Objectif : Tekoa évolue sur Awaku No Hi au sein de sa tribu de naissance. Il essaye d'enquêter sur les rumeurs qui courent à propos d'Esprits particuliers et à propos de Souw.

« Hé ! La fille là ! » L’Esprit arrêta son mouvement pour me regarder. « J’ai un nom, je te signale. » « Oui ben je ne le connais pas ! Tu as qu’à me le donner ! » « Maya. » « Maya. C’est drôle comme nom. » dis-je, en la détaillant un peu. Elle était bien en chair. J’aimais bien. Ça me donnait envie de la titiller avec mon index, pour voir si ça rebondirait ou pas. « Tu étais une Chamane avant ta mort ? » demandai-je. « Oui. » « Trop bien ! » m’exclamai-je. « Qu’est-ce que tu veux ? » me questionna-t-elle. Sa voix était douce, enrobée, comme elle. Je me demandai quel âge elle pouvait bien avoir. Elle ne faisait ni trop jeune, ni trop vieille. Peut-être était-elle légèrement plus âgée que moi ? Je passai ma main sur mon menton, tout en réfléchissant. J’avais oublié ce que je lui voulais. À présent, j’avais simplement envie de lui poser des centaines de questions sur elle : à quelle tribu appartenait-elle ? Avait-elle réussi sa première fusion ? Comment était-elle morte ? Plein de choses ! Comme j’étais très curieux, je parlais beaucoup. Parfois, c’en était malaisant. Dans ces cas-là, lorsque l’une de mes nourrices se trouvait à côté de moi, elle me faisait taire. Néanmoins, aujourd’hui, j’étais parti tout seul, enquêter sur quelques trucs. « Ah oui ! » m’écriai-je. « Je voulais savoir si tu avais entendu parler des explosions et des Esprits bizarres ? »

La nouvelle s’était répandue un peu partout sur Awaku No Hi. Ça avait un rapport avec Souw mais je n’avais pas tout compris. Je vivais tout le temps au sein de l’un des campements Mior et on me laissait assister aux événements que depuis peu. J’avais d’ailleurs déjà essayé de fuguer pour pouvoir faire la fête avec les autres mais on m’avait rattrapé par la peau des fesses. Je trouvais ça trop nul d’être un enfant ! Mais, bientôt, je serais un adulte et je pourrais aller où bon me semblerait. « Pourquoi est-ce que ça t’intéresse ? » demanda-t-elle. « Ah mais non, Maya ! On ne répond pas à une question par une autre question ! Ça m’intéresse parce que je suis curieux et que, s’il y a des nouveaux Esprits, j’aimerais bien les voir ! On ne sait jamais, peut-être que l’un d’eux voudra fusionner avec moi et on pourra aller chasser l’ours ensemble ! » « Tu es un Mior, c’est ça ? » « Oui ! Et toi, tu étais quoi ? » « Une Delawam. » « Ah ouais… Vous êtes gentils mais vous ne savez pas trop vous battre quoi. » Elle rit devant mon audace. « Sans les Delawam, les Mior ne pourraient pas accompagner le fruit de leurs chasses. Nous sommes complémentaires ! Enfin, nous étions puisque je suis morte. » « T’es morte comment ? » « Mon canoë s’est retourné dans un rapide et m’a coincée contre un rocher, sous l’eau. » « Ah ouais… c’est pas de chance quand même. » « C’est ça. » « Et les Esprits, t’es sûre que tu ne sais rien ? » Parce qu’elle avait un peu changé de sujet, quand même. « Non, je ne sais rien. » « Parce que moi j’ai entendu des bruits… »

Quelques minutes plus tard, j’étais assis sur un tapis, à manger des fruits coupés en morceaux. Maya se tenait à côté de moi. « Désolé, j’avais trop faim ! » me justifiai-je. Mon ventre avait gargouillé si fort qu’il avait interrompu notre conversation. Souvent, pris dans mon enthousiasme, j’en oubliais de manger. Un pépin de melon collé sur le menton, je repris la conversation. « J’ai entendu dire qu’ils pouvaient exploser ! Et ça c’est vraiment pratique pour chasser un ours. Mais je me pose des questions, tu vois ? Parce que… s’ils explosent, est-ce que le Chaman qui a fusionné avec explose aussi ? BAM ! Explosion ! Plein de sang partout ! » Je mimais la scène que j’étais en train d’imaginer et de décrire avec mes mains. « Aucune idée. » dit-elle, en riant doucement. Elle semblait apprécier ma compagnie. Il faut dire que j’étais assez expressif et enjoué, même en décrivant des scènes de massacre qui m’auraient très certainement fait pleurer si je les avais vraiment vécues.

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« On va voir le lac d’Unega, dis ? » demandai-je à l’une de mes nourrices. «  Non. » répondit-elle. Je soupirai bruyamment. « Mais pourquoi ? » «  Parce que tu dois tanner les peaux ! » « Mais ça m’ennuie ! » «  Parce que tu crois qu’un lac est moins ennuyant que le tannage ? » « Oui ! En plus, j’ai entendu dire que son eau est turquoise et qu’on peut se baigner dedans ! » Elle soupira. «  Ce gamin va finir par me tuer. » dit-elle, à voix haute, à l’attention des deux femmes avec qui elle était tranquillement en train de discuter avant mon arrivée. Celles-ci se mirent à rire. « Mais s’il te plaît ! Ce sera tellement bien ! Il paraît que les Esprits qui explosent vont aussi se baigner dedans ! » «  Il paraît, il paraît. Tu es sûr que tu es un chasseur ? Parce que j’ai surtout l’impression que tu tiendrais parfaitement le rôle de monsieur je sais tout. » « Je ne sais pas tout, justement ! Et puis c’est n’importe quoi ce que tu dis ! Je me tiens juste informé, comme tout bon chasseur qui se respecte ! » « Oui allez ! En attendant de devenir un chasseur, tu vas plutôt continuer ton ouvrage. » « Mais si je finis tout ce que j’ai à faire, on ira ? » «  Seulement si tu es sage ! » « Mais tu n’arrêtes pas de dire que je ne suis jamais sage ! » «  Justement. » répondit-elle, un sourire malin au coin des lèvres. Je me mis à la fixer, boudeur, et repris mon travail.

« Ça fait longtemps que ses parents ne sont pas rentrés. » «  Oui c’est vrai. Ça ne devrait pas tarder. Avec toutes les rumeurs qu’on entend en ce moment, ils reviendront peut-être sur l’île bientôt. » Mes parents faisaient partie des Corvus Æris. Ils voyageaient avec des étrangers, chose que je trouvais merveilleuse. Beaucoup de Chamans étaient racistes mais, moi, j’étais trop curieux. Je savais déjà plein de choses ! Déjà, les Ygdraë enfermaient les femmes dans un endroit qui s’appelait Meronohë et c’était pour cette raison que le Suprême de l’Au-Delà avait adopté l’une d’elle, avant de l’épouser. Je l’avais vue au mariage et elle était si petite qu’elle n’aurait jamais pu tenir face à un ours. Le Roi était sacré et la parole des Ætheri tout autant, mais je me posais quand même des questions sur la volonté de ces derniers. S’ils faisaient des enfants, ils allaient être rikiki. Peut-être qu’ils pourraient chasser des oursons ? Ce n’était qu’une théorie parce qu’il ne fallait pas abattre les petits animaux. Ils devaient se développer et grandir. Nous devions chérir l’œuvre de la Déesse Phoebe et respecter tout un processus que j’allais bientôt apprendre plus en détails. En effet, jusqu’ici, j’étais surtout resté auprès de mes nourrices. Or, d’ici quelques temps, j’allais avoir un mentor qui allait m’enseigner tout ce qu’un bon chasseur devait savoir. J’allais pouvoir être initié aux différentes armes et aux prières plus spécifiques, liées à chaque type de chasses. Comme pour toute discipline, il y avait des interdits et des techniques particulières. J’avais tellement hâte que dès que l’on abordait le sujet avec moi, je sautillais sur place, impatient.

« Je suis sûre que Tekoa aimerait faire partie des Corvus aussi. » Je tendis l’oreille. C’était un effet assez courant. Dès que mon prénom était prononcé, ça me sortait de mes pensées. Les Corvus Æris… Oui. J’avais essayé de les observer lorsqu’ils étaient venus sur Awaku No Hi récemment. J’étais très curieux vis-à-vis des étrangers. Je savais aussi que les Anges étaient des moralisateurs, à cause de l’Hozro de l’une de mes nourrices. Il n’arrêtait pas de me courir après lorsque j’allais dans les bois. Lorsqu’il me trouvait, il fronçait les sourcils et me demandait de lui répéter ce qu’elle m’avait dit. Généralement, c’était quelque chose comme « Ne t’éloigne pas. » ou « Reviens dans cinq minutes. ». Il pouvait constater que j’avais bel et bien entendu et me faire ainsi remarquer, pour son plus grand plaisir, pensais-je, que je faisais exprès de la faire sortir de ses gonds. C’était vrai mais, d’un autre côté, moi, je voulais juste vivre ma vie comme je l’entendais. «  Peut-être mais il n’est pas assez grand pour sortir de l’île de toute manière. Il faut qu’il apprenne encore quelques années. » Je soupirai bruyamment. « Je vous entends hein ! Et si, je suis assez grand ! » «  Concentre-toi sur ta tâche ! » C’était trop nul. Je voulais voir le lac d’Unega, moi !

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« T’es enceinte alors ? » Je posais beaucoup de questions. « Parce que j’ai entendu dire que plein de femmes allaient tomber enceintes. » « Laisse-la tranquille, Tekoa ! » « Mais si les oracles ont dit que… » « Mais tu vas arrêter oui ! Intenable ce gamin. » Elle avait dit la dernière partie de la phrase plus pour elle-même que pour moi. Sur tous les enfants qu’elle gardait, j’étais de loin le plus chiant. « Ce n’est pas grave. Laisse-le. » dit la principale concernée. « Je ne pense pas être enceinte, non. » « Pourquoi ? » « Parce que pour être enceinte, il faut… » « Ah ouais nan berk ! Ne rentre pas dans les détails ! » Je pris une grande inspiration. Le sujet me gênait trop. Pourtant, c’était courant chez les Chamans. Il n’y avait pas de tabou sur la question, autre que ma propre puberté. Depuis que j’avais vu Raya, la mention du sexe me faisait rougir. Le processus était simple : je m’imaginais avec elle, des images chastes par rapport à la réalité d’un coït, et j’avais peur qu’on lût dans ma tête. Cette perspective me mettait mal à l’aise et, forcément, mon corps répondait en conséquence. « Tekoa… » murmura ma nourrice. « Tu n’es plus un enfant. Il va falloir, bientôt, que toi aussi tu honores la vie. » « Laisse-le un peu. Il n’est pas encore un homme. Il a plusieurs années devant lui. » « Oui mais les autres garçons commencent déjà à courir les filles. » « On ne peut pas courir après les filles et après les ours. » dit la jeune femme, avec un regard malicieux à mon endroit. Je fus agréablement surpris que quelqu’un allât dans mon sens, pour une fois. « Oui ! Et moi je préfère les ours ! » dis-je, avec un sourire fier. « Ce n’est pas avec un ours que tu honoreras la Vie ! » « Oui ben si j’avais voulu honorer la Vie, j’aurais été chez Raoni ! Je suis chez Raoni ? Non. Moi, je suis un Mior ! » « T’as raison. Le jour où tu feras des enfants, je viendrais observer leur nourrice sous forme d’Esprit pour me moquer. Nul doute que ce seront de vrais garnements, comme toi ! » « Je ne suis pas un garnement ! » La jeune femme, pas enceinte, qui assistait à la discussion se mit à rire. « Il a le temps de s’assagir. » articula-t-elle.

« Psst ! Tekoa ! Viens ! » J’entendis ça alors que je passais à côté de l’une des tentes du campement. Je m’arrêtai, regardai à droite et à gauche, curieux. « Psst ! Ici ! » La voix venait de l’ouverture de la tente. Je descendis les yeux vers elle et constatai qu’il s’agissait de la fille chiante. Je soupirai. « Quoi ? » « Viens avec nous ! On a des discussions secrètes ! » « Je m’en fiche de vos discussions secrètes de filles… » dis-je. C’était la vérité. Pourtant, quelque chose changea ma vision des choses. « T’as tort ! On parle de Souw ! » « Souw ? Pourquoi ? » « Parce que. Si tu veux savoir, tu n’as qu’à venir avec nous ! » Je réfléchis à peu près l’équivalent d’une fraction de seconde avant de m’engouffrer sous la toile. Il faisait presque noir en dessous. Seule une petite bougie révélait grossièrement les visages. Je m’assis en tailleurs et les fixait. Il y avait trois filles. « Bon alors, quoi, Souw ? Elle a capturé un ours ? Elle a vaincu un monstre ? Un dragon ? Un poulpe géant ? Elle a vaincu une hydre ? » « Tu te calmes à la fin ? Pourquoi est-ce que t’es obligé de toujours parler des bêtes, hein ? » « Ben parce que c’est plus intéressant que de parler de bisous, de peintures et de je ne sais pas quoi. » « Cette fois, c’est plus intéressant que les animaux. » « Je ne crois pas non. » « Si ! Et si tu as envie de savoir, tu vas devoir faire un bisou à l’une de nous. » « Quoi ? Non mais c’est dégueulasse ! » « C’est toi qui es dégueulasse ! » « Ben raison de plus pour que je ne vous fasse pas de bisou. » argumentai-je. « Fais-le, sinon tu ne sauras pas. » « J’ai pas envie de savoir. » Si, j’en avais très envie. « Comme tu veux. » Je réfléchis de nouveau, cette fois, plus longuement. « Bon d’accord. Un bisou sur la joue. » « Non, sur la bouche. » « Pourquoi je ferais ça ? Tu n’as pas un autre défi à me proposer ? » « Parce qu’elle veut que tu l’embrasses, débile. » finit par lâcher l’une de ses copines, ce qui contribua à faire taire tout le monde.

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