Partenaire : Solo
Intrigue/Objectif : La compagnie engage l'agence d'architecture des Jardins de Jhen où travaille Shanxi pour différents chantiers sur l'île d'Orhmior.
L’île d’Orhmior. A des lieux du berceau brisé des vertueux, ou même de leur refuge offert par les Magiciens ; elle était pourtant décisionnaire de leur futur. L’avant-garde était née d’une promesse de reconstruction qui se concrétisait de jour en jour. Les innombrables chantiers défiguraient le paysage montagneux depuis un moment déjà. A chaque œuvre achevée, une nouvelle était entreprise. Si pour certains, cette spirale infernale semblait sans fin, d’autres y percevaient un progrès incessant, qui les rapprochait du jour où cette promesse deviendrait enfin réalité.
« Nous partirons demain, à l’aube. » Ils avaient tous compté les jours. Désormais, ils comptaient les heures.
« Ce sera le premier chantier de grande envergure que vous ferez. Les journées de travail seront longues et chargées. J’espère que vous êtes prêts. » expliqua le maître architecte en s’attardant du regard sur la jeune femme. Les deux apprentis n’avaient pourtant pas eu besoin de réfléchir plus que cela pour lui signifier leur approbation.
« Comme vous le savez, l’Avant-garde d’Orhmior, ce n’est pas la porte d’à côté. Le bureau sera fermé durant notre absence, et nous ne reviendrons pas ici avant un bon bout de temps. » L’idée de ne plus prendre de nouveau contrat sur une aussi longue période aurait d’ordinaire dérangé Nejaka, mais pas cette fois. Ce type de chantier, par sa taille colossale, mais aussi par son éloignement par rapport à leur agence, leur imposait le déploiement de toutes leurs ressources, et cette fermeture en était la conséquence. Bien sûr, ces contraintes seraient couvertes par le revenu qui leur serait versé au cours des mois à venir.
« Pour combien de temps pensez-vous que nous allons partir ? » demanda alors Gizja.
« Aucune estimation n’a été faite pour le moment par nos soins puisqu’on a pas encore vu le terrain. Mais selon nos maîtres-d’ouvrages et les agences qu’ils ont engagées, le chantier devrait s’étendre sur six mois au plus long. » -
« Deux mois par tour alors. » confirma Shanxi.
« Encore une fois, le délai a été estimé au plus long. Nous mettrons peut-être moins de temps. » -
« Et l’effectif des ouvriers ? Ça risque d’influencer le délai aussi. » Le maître architecte acquiesça.
« Je n’ai pas encore de chiffre exact. Ce sera dans le détail qu’on nous remettra une fois sur place. Mais j’ai pu échanger avec quelqu’un de là-bas et de ce que j’ai compris, des soldats pourront être mis à notre disposition si l’effectif prévu venait à ne pas suffire. » conclut-il ensuite.
« Je vous donnerai quoi qu’il en soit les informations complémentaires avant que nous ne commencions le chantier. Vous m’accompagnerez pour rencontrer les maîtres-d’ouvrages et on fera le point ensemble ensuite. Vous ne serez pas seuls sur le chantier, ne vous en faites pas. » l’ailé était soudainement étrangement chaleureux. Paternel, même. Ce comportement était plus que rare chez lui, mais il avait parfois cette tendance lorsqu’il souhaitait mettre en confiance ses apprentis.
La journée touchant à sa fin, les architectes avaient fermé le bureau et étaient rentrés chez eux. C’était la dernière nuit qu’ils passaient aux Jardins pour un moment. Demain ils se réveilleraient et quitteraient cette zone de confort que le génocide leur avait créé pour bâtir leur avenir. Il était peut-être incertain, semé d’embûches et avec comme seules fondations la douleur de leur peuple, mais il leur appartenait. Celui-là, personne ne leur volerait. Puis, bien dupe serait celui qui le croirait fragile. Le passé faisait parfois un excellent soutient pour le futur. Et le leur faisait bien plus que cela. Il était leur fardeau, leur tristesse, leur colère, leur force, mais surtout, leur vengeance.
L’ancienne captive contemplait la journée qui l’attendait avec une excitation qui l’empêchait de trouver le sommeil. Elle avait à peine eu le temps de s’habituer au mode de vie qu’elle menait ici qu’elle devait en changer. Pourtant, l’Okan ne voyait pas cet aspect d’un mauvais œil. Ce changement avait beau être brutal, c’était peut-être exactement ce dont Shanxi avait besoin. Elle regrettait juste de ne pas être allée voir Helsinki pour lui annoncer la nouvelle. L’ailée s’était assise sur le bord de sa fenêtre pour observer le bâtiment où son amie logeait. En réalité, elle considérait plus l’idée d’aller lui rendre visite que le lieu en lui-même. Mais il était tard. Elle ne voulait pas risquer de la déranger. Si l’Okan avait su, elle aurait probablement fait le détour avant de rentrer chez elle. Alors que la jeune femme pensait fermer ses volets et retourner se coucher, son agacement fit germer une idée dans son esprit. Une idée qu’elle adopta sans aucune hésitation. Shanxi se dirigea alors vers le petit bureau d’étude qui faisait l’angle de sa chambre. Munie d’un parchemin et de sa plume, elle se mit à écrire. Certes, elle ne pourrait pas lui dire en personne, mais c’était mieux que rien. A peine avait-elle replié sa lettre, la vertueuse se hâtait dans le couloir adjacent à l’infirmerie pour rejoindre le domicile d’Helsinki. Une fois sur son palier, Shanxi fit doucement glisser le parchemin sous la porte. Bercée par l’espoir que ce petit mot donne le sourire à son amie, elle s’en alla.
Le soleil pointait à peine le bout de son nez quand l’ange avait décidé de rejoindre ses compagnons de voyage. La jeune femme se réjouissait dans ces moments de l’existence des portails pour faciliter leurs déplacements. Sans eux, un tel périple serait bien difficile à entreprendre. A peine avaient-ils reposé un pied à terre, l’air frais de la montagne avait trouvé leurs visages au fond du vallon, leur indiquant alors qu’ils étaient arrivés. Les ailés prirent quelques instants pour imprégner leurs prunelles des merveilles que ce paysage avait à offrir. Cette terre qui leur était encore inconnue. Puis, ils avancèrent vers les quelques signes de civilisation qui se démarquaient un peu plus loin.
« C’est impressionnant. » commenta Gizja, le regard braqué sur la forteresse qui les dominait de toute sa hauteur.
« En effet. Enfin, on aura tout le temps de visiter plus tard. Pour le moment, on est attendus. ». L’ancienne captive s’attardait quant à elle sur les quelques bâtiments qui les entouraient. Elle ne savait pas vraiment à quoi elle s’attendait, en réalité. Le peuple vertueux était parti de rien sur cette île. Pouvoir observer ce progrès en temps réel apportait du concret à ce rêve qui était né des cendres de ses frères et sœurs. Les infrastructures avaient beau leur manquer pour l’heure, l’Avant-garde d’Orhmior lui réchauffait étrangement bien plus le cœur que les Jardins. L’Okan était en territoire inconnu, une terre où la peur ne semblait pourtant pas pouvoir l’atteindre. Peut-être son état d’esprit était-il également dû à l’excitation de la nouveauté, ou même à sa fascination pour ce chantier ? Peu lui importait finalement. Ils étaient quoi qu’il soit arrivés à destination et leur curiosité serait assouvie.
« Avec cet effectif, nous pourrons aisément tenir ce délai pour la construction des tours. Mais s’il y a effectivement des ajouts à faire dans le contrat, il faudra refaire une estimation. Nous pourrons toujours le faire après avoir vu le terrain où vous voulez construire. » expliqua le maître architecte. Nejaka prenait toujours les négociations des termes des contrats en main lors des échanges avec leurs maîtres-d’ouvrages. Les deux apprentis observaient quant à eux un silence religieux tandis que leur supérieur énonçait les demandes de leur employeur.
« Pour l’heure, je vous propose de ne pas modifier le contrat pour les tours, de manière à ne pas perdre de temps sur le chantier. A l’issu de celui-ci, ou même avant si vous le souhaitez et que vous êtes satisfait de notre travail, nous pourrons rédiger un deuxième contrat pour cet autre chantier que vous avez mentionné. Ces termes vous conviennent-ils, monsieur Yuërell ? » Les discussions débouchèrent rapidement sur un terrain d’entente et il était à présent temps pour les architectes de se familiariser avec leur nouvel environnement. L’intendant, ou le Boucher, s’était alors improvisé guide et leur fit faire un rapide tour des bureaux et infrastructures récemment mises en place. Puis, ils les avaient laissé entre les mains de leur confrère, l’architecte en chef de l’avant-garde d’Orhmior, pour le reste de la visite et l’analyse des chantiers.
Après quelques présentations en bonne et due forme et un bref échange de mondanités, leur homologue les avait emmené au nord-ouest de la forteresse, dans le petit village où ils seraient logés tout au long de leurs travaux. Les ailés en avaient d’ailleurs profité pour déposer les affaires dont ils n’avaient pas l’utilité pour le chantier. Puis, ils étaient partis tout au nord du village et des plateaux qui le surplombaient pour rejoindre l’emplacement de la première Sentinelle. « Voilà. C’est le premier emplacement pour les tours. Il y en aura deux autres aux sud-est et sud-ouest du lac de Boscobo. » leur indiqua Yukiel en déroulant la carte de l’île sur un établi.
« Des schémas ont déjà été faits pour la structure ou pas encore ? » - « Des premières esquisses, oui, mais le reste sera à votre charge. Nous nous sommes cependant déjà occupés de l’analyse du terrain, donc ce ne sera pas à refaire, à moins que vous n’en ressentiez le besoin. » L’architecte en chef leur remit alors les documents regroupant les travaux déjà effectués. « Nous vous laissons le choix pour les matériaux et n’avons pas pris de libertés à ce sujet. Des matériaux seront quand même mis à votre disposition pour les chantiers, donc n’hésitez pas à nous le faire savoir si vous avez besoin de quoi que ce soit. » -
« Nous n’y manquerons pas. Oju o ṣeun, ogbeni Yukiel. Si la visite est terminée, nous allons étudier les premiers plans, puis nous reviendrons vers vous lorsque nous serons prêts à avancer sur les chantiers. » - « Je vous en prie. Laissez-moi vous raccompagner dans les bureaux. Vous y serez plus à l’aise pour travailler. ».
Les premiers jours furent consacrés à l’étude de ce qui avait été jusqu’ici entreprit par les maîtres d’œuvres et à la réalisation de schémas pré-finaux. Une fois leurs travaux approuvés par leurs employeurs, le trio pouvait enfin envisager la mise en place directement sur le terrain. Nejaka avait alors assigné un apprenti par tour. Shanxi était en charge de la sentinelle Nord tandis que Gizja s’occupait de celle de l’Ouest, laissant l’extrême Est au maître-architecte. Bien sûr, celui-ci s’assurerait tout de même de la qualité du travail de ses protégés, en vue de l’autonomie majeure qu’il leur avait accordé pour leur chantier. Leur profession ne se résumait après tout pas qu’aux schémas qu’ils devaient tracer. C’était un processus long et complexe. L’architecte se devait de suivre assidûment la progression des ouvriers au cas où des complications venaient à se présenter, et que des changements devaient être entrepris.
« C’est un travail de longue haleine. » commenta l’ailé qui s’était approché de l’Okan.
« Construire cet échafaudage n’aura pas été facile, mais sans lui il ne peut pas y avoir de tour. » -
« Maintenant qu’il est là, le reste ne sera qu’une formalité. Au rythme où on avance, je pense que nous en aurons terminé d’ici un bon mois. » L’ancienne captive ne pouvait que se réjouir de leur avancée.
« C’est grâce à la Compagnie. L’effectif qu’ils ont mis à notre disposition est non négligeable. Nous n’aurions pas pu espérer de meilleur délai sans eux. » expliqua-t-elle, un large sourire flottant sur ses lèvres.
« C’est normal. Tout le monde devait mettre la main à la patte si on voulait que ça se concrétise. En tout cas, je suis sûr qu’ils seront plus que satisfaits du résultat. » -
« Je l’espère. » Shanxi marqua une pause dans sa discussion avec le conducteur des travaux pour parcourir l’inventaire qui gisait sur l’établi devant elle.
« Il faudra penser à refaire les stocks de pierres dans les jours à venir. » finit-elle par lui annoncer en faisant glisser le parchemin sous ses yeux.
« Très bien, je vais voir ça avec le responsable de la carrière. Je peux vous l’emprunter ? » -
« Oui, allez-y. J’ai un deuxième exemplaire au besoin. ».
Avec du temps et de la volonté comme principaux ingrédients, les graines de la promesse avaient germées. Elles étaient au nombre de trois, et tout comme leurs créateurs, elles côtoyaient fièrement les cieux. Elles en étaient les gardiennes. Des sentinelles qui se dressaient entre le danger de l’envahisseur et le peuple vertueux qui se relevait de leur génocide. Plus tard, ils choisirent de leur donner un nom : Les mains d’Orhmior.