N

i d’ici ni d’ailleurs.

Test de niveau III : Priam et Nalim discutent du projet de patrouilles angéliques qui viseraient à guider les Anges venus de chez les Réprouvés et les Démons jusqu’aux Jardins de Jhēn.
Accord administratif : Mitsu.


Priam grimaça. La pommade piquait. Lorsque Kagami était là, elle s’en chargeait. Parfois, elle devait esquiver les coups-réflexes de ses ailes, et il était arrivé qu’elle en subisse les attaques involontaires. Il s’en voulait à chaque fois, mais ces mouvements brusques étaient plus forts que sa volonté. C’était comme si ses appendices étaient parfaitement conscients du mal qu’on leur avait fait et qu’ils se défendaient d’eux-mêmes. L’Ange les gardait souvent rétractés, comme pour les protéger. Actuellement, son Orine était la seule personne en qui il avait assez confiance pour accepter qu’elle touchât les parties endommagées de ses ailes. Le Lien qui existait entre eux forgeait une relation qu’il n’avait jamais expérimentée jusqu’ici. Ils n’avaient pas besoin de se parler pour se comprendre. Ce que l’un vivait, l’autre le ressentait. Même avec Laëth, la communion n’avait jamais été si parfaite. C’était une drôle de sensation, à la fois rassurante et déstabilisante. Etouffante ou agaçante, même. Lui qui avait l’habitude de vivre dans le secret de ses sentiments se voyait être lu comme un livre ouvert par la jeune femme, avec une aisance déconcertante. Elle n’interprétait pas toujours comme il le fallait, mais il savait qu’elle faisait constamment des efforts. C’était sa condition. Son don ou son fardeau, il ne savait pas trop. Elle n’avait pas l’air malheureuse. Cependant, l’idée qu’à cause du Lien et à ses yeux, la valeur de son existence surpassait la sienne, le rendait parfois mal à l’aise, voire triste. Il avait le sentiment qu’elle vivait par procuration, quand la vie aurait pu lui offrir bien plus que de longs moments à préparer des gâteaux en l’entendant ronchonner. Il aurait aimé pouvoir faire quelque chose pour elle. Il y songeait. Comme il reposait l’onguent, il souffla et esquissa un doux battement d’ailes, attentif. Tout bougeait correctement. Ce n’était qu’en surface ; et trop profondément pour qu’il pût le soigner avec des crèmes. Seul le temps effacerait les cauchemars et les appréhensions.

Pour oublier, Priam s’était plongé dans le travail. Nalim soutenait son initiative ; cependant, il ne la porterait devant des responsables que lorsqu’elle serait plus concrétisée. Il refusait de se présenter avec des propositions floues ou incertaines, et en cela il avait parfaitement raison. Le fils de Réprouvés avait fouillé les bibliothèques à la recherche de cartes et de vieux documents militaires. Sur des feuilles volantes, il avait griffonné ses idées. Le tout calé sous son bras, il toqua à la porte du bureau du diplomate. Celle-ci s’ouvrit d’elle-même : il l’attendait, assis dans son large fauteuil, avec cet ineffaçable sourire en coin. « Alors, qu’est-ce que ça donne ? » Le brun entra et déposa son fardeau sur la table basse. Accroupi, il ordonna les papiers par pile. D’un côté, les documents écrits et cartographiques qui lui avaient servi de bases, de l’autre, ses propres réalisations. Il fouilla dans cette pile et en sortit une première feuille. « J’ai réalisé une carte, pour y voir un peu plus clair. » S’approchant du bureau de son mentor, il déposa celle-ci devant ses yeux. « Là, les Jardins. » dit-il tandis qu’il pointait de l’index un cercle à côté duquel il avait écrit le nom du lieu. « Keizal-Stenfek, Lumnaar’Yuvon-Bouton d’Or… et Gein’Draakul-Sceptelinôst ici. » Ses doigts couraient sur le papier, agiles. Il n’était pas difficile de comprendre qu’il y avait passé de longues heures. « Par-là, il y a la Terre Blanche, mais je n’ai pas représenté le territoire puisque… on ne peut s’approcher trop près des côtes. Et je manque un peu d’informations à ce sujet. Comment est-ce que les Anges de là-bas reviennent ? J’imagine qu’il n’y a pas vraiment de bateau, ou alors des embarcations de fortune… Enfin, bref. Je suppose qu’avec une installation à Iyora, tout sera plus simple, et on pourra les accueillir directement là-bas. Pour ceux qui viennent de chez les Réprouvés… » Il s’inclina un peu plus sur sa réalisation. Un pli de concentration barrait son front. « Pour Stenfek, c’est facile. Ils sont en plein territoire orine et ce sont ceux qui vivent le plus près des Jardins. De ce que je sais, la plupart arrive par Vervallée puis descend jusqu’ici. Je me renseignerai plus amplement sur les trajets qu’ils ont effectués. » Une flèche en pointillés représentait la course des enfants de Keizal. « Pour Lumnaar’Yuvon, c’est pareil, il faut traverser le territoire des Orines, puis celui des Magiciens. Je me suis perdu du côté de Haute-Terre, aussi, chez les Humains… » - « Hum. Actuellement, Haute-Terre, c’est trop compliqué. Avec ce qu’il s’est passé… nous n’obtiendrons aucune autorisation pour patrouiller dans les environs. » - « C’est ce que je me suis dit. » Les meurtres perpétrés par un Ange extrémiste avaient ébranlé l’amitié qui unissait les Enfants de Sympan aux Ailes Blanches. L’exécution du coupable n’avait pas résolu l’affaire. Un froid féroce planait. Priam reprit : « En venant de Lumnaa- Bouton d’Or, je me suis retrouvé du côté de Vervallée, aussi. » - « En fait, tu as parcouru tout le territoire magicien sans trouver les Jardins, si je comprends bien ? » demanda Nalim, un brin moqueur. Le brun grogna. Par moments, il se demandait franchement comment le diplomate avait pu ne pas mourir sous le coup de masse d’un Réprouvé. Son sens de l’humour devait leur donner des envies de meurtre. « Je n’étais pas très doué avec les cartes. » Les Bipolaires des champs d’or ne voyaient pas l’utilité d’enseigner cela à leur progéniture, et c’était parfaitement logique puisque la plupart passait sa vie entre les corps de ferme et les pâturages. « Heureusement que tu t’es amélioré, sinon j’aurais peur qu’on ne trouve jamais les Anges qui essaient de se rendre chez nous, voire qu’on perde nos patrouilles. » Un sourire amusé étira ses lèvres. « Je t’en prie, continue. » - « D’accord, donc ça, c’était pour les routes terrestres. Pour les Anges qui viennent de Sceptelinôst, c’est plus compliqué. Traverser le Continent Dévasté est juste inenvisageable. C’est trop périlleux, et surtout, la côte est, qui donne sur le Continent Naturel, est habitée par les Démons. Sans compter qu’ils devraient se balader dans l’Antre des Damnés pour y parvenir… ou chez les Sorciers. » Il grimaça. Le politicien opina. « Le plus simple, c’est de passer par la mer. Je suppose qu’ils n’ont qu’à payer des pirates pour qu’on les y emmène ; en tout cas, c’est ce qu’on faisait avec ma famille quand on allait voir mon oncle. Là… je n’ai pas de données sur leurs points d’arrivée. J’ai supposé que la majorité débarquait ici, sur le flanc ouest, en territoire orine. Peut-être que quelques-uns rallient les berges de Bouton d’Or, mais ça me paraît assez improbable… Il faudrait que les habitants acceptent leur passage en sachant pertinemment qu’ils sont en train de trahir leur peuple. Ce serait un peu marcher sur la tête. Donc, chez les Orines. » Il avait entouré la portion de côte concernée. « A partir de là, c’est assez facile de rallier les Jardins. En tout cas, c’est théoriquement moins risqué. » Nalim l’observait. Il l’avait rarement vu aussi concerné par un projet. Ça le faisait sourire. « Pour les patrouilles, du coup… Elles passeraient sur les territoires magiciens et orines. Comme on l’a dit pour les Humains, pas la peine de demander. Quant aux Réprouvés… non plus. Et je pense sincèrement que le mieux est de ne pas s’approcher trop près de la frontière de Lumnaar- euh, Bouton d’Or. Ils n’hésiteraient pas à attaquer. » - « Je suis d’accord. Toute cette zone coloriée, ce serait les terres parcourues par les patrouilles ? » Priam acquiesça. « Hum. » - « Est-ce qu’on a les moyens de surveiller les trajets maritimes ? De les organiser ? Est-ce que c’est faisable ? Je ne sais pas à quel point ces routes sont praticables. Sur les côtes du Continent Dévasté, on passerait devant les territoires démoniaques, vampiriques et evershas… » En faisant ses recherches, il avait appris bien des choses. Il avait même découvert des peuples dont il ignorait jusque-là l’existence. « Je suis bien incapable de répondre à tes questions, mais je peux me renseigner. Peut-être qu’on pourrait à nouveau se tourner vers les Enfants de Yanna pour tout ce qui concerne les routes maritimes… Ils nous ont déjà fournis des navires pour les explorations. » Le stratège se pencha un peu pour mieux scruter la carte. « Et ça, là ? » interrogea-t-il en appuyant son doigt sur un point près de Sceptelinôst. « J’avais songé que le plus pratique, pour réceptionner les enfants de Réprouvés, serait d’installer une base navale là-bas, puisque le port est ouvert aux autres races, mais je ne sais pas si ce serait une bonne idée, compte tenu des circonstances… » - « Très compliqué, je pense. » Nalim se décala pour appuyer son dos contre son fauteuil. Il détailla le visage de Priam. « L’avenir diplomatique vis-à-vis des Réprouvés est actuellement très flou. Erza Taiji Stark ne semble pas disposée à revenir sur ses positions, et malheureusement, avec les expéditions, la situation à Haute-Terre, et cætera, ce n’est pas une priorité… » Il n’ajouta rien, mais songea que, peut-être, il serait possible de négocier avec les Enfants de Yanna pour qu’ils effectuent eux-mêmes le transit des jeunes Anges. « Hum… » - « Mais d’après ta carte, les autorisations les plus importantes à obtenir – et celles qu’on peut espérer avoir – sont celles des Orines et des Magiciens. Compte tenu des jeux d’alliance, je ne pense pas que cela pose problème. Tu as une Orine, d’ailleurs, toi, non ? » - « Euh, oui, mais la politique, ce n’est pas trop son truc… Elle préfère faire des gâteaux, je crois. » Un rire échappa à l’homme. « Bon, nous enverrons juste nos diplomates, dans ce cas. » - « C’est pour le mieux. » sourit Priam. Un petit temps de suspension troubla leurs pensées, puis il reprit : « Il y a autre chose que je n’ai pas pu prendre en compte. C’est la téléportation, notamment pour les Anges venus de chez les Démons. D’après ce que j’ai compris, ils apparaissent assez aléatoirement… » - « Laisse, ce sont des cas tellement minoritaires qu’il ne sert à rien de s’en occuper. Ça demanderait beaucoup trop de moyens humains, financiers et magiques de repérer toutes les téléportations, de les trier et de se rendre sur place, pour trop peu de concernés. Malheureusement, on ne peut pas être sur tous les fronts… » Il avait raison. « Et tu as réfléchi à la composition de ces patrouilles ? » Le fils de Lumnaar’Yuvon hocha la tête. « J’ai pensé à des groupes de quatre à six personnes, selon le nombre d’Anges trouvés. Avec deux à quatre soldats, un soigneur et un interprète Zul’Dov ou Snēk. Je ne sais pas trop pour les soldats, en fait. C’est compliqué sans savoir ce que ça donne sur le terrain. » - « On pourra voir ça avec la Compagnie de Yuërell. Ils ont une section de patrouilles. Peut-être même que ce serait possible de partager la gestion de tout ça avec eux, s’ils estiment que c’est dans leurs cordes. » Priam sourit. Il avait oublié le mal qui criblait ses ailes et la peur qui teintait encore son esprit ; toute sa concentration était dévolue à la concrétisation de ce nouveau projet, qui aiderait sans conteste ses semblables. Ceux qui ne vivaient ni ici ni ailleurs.