Intrigue/Objectif : Daé doit passer un dernier examen avant qu'une professeure lui annonce qu'il est prêt pour la nuit de Dallsha, son diplôme en poche.

Musique

Plus que jamais la nuit était belle. L’Astre Reine brillait tranquillement et semblait enlacer chacun.e.x de ses enfants. La lueur de la lune était si puissante à ses yeux ce soir-là que Daé aurait pu se douter que quelque chose était en train d’arriver. Mais cela ne devait pas venir de lui. Simplement parce que c’était écrit que cela ne devait pas venir de lui. Peut-être était-ce écrit dans un livre, ça Daé n’en savait rien. Jamais il n’avait pensé que peut-être que le Sin Luxinreis écrivait tout ce qu’il voyait, peut-être que des gens passaient leur temps à écrire. Ce soir plus que pleins d’autres soirs, le Somnae n’arrivait pas à se mettre à son travail. Il était pris dans un flot de pensée apaisé, mais intarissable. Son esprit sautait tranquillement de ses considérations sur l’écriture du destin à la place de deux constellations qu’il n’avait jamais conscientisé être si proches l’une de l’autre. Ce soir il ne pensait pas à ses compagnons qui l’attendaient sûrement dans sa chambre pour le soutenir, ni à ses parents qui peut-être pensaient à lui depuis leur échoppe de Nementa Corum, non ce soir les pensées de Daé étaient toutes consacrées à Phoebe. Ses yeux étaient définitivement perdus dans la grandeur de sa Reine qu’il voyait emplir presque l’entier de la fenêtre qui était à côté de sa table de travail dans les tours de Zéphyr. Les rayonnages lui paraissaient maintenant ses nouveaux compagnons et ses discussions effrénées avec Yzex, son meilleur ami, lui avaient manqué ces derniers temps, mais à nouveau, il n’y pensait pas dans l’immédiat. Il fut tiré de sa méditation par la sensation de voir quelqu’un passer dans le couloir qui bordait l’alcôve où il travaillait. Il eût l’impression, l’espace d’un instant de voir la boucle d’oreille de Yzex disparaître dans un angle d’un des couloirs de la tour. Peut-être avait-il halluciné et vu une personne marcher un étage plus bas. Son regard ne s’attarda pas sur les escaliers qu’il aurait pu contempler à travers le sol transparent qu’il foulait, mais le Somnae ne sut pas où devait s’attarder son regard. Car c’était bien ça qui était en jeu maintenant. Ce n’était pas où il voulait regarder, mais où son regard devait s’attarder.

Pour la première fois depuis des heures, le jeune Rehla sortit de son flot de pensées l’espace de quelques secondes. Il regarda autour de lui en clignant des yeux, comme sonné. Il se surprit à se rendre compte que la nuit était tombée depuis longtemps déjà et que la majorité des étudiant.e.x.s des tours de Zéphyr avaient déserté les lieux. Et encore une fois une sensation nouvelle, la sensation étrange de devoir faire un choix. Alors que cette notion n’avait jamais été dans son éducation, déterministe au possible, il avait l’impression que devant lui s’ouvrait tout à coup pleins de possibilités. Au moment où, sans ranger ses affaires, ses cahiers et ses livres encore ouvert sur une table où s’étalait lentement une tâche d’encre à cause d’une bouteille qu’il avait renversé en se levant ; au moment où, alors que la lune ne faisait que monter éclairer le ciel de Lua Eyael ne cessant pas d’embrasser ses habitant.e.x.s ; au moment où, presque automatiquement, alors qu’il avait l’impression qu’il venait de faire un choix ; au moment où il s’engagea en direction des plus hautes salles de Cemiel, quelqu’un, dans l’observatoire, sourit à pleines dents.

~~~

Malicia de Luhcil venait de dire au revoir à une autre Somnae lorsqu’elle aperçut miroiter, dans le reflet du verre qui regardait Phoebe, l’image de Daé qui montait les escaliers en sa direction. Elle sourit à pleines dents avant de se reconcentrer sur ce que lui disaient les étoiles en cette nuit un peu particulière. Pour celleux qui savaient l’entendre, c’était une nuit où les étoiles chantaient plus fort que d’autres, pour appeler celleux qui ne les entendaient que peu à continuer sur le chemin qui était le leur. C’était ce que Daé avait senti sans s’en rendre compte, le choix qu’il avait fait était celui des étoiles et il n’était pas devenu fou en croyant que la lune brillait plus fort que d’autres nuits. Une différence à peine perceptible, mais qui n’était pas innocente, loin de là.

Le jeune Rehla arriva calmement, l’air de ne pas vraiment croire ce qu’il était en train de faire, dans l’observatoire de Cemiel. Le dôme transparent laissait apparaître une lune immense qui aurait presque pu sourire tant elle semblait proche. La surprise prit très vite place sur le visage du Rehla lorsqu’il aperçut celle qui lui enseignait la divination depuis des années en train de contempler les étoiles. Il savait de réputation que Malicia de Luhcil était une des plus grandes devineresses qu’il avait pu côtoyer et la manière dont elle semblait partout voir des choses qui l’appelaient lorsqu’elle donnait cours à Daé et ses camarades leur avait mis la puce à l’oreille que leur perception n’était que balbutiement. A peine le Somnae eût-il ouvert la bouche pour articuler des salutation polies, aussi sonné fût-il par la tournure étrange de la soirée, que celle qui l’attendait l’invita à prendre place à côté d’elle sans un mot. Sa main aux traits si fins qu’on aurait pu croire à celle d’une enfant ne faisait qu’ajouter de la magie et du mystère à cette soirée. Habituellement, et Daé s’en rendait compte, il aurait été prompt à un torrent d’ironies blasées sur la complexité de sa propre situation, mais il savait que cette nuit se devait d’être solennelle. Etranges instincts.

« Qu’est-ce que tu vois ? » Daé ouvrit la bouche en prenant sa respiration. « Non, écoute mieux avant de me répondre. Je ne pourrais pas te poser la question une deuxième fois et je sais, si tu es là, c’est que tu peux mieux entendre ce que tu vois. » Daé ferma les yeux un court instant, il profita de ce clignement prolongé au sommet de la plus haute tour de l’Université de Lua Eyael pour inspirer et expirer avec lenteur et profondeur. Cette fois il en était sûr. Son impression de la boucle d’oreille d’Yzex n’en était pas qu’une, car il était un Rehla et qu’il devait suivre ses instincts. Il ouvrit les yeux, si quelqu’un l’avait regardé dans les yeux à ce moment-là, iel aurait vu chez Daé quelque chose qu’iel n’aurait jamais vu jusqu’alors, une concentration profonde et intense qui semblait masquer l’accès immédiat à son regard. De l’intérieur Daé voyait comme à son habitude à la différence près qu’il se sentait prêt à accueillir des choses, des évènements, des envies, des instincts. Il sentait très clairement à ses côtés que de Luhcil ne se concentrait pas spécifiquement sur lui, il tenta donc de ne pas se concentrer spécifiquement sur elle. Il essaya de ne pas se poser la question de ce qu’elle voulait l’entendre dire, mais de ce qu’il entendait lorsqu’il regardait les étoiles. Après ce qui sembla être quelques secondes, mais qui était en fait plusieurs heures de la nuit, Daé esquissa l’ombre d’un minuscule sourire. Ce rictus fit immédiatement réagir la sœur Rehla qui n’avait pas bougé depuis le début de son arrivée. Elle ne tourna pas la tête, mais ses yeux se décalèrent légèrement et se dirigèrent l’espace d’une seconde en direction de son élève. Peut-être allait-ce être le moment où le Somnae ferait un grand pas dans la race qui l’avait vue naître, peut-être allait-ce être un autre simple cours de divination. Depuis le début de la nuit, Malicia de Luhcil avait, elle aussi, écouter parler les étoiles et s’était laissée totalement perméable aux envies de Phoebe, et la question avait été la même avec la camarade de Daé qui l’avait précédée, arriverait-il à entendre ne serait-ce qu’une parole, qu’une sensation, qu’un mot, qu’un geste qui mettrait le Somnae sur le chemin toujours étonnant des Aurums. Le pouvoir était entièrement entre ses mains. Ou peut-être pas. Peut-être n’était-ce pas son moment et peut-être n’y avait-il aucun impact.

La même respiration accompagnée de l’ouverture de bouche arriva aux oreilles de Malicia de Luhcil, cette fois elle ne l’interrompit pas. Dans tous les cas, le Somnae ne se serait pas laissé interrompre, la professeure de divination le savait et l’avait toujours su, la première fois qu’elle l’avait vu. Il allait passer ce test haut la main, il allait lui dire, croyant avoir raté qu’il n’entendait rien, mais qu’il trouvait Phoebe plus magnifique et décidée que jamais. Elle allait sourire, comme c’était prévu et elle allait le féliciter, car elle aussi avait l’impression que Phoebe était magnifique et décidée, elle allait ensuite lui expliquer que s’il avait dit ça c’était parce que les étoiles le lui avaient soufflé et que s’il n’était pas prêt, il aurait répondu directement lorsqu’elle l’avait interrompu. Elle allait lui parler du chemin qu’il avait fait et de celui qu’il lui restait à faire et elle allait lui annoncer que le premier cycle de ses études était fini et que la nuit de Dallsha serait bientôt la prochaine étape sur sa belle vie de Rehla qui l’attendait.

Et rien ne manqua, comme d’habitude.

« Je suis désolé, je crois que je n’entends rien. Même si Phoebe est plus magnifique et décidée que jamais. » Sourire. « Félicitations, Daé. » Daé haussa les sourcils entre surprise et questionnement. « Moi aussi, j’ai l’impression que Phoebe est plus magnifique et décidée que jamais. » Explications. Chemin. Nuit de Dallsha. Jusque-là, tout y était, mais Malicia de Luhcil avait arrêté de regarder à partir de là, l’envie de se laisser surprendre par le Somnae étant plus grande. Elle reporta son attention sur le jeune Rehla, délaissant pour la première fois depuis le début de cette si signifiante nuit la voûte céleste.

Daé affichait un sourire entre la béatitude et la surprise qui n’en finissait pas. Il regardait sa professeure avec de grands yeux, ronds et cette dernière affichait un franc sourire. Daé avait l’impression qu’elle se réjouissait autant que lui. Il regarde l’astre lunaire qui semblait observer la scène avec intérêt, comme elle devait sûrement le faire pour toutes les scènes qu’elle voyait en ce moment. Daé avait une envie folle de faire un câlin à Malicia de Luhcil, mais il n’en fit rien, rattrapé par les conventions sociales. Sa joie était grande et belle. Pure. Il ne savait pas ce qui l’attendait, et l’aurait-il su, ce soir il en faisait fi, à raison. Il s’inclina en avant et remercia chaleureusement sa professeure dans un Oraédera approximatif, mais rempli de bonne volonté. Ses sourcils étaient levés et à cet instant précis, malgré sa taille, son corps et ses vêtements, malgré ses boucles d’oreilles et ses piercings, il avait l’air d’être un enfant, un enfant à qui on avait annoncé qu’une surprise l’attendait et surtout qui ne s’y attendait pas une seule seconde.

Mais pas n’importe quel enfant : Un enfant des étoiles.

1812 mots