Musique

« Regarde qui voilà. » Le Magicien donna un coup de coude à l’Ange. Les deux tenaient un stand de fruits et de légumes. Le marché se tenait quelques jours par semaine et, à chaque fois, ils la voyaient débarquer, avec son grand panier en osier. Celui-ci paraissait presque plus grand qu’elle, surtout lorsqu’il était rempli. Parfois, il se demandait, avec un amusement certain, comment elle faisait pour le porter. « Arrête, elle va nous voir. » « Eh bien ? » « Eh bien elle risque de croire que l’on dit des choses dans son dos. » « C’est le cas quand même. » fit remarquer le Mage Blanc en rigolant de façon légère et entendue. « Je sais mais elle va penser qu’on dit du mal. » « Pourquoi est-ce qu’elle penserait ça ? » L’Ange fit la moue. « Ça ne se fait pas, voilà tout. Pousse-toi, je dois disposer les tomates ! » « C’est toi la tomate ou, du moins, tu en seras une dès qu’elle va arriver. » Le Magicien lui fit un clin d’œil. En réalité, ce n’était pas vrai. Ahes avait la peau foncée et il ne rougissait pas. Cependant, il suait des mains, ce qui arrivait à chaque fois que la petite Orine entrait dans son champ de vision et lui adressait la parole. « Tu devrais lui dire. » « Mais non, laisse-moi. Elle ne sait même pas que j’existe. » « Je ne sais pas… Elle demande toujours de tes nouvelles quand tu n’es pas là. » « Ah oui ? » « Non. » « … » Le Magicien sourit, un peu espiègle. Il aimait bien le taquiner, même s’il trouvait cette histoire d’amour trop mignonne. Ça avait été un coup de foudre pour son ami. Un beau jour, Kagamiko était arrivée à leur stand pour acheter des fruits et légumes. Elle venait juste de s’installer. Ahes était alors en train de trier les pommes, il s’était retourné pour mettre le cagot en évidence et il avait tout lâché. La suite avait été comique, un florilège de bégaiements et d’excuses. Depuis, bien sûr, l’Ange était redevenu normal. Il parlait de façon fluide et n’avait plus rien refait tomber. Il gardait néanmoins les mains moites.

« Bonjour ! » « Bonjour, Kagamiko. Tu vas bien ? » « Oui et toi ? » « Oui. » Ahes savait qu’elle était une Orine et qu’elle vivait avec Priam Belegad. Sa chèvre avait d’ailleurs mangé ses laitues, un jour. « Qu’est-ce que tu veux aujourd’hui ? » « Hum… Je vais prendre… des asperges… » « D’accord, combien ? » « Une dizaine. » Elle réfléchit, en le regardant faire. « Et une aubergine, deux courgettes, un poireau... » Le Mage Blanc, qui se tenait juste à côté, se mit à rire. « Oh j’ai dit quelque chose de drôle ? » demanda l’Orine, en regardant l’intéressé. Le Fils de Réprouvé s’interposa. « Laisse-le, ses hormones le travaillent. Tu n’as pris que des légumes de forme phallique et… Tu sais comment sont les Magiciens. Quand tu les rencontres pour la première fois, ils n’ont que l’étiquette à la bouche et quand tu commences à être amis avec eux, tu comprends vite que c’est un tout autre sujet qu’ils ont à la bouche. » Kagamiko se mit à rire après avoir observé le Mage Blanc. « Dans ce cas, je prendrais des tomates pour aller avec. Priam sera ravi, quand j’aurai disposé tout ça sur la table pour faire des pénis partout. » Les deux hommes se mirent à rire à leur tour. Ahes redevint néanmoins sérieux et se pencha vers elle. « Est-ce que je pourrais te parler ? Sans le Magicien lubrique. » « Oui, bien sûr. » Ils partirent tous les deux, un peu à l’écart. « Ça fait un moment que je voulais te le dire. Je pense avoir des sentiments pour toi. » « Ah oui ? » « Tu me rends heureux à chaque fois que je te vois. Je voulais savoir si tu ressentais la même chose. » « Euh… » Elle se pinça les lèvres. « C’est-à-dire que je n’y ai jamais pensé… Enfin, ce que je veux dire c’est que je m’occupe surtout de Priam et je n’avais pas vu que tu étais attiré par… » « Je t’aime, ce n’est pas juste de l’attirance. Alors je sais que ça paraît étrange puisque nous ne nous connaissons qu’à travers mon stand mais… ça me ferait plaisir que ça devienne réciproque. » « Je ne sais pas si Priam aimerait mais je peux toujours lui demander si on peut se voir. Enfin, je ne garantis rien parce que… Eh bien je dois m’occuper de lui, lui trouver une femme, lui préparer à manger, bien penser à acheter du papier pour s’essuyer les fesses, l’aider pour ses traductions, faire des gâteaux… » Elle avait commencé à énumérer les choses sur ses doigts. Il lui attrapa doucement la main pour l’arrêter. « Je pourrais te donner un coup de mains pour certaines choses, comme ça, on apprendrait à se connaître. » « Oh oui… D’accord alors ! » dit-elle en souriant.

860 mots

Musique

« Tu vas au Bal du Cygne Bleu ? » demanda Ahes à Kagamiko. « Oui, avec Priam. » « Ah. Oui. » Ils étaient en train de faire de la pâtisserie. Priam n’était pas à la maison. L’Ange avait ramené des pêches. « Tu en veux ? » « Ça t’embête ? » demanda-t-elle. Il avait essayé de changer de sujet mais c’était peine perdue avec elle. Il sourit. « Un peu mais je sais bien que ton Maître est plus important que moi pour toi. » « Oui. » L’affirmation était sans appel. Elle lui sourit néanmoins. « La prochaine fois on pourra peut-être y aller ensemble. C’est juste que Priam est un ours des cavernes… » « C’est vrai qu’il vient de Lumnaar’Yuvon. » Lui était aussi un Enfant de Réprouvés mais il avait vécu à Stenfek. La différence était flagrante. Certes, les Réprouvés restaient des Réprouvés mais leurs enfants angéliques qui vivaient au cœur de la Capitale étaient bien plus adaptés à la vie aux Jardins dès le début. « Oui et il a du mal à se trouver une copine. C’est un bon gars pourtant et il a des fesses super musclées. » « Ah ? » « On se lave ensemble alors je peux le voir tout nu. » dit-elle tranquillement, en malaxant la pâte. « Ah ! » Ahes occupa ses mains en coupant des morceaux de pêches. « Et ça ne te dérange pas, d’être nue à côté de lui ? » « Non. » fit-elle, sans voir le souci. « Tu veux de la pêche ? » demanda-t-il de nouveau. « Volontiers. » « Ouvre la bouche. » « Aaaaaahh. » Il lui déposa le fruit entre les lèvres et se mit à rire. « Je viendrais peut-être faire un tour au bal, même si je n’ai pas de cavalière. Si Priam veut bien, on pourra danser ensemble. » « Je ne pense pas qu’il restera tout le temps avec moi. Il est devenu populaire depuis quelques temps. » Elle se mit à chuchoter, espiègle. « Et tant mieux, ça lui fait plus de prétendantes ! »

« Arrête de bouger ! » fit Kagamiko à l’adresse de Priam. Elle était toute nue, derrière lui, dans le bain. Elle s’accroupit entre le bord et son dos, armée d’une paire de ciseau. « Tu es sûr que tu veux les couper ? Remarque… Ça fera un peu plus Ange. » Comme il semblait décidé, elle passa une première fois les cheveux de l’homme entre les lames. Elle ferma les yeux – il valait mieux qu’il ne la vît pas faire, heureusement qu’il était de dos – et coupa d’un coup. « Ah non ! J’ai plein de cheveux sur moi ! » s’exclama-t-elle, tout en allant chercher un seau avec sa main qu’elle remplit d’eau. Elle le vida sur elle. « Voilà, c’est mieux. » Elle se redressa un peu et se colla contre lui pour mieux voir. « Tu aimerais quelle longueur ? Plutôt comme ça ou comme ça ? » demanda-t-elle, soucieuse de bien faire. Quand elle eut sa réponse, elle reprit son ouvrage, coupant ici et là. Elle fit le tour, mit son pied entre les jambes de l’Ange et s’approcha. « Hop ! » Elle regarda son Maître. « Ne t’en fais pas, tu seras très beau ! » Elle espérait mais, déjà, si elle le lui disait, il le croirait à moitié et ce serait déjà ça de pris. « Attends t’as des cheveux sur le nez ! » Elle prit de nouveau son seau et lui envoya l'eau dans la quiche sans préavis. « VOILÀ ! » annonça-t-elle, victorieuse.

L’Orine s’approcha des stands. Elle avait un peu faim. Priam était en train de parler avec la Comtesse Vaughan, Aliénor de son petit nom. Elle sentait qu’il se passait quelque chose entre eux et avait préféré s’éloigner pour les laisser discuter. « Hum… Bonsoir, j’aimerais bien du gâteau au chocolat s’il vous plaît. » Elle tendit son argent et prit son dû. Elle croqua dedans avec un air heureux, qui se figea lorsqu’elle vit un couple, un peu plus loin. « Oh. » L’homme ressemblait beaucoup à Ahes. Ce n’était pas lui mais elle pensa à lui. Elle ne l’avait pas encore vu, même si la soirée n’était même pas à sa moitié. La femme était en train de sentir les roses qu’il lui avait offertes, tout en le remerciant. Kagamiko pensa qu’elle était seule. Était-ce si important, si Priam était heureux ? Pas vraiment, même si elle aurait aimé danser et s’amuser davantage. Rien n’était perdu. Puisque son Maître était occupé, elle pouvait toujours courir se chercher un nouveau cavalier, quelqu’un qui aimerait le gâteau au chocolat, comme elle. Elle pouvait aussi partir à la chasse à Ahes, même si elle n’était pas certaine d’avoir des sentiments pour lui. L’Orine pensait beaucoup à Priam, voire tout le temps. C’était un peu déroutant de faire entrer un homme dans sa vie, surtout qu’elle n’en avait pas encore vraiment parlé à l’Ange.

839 mots

Musique

Alors que Kagamiko fixait les couples danser, sa vue se brouilla soudainement. Elle allait donner un coup de coude à son assaillant – à la Réprouvé – mais entendit une voix familière s’élever de derrière elle. « Qui est-ce ? » « Ahes. » dit-elle, en souriant. « Bien joué. » Il tenait un petit paquet de cerises dans sa main libre, celle qu'il n'avait pas plaqué sur ses yeux, et lui en proposa. « Tu veux danser ? » Elle en prit une et la mit dans sa bouche. Elle leva l’index pour le faire patienter, se concentra et expulsa le noyau le plus loin qu’elle pût. « Ha ha ! » fit-elle, heureuse d’avoir sans doute battu son record. Comme elle ne mesurait jamais, elle ne savait pas où elle en était, mais depuis que Priam lui avait montré, elle était sûre d’avoir progressé dans ce terrible sport. L’Ange la fixa d’un drôle d’air. Elle ne le remarqua pas, bien trop contente. Il finit par se mettre à rire doucement. « Pour la danse… Franchement, je préférerais m’en aller. On peut aller chez toi, si tu veux. » « Ch… Chez moi ? » « Oui, tu habites bien quelque part, non ? » « Non, je vis sous les ponts. » « … T’es bête ! » fit-elle, après l’avoir un peu observé, pour être sûre qu’il plaisantât. « On me le dit parfois. Si tu veux venir chez moi, tu es la bienvenue. Cependant… Priam sera d’accord ? » « Il est occupé. En plus, la femme avec qui il est lui fait des fourmillements dans le bas-ventre. Parfois je le sens. » « Tu le sens ? » « Oui. » répondit-elle. « Je t’expliquerai si tu veux mais, en gros, Priam et moi sommes reliés. Alors quand il est malade, qu’il est grognon, qu’il est heureux, qu’il est en érection, je le sens. Puis il y a ses envies qui me viennent. Parfois, il a de drôles de désirs. » « Ce n’est pas trop dur ? » Elle ne comprenait pas vraiment le sens de la question. Ça lui paraissait naturel. « Non. C’est rigolo ! Comme ça, quand la nuit il a fait un rêve érotique, le matin, je peux me moquer de lui ! Et quand il a fait un cauchemar, je peux lui préparer quelque chose qu’il aime beaucoup au petit-déjeuner et lui faire des petits mots gentils ! » « C’est assez semblable à la notion que je me fais de la vie de couple. » dit-il, en lui ouvrant le chemin avec la main.

L’Orine avait passé une bonne heure à préparer la soirée. Elle avait perdu un pari qu’Ahes et elle avaient fait concernant les noyaux de cerise. Il avait une bonne propulsion, à croire qu'il avait pratiqué énormément dans sa jeunesse. C'était le cas. Il avait exigé une soirée romantique pour célébrer sa victoire. Elle avait accepté, en lui bandant les yeux au préalable. Ça n’avait pas été bien pratique puisque, comme elle n’était pas chez elle, elle avait dû lui demander où se trouvaient beaucoup de choses. L’Ange avait joué le jeu. Il lui avait expliqué la position des objets qu’elle désirait, amusé par la situation. Comme Kagamiko était petite, parfois, elle n’arrivait pas à attraper ce qu’elle voulait. Il se déplaçait alors en tâtonnant. « C’est bientôt prêt. » dit-elle. « Je sens ça. » Une odeur agréable s’élevait dans toute sa maison. « Viens ! » fit-elle en lui attrapant les mains. Elle le conduisit jusqu’à la méridienne. Elle était large, bien assez pour deux, dans la longueur. Elle lui ôta le bandeau. « Tadam ! » Elle avait disposé des petites bougies partout et un grand bol, rempli de parts de plusieurs gâteaux, se trouvait sur l’assise. Elle était allée chercher une couverture et des livres dans sa bibliothèque. Deux tasses fumantes, remplies de thé, les attendaient sur la table basse. L’Ange regarda le tout. « Séance gourmande de lecture, si je comprends bien ? » « Oui ! D’ailleurs, c’est dommage que je n’aie pas mon instrument, sinon j’en aurais joué pour toi. » « Une prochaine fois, si ton Maître est d’accord. Si ça se trouve, il va penser que j’ai essayé de t’enlever. » « Je ne sais pas trop ce qu’il fait, en ce moment… » L’homme s’assit et chipa un gâteau dans le saladier. « Tu ne t’arrêtes jamais de penser à lui ? » « Non. C’est un peu comme s’il faisait partie de moi. » Elle s’installa à côté de lui. « Tu veux rester cette nuit ? » « Oui ! Si Priam ne devient pas triste d’un coup ! On pourra se raconter des anecdotes rigolotes ! » « Oui, on pourrait faire ça. » Il sourit. « En tout cas c’est bon. » « Merci ! »

773 mots