce soir et dans ses bras, elle pouvait l’être.

L’Ange se redressa et attrapa Kaahl par le pyjama pour l’amener sur elle. Elle l’embrassa. Ses mains caressèrent son dos, descendirent pour repousser le vêtement trempé, glissèrent dessous puis revinrent à découvert. Elle avait l’impatience des premières fois, des jeunes amoureux et des Réprouvés. Chacun de leurs gestes avivait son désir : sa peau vibrait sous l’agilité de ses doigts et l’intensité de ses baisers. Elle ne tiendrait jamais son rythme lent et langoureux. Même en luttant de toutes ses forces contre la Luxure, même en essayant de se détacher de la situation, même en mobilisant ses pouvoirs, elle ne tiendrait pas longtemps. Il n’était pas question que de ça. Si c’était son corps qui recevait ses caresses et se mouvait, c’étaient ses sentiments et ses émotions qui la contrôlaient ; c’étaient sur eux que ricochait chaque frisson et chaque gémissement. C’étaient eux qui guidaient ses réactions, ses pulsions et ses envies. La peur absurde de l’oubli et la conscience trop aiguisée de la finalité de toute chose l’attaquèrent avec brutalité : elle redoubla d’ardeur. Elle l’aimait, et elle voulait sentir la force de son amour contre ses hanches, qu’il résonnât en écho dans tout son être et qu’elle pût s’en souvenir, toujours, avec bonheur.