Assis sur un banc dominant une berge du Lac Bleu, Neah observait l'étendue d'eau à ses pieds d'un air songeur. En ce début de soirée, les remous de l'eau invitaient vraiment à la flânerie sous la lumière vespérale, donnant à l'ensemble un scintillement de couleurs. Il était si éreinté de sa journée qu'il se serait bien endormi quelques instants pour récupérer. Il était habitué, mais la pression de ces derniers temps était si ... Lourde. C'était son choix, sa responsabilité, mais ... Il y avait quelque chose qui manquait. Sans doute savait-il exactement ce qui le tracassait. Loin d'être lié à son travail au sein de la Compagnie, il s'agissait surtout de son Lien de Gardien. Et même plus.

— Bonjour, charmant garçon !

L'Ange fût assez surprit par le ton amusé de la voix venu heurter ses oreilles. Un sourire tirait ses traits lorsqu'il se retournait vers sa détentrice.

— Bonjour, belle demoiselle, répliqua-t-il, s'accordant une pause, avant de reprendre. Je ne m'attendais pas à te voir ici, Anzass.
— Et moi donc ! Ce n'est pas le genre de lieux où je m'attendais à croisrt la Canine Blanche !

La Juge Ectrie prit ensuite place à ses côtés. Elle tenait son labrys d'une emprise ferme. Celui-ci était presque aussi grand qu'elle et sa maîtrise de l'arme n'était plus à démontrée. En général, on ne se promenait pas avec des armes aussi dangereuse au milieu des civils, mais elle était une exception tant elle ne se séparait pas de cette dernière. C'était une combattante redoutable et avait très à coeur la destruction des Démons, mais ... Yüerell ne correspondait plus à ses attendes, alors Anzass avait choisi une autre voie. Celle pour laquelle son coeur battait. Elle était reconnue pour cela et personne ne lui faisait aucune remarque déplacée. Neah n'était pas idiot. Nombreux étaient les Anges, même au sein de la sécurité des Jardins de Jhēn, à avoir une arme sur eux. Ne serais-ce qu'un poignard dissimulé. Malgré les craintes qui s'atténuaient ... Beaucoup avait du mal à se sentir à l'abri. Ce n'était pas pour rien qu'il y avait des Laisi iyẹ  au sein du peuple.

— Je passais faire un achat pour mes filles. Je trouvais ces rubans à cheveux tout à fait convenables. Qu'en dis-tu ?
— Je ne suis pas très doué en mode féminine, répondit-il en observant ce qu'elle lui montrait. Ça me semble joli.
— Tu devrais commencer à t'y faire si tu te maries. Parce qu'il va te falloir trouver des choses exceptionnelles et pas seulement jolies !

Neah eu un sourire. Anzass était certainement celle qui pouvait se permettre de lui dire ce genre de choses de manière directe. Elle savait énormément de choses sur sa relation avec Mancinia. Cela n'aurait servi à rien de cacher ses fiançailles et ce, pour plusieurs raisons.

— Je suis curieuse de savoir ... comment va ma fille à Yüerell.
— Pourquoi tu ne lui demandes pas ? sourit-il, taquin.
— J'ai peur de la stressée plus que de raison ! Mes filles sont mes petits trésors, tu sais ? Je ne suis guère une mère poule, mais ...
— Tu l'es tout le temps, tu veux dire. Tu essaies seulement d'afficher une distance, mais personne n'est dupe, tu sais ?

Ils ne se connaissaient pas au sein de la Citadelle Blanche. Ils s'étaient rapprochés lorsque Neah avait perdu Mancinia. Elle avait été son soutien et elle lui avait tant parlé de sa vie, des choses anodines, de ses filles. Alvine avait une place particulière dans le coeur d'Anzass, même si elles n'étaient pas liées par le sang, ou par la race, elle estimait beaucoup l'Humaine. Beaucoup de femmes auraient mis de côté l'enfant d'une autre. Pas Anzass. Et pas seulement à cause de sa nature angélique, non. Son aînée était comme un Espoir à ses yeux. Si cela lui avait paru surprenant, Neah comprenait désormais. Il ressentait la même chose envers ses enfants. Ceux qu'il avait adoptés avec Mancinia. Il les aimait. Un sourire sur ses traits provoquait une moue désapprobatrice de son interlocutrice.

— C'est ça, moque toi donc ! Tu verras quand tu seras papa, tu seras ... Tiens, qu'est-ce que tu as à côté de toi ?
— Un cadeau pour Mancinia.

Anzass s'était avancée pour observer la rondache de plus près, s'étonnant de la savoir destinée à l'Humaine.

— Tu vas lui offrir un bouclier ? ... Ce n'est pas très romantique comme cadeau !
— Tu voyais autre chose ?
— Un bijou, des fleurs ...
— Mancinia est surnommée la Sertisseuse, répondit-il. Comment offrir des bijoux à une femme qui les fabrique ? Quant aux fleurs, elle en a plus que de raison dans sa demeure ... Franchement, autant lui offrir quelque chose de pratique.
— Et pourquoi pas ... Hum ... Une vache ?
— Laisse mes pensées tranquilles, s'il te plaît.

Anzass était amusée. Elle était douée pour se faufiler sous toutes les barrières. Et si elle ne savait pas atteindre ses pensées, elle plongeait dans celle de la concernée.

— J'ai croisée ton Humaine pas loin. Elle parlait avec ses subordonnés. Je ne t'ai rien dit, évidemment.
— Évidemment, concéda-t-il.
— Tu devrais lui apprendre à protéger ses pensées, Neah. Son antimagie est redoutable contre les intrusions des autres races, mais les Anges peuvent facilement se glisser dans son esprit. Enfin ... Facilement ... Moi, je le peux, en tout cas.
— Mais tu fais respecter la Justice.

Son regard était dur et ses paroles, amères.

— Tu penses encore que c'est l'Impératrice des Deux Rives qui s'en est prise à l'Apakan ?
— Le Reine est assassinée ... Et elle disparaît. Avoue que le hasard fait bien les choses.
— Peut-être a-t-elle été attaquée, elle aussi ? Elle était présente au Bal des Douze Cycles Lunaires, dans une tenue loin d'être normale ... Elle a peut-être pris un coup sur la tête ?

Neah ne semblait pas vouloir démordre de son accusation.

— Il y en a d'autres qui accuses l'Ultimage, d'autres encore le Monarque Démoniaque, contre qui elle aurait mené une lutte à mort ... Nous ne saurons jamais la vérité malgré toutes nos investigations. Crois-moi ... J'en suis la première contrariée. J'aurais aimée traîné le coupable devant la Justice.

Tous les deux étaient d'accord sur ce point.

— Ce qui me désole, c'est l'état dans lequel est notre peuple actuellement. On s'est redressé suite au décès de l'Apakan. Pour lui rendre hommage, nous sommes partis en explorations, sur de nouveaux territoires qu'on est loin de pouvoir appeler notre chez nous, au prix de certaines vies, mais ... Je ne sais pas. On stagne. Parce que nous n'avons aucun meneur digne de ce nom.
— L'Apakan ... est parti en nous laissant un gestionnaire.
— Quelqu'un qui nous a conduits au Génocide en raison de sa politique déplorable. Peut-on être aussi ... !

Neah se taisait, ravalant son mépris. Il avait suivi Kahel lorsqu'il avait repris la suite de l'Apakan Nydelia. Cette guerre avait été instaurée par Gaïa en agressant l'Élue des Cieux et ils avaient voulus se venger, les Aetheri se mêlant à cette partie. Seulement, l'homme n'était plus que l'ombre de lui-même et l'opposition grondait. On avait besoin de quelqu'un d'autre. Quelqu'un de plus stable, qui pouvait reprendre les rênes.

— Je pense que nous ne sommes pas tous fait pour avoir une couronne sur la tête. Et quand on abandonne son peuple aux mains d'un autre ... c'est la preuve évidente qu'on est un incapable. Oh, il avait sans doute une bonne raison. Mais ne pas nous la dire, c'est comme nous croire indigne de confiance.
— Tu veux devenir Roi, Neah ?
— R ... ? Ah ah ah ! Par Ahena, certainement pas. J'ai seulement des principes.

Cette question aurait pu le prendre au dépourvu, mais ce n'était pas le cas. Qu'est-ce qu'il avait tous en ce moment ? Ils devraient savoir que ce genre d'aspirations ne lui convenait pas. Il devait faire de son mieux pour son Peuple. Pour le Bien. Mais il n'avait aucune étoffe à commander. Anzass le scrutait, un air réfléchi sur le faciès, puis souriant.

— C'est vrai que cela ne te servirais à rien. Tu as ta Reine personnelle, hein ?
— C'est plus qu'une Reine pour moi.
— Irọlẹ ti o dara, Matasif Leenhardt !

Neah avait regardé l'Ange se redressée aussi rapidement que gracieusement pour tendre une main amicale à celle qui se rapprochait d'eux, son arme la suivant dans son mouvement, sans être agressive. Un instant surprise de sa manière de parler, Mancinia sourit pour le lui rendre sa poignée de main. Le Capitaine s'était retourné, observant la scène avec étonnement. Il ne l'avait ni entendue arrivée, ni ressentie. Quel calme dans son esprit.

— Oju sun Anzass Ectrie.

Pourquoi continuait-elle de parler en Naciaze ? Ce n'était pas nécessaire en sa présence. Neah comprit alors. Mancinia ne savait jamais si elle devait parler le Commun ou la langue maternelle des Anges lorsqu'elle se retrouvait avec eux. Y pensait-elle en voyant son amie à ses côtés ? L'avait-elle compris ? C'était effrayant. Loin de s'en formalisée, l'Humaine écoutait l'Ange poursuivre la conversation.

— Je suis ravie de faire votre connaissance. Neah m'a tellement parlé de vous !
— C'est un plaisir partagé. Il m'a aussi parlé de vous et du soutien que vous avez été.
— Oh, ce petit chenapan ! Je vais lui tirer les oreilles !
— J'en suis effrayé.

Le Capitaine avait un air blasé sur le visage, mais l'amusement teintait sa voix. Il observait Mancinia sans se cacher, celle-ci étant vêtue d'une tenue de voyage. Elle n'était venue que pour s'entretenir avec quelques herboristes sur quelques progressions quant à la substance noire qu'ils avaient récupérer. Ce n'était que quelques minutes volées pour se voir.

— Je ne comptais pas m'attarder, reprit Anzass. Je vous laisse. Merci de m'avoir accordé quelques minutes, Neah.

Elle s'était retournée vers lui pour lui faire un clin d'oeil complice, car elle avait bien compris qu'ils désiraient être seuls.

— O dara irọlẹ, reprit Mancinia.
— O ṣeun !

La Juge disparut en sifflotant. Son labrys bien visible quelques temps dans l'allée, avant de disparaître dans un tournant.

— Je ne m'attendais pas à une Ange aussi énergique !
— Vraiment ? On sait être moins sérieux que nous en avons l'air de temps à autre.

Mancinia eu un sourire taquin. Elle ne disait rien, mais il voyait bien la fatigue sur ses traits. Elle se surmenait, mais plus il lui disait, plus elle ne l'écoutait pas ...

— Tu voulais me voir avant mon départ ? reprit-elle en souriant, ravie de le voir.
— Ce n'est pas grand-chose, mais ... Je voulais te donner ceci.

L'Ange se redressait tout en prenant la rondache dans ses mains avant de la lui offrir.

— Oh ! dit-elle en le prenant de ses deux mains. Il est magnifique !

C'était le cas de le dire. Rien que l'alliage en métal surprenait par sa qualité et de la précision des détails. Mancinia le scrutait avec une certaine maîtrise. Les siens maniaient l'art du bouclier plus que les autres races, autant dire que l'exigence était élevée.

— Un bouclier ... C'est très bien pour une guerrière !
— Je savais qu'il te plairait ! Il est assez adapté pour une lancière, notamment sur son transport et sa praticité.
— C'est assez amusant, Neah. J'ai eu un entraînement récemment. Je me suis rendu compte que je négligeais cet aspect important dans ma protection et dans mon maniement.

Ayant un sourire tendre, son compagnon levait sa main pour venir remettre une mèche de cheveux derrière son oreille.

— Je pourrais veiller sur toi, même si la distance nous sépare.

1900 mots
- Laisi iyẹ  = Sans Ailes
- Irọlẹ ti o dara = Bonsoir
- Oju sun Anzass Ectrie = Je suis Anzass Ectrie
- O dara irọlẹ = Bonne soirée
- O ṣeun = Merci

Cadeau à Mancinia => Bouclier Aasà - Rondache, dont l'alliage en métal sépare en quatre le bouclier, rappelant la configuration des pétales d'une fleur. Il est possible de remarquer qu'entre chacune des séparations, qui rejoignaient l'umbo du bouclier, des arabesques avaient été gravées à même le bois, selon un motif symétrique et régulier. Il a été conçu par les Frères Rogues.