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ux cœurs enflammés,
à ceux qui se brûleront.

Partenaire : Solo.
Intrigue/Objectif : Alors qu’elles s’entraînent, Hena et Laëth sont interrompues par un messager. Celui-ci délivre une lettre à la Recrue. La discussion qui s’ensuivra permettra aux deux femmes de se rapprocher.

Le bleu du ciel était pur. L’air froid attaquait leurs muscles brûlants. Leurs souffles chauds sortaient en fumée blanche de leurs poumons. Les deux Anges se mouvaient dans une danse combative – maîtrisée, calculée, minutée. La plus jeune semblait en plein apprentissage de techniques d’assaut, qu’elle décomposait et déroulait successivement. « Et un, deux, trois et quatre ! PAF ! Voilà, c’est ça ! » Hena sourit. « Recommence. » Laëth s’exécuta. Le mouvement était précis et rythmé. Il lui avait fallu le répéter de nombreuses fois avant de pouvoir l’esquisser proprement. Il ne lui manquait plus qu’une once de fluidité. Un sourire coriace accroché au visage, elle termina son enchaînement. Sa mentor hocha la tête, l’air sérieux. « Bien. Maintenant, on va travailler la défense. » Sans attendre, elle fondit sur sa disciple, ses ailes rabattues dans son sillage. La brune plongea pour éviter l’assaut et reparut derrière la guerrière, ses jointures fermement serrées autour de sa hallebarde. L’aînée fit volte-face et revint à la charge, de manière plus subtile et précise, si bien qu’elle la contraignît à répliquer. Les fers se croisaient dans un tintement presque musical. Après quelques brèves minutes, la blonde piqua la poitrine de sa protégée de la pointe de son épée. « Morte. » fit-elle avec un sourire mutin. « Mais c’est mieux. Tu as survécu plus de deux minutes. » Laëth fit la moue et écarta la lame d’un geste désinvolte de la main. « J’aurais dû anticiper. » Elle renifla. Son nez était humide à cause de la fraîcheur. « J’ai baissé ma garde, et voilà. » Le fantassin acquiesça. « Tu manques de réflexes. Ça s’acquiert à force de recommencer, encore et encore. Ça viend- » - « HENA ! LAËTH ! » Les deux femmes baissèrent la tête vers le bateau. L’un des messagers agitait son bras vers elles, une lettre entre ses doigts. D’un même battement d’ailes, elles se rapprochèrent jusqu’à pouvoir se poser sur le pont. « C’est pour toi, Laëth. » dit-il en lui donnant l’enveloppe. C’était plus lourd que ça n’aurait dû : il y avait quelque chose à l’intérieur. Elle s’étonna, les sourcils froncés : « Pour moi ? Merci… » Priam lui avait écrit relativement peu de temps auparavant. Elle n’avait pas encore répondu. Lui était-il arrivé quelque chose ? Elle retourna le papier pour voir l’écriture. « Ce n’est pas de mon frère. » - « Tes parents ? » - « Ils ne savent pas que je suis ici. » - « Hum. Tu peux aller la lire, on a fini. » La jeune femme inclina la tête. « Merci. » Sans attendre, elle s’éloigna. Elle gagna la proue et, comme elle en avait pris l’habitude pour lire les écrits de son aîné, elle s’assit sur le bastingage.

Jetant un dernier regard aux lettres qui couvraient l’enveloppe, elle conclut qu’elles ne lui disaient rien. Impatiente, l’Ange l’ouvrit. Elle déplia le parchemin : ses yeux coururent jusqu’à la signature. Elle se figea et son cœur rata un battement, tandis que tout le sang de son corps semblait remonter jusqu’à ses joues. Elle eut soudainement très chaud. Tout son organisme plongea dans le chaos. Que voulait-il ? Ses doigts, fébriles, glissèrent dans la fente de papier. Elle en sortit une bague. Quoi ? L’objet tomba – elle l’avait lâché comme s’il l’avait brûlée – et roula sur les planches de bois. Laëth n’eut pas le temps de réagir que l’anneau se trouvait écrasé sous une botte. Livide, elle observa sa mentor se pencher et le ramasser. Sans lui accorder le moindre regard, elle détailla le bijou d’un œil aiguisé. Un demi-sourire naquit sur ses lèvres. « Jolie bague. » Elle se redressa et dévisagea son élève. « Je ne savais pas que tu rencontrais un tel succès ! Le mariage est pour bientôt ou c’est juste un prétendant éconduit parmi d’autres ? » Elle blêmit encore plus, comme elle se rappelait avec brutalité ce qu’une alliance pouvait signifier dans certaines cultures – la même chose que le tatouage chez les Réprouvés. Le quoi ? Non non non. Tout cela allait beaucoup trop vite. L’air joueur de Hena disparut. « Ça va, je plaisante ! Respire, on dirait que tu vas t’évanouir. » Cette gamine était beaucoup trop émotive. Elle avança vers elle et posa une main sur l’un de ses genoux. De l’autre, elle prit son poing et introduisit la bague en son creux. « Qui est-ce ? » Laëth haussa les épaules et, brusquement, son regard s’assombrit. « Personne. » - « Oh. Très bien. Tu n’es pas obligée de me le dire. » - « Hum. » La blonde s’écarta. « Qu’est-ce qui ne va pas ? » - « Rien. Je dois y aller. » Sans demander son reste, la plus jeune posa pied à terre, contourna sa mentor et s’en alla, les doigts serrés autour de l’anneau et de la lettre. Hena songea que des claques se perdaient, tout de même.

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Laëth se laissa tomber sur une malle. Elle se cala au fond, contre le mur, afin de ramener ses jambes et de les croiser en tailleur. La tête renversée en arrière, crâne appuyé contre le bois, elle scrutait les poutres. Elle inspira longuement, puis soupira. Une fois ses paupières fermées, elle se força à respirer tranquillement et utilisa ses dons pour apaiser ses émotions. Tout allait bien. Son calme récupéré, elle rouvrit les yeux et desserra le poing pour regarder la bague – toujours avec méfiance, mais avec bien plus de sérénité. Ce n’était sûrement rien du tout. Elle se faisait des idées. Personne ne faisait ça comme ça. Posant la lettre sur l’une de ses cuisses, elle la lissa du plat de la main, puis entama la lecture. Ne vous affolez pas. Un rictus moqueur étira ses lèvres. Il aurait dû l’écrire en capitales sur le dessus de l’enveloppe, tiens. Elle reprit. Oui, elle savait. Ou plutôt, elle avait supposé et vu juste. Le Pianiste. Ce titre laissait peu de place à l’interprétation. De l’index de sa main libre, l’Ange décrivait des arabesques sur sa jambe, la bague entourant le bout de son doigt. Magique, hum. Elle y jeta un coup d’œil, incertaine. C’était à la fois amusant et agaçant de constater comme elle se montrait beaucoup moins confiante quand il n’était pas physiquement présent. Surtout agaçant, en fait. Elle baissa à nouveau ses iris sur les lignes régulières de la missive. Peu à peu, un doux sourire étira ses lèvres… jusqu’à ce qu’elle ne levât les yeux au ciel d’exaspération. J’aimerais éviter de laisser quelqu’un d’autre vous mettre autant mal à l’aise que moi. J'aime assez avoir ce privilège. Gnagnagna. Un peu plus et elle aurait pu retrouver des manières d’enfant et tirer la langue. Malgré tout, ces quelques mots finirent par la faire sourire. Elle posa le courrier entre ses jambes et attrapa l’anneau. Elle le fit glisser autour de son annulaire. Kaahl avait raison. Il lui allait parfaitement. Elle cligna des yeux, un peu surprise. Comme elle ne ressentait aucun effet particulier, elle présuma qu’elle mettrait un peu de temps à révéler son pouvoir. Quoi que curieuse, la jeune femme retira le bijou. Elle n’était pas prête à le porter en toutes circonstances. Il soulèverait trop de questions auxquelles elle n’avait aucune envie de répondre. Sans parler de l’inconfort qu’il pourrait susciter au combat. Il valait mieux avoir les mains libres de tout. Oui, elle ferait mieux de ranger la bague au fond de son sac, avec le miroir. De toute façon, il semblait avoir une préférence pour Elias Salvatore : le souvenir de son entrevue avec de hauts mages noirs dans un décor cadavérique la hantait encore. Elle en avait vomi par-dessus bord. Elle avait dû prétexter un mal de mer. Consciente qu’espionner le Sorcier pourrait devenir un avantage politique et stratégique, d’autant plus en raison de l’alliance entre Anges et Magiciens, elle ne parvenait toutefois pas à s’y résoudre. Elle avait trop peur de ce que lui montrerait la glace : elle ne la tenait jamais trop longtemps entre ses mains. Quant à Kaahl, de toute évidence, le regarder grâce à cet objet aurait été malsain. Laëth se releva et, malgré ses bonnes résolutions, glissa la bague dans sa poche.

Après avoir effectué ses corvées journalières, elle se mit à la recherche de sa mentor. Celle-ci discutait avec une autre Aile Blanche. Doucement, elle s’approcha et demanda, gênée : « Hena ? Est-ce que je peux te parler, s’il te plaît ? » La blonde se tourna vers elle et arqua un sourcil. « Bien sûr. » Elle revint à son interlocuteur. « On en rediscutera tout à l’heure. » Celui-ci hocha la tête et s’éloigna en les saluant. Laëth fronça le nez, mal à l’aise, puis lâcha : « Je voulais te demander pardon pour tout à l’heure. » Elle serra l’une de ses mains autour de son propre avant-bras. « Je ne m’attendais pas à cette lettre, mais je n’aurais pas dû réagir comme ça. » Après un temps de silence qui parut interminable à la plus jeune, Hena dit d’une voix calme : « Tu te laisses dominer par la colère. » Laëth inspira. « Je sais. » Souvent, ses émotions ingérables ou inacceptables bouillonnaient jusqu’à s’exprimer en une éruption chargée de rage. « Je travaille dessus. » La guerrière acquiesça, puis passa un bras autour de l’épaule de sa protégée. « Tu es pardonnée. Ça arrive à tout le monde. » Elles se sourirent. « Quand même, je me demandais… » La brune lui retourna un regard interrogatif. « Toujours pas envie de me dire de qui il s’agit ? » - « Non, toujours pas. C’est une information qui se mérite. » Hena rit. « Je pourrais te l’extorquer en t’épuisant à l’entraînement. » - « Roh, les Anges ne sont pas comme ça ! » - « C’est vrai. » Elle sourit. « On devrait peut-être innover… » - « Moi, je trouve ça très bien comme ça ! » Les deux Anges partirent d’un même éclat de rire.

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« Vous vous connaissez depuis longtemps ? » Les deux femmes étaient assises sur les marches qui menaient au gouvernail. L’activité du navire s’était apaisée à mesure que le soleil sombrait dans l’océan. « Pas vraiment… » La mentor dévisagea sa disciple, qui finit par développer : « C’est assez soudain, en fait. On s’est rencontrés dans des circonstances plutôt particulières et, hum… » Comment expliquer les événements sans que tout cela ne parût d’une étrangeté inabordable ? « Disons que c’est allé très vite. » Les yeux de Hena s’agrandirent sous l’effet de la surprise. « Tu n’as pas…? » - « Non ! Non non ! Par tous les Ætheri, non ! » Les mains en opposition, la jeune Ange secoua vigoureusement la tête. « Mais hum, enfin, il y avait… je ne sais pas, quelque chose comme… du désir ? Tu vois ? » Elle se tordait les doigts, crispée par la honte. « Je vois ? » répéta-t-elle, armée d’un petit sourire en coin. Laëth rougit. Le sourire de son interlocutrice s’élargit avant de s’adoucir. « On en ressent tous. Ce n’est rien de grave. L’essentiel, c’est de ne pas y céder si tu n’éprouves rien pour la personne. » La concernée baissa les yeux et acquiesça. « Tu ne l’aimes pas ? » Elle fixait ses mains, les sourcils froncés. « Je… » Un soupir sec s’échappa d’entre ses lèvres. « Je ne sais pas. C’est très confus. Trop confus. » Son cœur battait le tambour. « La dernière fois que l’on s’est vus, il m’a demandé si j’étais certaine de ne pas l’aimer et si je pensais y parvenir un jour. Je crois qu’il aimerait bien que je l’épouse. » Elle passa une main sur son visage, comme si de ce geste elle pouvait balayer toutes les émotions qui l’encombraient. « Qu’est-ce que tu lui as dit ? » - « Que je ne pouvais pas aimer quelqu’un que je ne connais presque pas. » Sa mentor eut un sourire tendre. « Mais il te plait ? » - « … Oui ? » Elle grimaça. « Je ne sais pas. Enfin si. Mais c’est arrivé un peu comme ça, et ça a tout chamboulé… Je ne pensais vraiment pas à ce genre de choses, j’avais ma ligne directrice. » Elle plaça ses deux mains de chaque côté de sa tête et cassa ses poignets pour les incliner vers l’avant. « L’armée, la Compagnie, les expéditions… Aider mon peuple. Le reste : trouver quelqu’un, me marier, fonder une famille… très annexe. » S’y sentait-elle seulement prête ? « Mais c’est ce qui fait la vie, d’être surpris, d’être confronté à l’inattendu… » - « Ce n’est pas ce que je préfère… » admit-elle, les lèvres pincées. Hena passa un bras autour de ses épaules. « Si cet homme tient tant que ça à t’épouser et qu’il t’apprécie, il ne devrait pas te brusquer. Dans tous les cas, rien ne t’oblige à accepter. Et puis tu as le temps d’y songer, de toute façon. Il est resté aux Jardins ? Ou ce n’est peut-être pas un Ange ? » Laëth secoua la tête. « Magicien. » - « Aaah. Ils ont un certain charme, c’est vrai. » la taquina-t-elle en prenant un air narquois. Un bref silence s’installa, avant que la guerrière ne continuât : « Tu sais, nous n’avons aucun contrôle sur l’amour. Il peut arriver très vite comme naître très lentement. Dans un cas comme dans l’autre, il n’y a rien d’étrange. » Elle replaça délicatement une mèche brune derrière l’oreille de la Recrue. « Avec mon mari, les choses ne se sont pas non plus déroulées comme je l’aurais imaginé. Ça a été étonnamment rapide. » Laëth ne l’avait jamais entendue en parler. C’était un sujet apparemment devenu tabou depuis que le fossé creusé entre eux par le décès de leurs deux fils s’était mué en un gouffre infranchissable. « Nous nous sommes rapprochés très vite. Même si c’est terminé aujourd’hui, ça ne veut pas dire que cet amour n’était pas sincère ou profond. Il n’y a pas de règle. Je pense que certains, et dans certaines circonstances, savent tout de suite quand ils ont trouvé la bonne personne. » Les iris de la blonde se perdaient sur les vagues qui dansaient à la surface de la mer. Elle sembla hésiter à ajouter quelque chose, mais conclut finalement ainsi : « C’est peut-être ce qu’il se passe pour ton Magicien. Peut-être que des sentiments viendront plus lentement pour toi, ou pas du tout. Mais enfin… » Un sourire courba sa bouche et son regard se reporta sur la jeune femme. « Si tu veux mon avis, tu ne t’en préoccuperais pas et tu n’aurais pas réagi comme ça en recevant la lettre et la bague si tu étais complètement indifférente. » Une vague de chaleur secoua Laëth. « Je… » Hena rit faiblement. « Pas la peine de te justifier. Ça restera entre nous, promis. » La brune inclina la nuque vers l’avant puis laissa ses deux mains glisser contre son visage, un sourire vague accroché aux lèvres. « Tu vas lui répondre ? » Elle hocha doucement la tête. C’était la moindre des choses.

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Assise sur un tabouret et le buste incliné vers une caisse en bois, Laëth écrivait. Si au début, ses doigts étaient engourdis suite à un manque de pratique, ils avaient rapidement retrouvé leur agilité. La plume glissait sur la feuille avec aisance. La lanterne posée à côté d’elle jetait des lumières chatoyantes sur le papier.

Kaahl,

Si vous aimez tant me voir mal à l’aise, sachez que vous avez raté un moment formidable. Votre bague a failli finir à l’eau – a posteriori, je suis soulagée que ça n’ait pas été le cas, j’aurais été bien embêtée de devoir vous l’apprendre. Même si nous n’avons pas vraiment abordé le sujet, j’imagine que vous avez beaucoup de tendresse pour votre mère et que céder un tel objet n’est pas anodin. Votre cadeau me touche, tout comme votre volonté de venir en aide à mon peuple. Merci. Et votre œil ne vous a pas trompé : la bague me va parfaitement.

Je suis surprise d’apprendre que vous vous engagez dans l’armée magicienne. Je ne pensais pas que vous aviez un quelconque attrait pour le domaine militaire, pour tout avouer. Cela dit, c’est tout à votre honneur. Je ne doute pas que vous deviendrez vite un atout pour votre peuple dans ce domaine.

Je vais bien et les expéditions se déroulent au mieux. Mes journées sont fatigantes, notamment en raison des entraînements que j’effectue avec ma mentor. Hena m’apparaît aussi infatigable qu’intransigeante, mais c’est une bonne chose. Je sens que je progresse. C’est tout ce qui m’importe. Lorsque nous débarquerons, il faudra que je sois prête à toute éventualité.
Parmi l’équipage, l’entente est bonne, malgré les divergences culturelles. Il est sans doute plus difficile pour les Ydgraës et les quelques Magiciens de s’accommoder de la présence des Humains, mais jusque-là, nous n’avons eu aucun incident grave à déplorer. Si vous pouviez poursuivre dans cette veine chanceuse et éviter de mourir, je vous en serais un peu reconnaissante – mais pas tellement parce que j’apprécierais votre capacité à me faire perdre mes moyens, ne vous faites pas d’illusions. Au demeurant, c’est à charge de revanche.

Bon courage pour mener vos projets à bien et à bientôt,

Laëth

C’était tellement plus facile de s’exprimer à l’écrit. Il n’y avait aucune émotion débordante et le contrôle demeurait presque total. Elle ne se sentait pas dépassée par des réactions involontaires. Elle n’avait pas à confronter ses iris troublés au regard du Magicien. Dans le pire des cas, sa main tremblait un peu et les lettres semblaient fébriles. Cependant, rien n’indiquait que cette forme moins maîtrisée n’était pas juste due aux balancements du navire. Elle se relut. Peut-être que c’était un peu trop froid et distant ? L’Ange se mordilla la lèvre inférieure. Jusque-là, elle n’avait écrit des lettres qu’à des personnes dont elle était très proche – ses parents, son frère, Sól – ou avec lesquelles elle ne partageait aucune sorte d’intimité. Seulement, avec Kaahl, tout se noyait dans les remous suscités par la coalition de sentiments contradictoires. Elle avait la sensation de valser sur un fil tendu au-dessus d’un précipice : c’était aussi grisant que terrifiant. Elle n’avait pas envie de se laisser tomber, par peur de l’inconnu ; elle craignait qu’en résistant trop, il ne se détournât. Il lui avait fait comprendre qu’il n’insisterait pas. Qu’attendait-elle de lui ? La réponse se perdait dans les tréfonds de son cœur en ébullition. « Laëth ? » La jeune femme sursauta en se retournant. « Désolée. Je ne voulais pas te surprendre. » Hena lui souriait. « C’est rien. Qu’y a-t-il ? » - « Tu viens manger ? » Elle acquiesça. « J’arrive dans cinq minutes. » - « Très bien. » Tandis que le fantassin tournait les talons, elle plia la lettre et la glissa dans une enveloppe. Au dos, elle nota l’adresse du Duché de Darin, en songeant que sa clef en ouvrait peut-être les portes. Il faudrait qu’elle vérifie, plus tard.

« Tu as toujours voulu être soldat ? » Hena fit signe que non. Elle finit d’avaler ce qu’elle avait mis dans sa bouche, puis expliqua : « J’ai été architecte, avant la Rimkalàri. » Laëth haussa des sourcils étonnés. « Ça n’a pas grand-chose à voir. » Le rire de sa mentor la fit sourire. « Non, c’est vrai. » - « Qu’est-ce qui t’a décidée ? La guerre ? » - « Oui. » Ses prunelles glissèrent vers l’horizon puis revinrent à la brune. « Ce que j’y ai perdu, surtout. » - « Tes fils ? » demanda l’apprentie du bout des lèvres, prête à détourner le regard. Elle acquiesça. « Oui. Mon mari, aussi. Finalement, c’est cette guerre qui nous aura séparés. » - « Je… je pensais que tu ne l’aimais plus ? » La blonde hocha doucement la tête, un sourire réconfortant sur les lèvres. « Je ne l’aime plus, mais j’aime encore le souvenir que j’en ai. » La jeune Ange la scruta, muette. Ses paroles recelaient une beauté tragique. Peut-être que nous n’aimons jamais que des images. « Désolée. Je ne voulais pas remuer tout ça. » - « Non, ce n’est rien. Je n’en parlerai pas si ça me dérangeait. Et puis, tu sais… ça ne sert à rien de faire du passé un fardeau. Il sera là quoiqu’il arrive. Autant en extraire les bons moments et tirer des mauvais les leçons ou la force qui s’en dégagent. » Laëth baissa la tête, songeuse. Avant la fin du repas, la conversation reprit de manière plus enjouée, ponctuée de rires et de plaisanteries.