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élivre-nous du mal

Elle lui disait quelque chose, mais Laëth ne parvenait pas à la situer. Sa gestuelle… Elle devait avoir la même qu'une personne qu'elle connaissait ou avait connu. Elle la trouvait très lascive, au point qu’elle soupçonnait qu’elle n'était pas motivée simplement par une ardeur occasionnelle. Plus elle la regardait, allongée sur ce putain de Sorcier, à lui embrasser le cou, plus elle en était persuadée. Elle ne savait pas lequel des deux la dégoûtait le plus. Le vieillard maléfique ou la succube alléchée ? Considérant la situation et l’état dans lequel se trouvait le Prince noir, l’Ange aurait certainement dû avoir pitié de lui. Toutefois, à force de le voir opérer à travers cette glace, elle avait vite compris qu’il était de la pire engeance. Quand elle repensait à ces enfants découpés, la nausée la reprenait avec une force inouïe. Il méritait de mourir. Son éducation réprouvée lui soufflait qu’avant de goûter à la délivrance, il devrait souffrir sous des coups de lame mal placés pour le mal causé ; son essence angélique s’y opposait et imaginait planter sèchement et simplement une épée dans son cœur noirci par des années d’horreur répandue. Quant à la femme… outre le feu qui paraissait crépiter entre ses jambes, ce qu’elle avait vu de son caractère lui plaisait assez. Malgré elle, une goutte d’empathie noyait son jugement. Elle reposa le miroir et inspira calmement. Peut-être qu’elle ne se montrait pas très juste. Elle savait combien il pouvait être difficile de résister à l’appel de la chair. Peut-être que cela l’énervait, que l’inconnue y eût si facilement accès alors qu’elle-même devait rester sur ses gardes. Peut-être qu’elle était frustrée… Elle fronça le nez et émit un bref grognement. N’importe quoi ; et au fond, peu importait. L’Ange croisa les bras et laissa sa tête partir en arrière. Peut-être qu’il l'avait ensorcelée, cette femme. Il n’était plus à une perversion près, finalement.

Elle laissa son index glisser sur le pendentif que lui avait offert Hena. Elle y avait longuement réfléchi. Il pourrait avoir son utilité ; sa mentor en avait conscience, et c’était pour cela qu’elle lui en avait fait cadeau. Cependant, la jeune femme estimait en avoir moins besoin que d’autres. La Charité étreignait son cœur. Elle saurait se défendre seule, ainsi que ceux qui lui étaient proches. C’était sa promesse la plus tenace. Néanmoins, d’autres vivaient trop loin. Elle en avait abandonné certains et se voyait incapable de tenir les engagements qui lui tenaient à cœur. Elle ne voulait pas être qu’un fantôme dans leur vie, dans sa vie. Elle aurait voulu pouvoir être présente, l’aider, la soutenir. C’était impossible : elle avait choisi un chemin qui l’éloignerait d’elle. Tendant la main, elle ramena vers elle la feuille de papier et l’encrier. Elle y trempa sa plume avant de la tapoter doucement sur le bord, puis commença à écrire :

Sól,

J’espère que tu t’es sortie sans mal de cette histoire, aux Portes… J’ai été très inquiète. Je n’ai pas pris de nouvelles puisque Priam en a eu grâce à nos parents – de toute façon, j’imagine que tu n’aurais pas répondu non plus à cette lettre. J’espère que Mani va bien aussi, et que la vie se passe comme vous le souhaitez à Lumnaar’Yuvon. De mon côté, tout va bien. Je ne sais pas si vous en avez entendu parler : en ce moment, les Anges mènent des expéditions afin de récupérer de nouveaux territoires. J’en fais partie. Actuellement, je suis sur un bateau. Tu imagines ? La mer n’est pas si loin que cela de Lumnaar’Yuvon, mais jamais je n’aurais cru y mettre les pieds, avant de partir… Enfin, le destin nous réserve bien des surprises, apparemment.

Quant au talisman que tu as pu trouver dans l’enveloppe… La distance m’empêche de jouer le rôle que j’aurais voulu avoir pour toi. Je sais que c’est de ma faute puisque tout cela découle de mon choix de rejoindre les Anges. Je ne sais pas si tu m’as un jour pardonnée, mais finalement, peu importe. Je ne pense pas que le savoir allègerait ma conscience. Ce n’est pas non plus dans cet espoir que je t’envoie ce pendentif. Il a plutôt pour vocation d’assumer mon rôle et de te protéger. Tant que tu le porteras, il éloignera le mal. Je serais rassurée si tu acceptais de le mettre. Je t’ai aussi emballé un pot de miel. Il vient des Jardins de Jhēn. Je l’avais emmené pour moi, mais j’ai songé que tu l’aimerais. Tu verras, il n’a pas le même goût que celui que tu connais, c’est amusant.

Je t’embrasse fort,

Laëth

Elle plia la lettre et la glissa dans l’enveloppe, puis y mit le pendentif. Le miel était emmitouflé dans des chiffons. Grâce à une petite cordelette, elle attacha la lettre à l’objet. Une fois son œuvre terminée, elle prit contact avec l’une des Ailes Blanches qui gérait le courrier et lui remit son colis. L’Ange était loin de se douter que sa missive et son présent finiraient mystérieusement entre les mains de la Déchue qu’elle avait observée quelques minutes plus tôt.