Objectif : Daé passe les épreuves de la nuit de Dallsha
Musique

« Fais face à l’Astre
Il te fera face
Fais face à l’Aether
Elle te regarda
Fais toi face
Tu te regarderas »

Fragment de sagesse Rehla

Certaines traductions de l’Oraédera traduisent « Fais toi face » par « Fais face à l’Arche » en référence directe à Kidaraé. Le consensus traduit la référence de manière moins directe, afin de laisser « une plus grande interprétation aux écrits de sagesse prophétique » (sic). Ce fragment de sagesse est passé de générations en générations. Certaines personnes disent qu’il n’a plus de sens prophétique, mais un simple sens de guide qui permet de se rassurer aux jeunes Somnae qui se préparent aux épreuves de la nuit de Dallsha. Daé ne tombera jamais sur ce fragment de sagesse, apparemment, il n’était pas destiné à l’avoir. Il n’empêche qu’il faillit tomber dessus le jour où il prit le temps d’aider un vieux Rehla à faire ses courses et qu’il était sur le point de lui dire ces mots. Lorsque Daé disparut aussi vite qu’il était arrivé, car il devait « faire encore beaucoup de choses avant la tombée de la nuit », le vieux avait souri en consultant le futur et en voyant en effet que la Ligne du Temps ne prévoyait pas que le Somnae tombe dessus. Nous pourrions discuter ici des conséquences du non-savoir de cette pièce de sagesse, mais étant donné que le destin n’aurait jamais pu être tel que Daé en aurait entendu parler, cette discussion n’aurait absolument aucun sens.

« Lua Eyael est l’avancée mécanique du jeu. L’avancée d’un jeu qui nous dépassera toujours et c’est là que les plaines rouges prennent tous leurs sens. Il n’y a pas dans les terres Rehlas autre chose que ce qu’iels trouvertondans les étoiles rt pourtant, jeune Somnae, tu me lis à un moment important, comme celleux qui sont passé.e.x.s avant toi et celleux qui seront après. Je ne sais pas pourquoi encore, mais sache la chose suivante :
Les tigres et les panthères peuvent avancer partout, même dans les plaines rouges. Peut-être même que tu verras se faire dévorer les lucioles que tu as toujours vu virevolter autour des cristaux sur lesquels tu marchais.
N’en fais rien.
Les lions et les dragons sont nulle part, mais veillent, malins, anciens, aussi malins et anciens que peuvent l’être les plus puissants Aetheri, mais pourtant certain.e.x.s ne peuvent rien faire. Et ne pourront jamais rien faire.
Toi non plus n’en fais rien.
Veillent touxtes celleux qui le doivent et veillent touxtes celleux qui le peuvent, tu veilleras aussi.

Lorsque je parle d’avancée mécanique du jeu, je parle du jeu comme du temps et de sa mécanique comme de vous. Peut-être devrais-je dire nous. Lorsque je parle de mécanique, je parle de toi. Car tu ne me lis pas comme ce que tu lisais hier ou liras demain. Tu lis ce que tu dois lire. »

On toqua à la porte. Daé leva les yeux de l’ouvrage, petit et finement relié, qu’il tenait dans une seule de ses mains. Il cligna plusieurs fois mécaniquement des yeux pour qu’ils s’habituent à l’obscurité qui régnait. La nuit était tombée depuis longtemps maintenant sûrement et il s’était perdu dans la lecture de presque cent pages d’un ouvrage étrange qui était sur sa table de nuit lorsqu’il était rentré. Il ne prit pas le temps de se poser des questions étant donné que saon meilleurx amix était là et le regardait avec un regard si bienveillant que cela lui rappela tout ce que Daé éprouvait pour lui. Une sorte de mélange fort entre de l’amour et du désir. Quelque chose que ni l’un.e, ni l’autre n’avait jamais nommé, mais qui était en tous cas fait pour exister et pour exister longtemps et joyeusement. Daé n’avait pas demandé spécialement à Yzex de venir le rejoindre, mais ce dernier savait le stress qu’éprouvait son meilleur ami et savait le moment étrange qu’était le passage au temple de Phoebe pour devenir Aurum. Il l’avait vécu et les deux en avaient déjà parlé lors de longues nuits de discussions sur les toits du quartier des Plaines Rouges. Les deux amixs se tombèrent dans les bras en souriant. Le futur ex-Somnae avait les larmes aux yeux, de stress. Yzex lui susurra à l’oreille : « Tout va bien se passer. Tu sais très bien que si on t’y envoie, c’est que c’est le moment. » . Daé sourit à nouveau et se concentra sur l’odeur sucrée que dégageait le parfum d’Yzex. Cette odeur était rassurante. Les questions fusaient dans la tête du Rehla à moitié habillé qui s’était arrêté de faire toutes ses tâches pour se plonger dans son livre. Des questions sûrement normales sur sa responsabilité, sur ses choix, sur la passivité, sur est-ce qu’il était vraiment possible de faire ce que le Destin attendait de lui. On ne lui avait que peu parlé des Rehlas qui avaient échoués et il avait peur d’être de celleux-là. Non pas parce qu’il avait peur qu’on ne parle pas de lui, mais parce qu’il craignait ne pas être prêt. Heureusement les bras de saon meilleurx amix étaient là. Et ils resteraient là tant qu’il en aurait besoin. Il déserra son étreinte pour regarder Yzex. « Bon ça tombe bien que tu sois venue, je suis incapable de savoir quoi mettre ! Parce qu’on nous a dit « tenue officielle », mais rien de plus. Sauf que tu sais bien que des tenues officielles j’en ai au moins quatre que mes parents m’ont faites et que la plupart sont « spécifiquement pour les grandes occasions », je cite ! » Yzex éclata de rire et se vautra sur le lit de la petite pièce qui servait de seule pièce de l’appartement.

~~~

« Comme ça alors ? » « Oui, parfait ! » Daé sourit pleinement et se mit en tailleur au sol pour commencer à se mettre une touche de fond de teint et pour faire ce qu’il avait prévu avec ses fards. Les deux amixs s’étaient décidés à choisir la dernière tenue, une tenue faite en partie par le père de Daé en partie par le Rehla lui-même qui combinait une chemise avec épaulette et légèrement ouverte à l’avant, dans les noirs et gris, avec une sorte de jupe. L’entier de la pièce s’enfilait d’une traite et se finissait avec une légère fente qui laissait apparaître les chevilles et le bas des mollets de Daé. Les assemblages, par couches, de noir et de gris, laissaient parfois apparaître quelques coutures en bleue nuit intelligemment placée pour qu’elles mettent en valeur l’amplitude du tissu, pour les jambes, et sa coupe assez stricte, pour la chemise. Le choix des chaussures étaient partis sur de touts petits talons, quelques cm à peine et qui se terminaient comme une chaussure de costard classique. Daé se releva. Son fard bleu foncé était estompé de telle sorte à ce qu’il se fonde avec le gris metallisé qu’il avait posé en abondance dans le creux de son œil. Sa paupière mobile affichait un dégradé qui semblait faire son petit effet à Yzex. L’autre œil ne portait qu’un trait de liner blanc qui allait jusqu’à quelques centimètres après la fin de son œil. Comme la jupe n’était fendue que d’un côté, l’asymétrie plaisait à Daé. Il se trouvait beau en fait. Beau et peut-être un peu plus prêt qu’avant. C’était une bonne chose. Alors qu’il s’apprêtait à partir en se regardant une dernière fois dans le miroir pour être sûr que tout était parfait il sentit le souffle d’Yzex derrière lui. Le Somnae se retourna. « Je peux ? » « Oui. Mais si tu niques mon maquillage, c’est toi qui me le refais. » « Deal. »

Ce baiser avait, dans la bouche de Daé, un goût un peu particulier. Il ne savait pas en quoi. Ce n’était pas le maquillage couleur rose pâle que portait Yzex, non c’était peut-être celui qui se rapprochait d’une sorte de plénitude et de joie. Il dura longtemps, et il fut tendre et calme. Un baiser câlin. « Tu vas être en retard petite tête ! » « Tu sais que quand je serai Caeli, ce surnom n’aura plus de sens ? » « Haha ! Allez, va déjà survivre à la terrrrrible épreuuuuve de l’arche ! »  « Imbécile ! » Daé lui mit une fausse claque qui ressemblait plus à une caresse et sortit de chez lui, descendit les escaliers qui le menait à la porte de l’immeuble qu’il partageait avec d’autres étudiant.e.x.s et se retrouva dans la rue. Le quartier des Plaines Rouges était plus agité que d’habitude à cette heure-ci. Les Somnae convergaient en direction du temple de Phoebe et quelques Rehlas suivaient les camarades de Daé pour aller assister à la cérémonie, une cérémonie qui ne ressemblait pas à un autre nouveau cycle de Dallsha, car elle faisait entrer dans la société Rehla pleins de nouveaux membres. « Tu viens ? » « Je sais pas si je vais réussir, là j’ai rdv bieeeeen loin d’ici. »  « Je comprends. On n’a pas le choix hein. » « Tu vas réussir ! Je penserai fort à toi ! » « Merci ! » Yzex disparut dans un souffle léger. Il avait amélioré ses techniques de téléportation récemment et Daé trouvait ça beau. Il avait gentiment l’impression que lorsqu’iel disparaissait, c’était comme si l’espace avait simplement effacé sa présence. Daé, en marchant mécaniquement en direction du temple de Phoebe, se mit à penser qu’il y avait peut-être quelque chose qui réunissait tous les êtres vivants de ces terres, voire simplement tout ce qui les composait. Il pensa à une liste de catégories qui peut-être résumaient des questions d’ontologie basiques, sur la question du qui suis-je. Il se dit que peut-être ce à quoi il était en train de penser avait plus à faire avec une question de langage et que peut-être que ces catégories ne s’appliquaient que dans une langue donnée. Quoique des choses comme le verbe « être » qui existaient en Oraédera et en langage commun devaient bien exister ailleurs. Ces catégories avaient-elles alors un sens ? Sa pensée fut interrompue par la magnificence da la lune qui veillait sur ses enfants en ce soir si particulier. Elle était parfaite, ronde, pleine, brillante, pure. Elle savait ce qui s’était passé, ce qui se passait et ce qui se passerait et ce soir elle serait peut-être chuchotante aux oreilles de Daé. En réalité, ni lui, ni aucun de ses autres camarades ne comprenait vraiment ce qui était en train de leur arriver. Même s’iels avaient entendus parler des heures durant de cette arche et de ce passage, quelque chose résidait. Quelque chose qui semblait au centre même de cette nuit. Personne, même en essayant consciencieusement, n’avait jamais réussi à mettre des mots précis sur ce qui leur était arrivé. Touxtes étaient ressorti.e.x.s grandi.e.x.s et sûr.e.x.s de leur place parmi les leurs, mais touxtes restaient terriblement cryptiques lorsqu’iels en parlaient.

Daé traversa l’immense cité des Rehlas et plus il se rapprochait du temple de Phoebe, plus il avait la sensation que le stress n’était pas complètement descendu. Les notables Rehlas et autres personnes importantes se dirigeaient au même endroit que lui, certain.e.x.s de ses professeur.e.x.s le saluait en souriant. C’était un moment de fête, mais touxtes ses camares affichaient le même air empêtré que lui. Une chose tournait pourtant dans sa tête. Comme l’avait très justement dit Yzex, il ne doutait pas une seconde des compétences de celle qui, après plusieurs heures d’écoute et de réceptivité en haut de Celiel, la plus haute de toutes les Tours de Zéphyr, lui avait remis son diplôme. Et s’il lui faisait confiance, alors tout devait bien se passer.

1935 mots

Musique

En arrivant enfin au lieu où se jouait sûrement tout le reste de sa vie, Daé souriait. Il était un Rehla et il ne connaissait pas de peuple aussi bienveillant et joyeux. Peut-être justement parce que la question de la responsabilité préoccupait bien trop les autres races. Son esprit divagua un instant en direction d’Asîlah, l’Aether des possibles. Il s’était demandé ces derniers jours de préparation et de méditation si elle était amie de la mère des Rehlas. Si les possibles étaient réconciliables avec la Ligne du Temps, surtout depuis la victoire de Sympan et depuis que certaines personnes de son peuple avaient parlé à Daé de cette possibilité étrange de choisir comment agir sur leurs visions. Inquiétude et réjouissance à la fois. Il arriva devant le temple de Phoebe en la remerciant de toutes ses pensées et en lui disant, joyeusement, tendrement, merci de prendre sur elle tant de choses et en la remerciant sincèrement de leur donner le pouvoir d’agir pour que la Ligne du Temps reste aussi droite qu’elle l’avait toujours été. Pour la première il trouva une forme de beauté dans la droiture de cette ligne qu’il ne distinguait même pas. Qu’il ne connaissait pas vraiment. Il l’avait entraperçue, mais ne la connaîtrait sûrement jamais dans son entier, car seul le Sin Luxinreïs pouvait comprendre le Tout. Mais ce soir, alors qu’une bruine se levait sur la cité du peuple blâfard, on allait peut-être lui confier un petit morceau de ce Tout à lui aussi. Une infime partie. Et il en était excessivement fier. Il monta ces marches qui menaient au temple, Somanae, il savait qu’il les descendrait Aurum.

~~~

Les Rehlas les plus importants de la cité étaient réuni.e.x.s, bien habillé.e.x.s et l’ambiance était à la fois aux douces mondanités et à la cérémonie sacrée. Les codes de cette cérémonie bousculaient ce que Daé avait pu entrevoir jusqu’alors. Il avait toujours envisagé cette cérémonie, mais jamais il n’avait vraiment été proche de ce qu’il vivait maintenant, et ce à cause d’une raison très simple. Son excitation était immense. Il savourait chaque détail du temple dans lequel il attendait depuis plusieurs minutes maintenant. Au loin il voyait s’étendre l’allée qu’il avait emprunté pour arriver jusqu’ici, de la hauteur à laquelle était érigé le temple, les torches semblaient bien petites et pauvres. Les marches commençaient tranquillement à se vider du monde qui les avait foulés pendant de longues minutes d’arrivée. Les jeunes Somnae étaient toustes réuni.e.x.s au même endroit, face à elleux se tenaient leurs enseignant.e.x.s et celleux qui les avaient formés et dans le tas de Rehlas qui étaient présent.e.x.s, peut-être une petite centaine, environ dix fois plus que de Somnae prêt.e.x.s à entrer en communication avec Kidaraé, dans ce tas, Daé prit le temps de détailler les personnes présentes. A la fois pour tenter de se souvenir de ce moment qu’il savait important, tant pour son avenir que pour la société, et à la fois pour essayer de comprendre qui était venu pour qui, qui était là en sa qualité de figure politique importante. Il était nécessaire pour Daé de comprendre parfaitement de bien comprendre le fonctionnement politique. Non pas pour fomenter, à la manière alfare ou sorcière, son peuple, guidé divinement vers un destin important et dessiné n’ayant pas besoin de ce genre de manigances, mais afin de pouvoir être pleinement acteur de cette société qui oscillait en permanence entre places occupées depuis des années et nouvelles personnes qui accomplissaient leur destin.

Ses pensées s’égarèrent un instant de son inspection du public, il se demanda ce que ça faisait que de devoir supporter en permanence le poids des visions du monde et de la Ligne du Temps, ce qu’il ne connaissait pas encore. Il se demandait s’il deviendrait un Apprenti des Astres ou de Yeul. Il avait réussi à ne pas vraiment avoir d’espérance, même s’il avait la sensation que les Astres l’attiraient plus que la voie du Temps, mais l’Arche déciderait. Il se demanda aussi les Maître.sse.s du Temps avaient également le pouvoir de voir le chemin que la Ligne du Temps devait prendre, c’était quelque chose qu’il ignorait, car pour l’instant il n’avait appris que des choses basiques sur le fonctionnement de sa société, basiques, mais nécessaires. Il se réjouissait d’en apprendre plus, mais pour le moment il tenta de calmer son esprit qui ne rêvait que de s’égarer, excité par la centaine de choses qui lui arrivait en même temps. S’il avait pu vivre ce moment une dizaine de fois pour l’explorer de fond en comble et tenter de comprendre tout ce qui s’y jouait, il n’aurait pas hésité une seule fois. Peut-être même serait-il destiné à y revenir, car il serait devenu Apprenti de Yeul et que des réponses allaient s’y trouver. Mais comme il y avait une chance tout aussi égale pour qu’il doive juste profiter simplement de cet instant, il essaya de calmer la machine frénétique qu’il avait dans la tête à ce moment-là.

Son regard s’arrêta sur le Sin Luxinreis en personne, une tasse de café à la main. Son regard semblait fuyant, mais concentré à la fois. Il était magnifique et puissant, un port de tête à la fois détendu et propre aux leaders, il faisait à Daé à la fois cet effet qu’ont les puissants qui impressionnent et celui des parents qui apaisent. Il savait que c’était lui qui réveillerait Kidaraé au moment opportun et il savait que depuis aussi longtemps qu’il s’en souvenait, il régnait sur son peuple avec justesse et sagesse, tel l’élu de Phoebe qu’il était. Le jeune garçon aux cheveux blancs se demanda ce que ça faisait de savoir ce qui se passerait dans quelques secondes comme dans milles lunes, comme il devait sûrement le savoir. Il se demanda si ce sentiment était satisfaisant ou affreux. Il prit plaisir à imaginer sa vie, est-ce qu’il avait également une identité officielle dans une autre race ? En dirigeait-il même plusieurs ? Ces pensées firent sourire Daé et à peine eût-il le temps de se demander quand la cérémonie allait commencer que le Sin Luxinreis, par son déplacement dans la foule, lui répondit. Il ne s’avança que de quelques pas, mais le silence se fit. A ses côtés, les Eloquis, Oracles comme Seigneurs et Dames du Temps souriaient ou attendaient patiemment. La plupart dégageaient ce même air à la fois présent et absent qui avait tant troublé Daé chez le Sin Luxinreis. Alors que Caleb Suellan finissait de dire quelques mots, il se retira et la cérémonie commença comme on avait dit à Daé qu’elle commencerait. On lui avait appris la partie rituelle, ce qu’il devait savoir. On lui avait fait revêtir la cape rituelle bleu nuit que toustes celleux qui s’approcheraient de l’Arche portaient ce soir-là. Quelques regards s’échangèrent entre les Somnae présent.e.x.s et la première s’avança. Elle reste vers l’Arche peut-être une minute, peut-être cinq, Daé n’était pas bien sûr, car le temps semblait commencer à se dilater. Comme si le seul temps en jeu était désormais celui qu’il fallait et qui était de la bonne durée. Il se rendit compte que Phoebe observait ses enfants avec soin, accrochée dans les cieux au milieu de ses amies les Astres. Après que la première eût terminée, elle se dirigea vers le Sin Luxinreis, toujours en train de laconiquement boire son café, son regard posé sur l’Arche et il lui adressa quelques mots. D’émotions, la Somnae, désormais Aurum pleura et se dirigea vers sa famille qui souriait. Le temps passa, Phoebe traçait sa route et bientôt vint le tour de Daé. Il souffla un grand coup et s’avança au centre du temple où l’Arche faisait se refléter la lueur de la lune dans son voile bleu nuit. Comme toustes avant lui, il prononça la prière rituelle. A genoux, devant l’entier des personnes importantes de son peuple et de sa vie, il leva les yeux vers la lune et dit, à mi-voix, ses mots qu’il avait tant répétés : « Phoebe, comme tous mes adelphes, je suis tien. En ce soir où tu renais, permets-moi de renaître. En cette nuit où tu veilles, accompagne-moi vers mon éveil. En ce temps où tu vois tout, permets-moi de voir une partie. Phoebe, sois ma guide. Phoebe, sois mon amie. Phoebe, sois ma reine.  En échange, je serai ton plus fidèle Aurum. » La foule semblait, comme à chaque autre passage retenir parfaitement son souffle, le silence était parfait. Daé attendit. Il ne savait pas combien de temps il devait attendre, mais à nouveau il savait que les minutes qu’il prenait, agenouillé dans ce temple, étaient des minutes justes, des minutes belles. Il avait réussi avec succès l’épreuve de Malicia de Luhcil, ce qu’il vivait maintenant n’était pas une preuve, mais il dédiait, encore une fois, sa vie à celle qui lui avait permis de l’avoir. Après peut-être cinq minutes, il se releva, souffla un grand coup et baissa le capuchon de sa cape. Ses cheveux blancs semblaient d’une pureté infinie, bénis par la lumière de Phoebe, qui peut-être répondait à sa prière. Ses boucles d’oreilles luisaient également légèrement et sa tenue, si bien adaptée, fit sourire ses parents qui se tenaient blottis l’un contre l’autre au deuxième rang de la foule. Daé les aperçut du coin de l’œil et sourit. Il aurait aimé qu’Yzex soit là, mais Phoebe en avait décidé autrement. Il ne pleura pas, n’y pensa même pas et s’avança en direction de l’arche. Son regard aperçut, à un pas à peine de l’arche, deux grands-mères de la famille Miirafae qui souriaient à pleines dents de voir un rejeton de la dynastie continuer à honorer l’honneur du nom familial. Car ce nom, même si Daé ne s’en rendait peut-être pas compte, était connu parmi les Rehlas et il ne faisait que marcher sur les traces de ses ancêtres en foulant les pierres de ce temple qui était lisse tant on s’était prosterné sur ses pierres.
Plus rien n’était à voir apparemment, car le Rehla arriva en vue de l’arche et ferma les yeux en approchant sa tête des volutes bleutées et argentées qui parcouraient Kidaréa.

Les volutes semblèrent s’agiter un peu plus qu’avant, comme si elles se réjouissaient d’accueillir une nouvelle personne. On avait expliqué à Daé qu’il ne fallait pas traverser, mais simplement s’en approcher et tenter de retrouver le même état qu’il avait trouvé lors de son examen avec Malicia de Luhcil. C’était peut-être même pour ça que c’est une épreuve de ce type qu’elle lui avait proposée. Et étonnamment, cet état lui vint très rapidement, comme si son esprit s’était préparé depuis plusieurs jours maintenant. Ce qui était sûrement vrai. A peine ferma-t-il les yeux qu’il se senti transporté ailleurs, bien loin dans l’espace et le temps.

Maintenant commençait son épreuve. Les souvenirs de ses visions deviendraient ensuite flous et étranges, juste une sorte d’impression. Pourtant, si Daé avait pu les revoir dans plusieurs centaines de cycle de l’Astre Lunaire, il aurait compris que tout son futur était en train de se dessiner devant ses yeux.

1893 mots

Musique

Les visions se succédaient depuis plusieurs secondes maintenant. Tout semblait aller si vite que Daé n’en voyait pas les détails et pourtant il avait l’impression qu’il était saturé d’informations et qu’il n’en retiendrait qu’une infime partie. Le reste était travail d’inconscient et il n’avait pas à s’en soucier.

~~~

Tout était sombre et triste. La pluis battait la falaise violemment et dans la rue les quelques personnes qui n’utilisaient pas de boucliers faits de magie pour se protéger de l’eau s’abritaient comme iels pouvaient et semblaient courir pour rentrer chez elleux. La tempête semblait faire rage, annoncée par les vagues qui frappeient mécaniquement les rochers qui grimpaient, surplombés par cette ville sombre, haute et élancée. Les regards des gens étaient froids et hostiles et en fond des cris répétés parvenaient aux oreille du Rehla qui ne se voyait même pas, mais qui avait juste l’impression d’assister à une représentation extrêmement réaliste d’une pièce de théâtre. Dans les rues, des gens parlaient une langue dont il ne connaissait rien, mais qu’il avait déjà entendu ses parents utiliser à plusieurs reprises lorsqu’iels conversaient entre elleux. Les pavés devenaient remplis de boue et le regard de Daé avançait dans les rues, personne ne semblait le voir, mais toujours ces incessants cris.

~~~

Les tours de Zéphyr étaient grandes et belles, comme à leur habitude, ce matin Daé revêtait comme à son habitude ses habits de travail et était au même endroit, toujours au même endroit. Cette table de travail usée par ses ongles qui grattaient lorsqu’il ne comprenait pas un concept.

~~~

Yzex ne pleurait pas, mais semblait si triste. Daé ne l’avait jamais vu comme ça, son regard d’habitude toujours empreint de joie semblait prêt à exploser en des torrents de larmes. La sensation était étrange, car le jeune Rehla sentait bien que la tristesse de son ami n’était pas une tristesse normale, il lui parla, il lui hurla en lui demandant des explications, mais rien ne passa, rien, absolument rien.

~~~

Retour à la falaise et aux rues pavées. Le seul point d’accroche que Daé pouvait trouver dans cette vision qui ressemblait de plus en plus à un cauchemar n’était nulle part. Phoebe était aussi immensément absente que d’habitude elle était belle. Alors que le Rehla essayait de la prier, dans sa bouche venait d’autres syllabes qu’il s’entendit répéter. « Ethelba ». Il ne savait pas qui elle était, mais à nouveau, ses parents en parlaient parfois et tout cela commençait à lui faire peur, car il avait peur de comprendre. Toujours les mêmes cris.

~~~

Une scène de sexe. Tendre. Incroyable. Câline. Une scène comme on en vit peu, car elles ont en même temps le goût des premières et des dernières fois. Lae partenaire était flou.e, comme si tout n’était que sensation. Mais une sensation de pur plaisir, pas de création ici, pas d’actes pour un autre, une simple scène de sexe.

~~~

L’image étrange d’Arès Taïji, rencontré il y a des lunes dans un châlet sur l’île de Boraür. Arès qui sourit à pleines dents en enserrant Daé. Ce dernier voit la scène de loin. Très étrange scène, car en la voyant Daé ne peut pas dire si celui qui l’enserre semble cruel ou apaisant.

~~~

Même scène de sexe, mais baignée dans du sang. Même tendresse, même goût de première et de dernière fois, mais cette odeur ferreuse et iodée du sang.

~~~

De l’extérieur, la cérémonie ressemblait exactement aux autres cérémonies. Toustes étaient passé.e.x.s par là et savaient que cette épreuve était éprouvante. Car pour la première fois une partie nous était révélée et même si on ne s’en souvenait pas très précisément, ces marques restaient et réapparaissaient même parfois. Daé ne bougeait pas et semblait calme et apaisé. Le Sin Luxinreis semblait lui voir plus de choses que tous les autres et évidemment, il savait la place de chacun.e.x de ses enfants et distinguait ce qui se passait entre Kidaréa et Daé à ce moment-là. La pluie s’était levée depuis un moment déjà, mais personne n’en avait tenu compte. Si Phoebe souhaitait pleurer sur cette cérémonie, alors les Rehlas accueilleraient ses larmes comme cadeau. Et alors que la bruine couvrait toutes les personnes présentes de sa fraîcheur, Daé était encore en train de naviguer à travers ce que lui dictait Kidaréa.

~~~

« Ethelba » Ce nom qui revenait comme une rengaine et la scène était différente désormais. Plus de cris, mais le silence. Qui en devenait presque pire. Parce qu’il faisait résonner les cris encore plus loins et plus longtemps. La bâtisse était recouverte de sang et tous les tissus étaient rouges. Plus aucun motif.

~~~

Le câlin du Taiji.

~~~

Le Sin Luxinreis qui regardait par une fenêtre en semblant chercher quelque chose du regard.

~~~

L’odeur de fer et de sang.

~~~

Une vision plus longue et très étrange, car il ne s’y passait rien. Daé était au centre d’une immense plaine et rien. Pas de vent, pas de gens, pas de détails importants, une sorte de vide. Il essaya de se concentrer pour voir quelque chose, mais malgré ses tentatives, rien n’apparut. Il avança un peu et vit ses parents lui sourire. Il les serra dans ses bras. Au loin il voyait Yzex dans le même état qu’avant, mais sans savoir pourquoi il ne se dirigea pas vers lui. La plaine était verdoyante et ressemblait à un tableau. Les brins semblaient couchés, tous dans la même direction, par une bourrasque qui n’existait pas, comme si le temps était arrêté. Ses parents ne bougeaient pas non plus. Yzex non plus. Daé essaya de se concentrer pour les faire bouger, mais rien non plus. Juste une sorte de vide.

~~~

Retour aux tissus écarlates et au silence qui était maintenant au centre de toutes les visions. Pour la première fois Daé eût une pensée qui prenait en compte ce qui était en train de lui arriver. *Et si j’étais en train d’échouer aux épreuves de l’Arche ?* Il tenta de ne pas prendre ça en compte et souffla tout ce qu’il pût pour sortir cette pensée de son esprit.

De l’extérieur les gens le virent inspirer calmement et souffler tout aussi profondément et calmement.

Il devait retrouver cet état qu’il avait déjà trouvé, cette disponibilité. Au milieu de cette boutique faite de sang et de tissus rouges, qu’il semblait connaître sans connaître, il ouvrit légèrement la bouche, ferma les yeux à demi et se concentra pour ne pas se concentrer sur quelque chose, mais pour rester l’esprit libre. Cela prit quelques secondes, mais sembla fonctionner. Il semblait même avoir une action sur ses visions. Il arrivait à bouger, calmement, peu, à l’intérieur de l’échoppe et le silence n’était plus un problème. Les tissus étaient tous doux, une sorte de soie similaire à tous endroits et dans les reflets de certains semblaient s’afficher quelques images.

Si des gens avaient pu observer Kidaréa de plus près à ce moment-là, iels auraient vu des reflets pourpres infimes au milieu des volutes bleutées.

Si Daé avait réussi à observer les tissus de plus près ce moment-là, il aurait vu des reflets bleutés sur certains des tissus pourpres.

Il aperçut un fragment de la lune. De la bruine et des gens amassés. Le tout sur les tissus qui semblaient, gentiment, à nouveau s’animer sous un vent qui avait disparu depuis l’épisode sur la plaine.

Au bout de ce qui sembla durer peut-être des heures à Daé et qui ressembla à une petite dizaine de minutes de l’extérieur, Daé ouvrit les yeux et releva la tête en l’éloignant de l’Arche.

Ses cheveux, trempés à force d’être caressés par la bruine étaient plaqués contre son visage et sa cape et ses habits collaient maintenant à son corps. Il ressentait à la fois cette sensation désagréable d’être resté trop longtemps dans des habits mouillés et un sentiment de paix intérieur intense. Quand il se releva, ses vêtements collèrent différemment contre son corps et il se rappela de tout un tas de sensation physique que, perdu dans son monde intérieur et dans les visions de Kidaréa, il avait oublié. Le froid glacial de sa manche qui touchait maintenant son bras le fit sourire. Il savait qu’il avait réussi. Il ne savait pas ce qui s’était passé et à peine s’était-il relevé que la majorité de ce qu’il avait vu était en train de s’éloigner, flouté par sa conscience qui reprenait le dessus afin de le faire se mouvoir devant les yeux aimants de son peuple. Il n’avait que des vagues sensations de vert et de rouge et un goût ferreux et iodé qui semblait lui rester sur le fond de la langue.

Une question subsistait encore, dans quelle voie continuerait-il son apprentissage ? La question lui tournait en tête et il espérait bientôt avoir la réponse. Après s’être relevé et, aussi discrètement que possible, secoué les jambes engourdies d’être restées agenouillées si longtemps, il avança en direction du Sin Luxinreis, en contournant l’Arche. Il avait envie de rester vers elle, de la contempler, mais il savait que la suite du rituel voulait qu’il se présente devant Caleb Suellan pour qu’il lui révèle dans quelle voie ses études allaient continuer.

Alors que sa démarche devenait de moins en moins gauche au fur et à mesure que ses jambes retrouvaient leurs sensations et que sa conscience reprenait le dessus sur l’état nébuleux duquel il sortait, il vit du coin de l’œil une boucle d’oreille en forme de croix qu’il connaissait par cœur et une touffe de cheveux légèrement plus foncée et fine que la sienne. Iel avait réussi à venir. Le sourire de Daé devient lumineux et grand et Yzex sourit également. Ce regard de complicité à peine adressé valait tous les rituels du monde en ce moment.

Daé se présenta devant le Sin Luxinreis. Derrière lui, les Eloquis regardaient toujours ce qui se passait avec cet air à la fois absent et présent. Certain.e.x.s souriaient, d’autres étaient relativement austères, mais toustes étaient attentif.ve.x.s. « Bravo pour ce que tu as fait à l’intérieur de l’Arche, Daé, Apprentis des Astres. » Comme pour ses précédents camarades, les Rehlas présents applaudirent d’un seul bruit, rapide et efficace, comme une étincelle de joie.

~~~

La suite de la célébration se passa sans encombre. Daé descendit les marches comme il s’attendait à les descendre, Aurum et prêt à découvrir un nouveau monde de devoir et de dévouement. Cela le mettait en joie.

Ce soir Phoebe continua son chemin et Lua Eyael était en fête. Le quartier des Plaines Rouges où plusieurs camarades de Daé avaient vécu la même chose que lui ne s’éteint qu’au petit matin. On discuta de sensations, d’apprentissage et de la cérémonie, mais on parla aussi de ragots propres à l’école, on joua à deviner des personnages célèbres en mime et l’imitation de l’austère Caleb Suellan et sa tasse de café fit grande impression auprès de toustes les ami.e.x.s de Daé ce soir-là.

En s’endormant, dans les bras d’Yzex, Daé se souvint d’un nom qu’il n’avait jamais entendu avant : Ethelba.
Il ne savait pas pourquoi ce nom lui revenait maintenant, mais il lui revenait. Il adressa une prière silencieuse à la Prophétesse avant de fermer les yeux. Autour de lui, l’alcool aidant, il avait l’impression que tous les meubles tournaient. Il ne vomit pas, par chance. Cela aurait été une piètre manière de finir cette soirée.

1837 mots