« Vous arrêtez immédiatement de contrôler le sang des autres résident.e.s, Monsieur Jay ! Vous savez que la magie est interdite pendant les activités ! » Le nouvel infirmier soupira de fatigue, la journée n’avait été que trop longue et il n’en voyait pas le bout. Les personnes qui vivaient leurs dernières années au Manoir du Dahlia Bleu ne semblait pas avoir envie de coller ensemble ces morceaux de papier et de tissu. Les tables avaient été disposées en fer-à-cheval, quelques personnes sans signes distinctifs tentaient d’aider du mieux qu’elles le pouvaient les pensionnaires. Au centre de la pièce, un modèle du bricolage que toustes essayaient de reproduire flottait dans les airs et personne ne le regardait vraiment. La lumière était froide et l’air étouffant. Après plusieurs heures passées à tenter de remplir les objectifs moteurs de cette activité qui l’agaçait au plus haut point, Daé fut soulagé d’entendre une des animatrices annoncer que l’heure du goûter était arrivé et que des flancs au chocolat allaient être servi dans le réfectoire. Le Rehla aux cheveux épars et au sourire constamment amusé se saisit des roues de son fauteuil roulant et sortit le premier de la salle avant même que l’employée du Manoir n’ait terminé son explication, ce qui, d’ailleurs, eut pour effet de la couper au milieu de sa phrase : « Monsieur Miirafae ! Monsieur Miirafae, vous revenez s’il vous… » elle tourna la tête vers l’un de ses collègues « Tu y vas s’il-te-plaît ? » Un membre du personnel se téléporta immédiatement devant Daé qui était en train tranquillement d’aller en direction du réfectoire, se réjouissant du flan au chocolat qui était promis et arrêta le fauteuil. « Monsieur Miirafae, laissez-moi vous aider. » . A contrecœur, le résident aux cheveux blancs et à la peau un peu tirée par les années se laissa pousser jusqu’à une table qu’il ne choisit pas et tenta, tant bien que mal, d’engager la conversation avec des gens qu’il n’appréciait ni n’avait choisi. Autour de lui, personne ne répondait vraiment, seul cassait l’ambiance de mort à venir qui régnait, la musique mise en boucle par une personne responsable du goûter et qui ressemblait vaguement à du violon joué avec les pieds. « La compote, pomme ou poire ? » « Quoi ? » « La compote, POMME ou POIRE ? » . Un jeune, que Daé n’avait encore jamais vu était en train d’agiter frénétiquement deux coupelles en verre devant lui en surarticulant deux noms de fruits qu’il avait parfaitement compris, là n’était d’ailleurs pas l’essence de sa question.  « On avait pas du flan ? » « JE VOUS METS POIRE HEIN. » Presque effrayé, Daé ne fit rien que la regarder avec des grands yeux et de retenir son visage : les employé.e.s les plus niais étaient toujours les plus utiles. Puis, dans un silence qui aurait pu se trouver à l’entrée « ennui » du dictionnaire, il termina sa compote de poire en silence.

La nuit passa, lentement. Daé eut le temps de voir les étoiles se déplacer calmement et danser, comme toutes les nuits, avec la lune. Même si depuis longtemps elles ne lui parlaient plus, il savait encore voir les constellations apparaître et disparaître au fur et à mesure du trajet de la lune. Et il y prenait un plaisir immense. Mais cette nuit n’était pas comme toutes les autres. Le Rehla ne la passa pas entièrement à la contemplation des étoiles jusqu’au potentiel endormissement, il avait eu, en mangeant sa farineuse compote de poire, une idée qu’il était bien décidé à mettre à exécution. L’ère de la compote était terminée. Maintenant allait briller l’air du sucre.

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Les jours continuèrent entre lecture de contes traditionnels des Terres du Yin et du Yang, ateliers personnages célèbres, bricolages laids et discussion parfaitement stérile sur la situation géopolitique des terres et sur à quel point : tout allait mieux quand Sympan n’avait pas vaincu. *Imbéciles.*

Des jours après sa nuit à fomenter, Daé attendit l’heure de l’après-midi où les personnes de l’équipe des soins étaient en plus faible effectif pour sortir discrètement et se rendre dans la chambre de sa voisine : une Lyrienne de l’eau qui réussissait depuis des années à cacher son incontinence urinaire grâce à son indéniable maîtrise des liquides. Le Rehla poussa la porte de celle qui se prénommait Lucie. Elle souleva le regard et sourit en voyant Daé entrer dans sa petite chambre à l’odeur forte que ne sentait même plus son voisin à force de passer du temps ensemble. Il referma la porte derrière lui, se leva de son fauteuil roulant, se racla un peu la gorge et d’une voix beaucoup plus posée que ce qu’entendaient habituellement les membres du corps soignant, il commença : « Bon. Le constat est très simple. Depuis bientôt deux mois et suite à un zèle excessif du nutritionniste, huitante pourcents de la nourriture sucrée a été remplacée par des fruits ou des yoghourts. Certain.e.s membres du personnel ne sont pas encore au courant de l’ampleur de la mesure, mais apparemment, iels prévoient de nous prendre les vingt pourcents restants. » Il laissa un temps qui oscillait entre la pause dramatique et l’instant de réflexion dû à la chaleur qu’il régnait et qu’il ne supportait que peu. « Tu ne peux pas faire quelque chose pour la température Lucie ? » Des nuages apparurent dans la chambre et une fine bruine tomba dans la chambre et commença à rafraîchir l’atmosphère. « Merci. Voilà comment va se passer la première partie du plan, demain j’ai rendez-vous avec deux enfants qui doivent venir en prétextant que je suis leur grand-père. Si tout se passe bien, iels vont me passer des tests de marchandise et iels me contacteront par carte postale codée pour qu’on arrange la quantité de marchandises. Ce qui veut dire qu’il faut commencer à en parler aux gens, à éviter les cafteur.euse.s et que demain, il va falloir que tu distraies les membres du personnel de la cafétéria. Ça va le faire ? » Elle regarda sa couche et urina en souriant. « Oh oui, ça va le faire, mon Daé ! » Les deux éclatèrent de rire et Daé alla finir sa sieste, comme si de rien n’était.

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« Madame Lerte, qu’est-ce qui s’est passé ? » C’était le signal. Daé fit un signe à ses deux petits-enfants-dealers de l’après-midi et ils passèrent sous la table un sac en tissu que Daé s’empressa de mettre sous son haut avant de jouer le prochain coup de ce jeu inintéressant au possible qu’il faisait semblant d’apprécier depuis une heure. Il regarda rapidement autour de lui, personne ne semblait le regarder de manière étrange. Etape 1 : succès.

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« Tu es sûr que tu en prendras pas plus ? » « Oui, je t’ai dit Daé, déjà que si je me fais chopper je te dis pas ce que je vais prendre, alors deux sucettes et un paquet de caramels mous. » Daé hocha la tête discrètement et histoire de rendre cette situation normale, il renversa sa compote de poire par terre et regarda le soignant l’air vide.

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Cher Papi,
Les terre du lak bleu son joli
Demin, nous allon voir les poisson
Maman a di que il y en avait 250
Et hier on a mangé 30 patate
Bisou
Luc

Cher Luc,
Je te remercie pour ta carte,
je me réjouis de te revoir au Manoir
Cette nuit j’ai rêvé que j’étais dans le jardin à minuit et que nous jouions aux cartes comme tu aimes tant le faire avec ton grand-papa Daé
Bise
Papi

Etape 2 : Succès.

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L’astre lunaire avait commencé son ascension, la nuit était légèrement nuageuse, mais assez dégagée pour que la lumière de la lune suffise à se repérer dans les jardins du Dahlia Bleu. L’air était bon, quoique frais pour la saison. Dans la nuit, la silhouette de Daé, debout, son fauteuil laissé à l’entrée pour être plus mobile au cas où il se faisait repérer, se découpait sur les buissons de roses. Un peu plus loin, à côté de l’allée de graviers qui bordait le Manoir, les deux enfants qui avaient fourni Daé en bonbon dans la cafétéria se trouvait là avec deux volumineux sacs. « Deux-cent cinquante caramels et trente sucettes, comme prévu. » « Je vous paie maintenant ? » Ils acquiescèrent et le Rehla sortit de sa poche une grosse somme d’argent qu’il remit dans la main du plus vieux des dealers. La transaction effectuée et alors que le vieux blondinet s’apprêtait à retourner en direction de son fauteuil, il entendit soudain un petit cri qui était un signal qu’il n’aurait pas souhaité entendre. Lucie, qui montait la garde vers l’entrée du personnel venait d’indiquer à Daé que des membres du personnel arrivait et ce n’était pas peu dire. Il se retourna et aperçut, se détachant dans la nuit, la silhouette de six membres de l’établissement avec au centre, la directrice : Karolina, une déchue de la colère peu commode. Etape 3 : échec.

Il laissa tomber les deux sacs qu’il portait, fit un signe aux deux enfants de disparaître et se prépara au combat. Une arbalète vola de la fenêtre de sa chambre ouverte à sa main droite et sa main gauche s’éleva en l’air faisant légèrement voler le gravier autour de lui. A sa gauche, il entraperçut Lucie se lever également de son fauteuil et commencer à surfer sur une vague d’eau créée de ses mains. Ils n’avaient plus le choix. La voix de Karolina retentit : « Miirafae ! Lerte ! Qu’est-ce que vous croyez faire dans mon établissement ?! Vous savez très bien que vous allez devoir payer pour ça ! » Karolina se retourna vers ses cinq employé.e.s et leur souffla dessus avec ardeur. En quelques secondes, Daé sentit l’atmosphère se tendre, voilà comment elle faisait en sorte que les membres du personnel les traite pareillement ! Le combat s’engagea avec fureur, Daé déracinant les plantes alentours pour les envoyer valser contre la tête des membres du personnels qui, eux, se battaient, à grand coups de pouvoirs de renforcement physique. L’une d’elle arrêta un arbre jeté sur elle à la seule force de son bras et le renvoya sur Daé, sauvé par la Lyrienne à la couche sale qui coupa le tronc en deux grâce à l’eau qu’elle avait créée juste avant. Karolina s’envola dans les airs pour avoir une vue d’ensemble, suivi de Daé qui déploya deux majestueuses ailes grises et regarda fixement la cheffe de l’établissement. « La guerre contre le glucose est finie, Karolina ! » « Oh, c’est ce que tu crois, Miirafae ! ».

Les hostilités reprirent de plus belle, le Rehla baissa les yeux et vit qu’au sol, plusieurs résident.e.s étaient sorti.e.s et avaient décidé que la tyrannie du non-sucre allait cesser aujourd’hui. Le paisible parc du Manoir du Dahlia Bleu n’était maintenant plus que personnes âgées en lutte et que terre retournée. Alors que Karolina et Daé en étaient arrivés au corps à corps dans les airs, ce dernier se rendit compte que la tendance était en train de changer. Les membres du personnel diminuaient à vue d’œil, au fur et à mesure que Lucie et son odeur pestilentielle due à sa couche que le personnel ne lui changeait jamais, avançait vers elleux. La lutte allait peut-être arriver à sa fin et peut-être qu’une nouvelle ère allait advenir.

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« … et vous transmettrez au deuxième étage que je ne tolèrerai pas leurs dettes encore longtemps. » L’employé habillé en noir acquiesça et laissa le Rehla dans son bureau du Dahlia Bleu. Il se tourna pour sortir d’une sorte de tabernacle une bouteille remplie d’un liquide ambre.  « Lucie ! Tu prends un verre avant de continuer ? On a un rendez-vous à la tombée de la nuit, mais en attendant, je crois qu’on mérite une pause. » Alors que la Lyrienne trinquait avec son ami, elle regarda avec fierté la plaquette qui était posé sur le bureau de celui-ci

DAE MIIRAFAE – PARRAIN DU GLUCOSE.

Etape 3 : Succès.