À la lueur de la chandelle, les lignes sur le parchemin se mélangeaient. Les sourcils froncés, la brune tâchait de déchiffrer la lettre qu’elle venait de recevoir. Il n’y avait ce monde qu’une personne qui prenait la peine de lui écrire, et, en secret, elle souhaitait qu’il n’en existât aucune. En bas de la feuille, la signature de son correspondant suffisait à lui hérisser tous les poils du corps. Il s’agissait seulement de la seconde lettre qu’elle recevait ; comme la précédente, elle demeurerait sans réponse. Malgré sa propension au pardon, elle ne tolérait pas l’accord entre Salomon et son père, et sa colère ne désenflait pas. Un éclat orangé vola son attention. Alors qu’elle levait la tête vers la fenêtre, le signal se répéta. Grâce à l’ingéniosité d’Adénosyne, elles avaient établi les balbutiements d’un code qui leur permettait de se retrouver dès que l’une ressentait le besoin de voir l’autre. Avec précipitation, elle s’empara de sa cape et s’engagea dans les escaliers. Par miracle, elle parvint au rez-de-chaussée sans s’effondrer, et, d’un geste pressé, ouvrit la porte. La fraîcheur de la nuit lui gifla le visage. Sa voisine la rejoignit quelques minutes plus tard, et s’installa à ses côtés, sur les marches du perron. « Je voudrais que tu me rendes un service. » Dans l’obscurité, elle ne distinguait que la sclère de ses yeux, et les pointes ivoire de ses dents. Brièvement, elle lui expliqua que sa mère venait d’enfanter, et que ses parents rentraient à Amestris pour célébrer l’heureux événement.

En l’occurrence, il fallait organiser de modestes festivités, et malgré toute sa détermination, les jumeaux ruinaient ses efforts. « Tout doit être parfait pour la soirée, mais Olympe et Lucius ont mis un bazar monstrueux. Mère va être furieuse si je n’ai pas fini avant son retour. » La brune s’abstenait du moindre commentaire : elle attendait de voir où la bâtarde voulait en venir. « Tu pourrais ordonner à Sven de m’aider ? Je ne m'en sortirais pas toute seule. » Adénosyne lui confiait souvent ses tracas ; jamais elle n’avait demandé son assistance. Cela suffit à la jeune femme pour décréter que la situation était grave. « Non, c’est pas une bonne idée. Il te balancerait. » Malgré l’exemplarité avec laquelle Sven accomplissait son devoir, il n’en restait pas moins un esclave à la solde de son père. « On va faire ça nous-mêmes. » Les deux complices établirent un stratagème pour se débarrasser des indésirables, et se donnèrent rendez-vous le lendemain, au marché. Il ne fallait pas perdre de temps. Aux premières heures du jour, elles erraient déjà entre les étals, à la recherche de provisions. N’ayant aucune expérience en matière d’intendance, Isahya se révéla rapidement inutile. Son talent fut mis à profit d’une tâche tout aussi importante : porter la nouvelle aux invités, et les convier à la soirée. Malgré sa connaissance de la cité, elle manqua se perdre à plusieurs reprises. Pour des raisons évidentes, les Sorciers n’avaient pas coutume d’afficher leur nom sur la porte d’entrée, et elle ne connaissait pas toutes les adresses sur la liste fournie par sa congénère. Cependant, elle finit par en venir à bout.

De retour à la maison familiale, les brunes se mirent en cuisine. Adénosyne lui confia la préparation des gâteaux, et, de bonne humeur, elles échangèrent des ragots tandis que la bâtarde s’occupait des crabes. Une bonne partie de l’après-midi fut consacrée au repas. À la dernière minute, la Sorcière glissa une goutte d’un liquide violacé dans la pâte : personne n’en mourrait, mais les invités subiraient de charmants désagréments. Ricanant de sa plaisanterie, elle la souffla à la cuisinière. À l’approche de la fin de la journée, la jeune femme s’éclipsa, non sans avoir soigneusement fermé les rideaux et allumé les chandelles. Malgré la pauvreté des Thymus, une ambiance feutrée se dégageait du salon, et, lorsque les parents franchirent le seuil de leur demeure, un parfum alléchant envahissait la pièce. Lorsque la nuit tomba, Isahya s’y aventura à nouveau, prenant un air conquis devant le travail de la cadette. Le bébé entre les bras, la mère paraissait satisfaite. De chaleureuses félicitations lui furent adressées. Quand les dernières pinces de crabe furent dévorées, la brune esquissa un sourire sournois. Malheureusement, avant que les pâtisseries ne soient servies, son père surgit de la cuisine avec un plateau entre les mains. Des gâteaux qui n’étaient pas les siens s’y étalaient avec insolence. Confiant les douceurs à Adénosyne, il s’approcha de la Sorcière. « J’ose espérer que tu ne comptais pas réellement empoisonner nos congénères. » Pantoise d’avoir été découverte, Isahya ouvrit la bouche et la referma sans rien dire. Comment aurait-elle pu nier son accusation ? La bâtarde avait dû la dénoncer. Elle n'en revenait pas. En un mouvement imprévisible, César lui ébouriffa les cheveux. « Tu n'es pas ma fille pour rien. » Abasourdie, elle le regarda s’éloigner entre les invités.

776 mots