Il n'avait pas réfléchit en rejoignant l'appartement de la Déchue et, épuisé, avait rejoint le premier couchage lui tombant sous la main, c'est à dire, le canapé. Aussi la sieste - quoi que les rayons transperçant les volets semblaient plutôt annoncer qu'il y avait passer la nuit - fut moins reposante et agréable qu'il ne l'aurait voulu. C'est donc avec difficulté que Maximilien ouvrait les yeux, ses iris rencontrant celles de Kjěll, assit sur  un fauteuil en face. « Tu sais que c'est juste flippant ce que tu fais là ? », lâcha-t-il à l'attention de La Petite Sœur qui le fixait, la mine contrariée et l’œil intrigué. « Et tu sais que c'est juste flippant quand un ami disparaît comme tu l'as fait ? » répliqua-t-elle sèchement. Quoi qu'elle ne pouvait pas non plus trop critiquer, ça lui était arrivé également de s'évanouir malgré elle dans la nature, et pour une durée bien plus longue. Alors que le Kaahi s'asseyait, il ne put retenir un râle douloureux tandis que quelque chose tirait son dos. Jetant un regard, il se souvint alors. « Et merde ! » cracha-t-il en sautant du canapé. « C'est du foutage de gueule en fait, c'est ça ? » continua-t-il en se tournant, cherchant le meilleur angle pour voir cette nouvelle partie de lui. « J'imagine que c'est pour ça que tu t'étais absenté ? » demanda l'Ange noire en lui indiquant le miroir. « Pour ?! Tu crois sérieusement que je me serai fais chier à me faire planter ces trucs qui, en plus, ont niqués mes vêtements ? » rétorqua-t-il rageusement en se défaisant de son haut, les ailes ayant laminé le tissu en se frayant un chemin pour la liberté, le rendant juste bon à jeter. Pas que ça ait une quelconque importance, il s'en foutait carrément même. C'était seulement un argument en plus pour ne pas aimer ces nouveaux appendices. Kjěll le regarda s'agiter en silence. Il n'y avait pas grand chose d'autre à faire. Maximilien abandonna la pièce quelques secondes pour rejoindre la chambre où il aurait dut s'éveiller, là où il avait également laissé ses affaires, et revint une épée en main qu'il tendit à la Déchue. « Qu'est-ce que tu veux que je fasse de ça ? », se risqua-t-elle a demander, un air sévère sur le visage et les lèvres pincées. « Tu le sais très bien. Qu'ils reprennent leurs ailes, je n'en veux pas ni n'en ai besoin. ». Alors elle attrapa l'arme tendu et envoya un soufflé au visage de l'Humain. « Ne me demande plus jamais une chose pareil. », siffla-t-elle avec toute la Colère qui pouvait l'habiter. Ce fut cet instant que choisi Raa'd pour sortir de la chambre qu'il empruntait. « Hé, pensez aux autres quand vous vous lancez dans des... ». Il s'arrêta en milieu de phrase en voyant la situation. C'était bien plus qu'une simple scène de ménage. La tension était palpable et, s'ils l'auraient pu, chacun des deux se seraient mutuellement foudroyé du regard pour une raison qui lui était inconnu. « Si vous voulez bien éclairer ma lanterne sur la situation. » - « Maximilien veut que je lui coupe les ailes. ». Raa'd manqua s'étouffer avec un cookie à ces mots. « Quoi ? ». La surprise avait fait prendre le pas sur le commun à l'Alikir. Il se retourna vivement pour faire face au duo. Il n'avait pas vu. « Putain c'est quoi ces trucs ? » - « Mais qu'est-ce que vous avez avec vos "trucs" ? Vous en êtes entouré ici et même moi j'ai eu le droit aux deux teintes ! » rétorqua Kjěll, agacée, dans la même langue. Le tailleur de pierre ne l'écouta même pas. « Putain mec, qu'est-ce t'as branlé encore sérieux ?! On vient passer quelque jours et tu te dis que c'est bon c'est les vacances on peut faire ce qu'on veut ?! » - « Parce que tu crois que j'ai choisi d'avoir ça ? C'est putain d'encombrant ! Je sais même pas comment ça s'utilise ! » - « Et bah coupe-les ! » - « Je ne demande que ça ! » - « Hors de question ! Tu ignores à quel point c'est douloureux et je ne te laisserai pas faire ça ! ». Le ton n'avait cessé de monter et il ne serait pas étonnant qu'ils puissent être entendu depuis la rue. Toutefois, peu serait capable d'en faire un ragot potable. La langue des Enfants de Sympan n'était pas la plus connue.

Un claquement sourd retentit dans l'appartement lorsque Kjěll frappa dans ces mains et, petit à petit, sans pour autant disparaître malgré tout, la tension qui avait gagné le groupe s'atténua. « Ça ne sert à rien de couper. » fit-elle d'une voix calme en revenant sur la langue commune. « Vous avez bien des enfants Humains ailés chez vous ? Vous n'allez quand même pas leur couper les ailes à ces petits. ». La Déchue vit au regard de Maximilien qu'elle avait touchée la bonne corde. « C'est pas pareil. Ils ont été offert par un dieu. » - « Et pourquoi ce serai pas le cas ici ? ». Aucune justification ne put être fournie. La porte s'ouvrit à la volée sur les trois protagonistes, laissant apparaître la silhouette d'Oriane dans l'ouverture. La Luxurieuse afficha alors un air contrit en voyant les deux Humains toujours présent dans la pièce. « Je croyais qu'ils devaient lever les voiles dès la levée des nuages. » lâcha-t-elle rudement en guise de salutation, tandis qu'elle refermait la porte derrière elle, sans pour autant quitter le palier. Malgré le ton sec employé, il y avait cette lueur qui brillait au fond de ses prunelles lorsque son péché était titillé. « Si j'avais su Kjěll qu'il te fallait ça pour qu'on puisse s'entendre. », ajouta-t-elle d'un ton moqueur. « Ça ? » - « Disons que le départ a été repoussé. » trancha La Petite Sœur sans relever la pique de son amie afin d'étouffer les hostilités dans l’œuf. « Ah tiens ? ». Elle n'en paraissait pas étonnée. Pourtant elle était loin de songer à la véritable raison de ce report. « T'inquiète pas va. Dès demain j'me casse et j'laisse l'autre guignol se démerder avec ses plumes. » fit Raa'd d'une voix aigre en se laissant tomber dans un fauteuil. Maximilien dardai un regard noir sur lui à ces paroles. « T'es sérieux ? » - « Ses plumes ? ». A chacun sa question. Le Kaahi était ahuri de voir son ami le lâcher  avec une telle aisance pour une histoire dont il n'était pas responsable. Oriane était circonspecte face aux mots qui venaient d'être prononcés, ce que Kjěll put relever. « Max, tu veux bien ? » demanda-t-elle à ce dernier, en l'invitant d'un geste de la main à dévoiler ce qu'il cachait dans son dos. La Luxurieuse resta muette devant les deux appendices dorsaux qu'arborait l'Humain. « Bah ça. C'est commun les ailes qui poussent dans la nuit comme ça chez vous ? » - « En l'occurrence ça a poussé en journée. ». Oriane fronça des sourcils. Elle, elle l'avait dit sur le ton de la plaisanterie. Eux étaient des plus sérieux. « Mais vous êtes sûrs que ce sont bien des vraies ? Je veux dire, qu'il peut voler avec ? » - « J'en sais rien si c'est des vrais, mais par contre non je suis pas foutu de voler, ça c'est sûr. » rétorqua Maximilien en se retournant pour faire face au groupe. « Et pourquoi tu voudrai que ce soit des fausses ? » - « Un Humain qui se retrouve du jour au lendemain avec des ailes, excuses-moi de douter un peu. » - « C'est pour ça que la meilleure solution ça reste... » - « Tais-toi. » le coupa Kjěll en le foudroyant du regard. « De les couper. » conclut-il lentement et avec défiance en le lui rendant.

Un frisson glacé couru le long de la colonne vertébrale d'Oriane à ces mots. « C'est un peu expéditif comme solution. » fit-elle d'un ton morne avant de s'approcher du Kaahi. « On va faire une expérience ensemble et tu me diras ensuite si ça te tente toujours de te retrouver avec deux membres fantômes. » ajouta-t-elle en passant derrière lui. Alors qu'il esquissa un mouvement pour se tourner, la Luxurieuse le repoussait d'une main sur l'épaule. « Ne bouges pas et fermes les yeux. » siffla-t-elle en le toisant de ses vingts centimètres manquant. Après un soupir, il s'exécuta. Oriane laissa filer quelques secondes avant de survoler de ses paumes le traits de ses épaules. « Qu'est-ce que tu fais ? » - « Shhh. » - « Ça m'intéresse aussi de savoir ce que t'as prévu en fait. » - « Tu le sauras assez vite. ». Ce fut la seule réponse qu'offrit l'Abjecto à Kjěll et celui qui fût son Protégé. Le regard rivé sur Maximilien, guettant la moindre de ses réactions, la Déchue fit le chemin sens inverse, caressant avec volupté les dessins ornant ses omoplates de la pulpe de ses doigts. Un frisson couru sur la peau nue de Maximilien à ce premier contact comme un rictus prit naissance à la commissure des lèvres des deux impliqués. Alors elle laissa ses pouces redescendre lascivement le long de la colonne vertébrale, avant remonter sur sa taille pour glisser vers son bas-ventre. Maximilien, lui, commençait à avoir chaud. Vraiment. Il ne savait pas où voulait aller cette fille mais, vu l'appréhension qu'elle semblait avoir envers les membres de sa race, il lui semblait évident qu'elle ne cherchait pas la direction de la chambre. Et ça l'agaçait autant qu'il prenait un plaisir plus que certain à se laisser caresser par la Déchue. Celle-ci fit d'ailleurs remonter ses mains pour rejoindre le dos de l'Humain. Enfin, de l'index, elle vint dessiner l'ossature des ailes de ce dernier qui, dans un réflexe qu'il ne maîtrisait pas encore, répondit par un frisson qui ébrouât ses nouveaux appendices. Elle continua ainsi quelque secondes, tous attendant en silence le verdict de l'Abjecto. Soudain, elle se saisit brutalement des membres, plantant ses ongles dans les fins morceaux de chaires, pour les tirer violemment, comme cherchant à les lui arracher, sous le regard interdit des autres protagonistes. « Ah ! Putain ! ». Le regard brillant d'une lueur de colère, Maximilien se retourna vivement pour faire face à la Luxurieuse qui recula d'un pas, arrachant involontairement quelques plumes dans l'élan. « Ça fait mal, hein ? » fit-elle en faisant tourner la plume immaculée entre ses doigts. Ce furent ses seuls mots d'excuses face au feu qui embrasait les prunelles du Kaahi. « Et pourtant je n'ai pas tes biceps. » ajouta-t-elle en se plongeant dans le regard brûlant de l'Humain tout en retrouvant Kjěll.

Maximilien suivait la Luxurieuse du regard. Puis il prit une profonde inspiration. « Alors quoi ? Je me trimbale ça comme deux poids morts ? » - « Tu es à Avalon. La ville dessinée pour voler. Si c'est juste une question de maîtrise alors... » - « Un Humain qui vole ? Vous êtes sérieux ? ». Tous se tournèrent vers Raa'd. « Et pourquoi pas ? Vos Enfants des Cieux aussi un jour pourront voler avec de la maîtrise. » - « Mais c'est... » - « C'est pas pareil c'est ça ? Bien sûr que c'est exactement la même chose. C'est juste la couleur des ailes qui change. ». La Déchue marquait un temps. « La première chose à voir, ce sera si tu peux les rétracter. Même pour toi ce sera plus pratique au quotidien, surtout tant que tu ne sais pas les utiliser. » - « Si ? Parce qu'en plus c'est même pas certain et je vais peut-être me trimbaler ça H vingt-quatre ? » - « En fait, le simple fait d'avoir des ailes me paraît incroyable, alors je me demande juste si c'est possible  ça pour un être qui ne possède pas de magie. » - « Génial. » conclut le Kaahi avec cynisme. « Vois le côté positif. Tout un champ de possibilité alors inaccessible vient de s'ouvrir à toi. » rétorqua Oriane avec un sourire moqueur. Pourtant elle le pensait réellement. « Mais ce serait mieux si ça marchait, ou tu seras bon à refaire ta garde-robe parce qu'actuellement. ». Elle n'ajouta rien de plus, se contentant de récupérer le haut lacéré. « Ou il peut aussi rester comme ça, ce sera tout aussi pratique. ». Ce fut sur Oriane que les regards vinrent alors se poser. « C'est une proposition. » ajouta-t-elle en allant récupérer un cookie. « Il faut absolument que tu m'apprennes ça Kjěll. » continua-t-elle après avoir croqué dans le biscuit. « Où tu vas comme ça ? » - « Ailleurs. Je repasserai un autre jour. » puis elle claqua la porte sur elle. « Un autre jour, hein ? Quand on s'ra parti quoi. » fit Raa'd sarcastique. « Bah, moi aussi j'me casse. J'vais profiter de ma dernière journée ici en extérieur. ». Puis il quitta les lieux sous le regard de Kjěll et Maximilien. « C'est un si gros problème que ça ? » demanda la Déchue après quelques secondes silencieuses. « T'as même pas idée. ».

Un long soupir échappait des lèvres du Kaahi tandis que son regard se portait une nouvelle fois sur ses deux protubérances qui ornaient ses omoplates. « Ton amie aurait pu s'expliquer d'une manière plus délicate. » - « Peut-être. Mais au moins elle t'as fait changer d'avis sans que l'on s'enfonce dans un sempiternel débat. » rétorqua Kjěll en posant l'arme qu'elle n'avait toujours pas lâchée. « Je ne sais pas. Tu en parles comme si c'était quelque chose de simple. Mais ça n'a rien de simple. Tu as vu comment a réagit Raa'd. Alors imagine ce qu'il en sera lorsque le reste de la communauté Humaine l'apprendra et le verra. » fit Maximilien en s'adossant contre l'encadrement de la fenêtre avant de se relever rapidement, gêné par ses ailes, avec une mine agacée. « Je savais que les Humains ayant reçu un don magique quelconque étaient dépréciés, mais tout de même. Des ailes. Ce n'est pas comme si tu allais pouvoir détruire une ville ou commettre un génocide grâce à ça. Et puis, comme on le disait, il y a déjà tout ces enfants et ils ont été bien accueillis. » - « Et comme on le disait, ces enfants sont un don. Ils sont nés ainsi, contrairement à moi. Si je me pointe comme ça à Utopia, j'aurai juste le droit aux noms de parjure ou d'espion si ce n'est les deux. Je pourrais plaider tant que je veux ma loyauté, tu sais mieux que quiconque que je ne pars pas avec un avantage dans cette affaire. ». Appuyé contre le dossier du fauteuil, les bras croisés, l'Abjecto dévisageait l'Obstiné en silence. Il n'avait pas tort. Après tout, il était étranger à Utopia. Il n'avait rejoint la capitale que plus tard. Quant à ses proches, elle était la seule qu'il savait encore en vie. Elle pouvait toujours confirmer leur Lien passé. Il serait démonté par les détracteurs. Il est si simple de tromper le monde lorsque l'on prend le temps de peaufiner chaque détails. « Tu as peut-être raison sur ce point. Mais je ne pense pas que ce soit une bonne idée de t'en débarrasser tout de même. Je suis sure que tu peux en tirer un certain avantage au contraire. ». Le Kaahi l'observa, sceptique. « Ecoute. Même si tu les coupes et t'en défaits, Raa'd aura toujours en mémoire ton réveil avec ces ailes. C'est triste à dire, mais il est certain qu'une part de confiance a disparu aujourd'hui, à la vu de tes ailes. En les coupant, tu en regagnera peut-être un peu, mais tu ne retrouveras jamais l'amitié qu'il t'avais offert. » - « Oui je connais l'adage. Une éternité pour acquérir la confiance mais une seconde pour la perdre. » fit-il en s'asseyant, repoussant d'une main ses appendices encombrant. « Hum hum. Je pense qu'il vaut mieux encore les rendre utile plutôt que nier leur existence. Regagner la confiance de tes pairs en leur offrant une force nouvelle plutôt que de les jeter aux oubliettes en espérant que la rancune parte avec elles. ». L'Humain exhala un souffle, méditant un instant sur les paroles de La Petite Sœur. « Soit. Et tu proposes quoi dans ce cas-là ? » - « Je te l'ai dis. Régulièrement des cours de vol sont donnés à Avalon. Tu peux rester le temps de ne serait-ce que comprendre leur fonctionnement. » - « Ce ne serait pas une meilleure idée que de retourner à Utopia dès maintenant, tant que je suis incapable de faire autre chose que les traîner comme deux serpillières, et de revenir plus tard prendre les leçons plutôt que montrer que je suis en pleine possession de mes moyens pour en faire usage ? » - « Je ne sais pas vraiment. Ça se pourrait, mais il est facile de simuler l'incompétence, tu ne crois pas ? Pense également à ceux qui te pousserons à bout ou seront sans scrupules prêt à te les arracher, et ne me fait pas croire que ces personnes n'existent pas. Sans maîtrise, comment comptes-tu les protéger et te protéger toi ? ». Elle n'avait pas tout à fait tort. Il imaginait difficilement ce genre d'agression arriver, mais ce n'était pas à exclure. « Et puis, comme ça, tu pourras toi-même apprendre à ces Enfants des Cieux à user de leurs ailes lorsqu'ils seront en âge. ». L'Obstiné resta silencieux, fixant la Gourmande de ses iris émeraudes, puis fit claquer sa langue. « Très bien, j'ai compris. Si je rentre tout de suite ce sera plus un handicape qu'autre chose. ». Il laissa échapper un soupir agacé avant d'ancrer son regard dans celui de la Déchue. « Je veux bien essayer d'apprendre à les utiliser. Mais je t'avoue que je suis pas convaincu. » ajouta-t-il en se tournant une nouvelle fois pour détailler les plumes qui décoraient son dos. « Au moins se sont les mêmes, ça rendra les choses plus simple. » - « Les mêmes ? » répéta le Kaahi en reportant son attention sur Kjěll. « Oui, ce que je veux dire c'est qu'elles sont toutes les deux couvertes de plumes. L'exercice aurait surement été plus difficile si l'une d'elle avait été rachitique. ». Maximilien ne put retenir une grimace à ces mots. Il n'y avait pas songé à cela, mais il était vrai que certains bipolaires possédaient ce genre d'ailes. Si ça avait été son cas, il n'aurait pas laissé le choix à l'Abjecto. Se présenter dans le Désert avec des ailes bicolore, à la limite, quoi que les choses n'étaient pas assurées. Mais jamais il ne se serait montré avec les ailes d'un Vil.

La tête penchée sur le côté, Kjěll dévisageait l'Obstiné, pensif. C'était tout de même intrigant. « Tu as une idée de la façon dont tu les as acquises ? » - « Non. Je sais juste qu'elles sont apparues quand je suis revenu. Pourquoi ? ». La Déchue fronça des sourcils à ces mots. « Parce que connaître leur origine peut déjà aider à lever un doute chez Raa'd et tes pairs. Tu dis, "quand tu es revenu". Tu parles de ta disparition d'hier ? » - « D'hier ? ». Pas qu'il veuille échapper à la question de l'Abjecto en répondant lui-même par une question, mais plutôt que cette unique journée qu'elle évoquait lui avait parut durer plus longtemps que ça. « Possible. J'en sais rien. ». Il marqua un temps, celui nécessaire pour assembler tout les souvenirs de cet événement. « Tu sais ce que ça veut dire "Yurgaa los Dilon" ? ». La Petite Soeur le regarda avec des yeux ronds, ce qu'il interpréta comme étant un non. « Où tu as entendu ça ? Et de la bouche de qui ? » - « J'ai l'impression de subir un véritable interrogatoire, tu t'en rends compte au moins ? » - « Sans détails, je ne peux pas t'aider. J'imagine que c'est du Zul'Dov, mais c'est ce que tu pourras me dire qui me le confirmera. ». Maximilien exhala un soupir avant de répondre. « De toute façon j'ai pas la moindre idée de l'identité de celui qui a dit ça, ni même d'où je me trouvais à cet instant. J'avais jamais vu cet endroit avant. ». Pas qu'il ait eu  l'occasion de visiter la totalité du monde non plus. « Je me demande... ». La Déchue laissa planer un silence où le Kaahi la dévisageait d'un air interrogatif. « Tu n'as pas quitté les lieux de toi-même, je me trompe ? C'était un peu une sorte de téléportation ? » - « On peut dire ça, oui. » - « Est-ce que tu t'es retrouvé dans une immense salle avec des portes ? » - « Des portes ? Non. C'était une plaine tout ce qu'il y a de plus normal. » - « Hum. Donc c'est encore autre chose. » - « Pourquoi, c'est quoi cette histoire de porte ? » - « Une longue histoire. » fit Kjěll dans un soupir. « On en parlera plus tard si tu veux. » - « Ce sont rarement de bonnes histoires les longues remises à plus tard. » ajouta l'Obstiné avec cynisme en s'enfonçant dans le dossier de sa chaise. « Disons que ce fût... Enrichissant. » - « Ha ! Elle est belle celle-là. Je la sortirai la prochaine fois tiens. C'était "enrichissant". » - « Ce qui n'est pas tout à fait faux, dans le sens matériel j'entends. » rétorqua l'Abjecto en haussant un sourcil, comme elle vint s'asseoir en face du Kaahi qui resta silencieux derrière ces paroles, fixant simplement la pierre qui ornait le bracelet à son poignet. « Peut-être bien. Mais lorsque l'on falsifie le contrat de confiance à la signature, j'ai quelques difficultés à accepter l'enjeu et la finalité, quelle qu'elles soient. » - « Les rêves et les espoirs sont ce qui nous font vivre et avancer dans un monde où les plus faible se font lâchement piétiner. » - « Mais le mensonge et la manipulation n'apporte que la défiance et la haine, peu importe que l'homme soit faible ou puissant, riche ou pauvre. ».

Un flottement plana entre le duo, brisé par un long soupir qui échappât des lèvres de Kjěll. « Passons. Là n'est pas le sujet. Ce qui m'intéresse c'est de savoir ce qu'il t'es arrivé hier. » fit-elle alors en balayant le précédent sujet d'un revers de main. Elle savait qu'elle pouvait avancer tout les arguments du monde pour montrer les aspects positifs de son aventure, il les démonterait un par un. Ce ne serait pas demain qu'il accorderait son pardon à cet homme et elle avait peu d'espoir que vienne ce jour. « Donnes-moi le plus de détails possible. Ils peuvent tous avoir leur importance pour comprendre ce qu'il s'est passé. ». A son tour Maximilien laissa échapper un soupir. « Du début à la fin ? » - « S'il-te-plaît. ». Alors le Kaahi débuta son récit. Son éveil au milieu des millions de combattants présents. Les vagues incessantes d'ennemis à abattre. Le combat qui faisait rage tout autour, sur la terre et dans le ciel. « C'est terrible... Devoir vivre pour se battre. » - « Non, je ne suis pas d'accord. Le pacifique y laissait sa vie. Clairement, c'était se battre pour vivre. » - « Mais tu me dis que vous ne faisiez que ça, répandre le sang. Rien d'autre. Laisse-moi donc douter. ». La Déchue exhala un souffle. Elle qui cherchait constamment à éviter le conflit, ce genre de discours lui semblait invraisemblable. « Du coup, j'imagine que vous avez vaincu pour que tu sois là ? ». L'Obstiné ne répondit pas immédiatement, portant sa main au torse dans un geste irréfléchi. « Max ? » - « J'en sais rien. » répondit-il simplement en se plongeant dans les prunelles de la Petite Sœur. « Comment ça, "t'en sais rien" ? » - « Ce jour-là, sur ce champ de bataille, je suis mort. ».

De longues secondes silencieuses enveloppèrent le duo, chacun ancré dans le regard de l'autre dans un mutisme pesant et glacial qui sembla durer une éternité. « Pardon j'ai mal entendu je crois. Tu es quoi ? Mort ? ». Evidemment, répété ainsi, ces mots paraissaient des plus absurdes et c'était autant l'incompréhension que l'interrogation qui pouvait se lire sur le visage de Kjěll tandis qu'elle se demandait un instant si le Kaahi ne se moquait pas simplement d'elle. Mais non. Il était on ne peut plus sérieux. Elle le devinait à l'air grave qu'il affichait et à l'assurance qui brillait dans l'émeraude de ses iris. Pourtant elle ne pouvait s'empêcher de songer que c'était juste invraisemblable. Plus encore que la paire d'aile qui pendait à son dos. Ce qu'il comprit facilement. « Inutile de me fixer comme ça, je me rends bien compte que j'ai l'air d'un aliéné à annoncer ça comme s'il s'agissait d'une normalité. ». La Déchue ne répondit pas de suite, prenant quelques instants pour réfléchir à cette annonce qui était, il avait raison, des plus folles. « Tu as prévenu ton Ange ? » - « Antonija ? Non. C'est pas comme si j'avais eu l'occasion de le faire aussi. Pourquoi ? » - « Mais... Max ! Tu viens de me dire que tu étais mort ! Je ne serai pas étonnée de la voir débarquer dans la soirée, sinon demain grand maximum ! ». Une grimace échappa à l'Obstiné. Ce n'était pas la présence d'Antonija qui le dérangeait, mais plutôt la retrouver dans l'environnement Déchu, dans son état actuel et, surtout, qu'elle vienne à croiser Kjěll. « De toute façon qu'est-ce que j'aurai bien pu lui dire ? "On m'a tué mais t'inquiète, je vais bien et pète la forme, j'y ai même gagné des ailes !" » fit-il cynique avant d'ajouter, sur un ton plus irrité « Puis je suis même pas certain de la véracité du truc. Sérieux, j'ai aucune séquelle de cette "bataille". Je respire, me tiens devant toi et te parles alors qu'on m'a perforé la poitrine. Quelle trace il y a de ça ? Aucune ! C'est peut-être jamais arrivé et c'était probablement qu'une terrible illusion. Alors la seule chose que j'aurai réussi à faire c'est l'inquiéter pour rien. ». Un nouveau silence s'imposa avant que l'Abjecto ne le brise d'un soupir. « C'est toi qui vois. Tu te débrouilles en cas de problème. Je me dédouane de toute responsabilité. Je t'aurai prévenu. » fit-elle en se levant pour aller récupérer le haut déchiré de Maximilien avant de le lui jeter. « Enfile-ça. On va continuer la discussion dehors. ». L'Obstiné réceptionna le vêtement de justesse avant qu'il ne lui arrive dans la figure et se leva à son tour. Et, tandis qu'il se dirigeait vers la chambre, il répliqua « Sérieux, tu veux que je remette ça ? T'as vu l'état du truc ? C'est bon qu'à servir de torchon. » - « Peut-être mais tu n'as rien d'autre qui permette de laisser respirer tes ailes pour l'instant alors ça ira très bien en attendant qu'on réajuste tes vêtements. D'autant que certains Luxurieux ont des difficultés à résister à l'appel de la chaire et se soucient peu du sexe ou de la race de la personne. » - « Les Luxurieux. C'est à ce point là ? » - « T'imagines même pas à quel point les Corvus sont fatigant. Mais il ne serait pas juste de les rejeter pour autant. On passe tous par là après tout. Allez. On a du travail qui nous attends. ».

En descendant la rue, Kjěll se sépara de l'Obstiné, rejoignant L'Hameau Rouge pour les prévenir de son absence temporaire. Aujourd'hui, ce serai certain. Probablement devrait-elle délaisser le bar à vin plus longtemps encore. Iivo lui demanderai compensation et elle savait qu'elle paierai son absence en doublant son temps de travail. Elle assumerai, c'était son choix. Quant à Maximilien, il était parti aux Halls des Titans en attendant, prendre de quoi se nourrir. En y réfléchissant, depuis la veille au matin il n'avait rien avalé si l'on omettait la partie "bataille éternelle". Il attendit là la Déchue, une caisse en bois remplie de nourriture. Lorsque la Gourmande le vit, elle pencha la tête sur le côté en arquant un sourcil. « Ça va, il y aura assez pour la matinée tu crois ? » fit-elle moqueuse. « En fait j'en ai surtout profité pour acheter de quoi préparer le déjeuner. » - « Oh. Merci. ». Elle jeta un regard rapide à la caissette pour voir plus en détail le contenu. Elle avait une idée de ce qu'il avait en tête. Elle y rajouterai une touche personnelle tout de même. « Allons-y. » ajouta-t-elle en lui faisant signe tandis qu'elle fit demi-tour. Se saisissant d'un fruit - un produit local, une sorte de pêche, légèrement plus sucrée et plus juteuse - il se rapprocha de La Petite Sœur. « Dis-moi, qu'est-ce qu'elle voulait dire ton amie tout à l'heure par "s'entendre" ? ». Un sourire amusé prit naissance à la commissure des lèvres de l'Abjecto. « Oriane doit connaître au moins la moitié d'Avalon de façon intime, et pourtant elle est plus jeune que toi. » - « Et donc ? » - « Elle a du mal à comprendre que je sois encore vierge. » finit d'expliquer la Déchue. « Sérieux ? Tu l'es encore ? Tu dois être la seule Déchue d'âge mûr qui n'a encore couché avec personne. » fit le Kaahi, moqueur. « Hé ! Tu vas pas t'y mettre toi aussi ! » - « Non, c'est bon. Je vais garder ça pour plus tard, quand on aura épuisé tout les autres sujets de disputes. » continua-t-il du même air, conscient de la relation mi-figue, mi-raisin qu'ils entretenaient. Kjěll laissa échapper un soupir exaspéré. « Tu exagères. » - « Si peu. ».

Lorsque Maximilien comprit où la Déchue le guidait, il se questionna sur la raison de ce choix. « Pourquoi on quitte la ville ? » - « Pour nous éloigner de toute influence magique qui pourrait troubler tes véritables capacités. Il sera bien plus simple de voir tes aptitudes, et donc les développer, dans un environnement neutre. » - « Pas si neutre. » rétorqua-t-il en posa son regard sur l'Abjecto. Au cœur de la capitale, son Ma'Ahid était englouti par la quantité d'Aile Noire qui le cernait, le rendant simplement inutile. Mais s'isoler loin des rues animées et des murs protecteurs de la cité allait lui rendre cette anti-magie dont il se sentait comme privé et directement y exposer la Gourmande. Il ne doutait pas qu'elle en avait conscience pourtant. « Et toi ? ». Elle sourit doucement avant de répondre. « A moins que tu ne m'apprennes que tu ais l'équivalent en anti-magie de la Marquise Leenhardt, je devrai y survivre. ». Un sourire en coin se dessina à la commissure des lèvres du Kaahi. « Non, la Matasif est particulière en ça. ».

Une seconde. » fit Kjěll en s'accrochant au bras du Kaahi tandis qu'ils pénétraient le Cœur Vert, avant de reprendre la marche dans une inspiration. « T'es sûre que ça va aller ? » insista ce dernier. « Mais oui. Ce n'est juste pas quelque chose à laquelle on s'habitue. Et, pour être sincère, ce n'est jamais très agréable non plus comme sensation. Mais c'est le temps que ça passe et que ça revienne. Enfin. Ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui. » répondit-elle en déployant ses propres ailes après s'être écarté de l'Obstiné pour se placer face à lui. « Essai de les mouvoir simplement pour commencer. » ajouta-t-elle en effectuant elle-même le geste, un courant d'air balayant l'herbe grasse sous leurs pieds. « Parfait. Et je fais ça comment ? » - « Vois un peu tes ailes comme deux nouveaux membres. Les utiliser c'est aussi instinctif que de marcher une fois que l'on a apprit à les utiliser. » - « T'es en train de me comparer à un marmot qui apprends à marcher si je comprends bien. » - « C'est l'idée. » répliqua la Déchue avec un large sourire amusé. « Ça prendra du temps, c'est certain. Mais tu as déjà pu remarquer que c'était quelque chose de sensible. Il ne s'agit pas juste deux trucs accrochés là comme ça. Les ailes sont belles et biens liées au reste du corps comme n'importe quel autre membre. » - « Alors pourquoi vous pouvez les faire disparaître vous les Déchus ou les Anges ou n'importe quel Ailé ? ». Kjěll haussa des épaules avec une moue montrant son incompréhension. « C'est bien ce que je disais plus tôt. C'est pas comme si on croisait des Humains avec des ailes à chaque coin de rue. Les Enfants des Cieux c'était une première, mais ils ont été offerts par un Aether tu m'as dit. Mais là. Je sais pas. Je suis dans le flou. On peut supposer que c'est la même chose même si je t'avoue que je vois pas trop lequel pourrait être impliqué. ». Maximilien laissa échapper un soupir agacé. « On éludera cette question plus tard. Les spéculations n'aident pas à avancer, au contraire. Elles apportent plus de questions que de réponses. Non, pour l'instant, j'ai dis que je t'apprenais à marcher. » fit la Déchue avec un sourire moqueur, ce à quoi le Kaahi répondit en roulant des yeux. « Hum. C'est évident que ça ne te viendra pas naturellement. » reprit Kjěll en le contournant pour se placer derrière lui. Immédiatement il se tourna pour de nouveau lui faire face, se remémorant ce qu'il s'était passé un peu plus tôt avec Oriane. « S'il-te-plaît, je veux juste t'aider. » - « Mais tu comprends que j'ai moyen confiance j'imagine. » - « C'est pas en te torturant qu'on avancera. Alors, s'il-te-plaît, essai d'être un peu coopératif. » rétorqua-t-elle après un soupir. Un air méfiant gravé sur le visage, il obéit finalement, se détournant de la Déchue qui lui offrit un « Merci. ». Elle pencha alors légèrement la tête sur le côté, les bras croisé sur le torse, fixant les deux extensions avec attention. « On va faire une à la fois. » - « Comment ça ? » interrogea l'Obstiné en tournant le visage vers l'Abjecto. Celle-ci se saisit de l'une des ailes du Kaahi, un frisson glissant de la protubérance plumée jusqu'à son échine. « Je peux savoir ce que tu fais ? » - « J'essaie quelque chose pour te faire comprendre le ressenti d'une aile en mouvement. Je ne garantie rien. Mais ça vaut toujours le coup d'essayer. ». Alors qu'elle commença à mouvoir l'aile, la Gourmande laissa échapper une exclamation. « Quoi encore ? » - « Tournes-toi légèrement sur la gauche pour voir. » - « Qu'est-ce tu veux faire ? » - « Bouges je te dis. Je t'expliquerai après. ». Maximilien exhala un souffle las avant d'obéir à l'injonction de la Déchue qui recommença à mouvoir l'aile obscure de l'Obstiné. « C'est bien ce qu'il me semblait. » - « Tu vas me dire à la fin ce qu'il se passe. » - « En fait, c'est assez commun chez les Déchus que leurs ailes aient des reflets irisés. Par exemple, les miennes ont des reflets bleus, assez foncé. Ça ne se voit pas beaucoup, il faut pas mal de luminosité pour ça. Rajiv en a des gris très clairs lui par contre, presque métallique, qui se voient facilement. Au contraire, Oriane a des ailes d'un noir très obscurs, sans aucun reflet. Du moins, aucun visible. » - « Et ? » - « Et c'est vrai que je n'y ai pas pensé tout à l'heure, mais avec une aile noire plumée, c'était logique que tu puisses avoir également quelques reflets à la lumière. Ils ne sont pas des plus visible, mais ils y sont. » - « Ça me fait une belle jambe tient. » - « Oh, c'est intéressant. En plus c'est joli. Ils sont dans des teintes dorés presque, c'est pas commun. » - « C'est parfait, je vais briller dans la nuit comme ça. » rétorqua-t-il, cynique. « Mais non, je viens de te ire que c'était à peine visible, roooh. Dis-moi plutôt ce que tu ressens quand je te bouges l'aile comme ça. Ou au moins si tu ressens un truc. ». Maximilien laissa de nouveau fuir un soupir avant de répondre. « Ouai, vaguement. Je sens plus ta main à la limite que le mouvement. » - « Hum. ». Elle décala alors une main au niveau de l'articulation sur l'omoplate, l'autre allant pincer celle de l'aile pour la forcer à se déployer. Le Kaahi laissa échapper une grimace face à la sensation bien moins agréable que cette nouvelle position causait. « Cette fois-ci ce n'est plus vaguement si tu veux savoir. » - « Tant mieux. ». Il arqua un sourcil en tournant de nouveau le visage vers La Petite Sœur. « C'est pas toi qui disais plus tôt que la torture servait à rien ? » - « Ne me fait pas croire que tu souffres le martyre avec ça. » rétorqua-t-elle en agitant l'aile quelques minutes. « Tu crois que tu saurais la bouger seul ? » - « Tu rigoles ? ». Une moue se glissa sur le visage de la Gourmande avant qu'elle ne reprenne. « On va faire à l'identique avec l'autre histoire que tu commences à doucement chopper le truc. On recommencera  autant de temps fois qu'il faut. » - « Ça prendra un temps monstre si je comprends bien. » - « C'est possible. » - « Génial. » conclu le Kaahi dans un soupir déjà exténué en songeant au programme que prévoyait la Déchue.

Se concentrant sur ses deux appendices dorsaux, Maximilien s'entraînait encore à les bouger, les faisant battre dans une cadence légère et plus ou moins régulière. Cela faisait pas moins d'une bonne semaine au moins qu'il avait commencé à suivre les enseignements pour l'utilisation de ses ailes, et s'il commençait à songer que c'était peine perdue, il avait, la veille, enfin réussi à initier un premier mouvement, les sortant de leur statisme inutile et désespérant. On était loin de ce que l'on pouvait encore réellement appeler un battement d'ailes capable de lui faire quitter le plancher des vaches. Mais c'était là un début aussi inespéré qu'il était inattendu. Aussi mettait-il plus encore de cœur à l'ouvrage depuis lors afin de rendre ce qui n'était pour l'instant que deux boulets inutile, un atout pour son peuple. Néanmoins, ses essais furent stoppés net par l'arrivée impromptue d'une présence inattendue. « Oh. Toujours là. » - « Toujours, navré pour toi ». Il ne l'était absolument pas, navré.  Ce n'était là que pur cynisme qui était facilement détectable, tant au ton de sa voix comme à l'expression dessiné sur son visage. La velléité dont faisait preuve Oriane avait fini par être contagieuse et il n'avait aucune honte à le montrer. Elle ne se privait pas elle-même pour lui en faire clairement part, il ne voyait pas pourquoi lui devrait s'écraser et caresser la Déchue dans le sens des plumes sous prétexte qu'il était seul contre tous, et sur leur territoire. « Où est Kjěll ? » - « Pas ici. ». La Luxurieuse marqua un temps, arquant un sourcil avant de reprendre. « Ma foi, tu es d'une utilité remarquable dis-moi. » répliqua-t-elle, croisant doucement les bras sous la poitrine. Ce fut à l'Obstiné de la fixer en silence, une lueur irrité brillant au fond de ses prunelles. Elle aussi maîtrisait l'art de l'ironie à ses heures perdues semblait-il. C'est cet instant que choisi Kjěll pour réapparaître.

La Gourmande marqua un temps d'arrêt en voyant le duo se fixer en chien de faïence, comme prêt à mordre l'autre - quoi que l'expression était peut-être mal choisie vu les personnages impliqués - au premier mouvement. « Est-ce que je peux avoir une idée de ce qu'il se passe ici ? » - « Pas grand chose. On discutait, c'est tout. ». Un soupir dépité échappa d'entre les lèvres entre ouvertes de la Petite Sœur. « C'est bon, j'ai compris. Inutile de t'attarder, je passerai plus tard. », fit-elle à la Luxurieuse, qui s'échappa en claquant rudement la porte derrière elle. Alors Kjěll se tourna vers le Kaahi. « Tu pourrais faire des efforts. ». Un rire bref échappa à ce dernier alors qu'il dévisagea l'Abjecto avec des yeux ronds. « Je pourrais faire des efforts ? Tu es sérieuse là ? J'espère sincèrement que non. ». Nouveau soupir de la part de la Déchue. « Je sais qu'elle n'y met pas plus de volonté. Mais si aucun de vous ne cherchez à faire en sorte d'avoir une bonne relation, comment veux-tu que ça se passe bien ? » - « Je n'ai pas franchement l'impression que ça l'intéresse d'avoir une bonne relation avec moi, ou même n'importe quel Humain. » - « Je suis certaine que son avis peut changer. » - « Tiens donc. Et qu'est-ce qui te fais dire ça ? » - « Elle n'était pas aussi agressive envers les Humains auparavant. Basphel est le genre d'endroit qui a tendance à pouvoir rendre plus tolérant. ». Commença à expliquer la Gourmande en posant la pile de livre qu'elle tenait jusqu'alors entre les bras. « Toutefois, il y a bien moins d'Humains que de races magiques dans la cité-école. Et généralement, ces derniers ne sont pas pourvus d'une anti-magie très élevée. ». Elle se tourna vers l'Obstiné qui l'observait et l'écoutait avec attention. « Alors lorsque le premier Humain avec une forte anti-magie que l'on croise n'est autre que la Marquise Leenhardt, tu comprendras qu'il y a de quoi devenir méfiant envers l'entièreté de son peuple. ». Maximilien essaya d'imaginer la situation. Ce fut évidemment impossible et, malgré les difficultés qu'avaient dû ressentir la Luxurieuse, il ne put retenir un rictus qu'il ne réussit pas à cacher à Kjěll. « Ça n'a rien de drôle. » répliqua-t-elle alors d'un air courroucé. « Ouai, j'imagine. Désolé. ». Pourtant il n'arrivait pas à se départir de ce rictus moqueur. La Petite Sœur exhala un souffle. À l'évidence, ce ne serait pas demain que l'un et l'autre se respecterai mutuellement. Aussi abandonna-t-elle le débat pour aujourd'hui. « Sinon, tu t'en sors avec tes ailes ? » - « Plus ou moins. Plus moins que plus quand même. » répondait-il en s'essayant une nouvelle fois à les mouvoir, n'offrant qu'un léger et ridicule battement. « C'est un début et toujours mieux que rien. On le savait que ça ne se ferait pas de suite. Il faut juste continuer à t'entraîner, à force ça finira par venir. C'est comme tout. ». Maximilien poussa un soupir las. « Je vais pas non plus rester une éternité ici ? ». Question rhétorique. Il ne le concevait même pas. Kjěll tourna son regard vers la fenêtre. Bien sûr qu'il ne le pouvait pas. Pourtant, quitter la ville sans être capable d'en faire usage n'était pas une bonne idée d'après elle. Aussi espérait-elle qu'il arrive plus rapidement qu'elle ne le songeait à en comprendre le fonctionnement pour rejoindre les cieux. Un espoir vain, évidemment. Depuis qu'ils avaient compris qu'il était condamné à vivre jour et nuit avec ses ailes déployés, alors elle avait également supposée que sa façon d'apprendre et d'appréhender les choses seraient différentes des êtres magiquement ailés. Ce fut le cas. Qui plus est, le simple fait qu'il s'agisse d'un Humain rebutait certains à lui offrir les cours dont il avait besoin à cause de son Ma'Ahid, quand d'autres s'attardaient bien plus à lui poser de trop nombreuses questions plutôt que lui offrir des conseils nécessaires, avides de savoir comment et pourquoi un être dénué de magie avait fini par se retrouver à devoir recevoir des leçons de vols, ce qui retardait grandement son apprentissage.

Si d'habitude la Gourmande l'accompagnait sur la zone d'entraînement au vol, ayant décidée de le soutenir dans cette épreuve en s'entraînant elle même à voler avec ses quatre ailes - sérieusement, deux lui semblait déjà assez galère comme ça, alors quatre - aujourd'hui il se sépara d'elle pour rejoindra le lieu seul, cette dernière partant retrouver Oriane  afin de connaître la nature de ce qu'elle voulait lui annoncer plus tôt avant de finalement chercher le conflit avec Maximilien. A quelques pas de la Bibliothèque, il observa un instant les autres, plus entraînés, habitués et dont cela semblait particulièrement naturel, réaliser la pratique. Ça paraissait si simple quand il voyait certains plonger dans le vide avant de revenir en piquet vers les hauteurs de la plateforme, alors que lui était dans une galère monumentale pour ne serait-ce que réussir à les faire battre correctement. Le principe "d'extension de son être" était quelque peu difficile à appréhender, il devait bien l'avouer. Ce qu'il ne s'avouait également que difficilement, c'était qu'il n'acceptait pas ces extensions justement, malgré la volonté qu'il mettait à chercher à en faire usage. Et probablement était-ce en réalité là l'une des principales causes de son blocage et du peu d'avancée qu'il faisait. Ce fut ce jour là, une fois que les cours théorique prirent fin que l'instructeur en charge le lui partageait son avis et ses pensées à ce propos, lui en faisant réellement prendre conscience. « Tu n'y crois pas un instant. » lui avait-il dit. « Tu préférerais encore rester au sol et t'en défaire que rejoindre les autres sur la plateforme. ». Alors, d'un air sévère, il lui avait clairement dit de ne pas lui faire perdre un temps que l'Humain lui-même ne voulait pas dépenser.

Traversant le Cœur Vert, Maximilien passa la main dans la laine cotonneuse d'un Wëltpuff tandis qu'il passait à ses côtés. Il comprenait pourquoi ces créatures étaient si appréciées. Il n'avait jamais vu aucune d'elle montrer quelques signes d'agressivité et se contentaient de brouter ce qui se trouvait à leur portée. C'était à croire qu'il ne s'agissait de rien d'autre que de la réincarnation de Déchus de la Paresse. Puis il s'installa plus loin, se posant sur l'herbe fraîche comme il s'adossa à un pommier sauvage que l'on aura décidé de laisser tranquille, afin de profiter d'un instant de calme tandis que le soleil était en déclin. Il repensait aux paroles du Déchu. Il n'y avait pas songé depuis qu'il avait commencé ces cours, mais il était vrai qu'il était déjà parti sans être totalement convaincu de la réussite de l'entreprise en plus de garder en tête la réaction de ses semblables. Non, qu'il réussisse ou non lui importait peu en réalité. Néanmoins, il craignait réellement son retour à Qaixopia. Ça il ne pouvait le nier. Il supposait que Raa'd avait déjà évoqué quelque peu l'histoire. Il l'espérait. Ou peut-être pas. Il l'ignorait. Il ignorait s'il préférait que son peuple ait déjà eu vent ou non de l'affaire. Il laissa échapper un long soupir, se passant la main sur le visage. Les choses n'étaient pas déjà assez compliquées, il fallait en rajouter une couche, encore. Il avait l'impression de passer son temps à courir depuis quelques temps, s'en était affreusement fatigant. « Tu étais ici ? ». L'Obstiné se tourna vers la provenance de la voix. Kjěll se laissa glisser le long du tronc et ferma les yeux tandis que les rayons chauds du soirs frappaient son visage. « Qu'est-ce qu'elle voulait en fait ? » - « Oriane ? C'était à propos du fessetival. » - « Je vois. ». Cela faisait déjà quelques jours que les affiches trônaient sur les murs de la cité des plaisirs. Aussi tentante l'initiative pouvait-elle être, elle inspirait la méfiance. « Et la leçon ? ». Le Kaahi ne dit rien, son regard perdu dans l'horizon qui, petit à petit, se teintait de couleurs flamboyantes. « Tu as déjà vu le Soleil dans le Désert ? » - « Il y a longtemps. Je sais pas comment vous faites, il y fait une chaleur à mourir. ». Un sourire en coin prit naissance à la commissure des lèvres de l'Obstiné. « Le Soleil n'est pas le même ici. ». L"Abjecto relevait les paupières pour observer Maximilien en silence. « Ici, à l'aube, il se lève sous un jaune pâle qui illumine le ciel d'un bleu égal au Lagon. Dans le Désert, il est presque aussi blanc que la neige et le ciel d'un bleu si clair qu'il en parait tout aussi immaculé. ». La Déchue fronça des sourcils. « Qu'est-ce qu'il se passe ? Ce n'est pas exactement ton genre de parler du ciel et du beau temps sur un coup de tête. » - « Qu'est-ce que tu en sais ? Rappels-moi combien de temps tu as été absente de ma vie ? C'est probablement une goutte d'eau dans un océan pour toi. C'est une partie importante de la clepsydre pour moi. Tout le monde n'est pas éternel Kyra. Tout le monde n'a pas cent ans pour trouver qui il est vraiment et s'épanouir des choses de la vie. ». Sur ces sèches paroles et sans attendre la moindre réponse, l'Obstiné se leva et fit demi-tour, laissant Kjěll le regard perdu dans le lointain. C'était la deuxième fois que le passé lui mettait une gifle alors qu'elle se tenait près de cet arbre. A ce rythme et c'était elle qui le déracinerai.

Ce soir-là, Maximilien ne rentra pas chez la Gourmande. Ce soir-là, il décida de l'utilité de ces plumes acquises malgré lui.

Au lendemain, il rejoint une nouvelle fois seul les hauteurs de la Bibliothèque. Cet homme avait raison, il aurait préféré encore ne pas avoir ces ailes. Mais elles étaient là, il devait y avoir une raison à cela, alors il se devait de la découvrir et d'accepter les choses ainsi. Il craignait la réaction de son peuple, certes. Dans ce cas, il leur montrerai que sa dévotion ne s'était pas envolée avec ces appendices et que, au contraire, cela n'avait fait qu'accentuer son désir de porter soutien aux siens. Il ne pouvait les cacher ? Soit. Alors il en ferai une fierté, non pas personnelle, mais bien ethnique. Un sourire se dessina sur les lèvres de l'instructeur tandis que le Kaahi s'avançait. Il pouvait voir dans les iris de l'Obstiné une flamme nouvelle, et ça lui plaisait. Enfin il allait pouvoir lui enseignait correctement les choses. Enfin la théorie servirait à quelque chose.