Le printemps. Les iris de Priam couraient sur le paysage qui s’éveillait sous les rayons d’or. La flore sortait d’une agonie gelée et la faune redécouvrait des territoires transfigurés par l’arrivée des beaux jours. Les humains aussi quittaient leurs foyers pour profiter des premiers airs tendres. L’hiver avait passé lentement. Le sentiment de solitude qu’il avait créé n’avait pas disparu. Pire, il s’accentuait. Où qu’il allât, l’Ange rencontrait des familles, des groupes d’amis, des amoureux. Il ignorait ce qui était le plus difficile à supporter. Les frères et sœurs qui se chamaillaient ou se taquinaient en riant et qui lui rappelaient que sa cadette se trouvait à des centaines de kilomètres des Terres du Lac Bleu et que la date de son retour était terriblement incertaine ? Les copains qui s’amusaient ou se racontaient leurs dernières aventures et ramenaient à sa mémoire le souvenir amer de sa dispute avec Ulrich, le départ de Za pour Gona’Halv et les visages de tous ceux qu’il avait lui-même laissé à Lumnaar’Yuvon ? Ceux qui s’aimaient, se touchaient et s’embrassaient quand lui devait s’astreindre à une abstinence complète, lui qui de l’amour n’avait pas entendu le chant depuis longtemps ? En grognant, le fils de Réprouvés tira un coup de pied agacé dans un petit caillou. Celui-ci décolla de terre et retomba sur la tête de Rutabaga, qui émit un bêlement contestataire. « Désolé. » répondit-il sèchement, avant de croiser ses avant-bras, en appui sur son bâton de berger, et de poser son menton dessus. Les sourcils abaissés, le regard blasé et la lèvre inférieure avancée : il avait tout l’air du gamin boudeur. Le vent ramena une mèche brune devant son visage. Énervé, il souffla vers le haut pour s’en débarrasser. Elle vola quelques instants, puis retomba mollement. « Nutaar. » D’un geste furieux, il la plaqua vers l’arrière. Si d’ordinaire, il adorait passer du temps à l’extérieur avec ses bêtes, ce jour-là, il n’avait qu’une seule hâte : rentrer chez lui. Une hâte qui s’accentua dès qu’il entendit les horribles gloussements d’une abrutie en chaleur. Le fils de Réprouvés plissa les paupières et tourna subtilement la tête. Au beau milieu de la prairie qu’il avait choisie pour faire paître ses animaux, deux imbéciles roulaient dans les fleurs en s’échangeant des baisers enflammés – que dans toute sa mauvaise foi, il trouvait juste répugnants. Les dents serrés, il les fixa avec une intensité qui aurait dû les faire fuir – malheureusement, ils étaient tout à leurs galipettes et n’avaient que faire d’une âme en peine de compagnie. « Krein daar sdan lektyhr. » (Regardez ces deux connards) Yuvon releva la tête. De ses yeux bruns, elle le jugeait – du moins, ce fut l’impression qu’elle lui fit. « Me regarde pas comme ça. » Elle demeura immobile. Après un énième grognement, l’Ange se redressa. « C’est bon, on rentre. » Il siffla pour rameuter toute sa petite troupe, et prit le chemin des écuries.

Lorsqu’il poussa la porte de la maison, fatigué, remonté et sali par sa journée, un doux fumet cueillit son odorat. Il cligna des yeux jusqu’à ce que ses prunelles ne tombassent sur la table de la salle à manger. Un plat fumant l’y attendait, près duquel reposait un gâteau encore chaud. Il avait probablement une forme douteuse, mais peu importait, car il serait bon. Il le savait, parce que, surtout, il y avait Kagami. Et c’était elle qui l’avait préparé, avec tout son amour d’Orine, toute sa tendresse et toute son application. Les traits de Priam se déridèrent et il sourit à la jeune femme, qui portait cet air joyeux qu’il lui connaissait si bien. Sa solitude n’était pas totale. Peut-être même que ce sentiment tenait du faux. La brune était toujours là. S’il avait d’abord trouvé étrange d’avoir une Orine à ses côtés, il s’y était accoutumé. Sa présence combattait le froid de l’hiver qui pesait sur son âme.


Quoique le soutenir fût sa tâche, il ne l’avait jamais remerciée. Depuis qu’elle était arrivée, il avait été accaparé par ses traductions, ses bêtes et ses projets. Il n’avait pas pris beaucoup de temps pour elle, et à la réflexion, cela lui déplaisait. Il avait conscience que certains traitaient les individus de sa race plus en vertu de leur utilité et du lien qui les unissait que pour ce qu’ils étaient en eux-mêmes. Ce n’était pas son cas – ou, à tout le moins, ce n’était pas son intention. Dès le lendemain de cette soirée autour du plat et du gâteau, l’Ailé s’était mis en quête d’un présent. Il passa la matinée à chercher un cadeau, ce qui le fit particulièrement râler, puisqu’il ne trouva rien qui lui convînt. Gangrené de frustration, il allait même abandonné, lorsqu’il tomba sur la perle rare.

« Arrête de gesticuler ! Doucement ! » Assis sur son lit, Priam se débattait avec une petite bête. « Tu m’étonnes qu’ils voulaient pas te garder, dans ton élevage. » En réalité, ils cherchaient à la placer parce qu’elle ne correspondait pas aux critères désirés. Le croisement n’avait pas donné ce que les propriétaires attendaient – ce qui était compréhensible, étant donné les pouvoirs particuliers de l’animal. « Et hopla, dans la chaussette ! » s’exclama-t-il après avoir enfin réussi à placer le chiot dedans. Elle était assez petite pour rester à l’intérieur, et n’y demeurerait de toute façon pas longtemps. Kagami regardait assez souvent le contenu de sa chaussette. Il y joignit le mot qu’il avait écrit pour l’occasion.

Merci pour tout ce que tu fais, et même juste d’être là. Du coup, tiens, cadeau ! Elle chie de la guimauve et elle a l’air hyperactive, donc je me suis dit qu’elle était faite pour toi. Et si tu sais faire, je veux bien que tu me coupes les cheveux, s’il te plaît. Et fais gaffe, il n’y a plus de papier toilette… je ne comprends pas pourquoi tout le monde s’est jeté dessus. Je passerai voir en boutique tout à l’heure. Je vais monter Yuvon, à tout.

Cadeau : Il s’agit d’une chienne qui sent la guimauve ou le chocolat, selon les jours. Elle fait caca des gâteaux de toute sorte et pipi de la crème, peu importe ce qu’on lui donne à manger. Tout ce qu’elle produit est parfaitement comestible et semblerait avoir le pouvoir de rendre heureux. Attention toutefois : si elle fait une indigestion ou mange des œufs (elle adore ça), tout ce qui sort de son corps sera empoisonné. Elle est très protectrice et loyale.
Je t'ai trouvé deux images, mais si tu en préfères une autre, tu peux, bien sûr Et pour l'instant c'est un chiot parce que sinon ça rentrait pas dans la chaussette /sbaf Tu l'appelles comme tu veux !
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