Objectif : Kaahl doit se rendre sur les Terres du Lac Bleu afin de rendre hommage aux Magiciens qui sont tombés à cause de la maladie lors des explorations de l'Île d'Orhmior. À cette occasion, même s'il fait déjà partie de la section Aragon de l'armée, on lui proposera aussi de se faire former par la section Marivaux.

Lucius était sur mes genoux. Je surveillais la croissance de l’enfant de près. Je savais qu’il grandirait bien plus vite que ses frères et sœurs. Il suivrait le même schéma évolutif que son frère, Érasme. Mes craintes les concernant étaient grandes. Puisque le Sorcier était voué à embrasser le chaos, je n’avais aucun doute sur le fait qu’en grandissant, il désirerait ce que je finirais par posséder. C’était un cycle. En tant que Mage Noir, sans doute aurais-je dû chercher à le tuer. Un bébé ne posait aucun problème, contrairement à un adulte en pleines capacités. Pour autant, être le fils de l’Oracle du Chaos ne signifiait pas forcément régner sur le peuple des Sorciers. « Alduin. » dis-je, en montrant un dessin. « Aan alduin. » Le Magicien sembla bien plus intéressé par l’image du dragon que par celle du bicorne. Je souris. Lui non plus, ne serait pas obligé de devenir Empereur Blanc. J’allais élever mes enfants de façon qu’ils puissent choisir ce qui leur plairait le plus. Le destin n’avait pas à peser sur leurs épaules. Plus ils seraient ignorants des desseins des Ætheri, moins ils se sentiraient enfermés dans des obligations angoissantes. Je voulais qu’ils gardent cette impression d’être maîtres de leur existence, tout en les guidant au mieux dans leurs choix. Au fond, je savais très bien que je n’aurais aucun problème à plier genoux devant mes propres enfants. Je ne leur souhaitais que ça : un avenir plus grand et faste que le mien. « Dok. » continuai-je tranquillement, en désignant l’image de chien. « Sdan dok. » Ce qui m’effrayait, en revanche, était la possible confrontation de mes deux fils. J’étais curieux, pourtant. Et s’ils s’alliaient au lieu de se battre ? L’Oracle de la Paix n’apparaissait nulle part. Ce que je savais, je l’avais déduit après une visite au Sanctuaire Noir, afin de me renseigner sur l’Oracle du Chaos plus en profondeur. J’avais simplement transposé ce qui était valable pour l’une à l’autre. Rien ne me garantissait l’exactitude de mon raisonnement.

Mon regard dévia sur l’assiette qui venait d’être posée devant moi. Je remontai les yeux pour croiser ceux encore un peu ensommeillés de Gustine. « Merci. » lui dis-je, avec un sourire. La Magicienne monta ses petites mains à sa taille, en me regardant d’un œil soudain sévère. En réalité, il était impossible pour la vieille femme de paraître réellement austère. « Kaahl, vous devriez vraiment dormir la nuit ! Ce n’est pas bon pour votre santé ! Et manger aussi. Si je ne cuisinais pas pour vous, vous auriez déjà disparu. » « Pour ma défense, c’est la faute d’Érasme. C’est lui qui n’arrivait pas à dormir. » Je ris. En réalité, je ne dormais pas et l’avais entendu pleurer. Puisque nous étions deux à être éveillés, je m’étais dit que passer du temps ensemble serait bien mieux que vivre notre insomnie séparément. J’apprenais le Zul’Dov et le Naciaze depuis quelques temps déjà. J’avais également acheté des livres pour enfants en ces langues, pour m’entraîner à la prononciation et aussi pour inculquer quelques mots aux miens. Le Zul’Dov était de tradition plutôt orale mais Stenfek changeait la donne petit à petit, contrairement à Lumnaar’Yuvon qui restait fixée à ses traditions avec un acharnement presque maladif. « Je ne l’ai pas du tout entendu. Il faut dire que Minou ronfle fort… » Elle sourit, pleine de tendresse à l’égard de son époux. « Cendre non plus. À savoir qu’elle ronfle fort, elle aussi. » dis-je avec amusement. « Vous devriez passer plus de temps avec elle si vous voulez mon avis. La petite manque de repères et vous aime beaucoup. » « Je sais. C’est surtout son chat qui me pose quelques difficultés. » « Elle fait des efforts avec Frey. » argumenta Gustine, avant de s’intéresser un peu à ce que nous faisions. « Dok ? » demanda-t-elle, en lisant le mot. « Lucius et moi apprenons le Zul’Dov. » Un sourire éclaira les traits de la Magicienne. « Oh je vois. » fit-elle avec un air espiègle. « Que voyez-vous Gustine ? » répondis-je sur le même ton. Je savais qu’elle s’apprêtait à m’enquiquiner. « C’est mignon, voilà tout, Laëth et vous. » Je souris, avec un air embarrassé, et plongeai mon regard vers l’assiette. « Je devrais manger, ça va être froid. » « Bien sûr, changez de sujet, allez-y. » Je ris et pris la main de la vieille femme. « Merci d’être là. » lui murmurai-je en la regardant dans les yeux. « Oh ! Arrêtez, vous allez me gêner ! » se défendit-elle. « Mangez ! » « Et c’est moi qui change de sujet. » « Absolument pas ! Vous avez simplement un emploi du temps chargé aujourd’hui… » Elle redevint un peu sérieuse, puis un air désolé marqua son visage. « Ces pauvres Magiciens… » Je devais me rendre au Lac Bleu plus tard, afin de rendre hommages aux trois Mages qui étaient morts sur l’Île d’Orhmior. La cérémonie était ouverte à l’armée et aux proches, même si rien n’empêchait le peuple de venir se recueillir sur les berges du lac. « Ils sont morts en faisant leur devoir. » Elle me regarda, soudainement inquiète. « Baron… Je sais que l’armée vous tient à cœur mais j’aimerais que vous évitiez de mourir en faisant votre devoir. » Je me levai, voyant que ses yeux étaient gorgés d’eau. « Gustine. Ne vous inquiétez pas. Je ne mourrai pas, promis. » Elle se reprit un peu, comme elle pouvait, et hocha la tête. Elle savait très bien que ma promesse pourrait être brisée par un mauvais coup. « Je ne me mettrai pas en danger inutilement. Il y a trop de personnes qui me tiennent à cœur pour que je fasse preuve de témérité. Est-ce que ça me ressemble ? » Elle rit, toujours émue. « Vous avez bien jeté une tomate sur quelqu’un au marché la dernière fois ! » dit-elle pour plaisanter et détendre l’atmosphère. Elle caressa la joue de Lucius que je tenais dans mes bras. « C’est vrai. Quel homme inconsidéré je fais ! »

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Eurielle - Luthien's lament
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Je me tenais droit, aux côtés d’autres soldats. Si la crémation avait déjà eu lieu sur l’Île d’Orhmior, il avait été décidé de procéder à une cérémonie funéraire sur les Terres du Lac Bleu également, afin de rendre un dernier hommage à ceux qui étaient tombés lors des expéditions. L’air grave, je regardai la barque s’avancer dans l’eau cristalline du lac. La même chanson, qui avait déjà résonné lors de la mort du précédent Nylmord, retentit de la bouche de la fausse Impératrice Blanche. Elle était accompagnée d'une petite fille, qui la soutenait dans sa tâche de sa voix douce. Si elles commencèrent seules, elles furent bientôt rejointes par la famille des défunts puis par les soldats. Mes yeux se frayèrent un chemin jusqu’à Alister Vaughan qui se tenait à droite de la Reine. Il était proche de ses hommes. Je savais, pour l’avoir espionné, que derrière ses airs de farceur, se cachait un homme responsable et droit, qui aurait donné sa vie pour sauvegarder celle de ceux qui obéissaient à ses ordres. Il se montrait digne de sa fonction et il me faudrait faire preuve de patience avant d’acquérir sa position. J’inspirai et me mis à chanter, à mon tour, un sentiment lourd et puissant écrasant ma cage thoracique. Ce témoignage d’affection, couplé à la tristesse générale, avait de quoi ébranler n’importe quelle âme. Les membres de la famille d’Orville Vaughan, de Cyaran Oursinville et d’Alambert Taiji essayaient d’être forts mais, tout comme Gustine le matin même, leurs émotions les trahissaient. Elles transparaissaient au cœur de leurs yeux et dans l’infime tressautement de leur menton et de leurs lèvres. Je n’avais pas fait surveiller Orhmior, simplement Iyora. Je pensai un instant au sort de mon propre peuple, dans le cas des Anges. Peu importe leur alignement, qu’ils soient bons ou mauvais, les Ailés faisaient preuve d’un courage exemplaire. Se relever après un génocide n’était pas donné à tout le monde, espérer encore dans une situation pourtant si désespérée… Il fallait avoir l’honnêteté intellectuelle de reconnaître cette force qui les maintenait à flot, qui faisait que chaque jour pût advenir. La barque s’embrasa autour des urnes funéraires sans jamais les toucher. Dans mes prunelles se reflétèrent les flammes du feu bleu. J’allais finir d’exterminer les Démons, ainsi que tous les peuples déraisonnables et primaires qui ne voudraient pas discuter. Dans le ciel, trois buses volaient, tournant en rond autour du lac dans un ballet aérien lent et majestueux.

Quelques longues minutes plus tard, je me trouvais au sein du domaine de l’un des capitaines de la Section Aragon. Il avait invité quelques centaines d’individus sur ces terres afin de faire passer l’ambiance solennelle et lourde de la cérémonie. Il fallait voir le bon côté des choses, également : les Anges acquéraient de nouveaux territoires. « Nous n’avons plus qu’à espérer que les choses ne cesseront pas de s’améliorer pour nos alliés. » dit l’homme, en terminant son discours. Nous savions tous que des explorations, comme des guerres, ne se menaient pas sans perte. C’était quasiment inévitable. Les maladies, les accidents ou encore les combats étaient les résultantes logiques d’un voyage sur des terres non encore explorées. Je portai mon verre de vin blanc à mes lèvres. « Comment se porte votre jambe, Baron Paiberym ? » me demanda une guerrière que je ne connaissais pas encore. Je la saluai d’un signe de la tête. « Si je cessais de tenir à m’entraîner tous les jours, sans doute se porterait-elle mieux. » lui répondis-je dans un sourire. « Vous devriez faire attention à ne pas aggraver votre cas. » « J’essaye. » Je n’avais pas le choix. Mon cas s’aggravait dans tous les cas. Je n’aimais pas la position dans laquelle je me trouvais, sans aucune possibilité de justifier officiellement mon état. Adélie m’avait aidé comme elle avait pu. Les médecins également et le secret médical était d’une grande aide, eu égard à mon pronostic vital qui était plus qu’engagé. Vivre avec ma mort probable sur les épaules avait un goût particulier. Malgré la promesse que j’avais faite à Gustine, je savais que je pouvais mourir dans deux jours, comme dans six semaines. C’était incertain et la magie blanche que je m’inculquais ne faisait que retarder l’inévitable. « Je ne voudrais pas être porteuse d’une mauvaise nouvelle mais il se peut que votre hiérarchie vous demande de stopper vos activités physiques jusqu’à votre rétablissement. Si la section Aragon fait partie de l’armée, vous n’avez pas besoin de devenir un guerrier exemplaire du jour au lendemain. » J’inspirai. « Je sais. Je veux juste me montrer fiable. » « Un soldat fiable est un soldat qui pense d’abord avec sa tête. » me dit-elle avec un ton qui laissait présager qu’elle ne doutait pas que j’eusse cette qualité là. « Je suis Bétina Vaughan, capitaine de la section Marivaux. En réalité, si je suis venue vous parler, c’est pour une raison. Cela me ferait plaisir que vous serviez également sous mes ordres. Vous êtes connu pour vos dons et actions pour les associations et je me dis que vous feriez un soldat exemplaire. Je sais que le bien-être des autres vous tient à cœur, c’est ce que je recherche. Je pourrais vous envoyer dans des missions qui ne vous demanderont pas beaucoup d’efforts physiques lorsque ça ira un peu mieux. » Je la regardai un instant en silence, faisant mine de réfléchir. « Avec plaisir. » dis-je. C’était mon objectif. Si je voulais devenir le Chancelier Nylmord, je ne pouvais me contenter d’une évolution hiérarchique dans une seule section. « Parfait. »

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